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DISCOURS SUR LA GUERRE. 71

J{ gauche. — Parlez ! parlez !

M. LE Président. — Veuillez continuer, monsieur Victor Hugo. M. Victor Hugo. — La conquête est la rapine, rien de plus. Elle est un fait, soit} le droit ne sort pas du fait. L’Alsace et la Lorraine — suis-je dans la question . — veulent rester France } elles resteront France malgré tout, parce que la France s’appelle République et civilisation j et la France, de son côté, n’abandonnera rien de son devoir envers l’Alsace et la Lorraine, envers elle-même, envers le monde.

Messieurs, à Strasbourg, dans cette glorieuse Strasbourg écrasée sous les bombes prussiennes, il y a deux statues, Gutenberg et Kléber. Eh bien, nous sentons en nous une voix qui s’élève, et qui jure à Gutenberg de ne pas laisser étouffer la civilisation, et qui jure à Kléber de ne pas laisser étouffer la République. {Bravo ! bravo ! — ■ A.pplaudissements.’) Je sais bien qu’on nous dit : Subissez les conséquences de la situation faite par vous. On nous dit encore : Résignez-vous, la Prusse vous prend l’Alsace et une partie de la Lorraine, mais c’est votre faute et c’est son droit j pourquoi l’avez-vous attaquée "^ Elle ne vous faisait rien 5 la France est coupable de cette guerre et la Prusse en est innocente. La Prusse innocente ! . . . Voilà plus d’un siècle que nous assistons aux actes de la Prusse, de cette Prusse qui n’est pas coupable, dit-on, aujourd’hui. Elle a pris. . . (Bruit dans quelques parties de la saUe.) M. LE Président. — Messieurs, veuillez feire silence. Le bruit interrompt l’orateur et prolonge la discussion.

M. Victor Hugo. — Il est extrêmement difficile de parler à l’Assemblée, si elle ne veut pas laisser l’orateur achever sa pensée. De tous cotés. — Parlez ! parlez ! continuez !

M. LE Président. — Monsieur Victor Hugo, les interruptions n’ont pas la signification que vous leur attribuez.

M. Victor Hugo. — J’ai dit que la Prusse est sans droit. Les prussiens sont vainqueurs, soitj maîtriseront-ils la France.’* non ! Dans le présent, peut-être 5 dans l’avenir, jamais ! ÇTres bien ! — Bravo !) Les anglais ont conquis la France, ils ne l’ont pas gardée ; les prussiens investissent la France, ils ne la tiennent pas. Toute main d’étranger qui saisira ce fer rouge, la France, le lâchera. Cela tient à ce que la France est quelque chose de plus qu’un peuple. La Prusse perd sa peine j son effort sauvage sera un effort inutile.

Se figure-t-on quelque chose de pareil à ceci : la suppression de l’avenir par le passé.’* Eh bien, la suppression de la France par la Prusse, c’est le même rêve. Non ! la France ne périra pas ! Non ! quelle que soit la lâcheté de l’Europe, non ! sous tant d’accablement, sous tant de rapines, sous tant