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contre le crime, et, au nom de la conscience humaine étouffée, prononçait, dès 1851, le mot de l’avenir et le mot de l’histoire : châtiment !

Il y avait un homme qui, depuis tantôt vingt ans, représentait le volontaire exil, la négation de l’empire, la revendication du droit proscrit, un homme qui, après avoir chanté les roses et les enfants, plein d’amour, s’était tout à coup senti plein de courroux et plein de haine, un homme qui, parlant de l’homme de Décembre, avait dit :


Oui, tant qu’il sera là, qu’on cède ou qu’on persiste,
Ô France ! France aimée et qu’on pleure toujours.
Je ne reverrai pas ta terre douce et triste.
Tombeau de mes aïeux et nid de mes amours !

Je ne reverrai pas ta rive qui nous tente,
France ! hors le devoir, hélas ! j’oublierai tout.
Parmi les éprouvés je planterai ma tente ;
Je resterai proscrit, voulant rester debout.

J’accepte l’âpre exil, n’eût-il ni fin ni terme.
Sans chercher à savoir et sans considérer
Si quelqu’un a plié qu’on aurait cru plus ferme.
Et si plusieurs s’en vont qui devraient demeurer.

Si l’on n’est plus que mille, eh bien, j’en suis ! Si même
Ds ne sont plus que cent, je brave encor Sylla ;
S’il en demeure dix, je serai le dixième ;
Et s’il n’en reste qu’un, je serai celui-là !


C’est à ce livre qui avait deviné l’avenir, et à ce poète qui, fidèle à l’exil, a loyalement tenu le serment juré, que nous voulions demander, nous, Société des gens de lettres, de nous aider dans notre œuvre. Victor Hugo est notre président honoraire. Voici la lettre que lui adressa notre comité :


L’orateur lit la lettre du comité et la réponse de Victor Hugo (voir plus haut), et reprend :


Je ne veux pas vous empêcher plus longtemps d’écouter les admirables vers et les remarquables artistes que vous allez entendre. Je ne veux pas plus longtemps votis parler de notre souscription, je ne veux que vous faire remarquer une chose qui frappe aujourd’hui en lisant ce livre des Châtiments, dont notis détachons pour vous quelques fragments : c’est l’étonnante prophétie de l’œuvre. Lu à la lumière sinistre des derniers événements, le livre du poète acquiert une grandeur nouvelle. Le poète a tout prévu, le poète a tout prédit. Il avait deviné dans les fusillexus de Décembre ces généraux de boudoir et d’antichambre qui traînent


Des sabres qu’au besoin ils sauraient avaler.


Il avait deviné, dans le sang du début, la boue du dénouement. Il avait deviné la chute de celui qu’il appelait déjà Napoléon-le-Petit. L’histoire devait donner raison à la poésie, et le destin à la prédiction.

Oui, comme une prédiction terrible, les vers des Châtiments me revenaient au souvenir lorsque je parcourais le champ de bataille de Sedan, et j’étais tenté de le trouver trop doux lorsque je voyais ces 400 canons, ces mitrailleuses, ces drapeaux qu’emportait l’ennemi, lorsque je regardais ces mamelons couverts de morts, ces