Page:À la recherche du temps perdu édition 1919 tome 2.djvu/155

Cette page a été validée par deux contributeurs.

personne à laisser passer, restant exprès dans le fond, de l’air d’y être à sa place, comme un roi qui fait la queue à la porte d’un théâtre tant que les autorités n’ont pas été prévenues qu’il est là ; et, bornant simplement son regard — pour ne pas avoir l’air de signaler sa présence et de réclamer des égards — à la considération d’un dessin du tapis ou de sa propre jupe, elle se tenait debout à l’endroit qui lui avait paru le plus modeste (et d’où elle savait bien qu’une exclamation ravie de Mme de Saint-Euverte allait la tirer dès que celle-ci l’aurait aperçue), à côté de Mme de Cambremer qui lui était inconnue. Elle observait la mimique de sa voisine mélomane, mais ne l’imitait pas. Ce n’est pas que, pour une fois qu’elle venait passer cinq minutes chez Mme de Saint-Euverte, la princesse des Laumes n’eût souhaité, pour que la politesse qu’elle lui faisait comptât double, de se montrer le plus aimable possible. Mais par nature, elle avait horreur de ce qu’elle appelait « les exagérations » et tenait à montrer qu’elle « n’avait pas à » se livrer à des manifestations qui n’allaient pas avec le « genre » de la coterie où elle vivait, mais qui pourtant d’autre part ne laissaient pas de l’impressionner, à la faveur de cet esprit d’imitation voisin de la timidité que développe, chez les gens les plus sûrs d’eux-mêmes, l’ambiance d’un milieu nouveau, fût-il inférieur. Elle commençait à se demander si cette gesticulation n’était pas rendue nécessaire par le morceau qu’on jouait et qui ne rentrait peut-être pas dans le cadre de la musique qu’elle avait entendue jusqu’à ce jour, si s’abstenir n’était pas faire preuve d’incompréhension à l’égard de l’œuvre et d’inconvenance vis-à-vis de la maîtresse de la maison : de sorte que pour exprimer par une « cote mal taillée » ses sentiments contradictoires, tantôt elle se contentait de remonter