Oraison nocturne (Maurice Maeterlinck)

Parnasse de la Jeune BelgiqueLéon Vanier, éditeur (p. 211-212).


Oraison nocturne


En mes oraisons endormies
Sous de languides visions,
J’entends jaillir les passions
Et les luxures ennemies.

Je vois un clair de lune amer
Sous l’ennui nocturne des rêves,
Et sur de vénéneuses grèves
La joie errante de la chair.

J’entends s’élever dans mes moelles
Des désirs aux horizons verts,
Et sous des cieux toujours couverts
Je souffre une soif sans étoiles.

J’entends jaillir dans ma raison
Les mauvaises tendresses noires ;
Je vois des marais illusoires
Sous une éclipse à l’horizon !


Et je meurs sous votre rancune !
Seigneur, ayez pitié, Seigneur,
Ouvrez au malade en sueur
L’herbe entrevue au clair de lune.

Il est temps, Seigneur, il est temps
De faucher la ciguë inculte !
À travers mon désir occulte
La lune est verte de serpents.

Et le mal des songes afflue
Avec ses péchés en mes yeux,
Et j’écoute des jets d’eau bleus
Jaillir vers la lune absolue !