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Toutes les autres religions ne l’ont pu. Voyons ce que fera la Sagesse de Dieu.

N’attendez pas, dit-elle, ni vérité, ni consolation des hommes. Je suis celle qui vous ai formés, et qui puis seule vous apprendre qui vous êtes. Mais vous n’êtes plus maintenant en l’état où je vous ai formés. J’ai créé l’homme saint, innocent, parfait : je l’ai rempli de lumière et d’intelligence ; je lui ai communiqué ma gloire et mes merveilles. L’œil de l’homme voyoit alors la majesté de Dieu. Il n’étoit pas alors dans les ténèbres qui l’aveuglent, ni dans la mortalité et dans les misères qui l’affligent. Mais il n’a pu soutenir tant de gloire sans tomber dans la présomption. Il a voulu se rendre centre de lui-même, et indépendant de mon secours. Il s’est soustrait de ma domination ; et, s’égalant à moi par le désir de trouver sa félicité en lui-même, je l’ai abandonné à lui ; et, révoltant les créatures, qui lui étoient soumises, je les lui ai rendues ennemies : en sorte qu’aujourd’hui l’homme est devenu semblable aux bêtes, et dans un tel éloignement de moi, qu’à peine lui reste-t-il une lumière confuse de son auteur : tant toutes ses connoissances ont été éteintes ou troublées ! Les sens, indépendans de la raison, et souvent maîtres de la raison, l’ont emporté à la recherche des plaisirs. Toutes les créatures ou l’affligent ou le tentent, et dominent sur lui, ou en le soumettant par leur force, ou en le charmant par leurs douceurs, ce qui est encore une domination plus terrible et plus impérieuse. Voilà l’état où les hommes sont aujourd’hui. Il leur reste quelque instinct impuissant du bonheur de leur première nature, et ils sont plongés dans les misères de leur aveuglement et de leur concupiscence, qui est devenue leur seconde nature.

De ce principe que je vous ouvre, vous pouvez reconnoître la cause de tant de contrariétés qui ont étonné tous les hommes, et qui les ont partagés en de si divers sentimens. Observez maintenant tous les mouvemens de grandeur et de gloire que l’épreuve de tant de misères ne peut étouffer, et voyez s’il ne faut pas que la cause en soit en une autre nature.

A.P.R. pour demain. Prosopopée. — ... C’est en vain, ô hommes, que vous cherchez dans vous-mêmes le remède à vos misères. Toutes vos lumières ne peuvent arriver qu’à connoître que ce n’est point dans vous-mêmes que vous trouverez ni la vérité ni le bien. Les philosophes vous l’ont promis, et ils n’ont pu le faire. Il ne savent ni quel est votre véritable bien, ni quel est votre véritable état[1]. Comment au-

  1. Ici se trouvent quelques lignes barrées : « Je suis la seule qui peut vous apprendre ces choses ; je les enseigne à ceux qui m’écoutent. Les livres que j’ai mis entre les mains des hommes les découvrent bien nettement. Mais je n’ai pas voulu que cette connoissance fût si ouverte [c’est-à-dire : Je n’ai pas voulu qu’elle fût si ouverte qu’on n’eût pas besoin de la grâce pour l’acquérir. Voir l’article XX]. J’apprends aux hommes ce qui les peut rendre heureux ; pourquoi refusez-vous de m’ouïr ? Ne cherchez pas de satisfaction dans la terre : n’espérez rien des hommes. Votre bien n’est qu’en Dieu, et la souveraine félicité consiste à connoître Dieu, à s’unir à lui dans l’éternité. Votre devoir est à l’aimer de tout votre cœur. Il vous a créé. »