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quillisé par la pensée que M. de Charlus passerait la soirée rue La Pérouse, mais dans un état de mélancolique indifférence à toutes les choses qui ne touchaient pas Odette, et en particulier aux choses mondaines, qui leur donnait le charme de ce qui, n’étant plus un but pour notre volonté, nous apparaît en soi-même. Dès sa descente de voiture, au premier plan de ce résumé fictif de leur vie domestique que les maîtresses de maison prétendent offrir à leurs invités les jours de cérémonie et où elles cherchent à respecter la vérité du costume et celle du décor, Swann prit plaisir à voir les héritiers des « tigres » de Balzac, les grooms, suivants ordinaires de la promenade, qui, chapeautés et bottés, restaient dehors devant l’hôtel sur le sol de l’avenue, ou devant les écuries, comme des jardiniers auraient été rangés à l’entrée de leurs parterres. La disposition particulière qu’il avait toujours eue à chercher des analogies entre les êtres vivants et les portraits des musées s’exerçait encore mais d’une façon plus constante et plus générale ; c’est la vie mondaine tout entière, maintenant qu’il en était détaché, qui se présentait à lui comme une suite de tableaux. Dans le vestibule où, autrefois, quand il était un mondain, il entrait enveloppé dans son pardessus pour en sortir en frac, mais sans savoir ce qui s’y était passé, étant par la pensée, pendant les quelques instants qu’il y séjournait, ou bien encore dans la fête qu’il venait de quitter, ou bien déjà dans la fête où on allait l’introduire, pour la première fois il remarqua, réveillée par l’arrivée inopinée d’un invité aussi tardif, la meute éparse, magnifique et désœuvrée de grands valets de pied qui dormaient çà et là sur des banquettes et des coffres et qui, soulevant leurs nobles profils aigus de lévriers, se dressèrent et, rassemblés, formèrent le cercle autour de lui.