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heures entières sans se parler. Quelle conversation vaudroit ce commerce de la pensée dans la langue muette du malheur ?

Les autres nous semblent toujours plus heureux que nous, et pourtant ce qu’il y a d’étrange, c’est que l’homme qui changeroit volontiers sa position ne consentiroit presque jamais à changer sa personne. Il voudroit bien peut-être se rajeunir un peu, pas trop encore, et marcher droit s’il étoit boiteux ; mais il se conserveroit tout l’ensemble de sa personne, dans laquelle il trouve mille agréments et un je ne sais quoi qui le charme. Quant à son esprit, il n’en altéreroit pas la moindre parcelle : nous nous habituons à nous-mêmes et nous tenons à notre vieille société.

Revoyez au jour de l’infortune le lieu que vous habitiez au temps du bonheur : il s’en exhale quelque chose de triste, formé du souvenir des joies passées et du sentiment des maux présents. N’est-ce pas là qu’à telle époque vous aviez été si heureux ? et maintenant ! Ces lieux sont pourtant les mêmes : qu’y a-t-il donc de changé ? l’homme.

Ceux qui ont jamais eu quelque chose d’important à communiquer à un ami savent la peine qu’on éprouve lorsqu’en arrivant, le cœur ému, on ne trouve point cet ami ; que personne ne peut vous dire où il est ; si c’est la mort qui l’a emmené ?