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8.

La coutume de voir les rois accompagnés de gardes, de tambours d’officiers, et de toutes les choses qui plient la machine vers le respect et la terreur, fait que leur visage, quand il est quelquefois seul et sans ces accompagnemens, imprime dans leurs sujets le respect et la terreur parce qu’on ne sépare pas dans la pensée leur personne d’avec leur suite qu’on y voit d’ordinaire jointe. Et le monde, qui ne sait pas que cet effet a son origine dans cette coutume, croit qu’il vient d’une force naturelle ; et de là viennent ces mots : « Le caractère de la Divinité est empreint sur son visage, etc. »

La puissance des rois est fondée sur la raison et sur la folie du peuple, et bien plus sur la folie. La plus grande et importante chose du monde a pour fondement la foiblesse ; et ce fondement-là est admirablement sûr ; car il n’y a rien de plus sûr que cela, que le peuple sera foible. Ce qui est fondé sur la saine raison est bien mal fondé, comme l’estime de la sagesse.


9.

Nos magistrats ont bien connu ce mystère. Leurs robes rouges, leurs hermines, dont ils s’emmaillottent en chats fourrés, les palais où ils jugent, les fleurs de lis, tout cet appareil auguste étoit fort nécessaire, et si les médecins n’avoient des soutanes et des mules, et que les docteurs n’eussent des bonnets carrés et des robes trop amples de quatre parties, jamais ils n’auroient dupé le monde qui ne peut résister à cette montre si authentique. Les seuls gens de guerre[1] ne se sont pas déguisés de la sorte, parce qu’en effet leur part est plus essentielle : ils s’établissent par la force, les autres par grimace.

C’est ainsi que nos rois n’ont pas recherché ces déguisemens. Ils ne se sont pas masqués d’habits extraordinaires pour paroître tels ; mais ils se sont accompagnés de gardes, de hallebardes : ces trognes armées qui n’ont de mains et de force que pour eux, les trompettes et les tambours qui marchent au-devant, et ces légions qui les environnent, font trembler les plus fermes. Ils n’ont pas l’habit seulement, ils ont la force. Il faudroit avoir une raison bien épurée pour regarder comme un autre homme le Grand Seigneur environné, dans son superbe sérail, de quarante mille janissaires.

S’ils avoient[2] la véritable justice, si les médecins avoient le vrai art de guérir, ils n’auroient que faire de bonnets carrés : la majesté de ces sciences seroit assez vénérable d’elle-même. Mais n’ayant que des sciences imaginaires, il faut qu’ils prennent ces vains instrumens qui frappent l’imagination à laquelle ils ont affaire ; et par là, en effet, ils s’attirent le respect.

Nous ne pouvons pas seulement voir un avocat en soutane et le bonnet en tête, sans une opinion avantageuse de sa suffisance.

Les Suisses s’offensent d’être dits gentilshommes[3], et prouvent la roture de race pour être jugés dignes de grands emplois.

  1. Il n’y avait pas alors d’uniformes.
  2. Si les magistrats avaient…
  3. Pascal s’imagine cela, à cause du mot de république.