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démontrées ! Les preuves ne convainquent que l’esprit. La coutume fait nos preuves les plus fortes et les plus crues : elle incline l’automate, qui entraîne l’esprit sans qu’il y pense. Qui a démontré qu’il sera demain jour, et que nous mourrons ? et qu’y a-t-il de plus cru ? C’est donc la coutume qui nous en persuade ; c’est elle qui fait tant de chrétiens, c’est elle qui fait les Turcs, les païens, les métiers, les soldats, etc. Enfin il faut avoir recours à elle quand une fois l’esprit a vu où est la vérité, afin de nous abreuver et nous teindre de cette créance, qui nous échappe à toute heure ; car d’en avoir toujours les preuves présentes, c’est trop d’affaire. Il faut acquérir une créance plus facile, qui est celle de l’habitude, qui, sans violence, sans art, sans argument, nous fait croire les choses, et incline toutes nos puissances à cette croyance, en sorte que notre âme y tombe naturellement. Quand on ne croit que par la force de la conviction, et que l’automate est incliné à croire le contraire, ce n’est pas assez. Il faut donc faire croire nos.deux pièces : l’esprit, par les raisons, qu’il suffit d’avoir vues une fois en sa vie ; et l’automate, par la coutume, et en ne lui permettant pas de s’incliner au contraire. Inclina cor meum. Deus[1].




ARTICLE XI.[2]


1.

La vraie religion doit avoir pour marque d’obliger à aimer son Dieu. Cela est bien juste. Et cependant aucune autre que la nôtre ne l’a ordonné ; la nôtre l’a fait. Elle doit encore avoir connu la concupiscence et l’impuissance ; la nôtre l’a fait. Elle doit y avoir apporté les remèdes ; l’un est la prière. Nulle religion n’a demandé à Dieu de l’aimer et de le suivre.


2.

La vraie nature de l’homme, son vrai bien, et la vraie vertu, et la vraie religion, font choses dont la connoissance est inséparable. Après avoir entendu la nature de l’homme. — Il faut, pour qu’une religion soit vraie, qu’elle ait connu notre nature. Elle doit avoir connu la grandeur et la petitesse, et la raison de l’une et de l’autre. Qui l’a connue, que la chrétienne ?


3.

Les autres religions, comme les païennes, sont plus populaires ; car elles sont en extérieur : mais elles ne sont pas pour les gens habiles. Une religion purement intellectuelle seroit plus proportionnée aux habiles ; mais elle ne serviroit pas au peuple. La seule religion chrétienne est proportionnée à tous, étant mêlée d’extérieur et d’intérieur. Elle élève le peuple à l’intérieur, et abaisse les superbes à l’extérieur[3] ;

  1. Ps. CXVIII, 36.
  2. Article IV de la seconde partie, dans Bossut.
  3. « Elle élève le peuple aux méditations intérieures, et abaisse les superbes aux pratiques extérieures. »