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après chacune desquelles il se sentait plus soulagé car il apprenait bien vite qu’Odette avait occupé sa soirée aux plaisirs les plus innocents. « Mais comment, mon petit Mémé, je ne comprends pas bien…, ce n’est pas en sortant de chez elle que vous êtes allés au musée Grévin. Vous étiez allés ailleurs d’abord. Non ? Oh ! que c’est drôle ! Vous ne savez pas comme vous m’amusez, mon petit Mémé. Mais quelle drôle d’idée elle a eue d’aller ensuite au Chat Noir, c’est bien une idée d’elle… Non ? c’est vous ? C’est curieux. Après tout ce n’est pas une mauvaise idée, elle devait y connaître beaucoup de monde ? Non ? elle n’a parlé à personne ? C’est extraordinaire. Alors vous êtes restés là comme cela tous les deux tout seuls ? Je vois d’ici cette scène. Vous êtes gentil, mon petit Mémé, je vous aime bien. » Swann se sentait soulagé. Pour lui, à qui il était arrivé en causant avec des indifférents qu’il écoutait à peine, d’entendre quelquefois certaines phrases (celle-ci par exemple : « J’ai vu hier Mme  de Crécy, elle était avec un monsieur que je ne connais pas »), phrases qui aussitôt dans le cœur de Swann passaient à l’état solide, s’y durcissaient comme une incrustation, le déchiraient, n’en bougeaient plus, qu’ils étaient doux au contraire ces mots : « Elle ne connaissait personne, elle n’a parlé à personne ! » comme ils circulaient aisément en lui, qu’ils étaient fluides, faciles, respirables ! Et pourtant au bout d’un instant il se disait qu’Odette devait le trouver bien ennuyeux pour que ce fussent là les plaisirs qu’elle préférait à sa compagnie. Et leur insignifiance, si elle le rassurait, lui faisait pourtant de la peine comme une trahison.

Même quand il ne pouvait savoir où elle était allée, il lui aurait suffi pour calmer l’angoisse qu’il éprouvait alors, et contre laquelle la présence