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comme il faut obéir aux supérieurs, non parce qu’ils sont justes, mais parce qu’ils sont supérieurs. Par là voilà toute sédition prévenue, si on peut faire entendre cela, et ce que c’est proprement que la définition de la justice.


11.

Il seroit donc bon qu’on obéît aux lois et coutumes, parce qu’elles sont lois ; qu’il sût qu’il n’y en a aucune vraie et juste à introduire ; que nous n’y connoissons rien, et qu’ainsi il faut seulement suivre les reçues : par ce moyen on ne les quitteroit jamais. Mais le peuple n’est pas susceptible de cette doctrine ; et ainsi, comme il croit que la vérité se peut trouver, et qu’elle est dans les lois et coutumes, il les croit, et prend leur antiquité comme une preuve de leur vérité, et non de leur seule autorité sans vérité. Ainsi il y obéit ; mais il est sujet à se révolter dès qu’on lui montre qu’elles ne valent rien ; ce qui se peut faire voir de toutes en les regardant d’un certain côté.


12.

Quand il est question de juger si on doit faire la guerre et tuer tant d’hommes, condamner tant d’Espagnols à la mort, c’est un homme seul qui en juge, et encore intéressé : ce devroit être un tiers indifférent.


13.

Tyrannie. — Ainsi ces discours sont faux et tyranniques : « Je suis beau, donc on doit me craindre. Je suis fort, donc on doit m’aimer. Je suis… » La tyrannie est de vouloir avoir par une voie ce qu’on ne peut avoir que par une autre. On rend différens devoirs aux différens mérites : devoir d’amour à l’agrément ; devoir de crainte à la force ; devoir de créance à la science. On doit rendre ces devoirs-là ; on est injuste de les refuser, et injuste d’en demander d’autres. Et c’est de même être faux et tyran de dire : « Il n’est pas fort, donc je ne l’estimerai pas ; il n’est pas habile, donc je ne le craindrai pas. »


14.

Il y a des vices qui ne tiennent à nous que par d’autres, et qui, en ôtant le tronc, s’emportent comme des branches.


15.

Quand la malignité a la raison de son côté, elle devient fière, et étale la raison en tout son lustre : quand l’austérité ou le choix sévère n’a pas réussi au vrai bien, et qu’il faut revenir à suivre la nature, elle devient fière par le retour.


16.

Divertissement. — Si l’homme étoit heureux, il le seroit d’autant plus qu’il seroit moins diverti, comme les saints et Dieu.

Oui, mais n’est-ce pas être heureux que de pouvoir être réjoui par le divertissement ? Non, car il vient d’ailleurs et de dehors : et ainsi il est dépendant, et partant, sujet à être troublé par mille accidens, qui font les afflictions inévitables.

17.

Pyrrhonisme. — L’extrême esprit est accusé de folie, comme l’extrême défaut. Rien que la médiocrité n’est bon. C’est la pluralité qui a établi