Page:Œuvres complètes de Blaise Pascal Hachette 1871, vol1.djvu/355

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’unique but en est la figure : car, puisqu’il n’y a qu’un but, tout ce qui n’y va point en mots propres est figure.

Dieu diversifie ainsi cet unique précepte de charité, pour satisfaire notre curiosité, qui recherche la diversité, par cette diversité, qui nous mène toujours à notre unique nécessaire. Car une seule chose est nécessaire, et nous aimons la diversité ; et Dieu satisfait à l’un et à l’autre par ces diversités, qui mènent au seul nécessaire.


16.

Les rabbins prennent pour figures les mamelles de l’Épouse, et tout ce qui n’exprime pas l’unique but qu’ils ont, des biens temporels. Et les chrétiens prennent même l’eucharistie pour figure de la gloire où ils tendent.


17.

Il y en a qui voient bien qu’il n’y a pas d’autre ennemi de l’homme que la concupiscence, qui le détourne de Dieu, et non pas Dieu ; ni d’autre bien que Dieu, et non pas une terre grasse. Ceux qui croient que le bien de l’homme est en la chair, et le mal en ce qui le détourne des plaisirs des sens, qu’ils s’en soûlent, et qu’ils y meurent. Mais que ceux qui cherchent Dieu de tout leur cœur, qui n’ont de déplaisir que d’être privés de sa vue, qui n’ont de désir que pour le posséder, et d’ennemis que ceux qui les en détournent ; qui s’affligent de se voir environnés et dominés de tels ennemis ; qu’ils se consolent, je leur annonce une heureuse nouvelie : il ya un libérateur pour eux, je le leur ferai voir. je leur montrerai qu’il y a un Dieu pour eux ; je ne le ferai pas voir aux autres. Je ferai voir qu’un Messie a été promis, qui délivreroit des ennemis ; et qu’il en est venu un pour délivrer des iniquités, mais non des ennemis.


18.

Quand David prédit que le Messie délivrera son peuple de ses ennemis, on peut croire charnellement que ce sera des Égyptiens ; et alors je ne saurois montrer que la prophétie soit accomplie. Mais on peut bien croire aussi que ce sera des iniquités : car, dans la vérité, les Égyptiens ne sont pas ennemis, mais les iniquités le sont. Ce mot d’ennemis est donc équivoque.

Mais s’il dit ailleurs, comme il fait, qu’il délivrera son peuple de ses péchés, aussi bien qu’Isaïe et les autres, l’équivoque est ôtée, et le sens double des ennemis réduit au sens simple d’iniquités : car, s’il avoit dans l’esprit les péchés, il les pouvoit bien dénoter par ennemis ; mais s’il pensoit aux ennemis, il ne les pouvoit pas désigner par iniquités.

Or, Moïse, et David, et Isaie usoient des mêmes termes. Qui dira donc qu’ils n’avoient pas le même sens, et que le sens de David, qui est manifestement d’iniquités lorsqu’il parloit d’ennemis, ne fût pas le même que celui de Moïse en parlant d’ennemis ?

Daniel (ix) prie pour la délivrance du peuple de la captivité de leurs ennemis ; mais il pensoit aux péchés : et, pour le montrer, il dit que Gabriel lui vint dire qu’il étoit exaucé, et qu’il n’yavoit plus que soixante-dix semaines à attendre ; après quoi le peuple seroit délivré d’iniquité,