Page:Œuvres complètes, Impr. nat., Actes et Paroles, tome III.djvu/22

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— En argent ! cria la foule.

Ce mot suffit. Personne n’y toucha.

Il y avait dans cette multitude beaucoup de chiffonniers du faubourg Saint-Antoine, pauvres hommes très indigents.

Le salon faisait suite à la salle à manger. Ils y entrèrent.

Sur une table était jetée une tapisserie aux coins de laquelle on voyait les initiales du maître de la maison.

— Ah ça mais pourtant, dit un insurgé, il nous combat !

— Il fait son devoir, dit le chef.

L’insurgé reprit :

— Et alors, nous, qu’est-ce que nous faisons ?

Le chef répondit :

— Notre devoir aussi.

Et il ajouta :

— Nous défendons nos familles ; il défend la patrie.

Des témoins, qui sont vivants encore, ont entendu ces calmes et grandes paroles.

L’envahissement continua, si l’on peut appeler envahissement le lent défilé d’une foule silencieuse. Toutes les chambres furent visitées l’une après l’autre. Pas un meuble ne fut remué, si ce n’est un berceau. La maîtresse de la maison avait eu la superstition maternelle de conserver à côté de son lit le berceau de son dernier enfant. Un des plus farouches de ces déguenillés s’approcha et poussa doucement le berceau, qui sembla pendant quelques instants balancer un enfant endormi.

Et cette foule s’arrêta et regarda ce bercement avec un sourire.

À l’extrémité de l’appartement était le cabinet du maître de la maison , ayant une issue sur l’escalier de service. De chambre en chambre ils y arrivèrent.

Le chef fit ouvrir l’issue, car, derrière les premiers arrivés, la légion des combattants maîtres de la place encombrait tout l’appartement, et il était impossible de revenir sur ses pas.

Le cabinet avait l’aspect d’une chambre d’étude d’où l’on sort et où l’on va rentrer. Tout y était épars, dans le tranquille désordre du travail commencé. Personne, excepté le maître de la maison, ne pénétrait dans ce cabinet ; de là une confiance absolue. Il y avait deux tables, toutes deux couvertes des instruments de travail de l’écrivain. Tout y était mêlé, papiers et livres, lettres décachetées, vers, prose, feuilles volantes, manuscrits ébauchés. Sur l’une des tables étaient rangés quelques objets précieux ; entre autres la boussole de Christophe Colomb, portant la date 1489 et l’inscription la Pinta.