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fin du mois, pour peu qu’il eût un peu abusé de sa patience et fût allé souvent la voir, si c’était assez de lui envoyer quatre mille francs), et pour chacune trouvait un prétexte, un présent à lui apporter, un renseignement dont elle avait besoin, M. de Charlus qu’il avait rencontré allant chez elle et qui avait exigé qu’il l’accompagnât. Et à défaut d’aucun, il priait M. de Charlus de courir chez elle, de lui dire comme spontanément, au cours de la conversation, qu’il se rappelait avoir à parler à Swann, qu’elle voulût bien lui faire demander de passer tout de suite chez elle ; mais le plus souvent Swann attendait en vain et M. de Charlus lui disait le soir que son moyen n’avait pas réussi. De sorte que si elle faisait maintenant de fréquentes absences, même à Paris, quand elle y restait, elle le voyait peu, et elle qui, quand elle l’aimait, lui disait : « Je suis toujours libre » et « Qu’est-ce que l’opinion des autres peut me faire ? », maintenant, chaque fois qu’il voulait la voir, elle invoquait les convenances ou prétextait des occupations. Quand il parlait d’aller à une fête de charité, à un vernissage, à une première, où elle serait, elle lui disait qu’il voulait afficher leur liaison, qu’il la traitait comme une fille. C’est au point que pour tâcher de n’être pas partout privé de la rencontrer, Swann qui savait qu’elle connaissait et affectionnait beaucoup mon grand-oncle Adolphe dont il avait été lui-même l’ami, alla le voir un jour dans son petit appartement de la rue de Bellechasse afin de lui demander d’user de son influence sur Odette. Comme elle prenait toujours, quand elle parlait à Swann de mon oncle, des airs poétiques, disant : « Ah ! lui, ce n’est pas comme toi, c’est une si belle chose, si grande, si jolie, que son amitié pour moi ! Ce n’est pas lui qui me considérerait assez peu pour vouloir se montrer avec moi