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300 RELIQUAT DE DEPUIS L’EXIL.

croient pas que la volonté momentanée de la loi suffise pour réprimer l’éternelle révolte de la réalité méconnue. Faire le silence, ce n’est pas faire la paix. Il y a quelque différence entre un consentement et un bâillon. Certains êtres naissent chefs de groupes.

Il j a le bélier, il y a le taureau, il j a le coq ; ce sont les chefs de partis ; en dehors il j a les solitaires, le lion, l’aigle, le génie. Que chacun suive sa loi. Il J a les imbéciles, mais il j a les fourbes, il y a les alacoquistes, mais il y a les alacoquins ; indulgence aux premiers, surveillance aux seconds. Saisir brusquement au collet la révolution, lui mettre les poucettes, la jeter dans un fourgon cellulaire, et de là en prison, cela est faisable. Pour combien de temps. ? pour des années, soit. Et après t J’en conviens, la force est la force ; cette politesse dite, je puis ajouter : l’idée reste l’idée. Bonaparte a dit : la République, c’est le soleil. On peut nier Josué, mais on ne peut nier l’arrestation du soleil. Elle a eu lieu deux fois dans ce siècle, le 18 brumaire et le 2 décembre.

Mais le soleil finit toujours par sortir, même de Mazas. Je ne dis rien ici qui ne soit ma pensée, mais je pourrais dire plus encore, je m’arrête, je m’impose des réserves, je tâche de ne point dépasser la limite où les choses justes deviennent les choses sévères.

Ainsi, on m’accordera que ce qui est vrai, hélas, de presque toutes les époques de l’histoire est aussi un peu vrai de la nôtre. On m’accordera que la quantité d’indignité de certains hommes se mesure quelquefois à la quantité de leur pouvoir ; on m’accordera que les assemblées peuvent être nommées dans des jours de malheur, et imprimer fatalement à tous leurs actes leur marque d’origine. On m’accordera que les majorités n’ont pas toujours raison. On m’accordera qu’une robe rouge ou noire ou qu’une passementerie au collet de l’habit n’ajoute que peu de chose à la perfection d’un homme. On m’accordera que le soldat ignore quelquefois la loi, que le juge ignore quelquefois la justice, que le prêtre ignore quelquefois la vérité. Le prêtre ignorant Dieu, cela s’était vu dans l’antiquité, cela se voit encore aujourd’hui. De là le moment de transition où nous sommes j minute sombre.

Je sens qu’il est beau que l’inclémence des gouvernements ait pour réplique la clémence des peuples.