Pétition des habitants français au roi au sujet de l'administration de la justice


Habitants français de la Province de Québec
Pétition des habitants français au roi au sujet de l'administration de la justice
7 janvier, 1765


Pétition des habitants français au roi au sujet de l'administration de la justice


Au Roi.

La véritable gloire d'un roi conquérant est de procurer aux vaincus le même bonheur et la même tranquillité dans leur religion et dans la possession de leurs biens, dont ils jouissaient avant leur défaite: nous avons joui de cette tranquillité pendant la guerre même, elle a augmentée depuis la paix faite. Et voilà comme elle nous a été procurée. Attachés à notre religion, nous avons juré au pied du sanctuaire une fidélité inviolable à Votre Majesté, nous ne nous en sommes jamais écartés, et nous jurons de nouveau de ne nous en jamais écarter, fussions nous par la suite aussi malheureux que nous avons été heureux; mais comment pourrions nous ne pas l'être, après les témoignages de bonté paternelle dont Votre Majesté nous a fait assurer, que nous ne serions jamais troublés dans l'exercice de notre religion.

Il nous a paru de même par la façon dont la justice nous a été rendue jusqu'à présent, que l'intention de Sa Majesté était, que les coutumes de nos pères fussent suivies, pour ce qui était fait avant la Conquête du Canada, et qu'on les suivit à l'avenir, autant que cela ne serait point contraire aux lois d'Angleterre et au bien général.

Monsieur Murray, nommé Gouverneur de la Province de Québec à la satisfaction de tous les habitants, nous a rendu jusqu'à présent à la tête d'un conseil militaire toute la justice que nous aurions pû attendre des personnes de loi les plus éclairés; cela ne pouvait être autrement; le désintéressement et l'équité faisaient la base de leurs jugements.

Depuis quatre ans nous jouissons de la plus grande tranquillité; Quel bouleversement vient donc nous l'enlever? de la part de quatre ou cinq personnes de loi, dont nous respectons le caractère, mais qui n'entendent point notre langue, et qui voudraient qu'aussitôt qu'elles ont parlé, nous puissions comprendre des constitutions qu'elles ne nous ont point encore expliqués et auxquelles nous serons toujours prêts de nous soumettre, lorsqu'elles nous seront connues; mais comment les connaître, si elles ne nous sont point rendues en notre langue?

De là, nous avons vue avec peine nos compatriotes emprisonnés sans être entendus, et ce, à des frais considérables, ruineux tant pour le débiteur que pour le créancier; nous avons vu toutes les affaires de famille, qui se décidaient ci-devant à peu de frais, arrêtées par des personnes qui veulent se les attribuer, et qui ne savent ni notre langue ni nos coutumes et à qui on ne peut parler qu'avec des guinées à la main.

Nous espérons prouver à Votre Majesté avec la plus parfaite soumission ce que nous avons l'honneur de lui avancer.

Notre Gouverneur à la tête de son conseil a rendu un arrêt pour l'établissement de la justice, par lequel nous avons vu avec plaisir, que pour nous soutenir dans la décision de nos affaires de famille et autres, il serait établi une justice inférieure, où toutes les affaires de Français à Français y seraient décidées; Nous avons vu que par un autre arrêt, pour éviter les procès, les affaires ci-devant décidées seraient sans appel, à moins qu'elles ne soient de la valeur de trois cents livres.

Avec la même satisfaction que nous avons vu ces sages règlements avec la même peine avons nous vu que quinze jurés anglais contre sept jurés nouveaux sujets leur ont fait souscrire des griefs en une langue qu'ils n'entendaient point contre ces mêmes règlements; ce qui se prouve par leurs protestations et par leur signatures qu'ils avaient données la veille sur une requête pour demander fortement au Gouverneur et conseil la séance de leur juge, attendu que leurs affaires en souffraient.

Nous avons vu dans toute l'amertume de nos cœurs, qu'après toutes les preuves de la tendresse paternelle de Votre Majesté pour ses nouveaux sujets ces mêmes quinze jurés soutenus par les gens de loi nous proscrire comme incapables d'aucunes fonctions dans notre patrie par la différence de religion; puisque jusqu'aux chirurgiens et apothicaires (fonctions libres en tout pays) en sont du nombre.

Qui sont ceux qui veulent nous faire proscrire? Environ trente marchands anglais, dont quinze au plus sont domiciliés. Qui sont les proscrits? Dix mille chefs de famille, qui ne respirent, que la soumission aux ordres de Votre Majesté, ou de ceux qui la représentent, qui ne connaissent point cette prétendue liberté que l'on veut inspirer, de s'opposer à tous les règlements, qui peuvent leur être avantageux, et qui ont assez d'intelligence pour connaître que leur intérêt particulier les conduit plus que le bien public.

En effet que deviendrait le bien général de la colonie, si ceux, qui en composent le corps principal, en devenaient des membres inutiles par la différence de la religion? Que deviendrait la justice si ceux qui n'entendent point notre langue, ni nos coutumes, en devenaient les juges par le ministère des interprètes? Quelle confusion? Quels frais mercenaires n'en résulteraient-ils point? de sujets protégés par votre majesté, nous deviendrons de véritables esclaves; une vingtaine de personnes que nous n'entendons point, deviendront les maîtres de nos biens et de nos intérêts, plus de ressources pour nos dans les personnes de probité, auxquelles nous avions recours pour l'arrangement de nos affaires de famille, et qui en nous abandonnant, nous forceraient nous mêmes à préférer la terre la plus ingrate à cette fertile que nous possédons.

Ce n'est point que nous ne soyons prêts de nous soumettre avec la plus respectueuse obéissance à tous les règlements qui seront faits pour le bien et avantage de la colonie; mais la grâce que nous demandons, c'est que nous puissions les entendre: notre gouverneur et son conseil nous ont fait part de ceux qui ont été rendus, ils sont pour le bien de la colonie, nous en avons témoigné notre reconnaissance; et on fait souscrire à ceux qui nous représentent, comme un mal, ce que nous avons trouvé pour un bien!

Pour ne point abuser des moments précieux de Votre Majesté, nous finissons par l'assurer, que sans avoir connu les constitutions anglaises, nous avons depuis quatre ans goûté la douceur du gouvernement, la goûterions encore, si Messieurs les jurés anglais avaient autant de soumission pour les décisions sages du gouverneur et de son conseil, que nous en avons; si par des constitutions nouvelles, qu'ils veulent introduire pour nous rendre leurs esclaves, ils ne cherchaient point à changer tout de suite l'ordre de la justice et de son administration, s'ils ne voulaient pas nous faire discuter nos droits de famille en langues étrangères, et par là, nous priver des personnes éclairés dans nos coutumes, qui peuvent nous entendre, nous accommoder et rendre justice à peu de frais en faisant leurs efforts pour les empêcher même de conseiller leurs patriotes pour la différence de religion, ce que nous ne pouvons regarder que comme un intérêt particulier et sordide de ceux qui ont suggéré de pareils principes.

Nous supplions Sa Majesté avec la plus sincère et la plus respectueuse soumission de confirmer la justice, qui a été établie pour délibération du gouvernement et conseil pour les Français, ainsi que les jurés et tous autres de diverses professions, de conserver les notaires et avocats dans leur fonctions, de nous permettre de rédiger nos affaires de famille en notre langue, et de suivre nos coutumes, tant qu'elles ne seront point contraires au bien général de la colonie, et que nous ayons en notre langue une loi promulguée et des ordres de votre majesté, dont nous nous déclarons, avec le plus inviolable respect,

Les plus fidèles sujets

1. Amiot - juré 34. L. Labroix (ou Lauroix) 65. Lorrande du Perrin (ou Duperrin)
2. Boreau - juré 35. Gueyraud 66. Laurain
3. Perrault Chs rege 36. Voyer (ou Voyez) 67. Chrétien
4. Tachet - juré 37. F. Valin 68. P. Goyney
5. Charest - juré 38. Bellefaye (ou Bellefincke) 69. Voyer (ou Voyez)
6. Perrault - juré 39. Rey 70. Le Maître Lamorille
7. Boiret - prêtre supérieur du séminaire 40. Marchand 71. Franc Ruilly
8. Dumond - juré 41. J. Lemoyne 72. Jean Baptiste Dufour
9. Isel Becher - curé de Québec 42. Jean Amiot 73. Portneuf (ou Borneuf)
10. Estesanne, fils ainé 43. Bertran (ou rem) 74. L. D. Dinnire (ou ere)
11. Conefroy 44. Gauvreau 75. Thomas Lec (ou Lee)
12. Robins 45. Carpentier (ou Charpeniser) 76. Soulard
13. Lefebure 46. Coocherar (ou eer) 77. Parroix
14. Soupiran 47. Vallet 78. Riverin
15. Rousseau 48. Duttock 79. Liard, fils
16. Petrimouly 49. Meux Vrosseaux 80. Fs Dambourgès
17. Larocque 50. H. Parent 81. Messuegué
18. Launière 51. Ferrant 82. L. Dumas
19. Alexandre Picard 52.

Boireux

83. Robins Fil
20. Ginnie 53. Dusseil (ou Dufiel) 84. Redout
21. Boileau 54. H. Loret 85. Fromont
22. Delerenni 55. Berthelot (ou elole) 86. Fl. Cuynet
23. Liard (ou Lard) 56. Arnoux 87. Gigon
24. Dubarois (ou Dubaril) - chirurgien 57. Neuveux 88. Dennbefrire
25. Chartier de Lotbinière 58. Laroche 89. Paul Marchand
26. Asime 59. Th. Caroux 90. Duvonuray
27. F. Duval 60. Guichass 91. Sanguineer
28. Hec. Keez 61. Jacques Hervieux - négociant de Montréal 92. Au. Bederd
29. Huquet 62. Guy de Montréal 93. Le Cte Dupré l'aisne
30. Schindler 63. J. Ferroux 94. S. George Dupré - général des milices de Montréal
31. La Haurriong 64. S. Jt Meignot
32. Lerise
33. Panet