Traduction par Eloïse Perks.
Maradan (2p. 82-89).


CHAPITRE XXX.


Sir William ne resta que huit jours à Hunsford mais sa visite fut toujours assez longue pour le convaincre que sa fille avait fait un fort bon mariage, et qu’elle possédait un mari et des voisins tels qu’il en existe peu. Pendant que sir William était au presbytère, M. Colins consacrait ses matinées à le promener en cabriolet, lui faisant voir tous les environs de Hunsford ; dès qu’il fut parti, la famille reprit ses occupations ordinaires, et Élisabeth fut aise de voir que ce changement ne la faisait point rencontrer son cousin plus souvent que de coutume ; il passait la plus grande partie de son temps, depuis le déjeûner jusqu’au dîner, à travailler à son jardin, s’occupant aussi parfois à lire, à écrire, ou bien encore à regarder par la fenêtre de son cabinet qui donnait sur la route. L’appartement où se tenaient ces dames était sur le derrière ; Élisabeth avait d’abord été surprise que Charlotte préférât cette pièce à la salle à manger, qui était plus grande et mieux située ; mais bientôt elle s’aperçut qu’une raison très-sage avait en cela dirigé le choix de son amie ; car M. Colins aurait été moins souvent dans son appartement si celui de sa femme eût été aussi agréable, et elle approuva fort l’arrangement de Charlotte ; du salon on ne pouvait rien distinguer sur la route, mais M. Colins prenait soin de les instruire du nombre de voitures qui la traversaient, n’oubliant point surtout de les avertir chaque fois que Mlle  de Brough y passait, bien que cela arrivât presque tous les jours ; souvent elle s’arrêtait au presbytère pour discourir quelques instans avec Charlotte, mais bien rarement on la pouvait décider à y entrer.

Peu de jours s’écoulaient sans que M. Colins allât à Rosings, et le plus souvent sa femme l’y accompagnait. Élisabeth eût été surprise d’une pareille assiduité, si elle ne se fût rappelé, qu’il se pouvait encore trouver quelque bénéfice vacant ; de temps à autre, lady Catherine les honorait d’une visite, et rien de ce qui se passait alors dans le salon, n’échappait à son attention ; elle s’informait de leurs occupations, examinait leur ouvrage, toujours les conseillant de le faire autrement ; trouvait les meubles placés sans goût, découvrait quelque négligence de la fille de chambre ; si elle acceptait des rafraîchissemens, il semblait que ce fût pour le seul plaisir de trouver les confitures de Mme  Colins mal cuites, ou ses rôtis trop forts pour une si petite famille.

Élisabeth s’aperçut bientôt que bien que cette noble dame n’eût point la charge de juge de paix, elle exerçait dans sa paroisse l’emploi du magistrat le plus actif ; par M. Colins elle était instruite de tout ce qui se passait ; naissait-il une querelle, quelques paysans étaient-ils disposés à être mécontens, ou même trop pauvres, elle accourait au village décider leur différend, faire taire leurs plaintes, et croyait en les grondant leur apporter la paix et l’abondance.

Le plaisir de dîner à Rosings se répétait à peu près deux fois la semaine et, hormis l’absence de sir William qui les obligeait à n’avoir plus qu’une partie, toutes ces visites se passaient comme la première ; leurs autres engagemens furent peu nombreux, les voisins étant pour la plupart des gens du bel air, dont le genre de vie ne convenait point à Mme  Colins. Le manque de société ne déplut point à Élisabeth ; lorsqu’elle s’entretenait avec Charlotte, les heures s’écoulaient rapidement, d’ailleurs elle ne manquait point de livres, et le temps étant fort beau pour la saison, se promener était pour elle une occupation fort agréable. Sa promenade favorite, et où elle allait fréquemment lorsque les Colins faisaient leur visite à lady Catherine, était une grande allée fort couverte, au centre de l’un des taillis qui bordaient le parc ; personne autre qu’elle ne semblait l’admirer, et jamais elle n’avait eu l’ennui d’y trouver lady Catherine.

Ainsi se passa la première quinzaine de sa visite ; Pâques approchait et la semaine suivante devait voir augmenter le cercle de Rosings, ce qui, dans une famille si peu nombreuse, était un événement intéressant : Élisabeth avait entendu dire, peu après son arrivée dans Kent, que M. Darcy y était attendu ; et quoiqu’il y eût peu de ses connaissances qu’elle ne préférât à lui, sa venue offrirait du moins quelques nouveaux sujets de conversation, lors de leur visite à Rosings, et elle pensa qu’elle se pourrait aussi divertir à voir par sa conduite avec Mlle  de Brough combien les espérances de miss Bingley étaient mal fondées ; car il était évident que lady Catherine le destinait à sa fille. Elle parlait de lui avec un plaisir tout particulier, vantant beaucoup son esprit et sa tournure, et paraissait presque mécontente qu’il fût déjà connu d’Élisabeth et de Mlle  Lucas.

Son arrivée fut bientôt sue au presbytère ; M. Colins durant toute la matinée s’était promené près de la principale grille du château, afin d’en être plus tôt instruit ; ayant fort respectueusement salué, comme la voiture entrait au parc, il revint à la hâte chez lui conter cette grande nouvelle. Le lendemain il ne manqua point d’aller à Rosings rendre ses devoirs, et, contre son attente, il y trouva deux neveux de lady Catherine ; M. Darcy avait amené avec lui un colonel : Fitz-William, fils cadet de son oncle lord*** ; et au grand étonnement de toute la famille, lorsque M. Colins revint, ces Messieurs l’accompagnèrent ; Charlotte en ce moment occupée dans le cabinet de son mari, les vit comme ils traversaient la route et courut aussitôt annoncer cette visite à sa sœur et à Élisabeth, ajoutant :

« Je vous puis remercier, Élisa, de cette marque d’attention, M. Darcy ne me serait point venu voir le lendemain de son arrivée, si j’eusse été seule. »

À peine Élisabeth avait-elle assuré n’avoir nul droit à ce compliment, que la sonnette de la porte annonça qu’ils approchaient, et l’instant d’après ces trois messieurs parurent. Le colonel Fitz-William qui entra le premier, avait à peu près trente ans ; il n’était point bel homme, mais se présentait bien, et avait l’air aimable ; M. Darcy, toujours le même que dans Herfordshire, adressa à Mme  Colins avec sa réserve accoutumée les complimens d’usage et quels que furent ses sentimens à l’égard d’Élisabeth, il l’aborda d’un air parfaitement tranquille.

Le colonel Fitz-William entra en conversation, avec l’aisance et la facilité d’un homme du monde ; il causait agréablement ; mais son cousin, après avoir fait à Mme  Colins quelques remarques sur la maison et le jardin, fut quelque temps sans parler : enfin, cependant il se décida à demander à Élisabeth des nouvelles de sa famille ; elle lui répondit brièvement et, après une courte pause, continua :

« Ma sœur aînée est à Londres, depuis plus de trois mois, l’avez-vous rencontrée ? »

Elle savait fort bien qu’il n’en était rien, mais elle désirait voir si son regard, ses discours ne trahiraient point la part qu’il avait eue dans ce qui s’était passé entre Hélen et Bingley, et elle crut voir qu’il était un peu décontenancé, comme il répondait qu’il n’avait point eu l’avantage de rencontrer miss Bennet ; on n’en dit point davantage sur ce sujet, et peu de temps après ces Messieurs s’en allèrent.