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le plus souvent les démontrer par ordre comme en géométrie, parce qu’on n’en possède pas ainsi les principes, et que ce seroit une chose infinie de l’entreprendre. Il faut tout d’un coup voir la chose d’un seul regard, et non pas par progrès de raisonnement, au moins jusque un certain degré. Et ainsi il est rare que les géomètres soient fins, et que les fins soient géomètres, à cause que les géomètres veulent traiter géométriquement ces choses fines, et se rendent ridicules, voulant commencer par les définitions et ensuite par les principes, ce qui n’est pas la manière d’agir en cette sorte de raisonnement. Ce n’est pas que l’esprit ne le fasse ; mais il le fait tacitement, naturellement et sans art, car l’expression en passe tous les hommes, et le sentiment n’en appartient qu’à peu d’hommes.

Et les esprits fins, au contraire, ayant ainsi accoutumé à juger d’une seule vue, sont si étonnés quand on leur présente des propositions où ils ne comprennent rien, et où pour entrer il faut passer par des définitions et des principes si stériles, qu’ils n’ont point accoutumé de voir ainsi en détail, qu’ils s’en rebutent et s’en dégoûtent. Mais les esprits faux ne sont jamais ni fins ni géomètres. Les géomètres qui ne sont que géomètres ont donc l’esprit droit, mais pourvu qu’on leur explique bien toutes choses par définitions et principes ; autrement ils sont faux et insupportables, car ils ne sont droits que sur les principes bien éclaircis. Et les fins qui ne sont que fins ne peuvent avoir la patience de descendre jusque dans les premiers principes des choses spéculatives et d’imagination, qu’ils n’ont jamais vues dans le monde, et tout à fait hors d’usage.


3.

Les exemples qu’on prend pour prouver d’autres choses, si on vouloit prouver les exemples, on prendroit les autres choses pour en être les exemples ; car, comme on croit toujours que la difficulté est à ce qu’on veut prouver, on trouve les exemples plus clairs et aidant à le montrer Ainsi, quand on veut montrer une chose générale, il faut en donner la règle particulière d’un cas : mais si on veut montrer un cas particulier il faudra commencer par la règle générale. Car on trouve toujours obscure la chose qu’on veut prouver, et claire celle qu’on emploie à la preuve : car, quand on propose une chose à prouver, d’abord on se remplit de cette imagination qu’elle est donc obscure, et, au contraire que celle qui doit la prouver est claire, et ainsi on l’entend aisément.


4.

Tout notre raisonnement se réduit à céder au sentiment. Mais la fantaisie est semblable et contraire au sentiment, de sorte qu’on ne peu distinguer entre ces contraires. L’un dit que mon sentiment est fantaisie, l’autre que sa fantaisie est sentiment. Il faudrait avoir une règle La raison s’offre, mais elle est ployable à tous sens ; et ainsi il n’y en a point.


5.

Ceux qui jugent d’un ouvrage par règle sont, à l’égard des autres comme ceux qui ont une montre à l’égard des autres. L’un dit : « Il y a deux heures ; » l’autre dit : « Il n’y a que trois quarts d’heure. » Je regarde