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La vérité essentielle n’est pas ainsi : elle est toute pure et toute vraie. Ce mélange la déshonore et l’anéantit. Rien n’est purement vrai ; et ainsi rien n’est vrai, en l’entendant du pur vrai. On dira qu’il est vrai que l’homicide est mauvais ; oui, car nous connoissons bien le mal et le faux. Mais que dira-t-on qui soit bon ? La chasteté ? Je dis que non car le monde finiroit. Le mariage ? Non : la continence vaut mieux. De ne point tuer ? Non, car les désordres seroient horribles, et les méchants tueroient tous les bons. De tuer ? Non, car cela détruit la nature. Nous n’avons ni vrai ni bien qu’en partie, et mêlé de mal et de faux.


64.

Le mal est aisé, il y en a une infinité ; le bien presque unique. Mais un certain genre de mal est aussi difficile à trouver que ce qu’on appelle bien, et souvent on fait passer pour bien à cette marque ce mal particulier. Il faut même une grandeur extraordinaire d’âme pour y arriver aussi bien qu’au bien.


65.

Les cordes qui attachent le respect des uns envers les autres, en général, sont cordes de nécessité ; car il faut qu’il y ait différens degrés, tous les hommes voulant dominer, et tous ne le pouvant pas mais quelques-uns le pouvant.

Figurons-nous donc que nous les voyons commencer à se former. Il est sans doute qu’ils se battront jusqu’à ce que la plus forte partie opprime la plus foible, et qu’enfin il y ait un parti dominant. Mais quand cela est une fois déterminé, alors les maîtres, qui ne veulent pas que la guerre continue, ordonnent que la force qui est entre leurs mains succédera comme il plaît ; les uns la remettant à l’élection des peuples, les autres à la succession de naissance, etc.

Et c’est là où l’imagination commence à jouer son rôle.Jusque-là le pouvoir force le fait : ici c’est la force qui se tient par l’imagination en un certain parti, en France des gentilshommes, en Suisse des roturiers, etc.

Ces cordes qui attachent donc le respect à tel et tel en particulier sont des cordes d’imagination.


66.

Nous sommes si malheureux que nous ne pouvons prendre plaisir à une chose qu’à condition de nous fâcher si elle réussit mal ; ce que mille choses peuvent faire, et font à toute heure. Qui auroit trouvé le secret de se réjouir du bien sans se fâcher du mal contraire, auroit trouvé le point. C’est le mouvement perpétuel.




ARTICLE VII.[1]


1.

A mesure qu’on a plus d’esprit, on trouve qu’il y a plus d’homme : originaux. Les gens du commun ne trouvent pas de différence entre les hommes.

  1. Article X de Bossut.