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unités dont aucune n’est nombre font un nombre par leur assemblage ; il faut leur repartir qu’ils pourraient opposer, de la même sorte, que vingt mille hommes font une armée, quoique aucun d’eux ne soit armée ; que mille maisons font une ville, quoique aucune ne soit ville ; ou que les parties font le tout, quoique aucune ne soit le tout, ou, pour demeurer dans la comparaison des nombres, que deux binaires font le quaternaire, et dix dizaines une centaine, quoique aucun ne le soit. Mais ce n’est pas avoir l’esprit juste que de confondre par des comparaisons si inégales la nature immuable des choses avec leurs noms libres et volontaires, et dépendant du caprice des hommes qui les ont composés. Car il est clair que pour faciliter les discours on a donné le nom d’armée à vingt mille hommes, celui de ville, plusieurs maisons, celui de dizaines à dix unités ; et que de cette liberté naissent les noms d’unité, binaire, quaternaire, dizaine, centaine, différents par nos fantaisies, quoique ces choses soient en effet de même genre par leur nature invariable, et qu’elles soient toutes proportionnées entre elles et ne diffèrent que du plus ou du moins, et quoique, en suite de ces noms, le binaire ne soit pas quaternaire ni une maison une ville, non plus qu’une ville n’est pas une maison.

Mais encore, quoiqu’une maison ne soit pas une ville, elle n’est pas néanmoins un néant de ville ; il y a bien de la différence entre n’être pas une chose et en être un néant.

Car, afin qu’on entende la chose à fond, il faut savoir que la seule raison pour laquelle l’unité n’est pas au rang des nombres est qu’Euclide et les premiers auteurs qui ont traité l’arithmétique, ayant plusieurs propriétés à donner qui convenaient à tous les nombres hormis à l’unité, pour éviter de dire souvent qu’en tout nombre, hors l’unité, telle condition se rencontre, ils ont exclu l’unité de la signification du mot nombre, par la liberté que nous avons déjà dit qu’on a de faire à son gré des définitions. Aussi, s’ils eussent voulu, ils en eussent de même exclu le binaire et le ternaire, et tout ce qu’il leur eût plu ; car on en est maître, pourvu qu’on en avertisse : comme au contraire l’unité se met quand on veut au rang des nombres, et les fractions de même. Et, en effet, l’on est obligé de le faire dans les propositions générales, pour éviter de dire à chaque fois : « en tout nombre, et à l’unité et aux fractions, une telle propriété se trouve » ; et c’est en ce sens indéfini que je l’ai pris dans tout ce que j’en ai écrit. Mais le même Euclide qui a ôté à l’unité le nom de nombre, ce qui lui a été per mis, pour faire entendre néanmoins qu’elle n’est pas un néant, mais qu’elle est au contraire du même genre, il définit ainsi les grandeurs homogènes : (( Les grandeurs, dit-il, sont dites être de même genre, lorsque l’une étant plusieurs fois multipliée peut arriver à surpasser l’autre. )) Et par conséquent, puisque l’unité peut, étant multipliée plusieurs fois, surpasser quelque nombre que ce soit, elle est de même genre que les nombres précisément par son essence et par sa nature immuable, dans le sens du même Euclide qui a voulu qu’elle ne fût pas appelée nombre.

Il n’en est pas de même d’un indivisible à l’égard d’une étendue ; car non seulement il diffère de nom, ce qui est volontaire, mais il diffère de genre, par la même définition, puisqu’un indivisible multiplié autant