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(Hautes-Pyrénées) ; comment parviendra-t-il à se documenter auprès des indigènes s’il demande où se trouve Cuguru, Guaus, Rumingau, Campsaur, Maucapéra ?

C’est ainsi, cependant, qu’on trouve ces noms écrits dans les Atlas, les Dictionnaires et les livres spéciaux destinés aux voyageurs, aux historiens, aux écoliers, etc. Si ces dénominations topographiques étaient exclusivement appelées à figurer dans les histoires feintes ou les romans géographiques, passe encore. Mais, bien au contraire, les noms de lieux ayant été créés sur les lieux mêmes par les autochtones dans un but éminemment pratique, et principalement en vue d’être utilisés dans leur pays d’origine, on devrait conserver jalousement à ces expressions géographiques un caractère dialectique indélébile.

Malheureusement, la plupart des auteurs étant beaucoup trop enclins à faire fi de la forme originelle et de la phonétique dialectale, adaptent sans scrupule les noms locaux à leur propre langue. Témoin cet étranger disant, en ma présence, à un cocher de fiacre parisien de le conduire à la roué câoucat ! Le brave homme eût satisfait volontiers son client, mais comment deviner sa pensée ? Si l’étranger s’était seulement souvenu que pour se faire comprendre à Paris, il convient généralement de parler français ; s’il avait réfléchi qu’en France la voyelle u ne figure jamais le son ou, comme dans son propre pays ; s’il avait songé qu’il y a des e muets dans notre langue et que cha se dit « cha » et non pas ca ou ka, comme dans la sienne ; l’automédon se fût empressé de le transporter rue Chauchat, où il voulait aller.


En outre des erreurs préjudiciables qu’elle peut occasionner, la mauvaise interprétation orthographique des noms de lieux est de nature à favoriser les confusions les plus étranges.

Si l’on eût continué d’écrire Arréou, comme on faisait anciennement pour désigner un des plus importants chef-lieux de canton de la vallée d’Aure, dans le département des Hautes-Pyrénées, au lieu d’adopter la forme tronquée « Arreau », il ne serait probablement jamais venu à l’idée des écrivains, et en particulier de M. A. A. [Arnaud Abadie], — dont le pseudonyme a été dévoilé par M. Henri Beraldi, dans son œuvre magistrale Cent ans aux Pyrénées[1], — de dire que les Arevaces, qui empêchèrent Pompée

  1. Henri Beraldi. Cent ans aux Pyrénées, t. Ier, p. 135. Paris, 1898 (7 vol. parus).