Oraison funèbre de très-haute et très-puissante Dame, Madame Justine Pâris/2

BIOGRAPHIE

DE
MADAME GOURDAN.


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Alexandrine-Ernestine Gourdan, surnommée la petite comtesse, naquit à Béziers et débuta dans cette ville par être marchande de modes. Sa figure, sans être jolie, était piquante ; sa taille était svelte, et toute sa personne respirait un air de volupté.

Mariée, elle se fit enlever par un jeune officier, qui l’amena à Paris. Il la quitta et fut remplacé par le comte de ***, officier aux Gardes, qui lui fit d’abord 6,000 livres de rente et lui donna pour 40,000 livres de diamants. Elle vécut dix ans avec lui, et en eut une fille qu’elle fit élever avec soin en province et qu’elle maria à un chevalier de Saint-Louis. Son amant étant mort, elle se compromit, eut quelques démêlés avec la police, et fut mise à l’Hôpital. Elle y fit la connaissance de Justine Pâris, autre femme célèbre par sa beauté, son esprit et son libertinage. Toutes deux formèrent alors le projet d’un établissement de prostitution modèle.

Après avoir recouvré leur liberté, elles louèrent un hôtel, rue des Deux-Portes Saint-Sauveur, qui fut distribué d’une manière propre à l’usage auquel elles le destinaient. Justine étant morte quelques années après, la Gourdan resta maîtresse de cet établissement qu’elle accrut en commodités, en plaisirs et en renom. Elle jouissait de la confiance des libertins de tous les rangs ; elle savait s’insinuer, chez les femmes comme il faut, gagner leur confiance, et presque toujours les rendre dociles à ses propositions. Ses talents d’entremetteuse lui avaient procuré la connaissance et la protection des personnes les plus distinguées de la cour et de la ville, de magistrats, d’évêques et même de princes du sang. Aussi, lors d’un singulier procès que lui avait occasionné son état d’appareilleuse, cette protection la sauva du danger, car son talent spécial la faisait regretter de tous ces illustres personnages. Il est impossible de comprendre, de quelle ressource, cette habile maquerelle était, pour ces puissants et luxurieux seigneurs.

La Gourdan se retira vers 178.. dans une très-belle terre acquise par elle, et y vécut en dame de paroisse. Elle mourut d’une décomposition du sang, sans agonie, avec une grande fermeté d’âme.

Un an avant sa mort elle avait commandé sa tombe, avec une épitaphe de sa composition, que voici :

Ci gît qui vécut en sage,
Et mourut comme Madeleine.

Un commentaire de son auteur sur cette épitaphe ne serait pas inutile à sa complète intelligence.

S. de P***.