Oeuvres de Walter Scott, trad Defauconpret/Tome I/2/2


LA tour de Smaylho’me ou de Smalholm, qui fut le théâtre de l’anecdote suivante, est située dans le nord du Roxburgshire, au milieu d’un amas de rochers qui font partie des domaines de Hugh Scott de Harden. Cette tour est un bâtiment carré qu’environne un mur extérieur, aujourd’hui en ruines. L’enceinte de la première cour, défendue de trois côtés par un précipice et un marais, n’est accessible que du côté du couchant par un sentier creusé dans le roc. Les appartemens, comme c’est l’usage dans une forteresse d’Écosse, s’élèvent les uns au-dessus des autres, et communiquent par un escalier étroit, etc.

Traduction par Auguste-Jean-Baptiste Defauconpret.
Furne, Libraire-éditeur (Tome I. — Ballades, etcp. -72).

ŒUVRES
DE
WALTER SCOTT.

TOME I.

IMPRIMERIE DE H. FOURNIER,
RUE DE SEINE, n°14


ROMANS POÉTIQUES
ET
POÉSIES DIVERSES


TRADUCTION
DE M. DEFAUCONPRET,
AVEC DES ÉCLAIRCISSEMENS ET DES NOTES HISTORIQUES.


TOME I
BALLADES — THOMAS LE RIMEUR. — LA RECHERCHE DU BONHEUR. — LE LAI DU DERNIER MÉNESTREL. — MARMION. — LA DAME DU LAC.



PARIS
FURNE, LIBRAIRE–ÉDITEUR,
QUAI DES AUGUSTINS, No39.

M DCCC XXX



ROMANS POÉTIQUES

ET POÉSIES

Séparateur


GLENFILAS

OU
LE CORONACH[1] DE LORD RONALD



Cette ballade est fondée sur la tradition suivante :

Deux chasseurs des montagnes d’Écosse passaient la nuit dans un bathy[2] solitaire. Ils découpaient joyeusement leur gibier, et se versaient à grands flots la liqueur appelée whisky. L’un d’eux exprima le désir d’avoir deux jolies filles pour compléter la partie. Il avait à peine dit ces paroles que deux femmes habillées de vert, jeunes et belles, entrèrent dans la hutte en dansant et en chantant. Celui qui avait parlé fut séduit par la sirène qui s’attacha à lui de préférence, et il la suivit. Son compagnon demeura, se méfiant de ces belles enchanteresses, et il se mit à chanter des hymnes à la Vierge, en s’accompagnant de sa cythare. Le jour revint enfin, et la séductrice disparut. Ne voyant point retourner son ami, le chasseur alla le chercher dans la forêt, et ne trouva plus que ses ossemens. Il avait été dévoré par le démon qui l’avait fait tomber dans le piège. Le lieu témoin de cet événement s’appelle depuis ce temps-là le Vallon des femmes vertes.

Glenfinlas est une forêt dans les Highlands du Perthshire ; elle faisait autrefois partie du domaine de la couronne, et appartient aujourd’hui au comte de Moray. Cette contrée, avec le canton adjacent de Balquidder, fut jadis habitée surtout par les Mac-Grégor. À l’ouest de la forêt de Glenfinlas est le Loch-Katrine, et son entrée romantique appelée Troshachs. Le Teith passe à Callender, au château de Doune, et se jette dans le Forth, près de Stirling. Le défilé de Lenny est immédiatement au-dessus de Callender, et conduit aux Highlands. Glenartney est une forêt près de Benvoirlich. L’ensemble de ces sites forme un tableau digne du spectacle sublime des Alpes.

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«Les habitans invisibles de l’air obéissent à leurs voix et accourent à leurs signes. Ils connaissent les esprits qui préparent les tempêtes, et, immobiles de stupeur, ils contemplent les secrètes opérations des fantômes.»


Ô Hone a rie’ ! ô Hone a rie’[3] ! Hélas, plaignons le Chef ! L’orgueil des enfans d’Albyn n’est plus ; l’arbre superbe de Glenartney couvre la terre de son tronc renversé ; nous ne verrons plus lord Ronald.

Ô toi, noble fils du grand Mac-Gillianore, tu n’as jamais tremblé devant un ennemi ! Quelle claymore pouvait se comparer à la tienne ? Qui put jamais éviter ta flèche rapide ?

Les veuves saxonnes sauront dire comment les plus hardis guerriers des plaines firent retentir de leur chute le rivage sonore du Teith, lorsque tu fondis sur eux du défilé de Lenny.

Mais qui oubliera ces jours de fête où l’on voyait briller sur la colline le beltane de lord Ronald ; à la clarté de la flamme, les jeunes filles des montagnes et leurs amans dansaient gaiement.

Animés par la lyre de Ronald, les vieillards eux-mêmes oubliaient leurs cheveux blancs ! Hélas ! aujourd’hui nous chantons l’hymne funèbre ! Nous ne reverrons plus lord Ronald.

Un Chef d’une île éloignée vint partager les plaisirs du château de Ronald, et chasser avec lui la bête fauve qui bondit sur les coteaux escarpés d’Albyn.

C’était Moy, que l’esprit prophétique du Seer éclaira dans l’île de Colomba, où, brillant du feu des ménestrels, il réveillait l’harmonie de sa harpe.

Il connaissait maintes paroles magiques qui font trembler les Esprits errans, et ces airs puissans qui n’étaient point faits pour les oreilles des mortels.

Car on dit que ces prophètes ont des entretiens mystérieux avec les morts, et voient souvent d’avance le fatal linceul qui doit envelopper un jour ceux qui vivent encore.

Or, il advint qu’un jour les deux Chefs avaient été ensemble harceler le chevreuil dans ses repaires. Ils étaient loin de leur demeure, et parcouraient les taillis épais de Glenfinlas.

Aucun vassal ne les suit pour les aider dans leur chasse, les défendre dans le péril, ou préparer leurs repas. Le simple plaid des Highlands couvre les deux Chefs ; leurs fidèles claymores sont leurs seuls gardiens.

Pendant trois jours leurs flèches sifflantes volèrent à travers les taillis du vallon ; et quand l’humidité du soir les ramenait dans leur hutte, ils y portaient leur gibier.

La cabane solitaire était élevée dans le lieu le plus reculé de la forêt de Glenfinlas, auprès du sombre ruisseau de Moneira, qui murmure à travers cette solitude.

La nuit était belle, l’horizon calme depuis trois jours, et une rosée bienfaisante répandait la fraîcheur sur la bruyère et sur les rochers tapissés de mousse.

La lune à demi voilée sous les flocons d’un nuage d’argent laissait tomber ses douteuses et tremblantes clartés sur les ondes du lac de Katrine, et semblait dormir sur le front du Benledi.

Renfermés dans leur hutte, les deux Chefs font un repas de chasseurs et d’amis ; le plaisir anime les yeux de Ronald, et il porte maintes santés à Moy :

— Que nous manque-t-il pour compléter notre bonheur et répondre aux douces émotions qui nous font palpiter ?…… le baiser d’une jeune et facilebeauté, son sein palpitant et ses regards humides.

Les deux beautés de nos montagnes, les filles du fier Glengyle, ont quitté ce matin le château de leur père pour chasser le daim dans la forêt.

J’ai long-temps cherché à intéresser le cœur de Mary : elle a vu couler mes larmes, elle a entendu mes soupirs. Tous les artifices de l’amant ont échoué contre la vigilance d’une sœur.

Mais tu pourrais, cher Moy, pendant que je m’écarterais avec Mary, apprendre à cette gardienne sévère qu’elle doit cesser de veiller sur le cœur des autres, et que c’est déjà assez pour elle de veiller sur le sien.

Pince seulement ta harpe : tu verras bientôt l’aimable Flore de Glengyle, oubliant sa sœur et Ronald, rester en extase devant toi, l’œil humide et le sourire sur les lèvres.

Ou si elle consent à écouter un conte d’amour sous l’abri du feuillage, dis-moi, chasseur au front sévère, la règle du bon saint Oran ne sera-t-elle pas violée ?

— Depuis le combat d’Enrick, depuis la mort de Morna, répond Moy, mon cœur a cessé de répondre par ses transports aux doux baisers, au sein haletant et au sourire de la beauté !

C’est depuis lors que, chantant mes regrets sur ma harpe dans la triste bruyère qui vit périr celle qui était ma gloire et mon amour, je reçus le don fatal de prophétie.

La dernière preuve que le ciel m’envoya de sa colère, ce fut ce pouvoir de pressentir les malheurs futurs, qui éteint en mon cœur toute lueur d’espérance par des visions lugubres et des sons de douleur.

Te souvient-il de cet esquif qui partait gaiement cet été de la baie d’Oban ?… Je le voyais déjà échoué et brisé contre les côtes rocailleuses de Colonsay.

Fergus aussi….. le fils de ta sœur… tu l’as vu partir comme en triomphe des flancs escarpés du Bemmore, marchant à la tête des siens contre le seigneur de Downe.

Tu n’as vu que les plis flottans de leurs tartans pendant qu’ils descendaient les hauteurs de Benvoirlich ; tu n’as entendu que le pibroch[4] guerrier mêlé au choc des boucliers sonores des Highlands.

Moi j’entendais déjà les gémissemens, je voyais couler les larmes, et Fergus percé d’une blessure mortelle, en se précipitant sur les lances des Saxons à la tête de son clan au choc irrésistible.

Et toi qui m’invites au bonheur et au plaisir ; toi qui voudrais me faire partager ta joie et appeler le baiser d’une femme, mon cœur, cher Ronald, gémit sur ta destinée.

Je vois la sueur de la mort glacer ton front ; j’entends les cris de ton Esprit protecteur ; je vois ton cadavre… c’est tout ce qu’il est donné au prophète de voir.

— Prophète de malheur, livre-toi seul à tes rêveries funèbres, répond lord Ronald : faut-il donc fermer les yeux aux clartés passagères de la joie parce que l’orage peut gronder demain !

Vraies ou fausses, tes prédictions n’inspireront jamais la crainte au chef de Clangillian ; les transports de l’amour feront bondir son cœur, quoiqu’il soit condamné à sentir l’atteinte de la lance saxonne.

Tu crois entendre les brodequins de Mary fouler la rosée du gazon : elle m’appelle dans le bois.

  1. On appelle coronach le chant funèbre d’un guerrier. Ce sont les vieillards du clan qui chantent le coronach. — Ed.
  2. Hutte bâtie pour la chasse. — Ed.
  3. Ces mots gaëliques sont expliqués par la phrase qui les suit : Hélas, etc. — Ed.
  4. Airs nationaux et guerriers adaptés à la cornemuse (hagpipe) des Highlands. — Ed.

Il ne dit point adieu à son ami : il appelle ses limiers et sort gaiement de la hutte.

Au bout d’une heure ses limiers reviennent : ces compagnons fidèles du chasseur accourent en faisant retentir les airs de leurs tristes gémissemens. Ils s’étendent aux pieds du prophète.

Point de Ronald encore ! il est minuit. Moy est agité par de noirs présages, pendant que, penché sur la flamme mourante, il entretient le feu à demi éteint de la cabane.

Soudain les limiers redressent leurs oreilles ; soudain leurs hurlemens ont cessé : ils se pressent autour de Moy, et expriment leur terreur par le tremblement de leurs membres et leur murmure étouffé.

La porte s’ouvre doucement : les cordes de la harpe vibrent d’elles-mêmes et répondent par un son à chaque pas léger qui presse le sol.

Le ménestrel voit à la lueur du feu une femme brillante de beauté, en costume de chasse, et dont la robe verte trempée de rosée dessine les contours gracieux de son corps.

Son front semble glacé ; elle découvre l’ivoire arrondi de son sein, en se penchant vers la flamme vacillante pour tordre les tresses humides de sa chevelure.

Elle rougit comme une vierge timide, et dit avec douceur : — Aimable ménestrel, n’as-tu pas rencontré dans la clairière de Glenfinlas une jeune chasseresse en robe verte ?

Avec elle est un vaillant Chef de nos montagnes. Ses épaules sont chargées du carquois du chasseur ; une dague écossaise orne sa ceinture ; son tartan flotte au gré de la brise.

— Et qui es-tu ? quels sont ceux que tu cherches ? reprit Moy en la regardant d’un œil effaré. Pourquoi erres-tu ainsi au clair de la lune dans la forêt de Glenfinlas ?

— Le château de notre père projette son ombre sur le lac profond de Katrine qui entoure mainte île de ses

flots azurés. Nous sommes les filles du fier Glengyle.

Parties ce matin pour venir chasser le chevreuil dans la forêt de Glenfinlas, le hasard nous a fait rencontrer le fils du grand Mac-Gillianore.

Aide-moi donc à chercher ma sœur et le lord Ronald, égarés sans doute dans le bois. Je n’ose me hasarder seule dans des sentiers où l’on trouve, dit-on, des fantômes cruels.

— Oui, dit le ménestrel, il est en effet des fantômes à redouter : je dois accomplir mon vœu et achever ici la prière nocturne que j’ai juré de prononcer pendant le sommeil des autres hommes.

— Ah ! daigne d’abord, au nom de la douce pitié, guider une chasseresse solitaire ! il faut que je traverse le bois et que je revoie avant le jour le château de mon père.

— J’y consens ; mais répète avec moi trois Ave et trois Pater ; baise la sainte croix, et alors nous pourrons poursuivre notre route en sûreté.

— Honte à un chevalier tel que toi ! Va te couvrir la tête du froc d’un moine : cet ornement convient à ton vœu étrange !

Jadis, dans le château de Dunlathmon, ton cœur ne fut point de glace pour l’amour et le bonheur ; alors ta lyre harmonieuse chantait les appas séduisans de Morna, et tu aurais tout fait pour un de ses sourires.

Les yeux du ménestrel étincelèrent, exprimant tour à tour la colère et l’effroi. Ses noirs cheveux se hérissèrent sur sa tête, et son teint changea plusieurs fois de couleur.

— Et toi, dit-il, pendant que je chantais Morna et l’amour auprès du foyer de Dunlathmon, planais-tu sur la sombre fumée du foyer ou sur l’aile de l’orage ?

Non, non, tu n’es point d’une race mortelle ni la fille du vieux Glengyle ; ta mère fut la fée des torrens, ton père le roi des mines.

Moy répéta trois fois l’antienne de saint Oran, et trois fois encore la puissante prière de saint Fillan. Il se tourna ensuite vers l’horizon oriental et secoua sa chevelure noire.

Puis, penché sur sa harpe, il en tira les accords les plus séduisans ; l’écho surpris répète cette harmonie mystérieuse et magique qui se marie au murmure des vents.

L’Esprit irrité change de forme, et sa taille devient gigantesque ; puis, se mêlant soudain à l’orage qui commence à gronder, il disparaît après avoir poussé un cri lamentable.

Les nuages crèvent, la grêle et l’ouragan assiègent la hutte, la brisent, et couvrent la terre de ses débris ; mais le ménestrel n’eut pas un seul de ses cheveux soulevé par le vent ou mouillé par la pluie.

De bruyans éclats de rire se mêlent aux mugissemens de l’orage ; le ménestrel les entend au-dessus de sa tête ; mais déjà ils expirent du côté du nord.

La voix du tonnerre ébranle la forêt au moment où ces cris surnaturels cessent, et une pluie de sang vient éteindre les tisons à demi consumés.

Le ménestrel voit tomber un bras dont la main tenait une épée, et puis une tête séparée du tronc : il en ruisselle un sang encore tiède.

Le cimier de Benmore a souvent orné cette tête dans les combats ; cette main a frappé de terribles coups, lorsque le sang des Saxons teignit de pourpre les ondes du Teith.

Malheur aux sombres ruisseaux de Moneira ! Malheur au funeste vallon de Glenfinlas ! Jamais le fils des montagnes d’Albyn n’y viendra vider son carquois.

Le pèlerin fatigué évitera même cet ombrage à l’heure brûlante du midi : il craindrait d’être la proie des cruelles fées de Glenfinlas.

Pour nous, c’en est fait ! nous ne trouverons plus un asile derrière le bouclier du chef de Glangillian ; il ne

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guidera plus nos guerriers au combat ; et nous sommes condamnés à chanter son hymne funèbre.

Hélas ! plaignons un Chef valeureux ; l’orgueil des enfans d’Albyn n’est plus. L’arbre superbe de Glenartney couvre la terre de son tronc renversé. Nous ne verrons plus lord Ronald.

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NOTES.

NOTE 1. — Paragraphe III. — Les veuves saxonnes.

Les Saxons ou Sassenachs dont il est ici question sont les habitans des plaines, Lowlanders, appelés ainsi par leurs voisins des montagnes (the Highlanders).

NOTE 2. — Paragraphe IV. — À la clarté de la flamme.

Les Highlanders allument des feux sur les hauteurs le premier jour du mois de mai. C’est un usage qui vient des temps du paganisme, et qu’on retrouve aussi dans la principauté de Galles.

NOTE 3. — Paragraphe VII. — Doué de l’esprit prophétique.

C’est ce qu’on appelle en anglais la seconde vue (the second sight). On ne peut que répéter la définition qu’en donne le docteur Johnson, qui l’appelle « une impression de l’esprit sur l’œil ou de l’œil sur l’esprit, par le moyen de laquelle les événemens éloignés et futurs sont perçus et vus comme s’ils étaient présens. » J’ajouterai seulement que les apparitions de fantômes présagent ordinairement des malheurs, que cette faculté est pénible pour ceux qui en sont doués, et qu’ils ne l’acquièrent généralement que lorsqu’ils sont eux-mêmes sous l’influence d’un tempérament mélancolique.

NOTE 4. — Paragraphe XXII. — La règle du bon saint Oran.

Saint Oran était l’ami et l’acolyte de saint Columba, et il fut enterré à Icolmkill. Ses droits à la canonisation sont un peu douteux. Selon la légende, il consentit à être enterré tout vivant pour rendre propices certains démons indigènes qui s’opposaient aux pieux desseins de saint Columba, et s’obstinaient à l’empêcher de bâtir une chapelle.

Au bout de trois jours, Columba fit exhumer le corps de son ami. Saint Oran, au grand scandale des spectateurs, déclara qu’il n’y avait ni Dieu, ni jugement dernier, ni enfer, ni paradis. Il allait sans doute faire des révélations encore plus singulières ; mais Columba ne lui en donna pas le temps, et le fit au plus vite réenterrer. La chapelle et le cimetière conservèrent cependant le nom de Reilig Ouran ; et en mémoire du rigide célibat qu’avait gardé le saint, aucune femme ne pouvait y venir prier ni s’y faire enterrer. C’est à ce régime de continence que le paragraphe XXII fait allusion.

NOTE 5. — Paragraphe IV. — La puissante prière de saint Fillan.

Saint Fillan a donné son nom à plusieurs chapelles et sources saintes en Écosse. C’était, selon Camerarius, un abbé de Pittenweem, comté de Fife ; fonction dont il se démit pour aller mourir dans les solitudes de Glenurchy, l’an du Seigneur 649. Pendant qu’il était occupé à transcrire les Ècritures, sa main gauche jetait un éclat de lumière si vif, qu’il y voyait suffisamment, sans autre clarté ; ce miracle économisa beaucoup de chandelles au couvent, le saint passant des nuits entières à écrire. Le 9 de janvier est dédié à ce saint, qui a laissé son nom à Kilfillan, dans le canton de Renrew, et à Saint-Phillans, ou Forgend, dans le comté de Fife. L’historien Lesley, liv. VII, nous dit que Robert le Bruce avait en sa possession le bras miraculeusement lumineux de saint Fillan enfermé dans une châsse d’argent, et qu’il portait à la tête de son armée. Avant la bataille de Bannockburn le chapelain du roi, homme de peu de foi, s’empara de cette relique, et la cacha en lieu sûr, de peur qu’elle ne tombât entre les mains des Anglais. Mais soudain, pendant que Robert adressait sa prière à la châsse vide, on la vit s’ouvrir et se refermer aussitôt, et l’on reconnut que le saint avait déposé son bras dans la châsse comme un gage de la victoire. Quoique Bruce n’eût guère besoin que le bras de saint Fillan vînt au secours du sien, il lui dédia en reconnaissance une abbaye à Kiliin, sur le Loch Tay.

Dans le Scots Magazine de juillet 1802 (recueil périodique qui vient d’être continué avec un grand talent) on trouve la copie d’une curieuse charte de la couronne, datée du 11 juillet 1487, par laquelle Jacques III confirma à Malise Doire, habitant de Srathfillan dans le Perthshire, la jouissance paisible d’une relique de saint Fillan appelée le Quegrich, qu’il avait héritée de ses ancêtres depuis le temps de Robert le Bruce. Comme le Quegrich servait à guérir des maladies, ce document est probablement la patente la plus ancienne accordée à un remède de charlatan (quack-medicine). L’ingénieux correspondant qui l’a fourni ajoute qu’on peut lire des renseignemens plus détaillés sur saint Fillan dans le Bœce de Belienden, tom. IV, fol. CCXIII, et dans le Voyage de Pennant en Écosse, 1772, pag. 11 et 15.

LA VEILLE

DE

LA SAINT–JEAN


C’est dans cette ancienne forteresse et dans le voisinage que l’auteur a passé son enfance, et ces lieux qui lui sont chers avaient des droits aux hommages de sa muse.

La catastrophe de cette histoire est fondée sur une tradition irlandaise.


LE baron de Smaylho’me se leva avec le jour, et guida son coursier, sans s’arrêter, dans le sentier rocailleux qui conduit à Brotherstone.

Il n’allait point avec le brave Buccleuch déployer sa large bannière ; il n’allait point se réunir aux lances écossaises pour braver les flèches des Anglais.

Cependant il était revêtu de sa cotte de mailles ; son casque ornait son front, et il portait une cuirasse d’un acier éprouvé. Au pommeau de sa selle était suspendue une hache d’armes qui pesait plus de vingt livres.

Le baron de Smaylho’me revint au bout de trois jours ; son front était triste et sombre ; son coursier semblait accablé de fatigue et ne marchait que lentement.

Il ne venait point d’Ancram-Moor où le sang anglais avait coulé par torrens ; Ancram-Moor, témoin des exploits du fidèle Douglas et du brave Buccleuch contre le lord Evers.

Cependant son casque était bossué et brisé, sa cotte d’armes percée et déchirée. Le sang souillait sa hache et son épée ; mais ce n’était point le sang anglais.

Il descendit près de la chapelle ; et, se glissant contre la muraille, il siffla trois fois pour appeler son jeune page qui portait le nom de William.

— Viens ici, mon petit page, dit-il, viens te placer sur mes genoux ; tu es encore dans un âge bien tendre ; mais j’espère que tu ne chercheras pas à tromper ton seigneur.

Dis-moi tout ce que tu as vu pendant mon absence, et surtout songe à me dire la vérité !… Qu’a fait ta maîtresse depuis que j’ai quitté le château de Smaylho’me ?

William répond : — Chaque nuit, la châtelaine se rendait à la clarté solitaire qui brille sur la cime du Watchfold, car d’une hauteur à l’autre les signaux nous apprenaient l’invasion des Anglais.

Le butor gémissait, le vent sifflait dans le creux des rochers ; cependant elle n’a pas manqué une seule nuit de suivre le sentier qui mène à la cime aérienne de la montagne.

J’épiai ses pas et je m’approchai en silence de la pierre où elle était assise. Aucune sentinelle n’était auprès du feu des signaux.

Mais la seconde fois mes yeux la suivirent encore, et j’aperçus…, je le jure par la Vierge sainte…, j’aperçus un chevalier armé à côté de la flamme solitaire.

Ce guerrier s’entretint avec ma maîtresse : mais la pluie tombait et l’orage grondait, je ne pus entendre leurs paroles.

Le troisième soir, le ciel était calme et pur, le vent s’était tu… j’épiai encore le chevalier, et votre dame vint le trouver mystérieusement au rendez-vous.

Je l’entendis nommer l’heure de minuit et la veille de cette sainte fête. — Viens, disait-elle, demain, à l’appartement de la dame de tes pensées ; ne redoute pas le baron mon époux.

Il combat sous la bannière du brave Buccleuch, et je suis seule ; ma porte s’ouvrira pour mon chevalier fidèle la veille de la Saint-Jean.

— Je ne le puis, répond le guerrier, je n’ose me rendre auprès de toi ; il faut que j’erre seul la veille de la Saint-Jean.

— Honte à ta lâcheté, dit-elle, chevalier timide ; tu ne dois pas me dire non, car la nuit de la Saint-Jean vaut le jour le plus beau de l’été quand elle prête son ombre à deux amans.

J’enchaînerai le dogue vigilant. La sentinelle ne t’adressera aucune question ; j’étendrai des nattes de jonc sur l’escalier ; au nom de la croix noire de Melrose et du bienheureux saint Jean, je te conjure, mon amour, de te rendre à mes vœux !

— Vainement les limiers garderaient le silence et la sentinelle ne sonnerait pas du cor. Un prêtre dort dans le pavillon de l’orient ; il entendrait le bruit de mes pas malgré les nattes de jonc.

— Ha ! ne crains point que ce prêtre puisse te découvrir ; il est au monastère de Driburg, où il doit célébrer, pendant trois jours, le sacrifice de la messe pour l’âme d’un chevalier trépassé.

À ces mots le guerrier tourna plusieurs fois la tête en fronçant le sourcil, et ensuite il sourit avec dédain en disant : — Celui qui célèbre la messe pour l’âme de ce chevalier pourrait aussi bien la dire pour la mienne.

À l’heure solitaire de minuit, alors que les esprits malfaisans voltigent dans les airs, j’irai auprès de toi. Il a dit et a disparu. Ma maîtresse est demeurée seule, et je n’ai rien vu de plus.

Le front sombre du baron s’enflamme et rougit de colère. — Fais-moi connaître, demande-t-il, le téméraire, car, par sainte Marie, il périra !

— Ses armes brillaient à la clarté de la flamme, répond William ; son panache était écarlate et bleu ; j’ai remarqué sur son écu un lévrier en lesse d’argent, et son cimier était un rameau d’if.

— Tu en as menti, petit page, tu en as menti : le chevalier que tu me désignes a cessé de vivre ; il est enseveli dans son tombeau sous l’arbre d’Eildon.

— J’en atteste le ciel, ô mon noble seigneur ! j’ai entendu prononcer son nom : votre dame l’a appelé sir Richard de Coldinghame.

La pâleur couvrit alors le front du baron. — La tombe est obscure et profonde, dit-il ; le cadavre immobile et glacé… Je ne puis croire ton récit.

Au lieu où la Tweed roule ses flots autour du saint couvent de Melrose, et où l’Eildon descend en pente douce jusqu’à la plaine, il y a trois nuits qu’un ennemi secret a tranché les jours du chevalier de Coldinghame.

Les reflets de la lumière ont abusé tes yeux ; les vents ont trompé ton oreille ; j’entends encore sonner les cloches de Driburgh, et les moines Prémontrés chantent l’hymne des morts pour sir Richard.

Le baron franchit le seuil de la grille ; il se glisse dans l’escalier étroit, et se rend à la plate-forme, où il trouve sa dame entourée des filles qui la servent.

Il remarque qu’elle est triste, et qu’elle porte ses regards tour à tour sur les collines et les vallées ; sur les oncles de la Tweed et les bois de Mertoun dans la riche plaine de Teviot.

— Salut, salut, aimable et tendre châtelaine ! — Salut, baron fidèle ! Quelles nouvelles apportez-vous du combat d’Ancram et du vaillant Buccleuch ?

— La plaine d’Ancram-Moor est rouge de sang ; mille Anglais ont mordu la poussière, et Buccleuch nous ordonne de veiller à nos signaux mieux que jamais.

La châtelaine rougit, mais elle ne répondit pas, et le baron n’ajouta rien de plus. Bientôt elle se retira dans sa couche, où elle fut suivie par le baron chagrin.

La châtelaine gémissait en sommeillant, et le baron de Smaylho’me, inquiet et agité, murmurait tout bas : — Les vers rampent sur son cadavre ; la tombe sanglante est fermée sur lui ; la tombe ne peut lâcher sa proie.

C’était bientôt l’heure de matines : la nuit allait faire place à l’aurore, lorsque enfin un sommeil pénible s’appesantit sur les yeux du baron.

La châtelaine regarda de tous côtés dans l’appartement ; à la lueur d’une lampe mourante elle reconnut non loin d’elle un chevalier, sir Richard de Coldinghame.

— Hélas ! dit-elle, éloignez-vous, pour l’amour de la Vierge sainte ! — Je sais, répondit-il, qui dort auprès de toi ; mais ne crains pas qu’il se réveille.

Voici trois longues nuits que je suis étendu dans une tombe sanglante, sous l’arbre d’Eildon ! On a chanté pour le repos de mon âme les messes et l’hymne des morts, mais vainement.

C’est le bras perfide du baron de Smaylho’me qui m’a percé le cœur sur le rivage sablonneux de la Tweed, et mon ombre est condamnée à errer pendant un temps sur la cime du Watchfold.

C’était le lieu de nos rendez-vous ; on m’y verra apparaître chaque soir : mais je n’aurais jamais pu parvenir jusqu’ici sans tes pressantes supplications.

L’amour surmonta la crainte de la châtelaine ; elle se signa le front : — Cher Richard, dit-elle, daigne m’apprendre si ton âme est sauvée ou réprouvée. — Le fantôme secoua la tête.

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— Dis à ton époux, répondit-il, que celui qui répand le sang perdra la vie par le glaive. Mais l’amour adultère est un crime dans un autre monde : reçois-en ce gage irrécusable.

Il appuya sa main gauche sur une table de chêne, et la droite sur celle de la châtelaine, qui frémit et s’évanouit en sentant l’impression brûlante de son étreinte.

La trace noircie des quatre doigts resta imprimée sur la table, et la châtelaine porta toujours sa main couverte.

Il est dans l’abbaye de Dryburgh une religieuse qui ne tourne jamais les yeux vers le soleil ; il est un moine dans le monastère de Melrose qui ne profère jamais une parole.

Cette religieuse, qui ne voit jamais la clarté du jour, c’est la châtelaine de Smaylho’me ; ce moine, qui garde un si morne silence, est le fier baron son époux.


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NOTES.


note 1re

LA bataille d’Ancram-Moor est un des événemens les plus importans de l’histoire d’Ecosse.

Le lieu qui en fut le théâtre est appelé aussi Lyliard’s Edge, du nom d’une amazone écossaise qui s’y était distinguée. On vous montre encore son monument aujourd’hui en ruines. Ou y lisait cette inscription :

« La belle Lyliard est ensevelie sous cette pierre ; sa taille était petite, mais sa

« gloire fut grande, et les Anglais sentirent la force de son bras. Quand ses jambes

« furent coupées, elle combattit sur ses cuisses. »

note 2 Il est une religieuse, etc.

La circonstance de cette religieuse qui ne vit jamais le jour n’est pas tout-à-fait imaginaire. Il y a cinquante ans qu’une infortunée descendit dans un sombre caveau sous les ruines de l’abbaye de Dryburgh, qu’elle ne quittait jamais pendant le jour. Dès que la nuit était venue, elle sortait de sa misérable retraite, et se rendait à la demeure de M. Haliburton de Newmains, ou à celle de M. Erskine de Sheffield, deux propriétaires du voisinage. Elle obtenait de leur charité toutes les provisions qu’elle désirait ; mais aussitôt qu’elle entendait sonner minuit, elle allumait sa lanterne et retournait à son caveau, assurant ses voisins bienfaisans que, pendant son absence, sa retraite était arrangée par un esprit qu’elle appelait Fatlips[1] ; elle le représentait comme un petit homme portant des souliers de fer, avec lesquels il dissipait l’humidité des voûtes en foulant le pavé. Les gens sages regardaient avec pitié une femme qui leur semblait être privée de la raison ; mais le vulgaire ne pensait à elle qu’avec un sentiment de terreur. Elle ne voulut jamais expliquer la cause d’un genre de vie aussi extraordinaire ; on imagina qu’elle l’avait adopté après s’être engagée, par un vœu, à ne voir jamais le soleil tant que durerait l’absence de son amant. Son amant était mort dans la guerre civile de 1745 à 1746, et cette femme renonça pour jamais à la clarté du jour.

Le caveau porte encore le nom du prétendu esprit qui tenait compagnie à cette solitaire. Et il est plus d’un paysan du voisinage qui n’oserait y pénétrer.


  1. Fatlips, grosses lèvres.

LE CHÂTEAU

DE

CADYOW


Les ruines de Cadyow (ou du château de Cadzow), antique résidence baronniale de la famille Hamilton, sont situées sur les bords de la rivière Evan, à trois milles environ du lieu où elle se réunit à la Clyde.

Ce château fut démantelé à la fin des guerres civiles, sous le règne de l’infortunée Marie, dont la maison d’Hamilton avait embrassé le parti avec un zèle et une générosité qui furent cause de l’obscurité dans laquelle elle est restée quelque temps. La situation de ces ruines au milieu d’un bois, le lierre et les arbustes rampans qui les couvrent, le torrent sur lequel elles sont comme suspendues, tout contribue à leur donner un aspect des plus romantiques

Dans le voisinage de Cadyow est un bois de chênes, reste de la grande forêt calédonienne, qui jadis s’étendait depuis l’océan Atlantique jusqu’au sud de l’Écosse. Quelques-uns de ces chênes ont vingt-cinq pieds et plus de circonférence, et leur vétusté prouve qu’ils ont été témoins des rites druidiques.

On a long-temps conservé dans cette forêt la race des taureaux sauvages d’Écosse. Il n’y a que quarante ans que leur férocité força de la détruire. Ces animaux étaient blancs de lait, la tête, les cornes et les sabots noirs ; les anciens auteurs leur donnent une crinière blanche, mais cette particularité s’était perdue dans les derniers temps, peut-être par des croisemens avec l’espèce domestique.

En citant avec quelque détail la mort du régent Murray, qui est le sujet de la ballade suivante, il serait injuste de ne pas répéter ici les propres expressions du docteur Robertson, dont le récit forme un des plus beaux tableaux de son Histoire.

Hamilton de Bothwellhaugh fut l’auteur de cet assassinat. Il avait été condamné à mort après la bataille de Langside, comme nous l’avons déjà raconté, et il devait la vie à la clémence du régent. Mais une partie de ses domaines avait été confisquée au profit d’un favori (sir James Bellenden). Cet homme avide était venu s’emparer de sa maison pendant la nuit, et avait chassé sa femme, qui, dans son désespoir, en perdit la raison. Cet outrage fit plus d’impression sur Hamilton que le bienfait qu’il avait reçu, et, depuis ce jour, il jura de tirer vengeance du régent. L’esprit de parti irrita ses ressentimens particuliers. Ses cousins les Hamiltons applaudirent à ses projets. Les maximes du siècle justifiaient les cruelles représailles qu’il exerça. Après avoir suivi le régent pendant quelque temps, pour trouver l’occasion favorable de le frapper, il résolut enfin d’attendre son arrivée à Linlithgow, où il devait passer en se rendant de Stirling à Edimbourg. Il alla se poster dans une galerie de bois qui avait une fenêtre donnant sur la rue ; il plaça un tapis sur le parquet pour dissimuler le bruit de ses pas, et un drap noir derrière lui pour que son ombre ne le trahît pas en dehors. Après tous ces préparatifs, il attendit patiemment l’approche de Murray, qui avait passé la nuit dans une maison voisine. Quelques avis sur le danger qu’il courait étaient parvenus au régent, de sorte qu’il avait résolu de ressortir par la porte sous laquelle il avait passé en entrant, et de faire un détour hors la ville ; mais la foule était si grande du côté de cette porte, et il était si peu familiarisé avec la peur, qu’il continua directement son chemin dans la rue, où la foule, l’obligeant de marcher lentement, donna à l’assassin le temps de viser si bien son coup, qu’il l’atteignit avec une balle dans le bas-ventre et tua le cheval d’un gentilhomme qui l’accompagnait. Les gens de Murray voulurent s’introduire aussitôt dans la maison d’où le coup était parti, mais la porte était soigneusement barricadée, et, avant qu’on pût la forcer, Hamilton eut le temps d’enjamber un cheval qui était tout sellé et bridé près d’une porte secrète ; il fut bientôt à l’abri de leurs poursuites. Cette même nuit le régent mourut de sa blessure. » (Histoire d’Ecosse, liv. v.)

Bothwellhaugh galopa jusqu’à Hamilton, où il fut reçu en triomphe ; car les cendres des maisons du Clydesdale, brûlées par l’armée de Murray, étaient encore fumantes. La rage des factions, les mœurs du siècle et l’outrage qui avait provoqué le meurtrier, le justifièrent pleinement auprès de sa famille. Après un court séjour à Hamilton, cet homme déterminé quitta l’Écosse, et fut se mettre au service de la France, sous les auspices de la maison des Guises, dont il fut probablement bien accueilli comme ayant vengé la cause de leur nièce la reine Marie sur un frère ingrat. De Thou rapporte qu’on essaya de l’engager à assassiner Gaspard de Coligny, l’amiral de France et le bouclier du parti huguenot ; mais on se trompait sur le caractère de Bothwellhaugh. Il ne versait point le sang par l’appât d’un vil salaire, et il repoussa avec indignation les offres qu’on lui fit. Il n’avait point reçu, dit-il, l’autorisation de l’Écosse pour commettre des meurtres en France. Il avait tiré vengeance de ses propres injures, mais jamais rien ne serait capable de le décider à se charger de la querelle d’un autre. (Thuanus, cap. XLVI.)

La mort du régent d’Écosse arriva le 23 janvier 1569. Il a été flétri ou loué par les historiens contemporains, selon les préventions de chacun. Blackwood parle de sa mort comme d’un triomphe. Il ne se contente pas de célébrer le pieux exploit de Bothwellhaugh, « qui, observe-t-il, satisfit avec une once plomb celui dont l’avarice sacrilège avait dépouillé l’église Métropolitaine de Saint-André de sa toiture. » Mais il prétend que Hamilton fut inspiré par le ciel, regardant aussi son évasion comme un miracle divin. ». (Jebb., vol II, p. 263.)

Il est d’autres historiens qui veulent faire de cet assassinat une affaire nationale, et l’attribuer au caractère naturellement perfide des Écossais. (Voyez MURDIN, State Papers, vol. I, page  197.)


A LADY ANNE HAMILTON.

Lorsque la noble race des Hamilton habitait les tours gothiques de Cadyow, la musique, les chants, le vin et de joyeux banquets en bannissaient l’ennui.

Chaque voûte prolongeait les sons mélodieux de la harpe, et l’écho répétait les pas légers de la danse et les chants inspirés des ménestrels.

Mais les tours de Cadyow tombent en ruines, ses voûtes, que le lierre revêt d’un manteau de verdure, ne retentissent plus que des sifflemens de l’aquilon et de la voix mugissante de l’Evan.

Vous m’ordonnez de célébrer par le chant d’un ménestrel la gloire oubliée de Cadyow, et de réveiller par les sons de ma harpe les échos sauvages de la vallée.

Vous ne craignez point de détourner vos yeux de la pompe des cours et des tableaux rians du plaisir, pour soulever le voile de l’oubli et contempler l’urne solitaire et négligée.

J’obéis, noble châtelaine ; les murs écroulés vont se relever à vos ordres… Silence ! nous sommes sur les rives de l’Evan ; le passé revient s’offrir à nos yeux… le présent disparaît.

Aux lieux où naguère les ruines tapissées de verdure se confondaient avec le taillis qui couvre les rochers, des tourelles fantastiques se couronnent de créneaux sur lesquels flottent des bannières féodales.

Aux lieux où le torrent s’irritait de trouver sur son passage le faible obstacle des buissons et des arbustes entrelacés, un bastion en briques brave ses flots mugissans, et des remparts entourent une citadelle.

Il est nuit ; le donjon et la tour projettent leurs ombres vacillantes sur les eaux de l’Evan, et le feu des sentinelles éclipse la faible lumière de la lune..

Mais déjà la flamme pâlit ; l’orient se colore : la sentinelle fatiguée descend de la tour ; les coursiers hennissent ; les limiers saluent l’aurore par leurs aboiemens, et le chasseur se prépare à partir.

Le pont-levis s’abaisse… chaque poutre gémit, chaque chaîne se tend, lorsque les cavaliers piquent de l’éperon leurs coursiers et leur lâchent les rênes.

À la tête de la troupe est le noble chef des Hamiltons ; tous ses gens le suivent gaiement ; son coursier est plus rapide que le vent des montagnes.

Les chevreuils bondissent et s’élancent de l’épais taillis, le daim fuit dans la plaine ; car le cor des guerriers les a réveillés dans leurs repaires.

Quel est ce mugissement qui retentit dans la forêt antique d’Evandale, dont les chênes comptent des milliers d’années ? À peine si l’on distingue les fanfares sonores des chasseurs.

C’est le roi de tes forêts, ô Calédonie, c’est le taureau des montagnes qui accourt, à travers le feuillage, semblable à la foudre.

Il roule des yeux enflammés à l’aspect des chasseurs, frappe le sable de ses cornes noires, et agite sa blanche crinière.

Dirigé par une main sûre, le javelot a transpercé les flancs de l’animal sauvage ; il se débat encore au milieu des flots de son sang ; un gémissement douloureux termine ses souffrances. Sonnez, sonnez sa défaite.

Le soleil a parcouru la moitié de sa carrière, les chasseurs appuient leurs lances inoccupées contre les troncs noueux du chêne ; les légers nuages de fumée qui dominent la voûte du feuillage, indiquent le lieu où les vassaux préparent le festin.

Le Chef vit avec orgueil tous les hommes de son clan étendus sur la bruyère, mais ses yeux cherchèrent vainement le plus vaillant de tous ceux qui portaient le nom d’Hamilton.

— Et pourquoi donc Bothwellaugh n’est-il pas avec nous, lui qui partage tous nos plaisirs comme tous nos chagrins ? pourquoi ne vient-il pas prendre part à notre chasse et s’asseoir à notre repas champêtre ?

Le farouche Claude répondit avec le ton sévère qui distinguait le seigneur orgueilleux des tours de Pasley : — Tu ne verras plus le guerrier que tu demandes, ni à nos joyeux festins, ni à nos chasses hardies.

Il y a peu de temps que les coupes s’emplissaient encore jusqu’au bord dans Woodhouselee, lorsque, fatigué des travaux de la guerre, Bothwellhaugh revenait gaiement dans ses foyers.

Il venait de quitter sa Marguerite, qui, à peine délivrée des douleurs de la maternité, belle et touchante comme une rose pâle, nourrissait son enfant nouveau-né.

Fatal changement ! ces jours ne sont plus, les barbares satellites du perfide Murray n’ont fait que passer, la flamme hospitalière du foyer domestique est devenue un incendie dévastateur.

Quel est ce fantôme à demi nu qui erre avec désespoir sur les bords qu’arrose l’onde mugissante de l’Evan ? ses bras tiennent un enfant….. serait-ce la rose pâle d’Hamilton ?

Le voyageur égaré la voit se glisser à travers le feuillage, il entend avec terreur sa voix faible et plaintive. — Vengeance ! s’écrie-t-elle, vengeance sur l’orgueilleux Murray ! Plaignez les malheurs de Bothwellhaugh !

Ainsi parle le seigneur de Paisley ; des cris de rage et de douleur se font entendre au milieu des Hamiltons. Le Chef se relève soudain, et tire à demi du fourreau sa redoutable épée. —

Mais quel est cet homme qui franchit avec tant de rapidité les broussailles, le torrent et le rocher ? sa main, armée d’un poignard sanglant, s’en sert pour exciter son coursier harassé de fatigue.

Son front est pâle, ses yeux étincellent comme ceux d’un homme poursuivi par une apparition. Le sang souille ses mains, sa chevelure est en désordre…..

C’est lui, c’est lui, c’est Bothwellhaugh !

Il abandonne son coursier haletant et près de succomber ; il brise contre terre sa carabine, fumante encore d’un meurtre récent.

— Il est doux, dit-il d’une voix farouche, il est doux d’entendre résonner le cor dans les forêts ; mais il est cent fois plus doux encore d’écouter les derniers soupirs d’un tyran.

Le roi puissant des forêts calédoniennes, que je vois percé de vos javelots, parcourait avec fierté les vallons et les collines ; mais avec plus d’orgueil encore s’avançait le lâche Murray, au milieu des flots du peuple, dans la ville de Linlithgow.

Il venait en triomphe des frontières ravagées, et Knox, oubliant pour lui l’orgueil de sa dévotion, souriait en contemplant la pompe qui entourait le traître.

Mais la puissance avec tout son orgueil, la pompe avec tout son éclat, peuvent-elles ébranler le cœur qui a juré de se venger ? peuvent-elles arrêter les projets du désespoir ?

J’arme ma carabine, et je choisis un poste secret et obscur comme le coup que je médite ; j’attends que les lanciers de l’Écosse et les archers de l’Angleterre défilent près de moi.

Morton, odieux instrument des assassinats, s’avance le premier à la tête d’une troupe armée ; je reconnais les plaids bariolés des clans sauvages de Macfarlane, qui agitent leurs larges claymores.

Je vois Glencairn et Parkhead, qui tiennent humblement les rênes du coursier de Murray ; je vois Lindsay, dont l’œil implacable ne fut point ému des larmes de la belle Marie.

Au milieu d’une forêt de piques surmontées de bannières, flottait le panache du régent ; à peine s’il pouvait faire un pas, tant ses flatteurs se pressaient autour de lui.

Sa visière était haute, ses yeux parcouraient les rangs de ceux qui l’entouraient, il brandissait son glaive comme pour donner des ordres à ses soldats.

Cependant la tristesse mal dissimulée qu’on lisait sur son front trahissait un sentiment de doute et de crainte ; quelque démon lui disait tout bas : — Défie-toi de Bothwellhaugh outragé.

Le plomb de la mort vole….. le coursier tressaille….. La voix du tumulte retentit….. le panache de Murray vacille, le tyran tombe pour ne plus se relever.

Quel est le ravissement du jeune homme amoureux qui entend celle qu’il aime lui avouer qu’il a touché son cœur ! Quelle est la joie d’un père qui perce de sa lance le loup dont la dent cruelle a blessé son fils bien-aimé !

Mais il fut mille fois plus doux pour moi de voir rouler l’orgueilleux Murray dans la poussière, et d’entendre son âme perfide s’échapper avec un douloureux gémissement.

L’ombre de ma Marguerite errait près de là ; elle a pu contempler sa victime sanglante ; elle a pu faire retentir à son oreille presque insensible : — Souviens-toi des outrages de Bothwellhaugh.

Noble Châtellerault, hâte-toi donc, déploie tes bannières ; que tous tes guerriers s’arment de leurs arcs. Murray n’est plus, l’Écosse est libre !

Tous les guerriers courent à leurs coursiers ; leurs clameurs sauvages se mêlent aux sons bruyans de leurs cors : — Murray n’est plus, s’écrient-ils, l’Écosse est libre….. Arran, prépare ta lance….

….. Mais le charme magique qui avait abusé le ménestrel a cessé….. Je ne vois plus les fers étincelans des piques ; les cris de guerre expirent avec la brise, ou se perdent dans le murmure de l’Evant solitaire.

Les sifflemens du merle ont remplacé les fanfares sonores du cor, et les tours crénelées d’Evandale sont de nouveau cachées sous le lierre.

Au lieu de ces Chefs armés pour la vengeance et excitant leurs clans au carnage, je n’aperçois plus qu’une noble beauté, qui dirige avec grâce les rênes de soie de son coursier.

Puissent la paix et le plaisir sourire long-temps aux dames qui daignent écouter le ménestrel ! qu’elles embellissent long-temps de leur présence les rives fleuries d’Evandale !


NOTES.
note 1 À la tête de la troupe.

Le chef de la famille des Hamiltons, à cette époque, était Jacques, comte d’Arran, duc de Châtellerault, en France, et premier pair d’Écosse, en 1569 ; il fut nommé par la reine Marie son lieutenant-général en Écosse, avec le titré singulier de son père adoptif.

note 2. Lord Claude Hamilton.

C’était le second fils du duc de Châtellerault, et l’un des plus fidèles partisans de la reine Marie. Il est l’ancêtre du marquis d’Abercorn.

note 3. Woodhouselee.

Cette baronnie, située sur les bords de l’Esk, appartenait à Bothwellhaugh. Les ruines de la demeure dont sa femme fut expulsée d’une manière si brutale qu’elle en mourut après avoir perdu la raison, subsistent encore dans un petit vallon du côté de la rivière. La crédulité populaire les fait encore habiter par lady Bolhwellhaugh, que l’on confond cependant avec le spectre de lady Anne Bothwell, dont la complainte est si répandue : ce spectre est si jaloux de sa propriété, qu’une partie des pierres de l’ancien édifice ayant été employées à rebâtir ou à réparer la maison qui a remplacé Woodhouselee, il a cru qu’il avait le droit de se faire voir dans cette nouvelle habitation. Il n’y a pas long-temps qu’il a causé de grandes frayeurs aux domestiques. Il y a pourtant quatre milles des ruines de l’ancien Woodhouselee au nouveau ; mais les fantômes iraient réclamer leur bien au bout du monde : celui-ci apparaît toujours vêtu de blanc, avec un enfant dans ses bras.

note 4 — Sa main armée d’un poignard sanglant.

Birrell nous apprend que Bothwellhaugh étant poursuivi de près, et n’ayant plus ni fouet ni éperons, tira sa dague et en piqua son cheval par-derrière : l’animal, excité de cette sorte, sauta un large fossé, ce qui sauva le meurtrier.

note 5 J’arme ma carabine..

On conserve encore à Hamilton la carabine qui servit à tuer le régent.

note 6 Ses flatteurs se pressaient autour de lui.

John Knox avait averti le régent du complot, par des avis répétés. On prétend que Murray savait même dans quelle maison le meurtrier l’attendait. Égaré par cet entêtement fatal qui conduit l’homme à sa perte, il crut qu’en pressant son cheval devant la maison désignée il éviterait le danger. Mais la foule donna, sans le vouloir, à Bothwellhaugh le temps d’exécuter son assassinat.

LE MOINE

DE SAINT-BENOÎT.

FRAGMENT



Si je publie cette ballade sans la terminer, je dois dire que mon but n’a pas été de lui donner cette sorte d’intérêt qui naît souvent d’une curiosité désappointée. J’avouerai que mon intention était de poursuivre le récit jusqu’à la fin ; mais je n’ai jamais pu être content de mon travail, et si je joins ce fragment à mes œuvres poétiques, c’est par déférence à l’avis de quelques personnes dont l’opinion mérite des égards, et qui se sont opposées à mon projet de supprimer entièrement mon Moine de Saint-Benoît.

La tradition qui m’en a fourni l’idée est connue dans le comté dé Mid-Lothian, où se trouve la maison appelée aujourd’hui Gilmerton-Grange, et à qui jadis on avait donné le nom de Burndale, d’après l’aventure tragique que je vais rapporter.

La baronnie de Gilmerton appartenait autrefois à un seigneur nommé Heron qui avait une fille de la plus grande beauté. Cette jeune personne fut séduite par l’abbé de Newbattle, couvent richement doté sur les rives de l’Esk, et qu’habite aujourd’hui le marquis de Lothian. Heron fut informé des amours de sa fille, et sut aussi que le moine avait été favorisé dans ses criminelles intentions par sa nourrice, qui demeurait dans cette maison de Gilmerton-Grange. Il conçut le projet d’une terrible vengeance sans être arrêté ni par le saint caractère dont le préjugé revêtait les ecclésiastiques, ni par les droits plus sacrés de la nature.

Il choisit une nuit sombre et orageuse, pendant laquelle les amans s’étaient donné rendez-vous ; il fit entasser autour de la maison des broussailles desséchées avec d’autres combustibles, et y mit le feu. La maison et ceux qu’elle renfermait ne formèrent bientôt plus qu’un amas de cendres.

Le début de ma ballade m’a été suggéré par ce curieux extrait de la vie d’Alexandre Peden, l’un de ces apôtres errans et persécutés de la secte des caméroniens sous le règne de Charles II et de son successeur Jacques. Cet Alexandre Peden passait dans l’esprit de ses prosélytes pour être doué d’une puissance surnaturelle : peut-être se l’était-il persuadé à lui-même ; car les lieux sauvages que ces malheureux fréquentaient et les dangers continuels qu’ils couraient dans leur état de prescription, ajoutaient encore à la sombre superstition de ce siècle d’ignorance.

Á peu près dans ce même temps Alexandre Peden, dit son biographe, fut dans la maison d’André Normand, où il devait prêcher pendant la nuit. Après être entré il s’arrêta un moment, s’appuya sur le dos d’un fauteuil en se couvrant la tête. Soudain il se relève, et dit : Il y a quelqu’un dans cette maison pour qui je n’ai aucune parole de salut. Après quelques momens de silence il ajouta : Il est étrange que le démon refuse de sortir pour nous empêcher de commencer la bonne œuvre.

Alors une femme sortit ; c’était une vieille qui avait toujours été vue de mauvais œil, et qui passait même pour sorcière.

(La vie et les prophéties d’Alexandre Peden, ex-ministre du saint Évangile à New-Glenluce, partie II, § 26.)


I.

Le pape célébrait le saint sacrifice avec le pouvoir qu’il a reçu du ciel d’effacer les péchés des hommes. C’était le grand jour de Saint-Pierre.

Le peuple était agenouillé dans le temple ; chaque fidèle allait recevoir l’absolution de ses fautes en baisant le pavé de l’enceinte sacrée.

II.

Toute l’assemblée est immobile et muette au moment où les paroles de la grâce vont retentir sous les voûtes. Soudain le pontife tressaille de terreur ; la voix lui manque ; et lorsqu’il veut élever le calice il le laisse tomber à terre.

III.

Le souffle d’un grand coupable, s’écrie-t-il, souille ce jour pieux ; il ne peut partager notre croyance ni éprouver le saint effet de mes paroles.

C’est un homme dont aucune bénédiction ne peut calmer le cœur troublé ; c’est un malheureux dont l’odieuse présence profane toutes les choses saintes.

IV.

Lève-toi, misérable, lève-toi et fuis ; crains mes imprécations. Je t’ordonne de ne plus étouffer ma voix par ton aspect profane ; fuis.

Au milieu du peuple était agenouillé un pèlerin recouvert d’un capuchon gris ; venu des rives lointaines de sa terre natale, il voyait Rome pour la première fois.

V.

Pendant quarante jours et quarante nuits il n’avait proféré aucune parole, et toute sa nourriture avait été du pain et l’eau des fontaines.

Au milieu du troupeau de pénitens aucun n’était prosterné avec plus d’humilité ; mais lorsque le pontife eut parlé, il se leva et sortit.

VI.

Il reprit le chemin de sa terre natale, et dirigea ses pas fatigués vers les plaines fertiles du Lothian et vers la cime azurée des montagnes de Pentland.

Il revit les ombrages de l’Esk, berceau de son enfance, et cette rivière si douce qui porte à la mer le tribut de ses flots argentés.

VII.

Des seigneurs accoururent au-devant du pèlerin ; des vassaux vinrent fléchir le genou– devant lui ; car parmi les Chefs guerriers de l’Écosse aucun n’était aussi brave que lui.

Il avait versé plusieurs fois son sang pour la patrie, et les rives du Till avaient été témoins de ses exploits.

VIII.

Salut, lieux ravissans où coulent les ondes limpides de l’Esk ; salut, cimes aériennes des rochers, et vous ombrages inaccessibles aux rayons du soleil.

C’est là que le poète est heureux de s’égarer avec la Muse ; c’est là que la, beauté peut trouver un asile discret pour parler de ses amours !

IX.

Qui n’admirerait la noble architecture de ce château d’où le cor annonce l’arrivée des rois ? Qui ne se plairait sous les noisetiers d’Auchendinny et près de Woodhouselee qu’habite un blanc fantôme.

Qui ne connaît les bocages de Melville, les vallons de Roslin, Dalkeith, asile de toutes les vertus, et Hawthorden, que le nom de Drummond a rendu classique ?

X.

Cependant le pèlerin évite tous ces lieux enchanteurs, et chaque jour il suit le sentier solitaire qui conduit à la ferme incendiée de Burndale.

Ce lieu est d’un aspect triste ; le désespoir seul pourrait s’y plaire ; les murs en ruines semblent menacer de leur chute celui qui s’en approche, et la toiture est noircie par les traces du feu.

XI.

C’était un soir d’été ; les rayons affaiblis du jour arrêtés sur la crête de Carnethy la nuançaient d’une teinte de pourpre.

La coche du couvent annonçait l’heure des vêpres dans les chênes de Newbattle ; à l’hymne de la Vierge céleste se mêlait la voix solennelle de l’airain.

XII.

Le vent apporta les derniers sons de cette harmonie religieuse à l’oreille du pèlerin au moment où il s’avançait dans le sentier accoutumé.

Plongé dans ses rêveries profondes, il levait enfin les yeux lorsqu’il fut parvenu à ce séjour mélancolique où l’œil ne pouvait apercevoir que des ruines.

XIII.

Il soupira avec amertume en contemplant ces murs calcinés, et un moine de Saint-Benoît étendu sur une pierre.

— Que le Christ t’écoute, dit le serviteur du ciel : tu es sans doute quelque pèlerin malheureux ? Lord Albert le fixe avec des yeux surpris et attristés, mais il ne répond rien.

XIV.

— Viens-tu de l’Orient ou de l’Occident ? demanda le moine. Apportes-tu de saintes reliques, as-tu visité la châsse de saint Jacques de Compostelle, ou viens-tu de la chapelle de saint Jean de Beverley ?

— Je ne viens point du pèlerinage de Compostelle ; je n’apporte point des reliques d’Orient, mais j’apporte une malédiction de notre Saint-Père le pape, une malédiction qui me suivra partout.

XV.

— Cesse de le croire, infortuné pèlerin. ! Fléchis le genou devant moi, et confesse ton crime afin que je puisse t’absoudre.

— Et qui es-tu, moine, pour avoir le droit de me remettre mes péchés, lorsque celui qui tient les clefs du ciel et de la terre n’a pu m’en accorder le pardon.

XVI.

— Je viens, dit le moine, d’un climat lointain ; j’ai parcouru plus de mille lieues exprès pour venir absoudre un coupable d’un crime commis dans ce lieu même.

Le pèlerin s’agenouilla, et commença en ces termes sa confession, pendant que le moine appuyait une main glacée sur sa tête humblement fléchie…..........


NOTES.


note 1. — Paragraphe ix.

La baronnie de Pennycuik, appartenant à sir George Clerk, soumet son propriétaire à une singulière obligation : il est tenu de monter sur un large quartier de roche, et d’y donner trois fois du cor chaque fois que le roi vient chasser dans le Borough-Muir. On admire à juste titre le château de Pennycuik, tant pour son architecture que pour le paysage qui l’avoisine.

note 2. — Même Paragraphe.

Auchendinny sur l’Esk, en dessous de Pennycuik, est la demeure actuelle de l’ingénieux H. Mackenzie, auteur de l’Homme sensible (the Man of feeling).

note 3. — Même Paragraphe. — Roslin, Dalkeith

Le château et la vallée romantique de Roslin, jadis habité par la famille de Saint-Clair, appartient aujourd’hui, au comte de Roslin. Dalkeith est la résidence de la famille Buccleuch.

LE ROI DU FEU

«Il porte avec lui les bénédictions des mauvais génies, qui sont des malédictions véritables.»
Conte oriental


Cette ballade fut composée à la demandé de M. Lewis pour être insérée dans ses Contes merveilleux. Elle est la troisième des quatre qui forment la série consacrée aux esprits élémentaires. Cependant l’apostasie du comte Albert est presque historique. On lit dans les Annales des croisades qu’un chevalier du Temple, appelé Saint-Alban, passa du côté des Sarrasins et défit les chrétiens dans plusieurs batailles, jusqu’à ce qu’il périt lui-même sous les murs de Jérusalem de la main de Baudouin.


BALLADE

I.

Vaillans chevaliers et belles dames, prêtez l’oreille aux accords de ma harpe ; je vais vous parler d’amour, de guerre et de prodiges ; peut-être, au milieu de votre bonheur, donnerez-vous un soupir à l’histoire du comte Albert de la tendre Rosalie.

II.

Voyez-vous ce château sur le roc escarpé ? Voyez-vous cette jeune beauté les larmes aux yeux ? Voyez-vous ce pèlerin qui revient de la Palestine ? Des coquillages ornent son chapeau il tient un bourdon à la main.

III.

Bon pèlerin, dis-moi, je t’en supplie, dis-moi quelles nouvelles tu apportes de la Terre-Sainte ? où en est la guerre sous les remparts de Solime ? que font nos guerriers, la fleur de notre noblesse ?

IV.

— La victoire nous sourit sur les rives du Jourdain ; nous avons conquis Gilead, Nablous et Ramah. Le ciel daigne récompenser la foi de nos chevaliers au pied du mont Liban ; les païens fuient ; les chrétiens triomphent.


V.

Une belle chaîne d’or était entrelacée dans les tresses de ses cheveux ; Rosalie la pose sur la tête blanche du vieux pèlerin : — Bon pèlerin, dit-elle, reçois cette chaîne pour prix des nouvelles que tu as apportées de la Terre-Sainte.

VI.

Mais dis-moi, bon pèlerin, as-tu vu dans la Palestine le vaillant comte Albert ? Lorsque le croissant a pâli devant la croix victorieuse, le comte Albert n’était-il pas le premier des chrétiens au pied du mont Liban ?

VII.

— Belle demoiselle, l’arbre se pare de verdure, le ruisseau promène ses eaux argentées dans le vallon, ce château brave les assaillans, et l’espérance nous flatte et nous séduit : mais, hélas ! belle demoiselle, tout ici-bas ne fleurit que pour mourir.

VIII.

Le feuillage de l’arbre se flétrit, la foudre éclate et consume les murs des châteaux, le cristal limpide des fontaines se trouble, et l’espérance s’envole…. Le comte Albert est prisonnier sur le mont Liban !

IX.

Rosalie se procure un cheval rapide comme l’éclair ; elle s’arme d’une bonne et fidèle épée ; elle s’embarque pour la Palestine, résolue d’aller arracher le comte Albert à l’esclavage du soudan.

X.

Hélas ! le comte Albert se souciait peu de Rosalie, le comte Albert tenait peu à sa foi et à son serment de chevalier. Une belle païenne avait conquis son cœur volage. C’était la fille du soudan qui régnait sur le mont Liban.

XI.

— Brave chrétien, lui a-t-elle dit, veux-tu obtenir mon amour, tu dois faire tout ce que j’exigerai de toi. Adopte nos lois et notre culte, tel est le premier gage de tendresse que te demande Zuléma.

XII.

Descends ensuite dans la caverne où brûle éternellement la flamme mystérieuse qu’adorent les Curdes ; tu y veilleras pendant trois nuits en gardant le silence : ce sera le second gage d’amour que recevra de toi Zuléma.

XIII.

Enfin tu consacreras ton expérience et ta valeur à chasser de la Palestine les profanes chrétiens, j’accepterai alors le titre de ton épouse, car le comte Albert aura prouvé qu’il aime Zuléma.

XIV.

Albert a jeté de côté son casque et son épée, dont la garde figurait une croix ; il a renoncé au titre de chevalier, et a renié son Dieu, séduit par la beauté de la fille du mont Liban ; il a pris le cafetan vert, et paré son front du turban.

XV.

Dès que la nuit arrive, il descend dans le caveau souterrain dont cinquante grilles et cinquante portes de fer défendent l’accès. Il veille jusqu’au retour de l’aurore, mais il ne voit rien si ce n’est la lueur de la flamme qui brûle sur l’autel de pierre.

XVI.

La princesse s’étonne, le soudan partage sa surprise ; les prêtres murmurent en regardant Albert ; ils cherchent dans ses vêtemens, et y trouvent un rosaire, qu’ils lui arrachent et jettent aussitôt.

XVII.

Il redescend dans la caverne, et y veille toute la nuit en écoutant le sifflement lointain des vents ; mais rien d’extraordinaire ne frappe son oreille ou sa vue ; la flamme continue à brûler sur l’autel solitaire.

XVIII.

Les prêtres murmurent ; le soudan s’étonne de plus en plus pendant qu’ils chantent leurs airs magiques. On cherche encore sous les vêtemens d’Albert, et l’on trouve sur son sein le signe de la croix qu’y avait imprimé son père.

XIX.

Les prêtres s’efforcent de l’effacer, et y parviennent avec peine ; l’apostat retourne dans l’antre mystérieux ; mais en descendant il croit entendre quelqu’un qui lui parle à l’oreille : c’était son bon ange qui lui disait adieu.

XX.

Ses cheveux se hérissent sur sa tête, son cœur s’émeut et s’agite ; il recule cinq pas, hésitant de poursuivre sa route ; mais son cœur était endurci…. et bientôt le souvenir de la fille du mont Liban étouffe tous ses remords.

XXI.

À peine a-t-il dépassé le premier arceau de cette voûte souterraine que les vents soufflent des quatre points du ciel ; les portes de fer s’ébranlent et gémissent sur leurs gonds ; le redoutable roi du feu arrive sur l’aile de l’ouragan.

XXII.

La caverne tremble à son approche, la flamme s’élève avec un nouvel éclat ; les explosions volcaniques des montagnes proclament la présence du roi du feu.

XXIII.

L’œil ne peut mesurer sa taille ni distinguer sa forme ; le tonnerre est son souffle, l’orage est sa voix : ah ! sans doute le cœur vaillant du comte Albert s’émut en voyant le roi des flammes environné de toutes ses terreurs.

XXIV.

Sa main tenait une large épée brillant d’une lueur bleuâtre à travers la fumée ; le mont Liban tressaillit en entendant parler le monarque : — Avec cette épée, dit-il au comte, tu vaincras jusqu’au jour où tu invoqueras la Vierge et la croix.

XXV.

Une main à demi voilée par un nuage lui remet le fer enchanté que l’infidèle reçoit en fléchissant les genoux. La foudre gronde dans le lointain, la flamme pâlit au moment où le fantôme se retire sur l’ouragan.

XXVI.

Le comte Albert se réunit aux guerriers païens : son cœur est perfide ; mais son bras est tout-puissant. La croix cède, et le croissant triomphe depuis le jour où le comte a embrassé la cause des ennemis du Christ.

XXVI.

Depuis les cèdres du Liban jusqu’aux rives du Jourdain les sables de Samaar furent inondés du sang des braves ; enfin les chevaliers du Temple et les chevaliers de Saint-Jean vinrent avec le roi de Salem secourir les soldats de la croix.

XXVIII.

Les cymbales résonnent, les clairons leur répondent ; les lances sont en arrêt ; les deux armées en viennent aux mains. Le comte Albert renverse chevaux et cavaliers, et perce les rangs des chrétiens pour rencontrer le roi Baudouin.

XXIX.

Le bouclier orné d’une croix rouge eût été une vaine défense pour le roi chrétien contre l’épée magique du comte Albert ; mais un page se précipite entre les deux adversaires, et fend le turban du fier renégat.

XXX.

Le coup fut si violent que le comte fléchit la tête jusque sur le pommeau de sa selle, comme s’il eût rendu hommage au bouclier du croisé, et il laissa involontairement échapper ces mots : Bonne grâce, Notre-Dame !

XXXI.

L’épée enchantée a perdu toute sa vertu ; elle abandonne la main du comte, et disparaît à jamais ; — il en est qui prétendent qu’un éclair la reporta au redoutable monarque du feu.

XXXII.

Le comte grince les dents ; il étend sa main armée du gantelet, et d’un revers il jette le jeune téméraire sur le sable. Le casque brisé du page laisse voir en roulant ses yeux bleus et les boucles d’or de sa chevelure.

XXXIII.

Le comte Albert reconnaît avec horreur ces yeux éteints et ces cheveux souillés de sang. Mais déjà les Templiers accourent semblables au torrent de Cédron, et le fer de leurs longues lances immole les soldats musulmans.

XXXIV.

Les Sarrasins, les Curdes et les Ismaélites reculent devant ces religieux guerriers ; les vautours se rassasièrent des cadavres de ces infidèles depuis les sources de Bethsaida jusqu’aux collines de Nephtali.

XXXV.

La bataille est terminée sur la plaine de Bethsaida….. Quel est ce païen étendu parmi les morts ? Quel est ce page immobile à ses pieds ? … C’est le comte Albert et la belle Rosalie.

XXXVI.

La jeune chrétienne fut ensevelie dans l’enceinte sacrée de Salem ; le comte fut abandonné aux vautours et aux chacals. Notre-Dame prit en merci l’âme de Rosalie, celle d’Albert fut portée par l’ouragan au roi des flammes.

XXXVII.

Le ménestrel chantait ainsi sur sa harpe le triomphe de la croix et la défaite du croissant. Les seigneurs et les dames soupirèrent au milieu de leur gaieté, en entendant l’histoire du comte Albert et de la belle Rosalie.

THOMAS LE RIMEUR

PREMIÈRE PARTIE.

Il est peu de personnages aussi renommés dans la tradition que Thomas d’Erceldoune, connu par le surnom de Rimeur : réunissant le talent de la poésie à celui de prophétiser, Thomas est encore en grande vénération parmi ses concitoyens, cinq cents ans après sa mort.

Donner une histoire bien avérée de cet homme remarquable, ce serait un travail difficile ; mais les curieux pourront encore nous remercier des particularités que nous avons rassemblées ici.

On convient généralement qu’Erceldoune fut sa résidence et probablement aussi le lieu où naquit cet ancien barde. C’est un village situé sur le Leader, à deux milles au-dessus de sa jonction avec la Tweed. On désigne encore une vieille tour comme le château du Rimeur ; les traditions s’accordent aussi à dire que son surnom était Lermont ou Learmont, et que celui de Rimeur lui fut donné à cause de ses compositions poétiques. Il reste encore cependant quelques doutes à éclaircir à ce sujet. Dans une chartre que nous citons ici[1], le fils de notre poète se désigne par le titre de Thomas d’Erceldoune, fils et héritier de Thomas le Rimeur d’Erceldoune ; ce qui indiquerait que son père ne portait pas le nom héréditaire de Learmont, ou que du moins il était mieux connu et distingué par l’épithète qu’il avait acquise par son mérite personnel.

Je dois remarquer cependant que jusqu’à une époque très reculée ce fut une habitude commune, et même nécessaire parmi les clans des frontières, de désigner les parties contractantes, même dans des écrits importans, par les épithètes qui leur avaient été données pour des qualités personnelles, plutôt que par les surnoms de famille.

Il est plus facile de fixer l’époque à laquelle vivait Thomas d’Erceldoune. C’était à la fin du treizième siècle. Je serais assez d’avis de le faire vivre moins long-temps que ne le veut M. Pinkerton, qui suppose (dans ses Poètes écossais) qu’il vivait encore en 1300 ; ce qui est presque contredit par la date de la chartre déjà citée, où le fils du Rimeur dispose des propriétés de la famille.

On ne peut douter que Thomas d’Erceldoune ne fût un personnage remarquable et important de son temps, puisque peu de temps après sa mort nous le voyons célébré déjà comme prophète et comme poète. Il n’est guère possible de décider si le premier de ces deux titres lui fut conféré gratuitement par la crédulité de la postérité, ou s’il prétendit se l’attribuer de son vivant.

Si nous croyons Mackenzie, Learmont ne fit que mettre en vers les prédictions d’Elisa, nonne inspirée d’un couvent d’Haddington ; mais Mackenzie ne le prouve nullement ; au contraire, tous les anciens auteurs qui citent les prophéties de Thomas les donnent comme de lui.

Quelques doutes qui puissent s’élever parmi les savans, sur la source de la science prophétique du Rimeur, le vulgaire n’a jamais hésité à l’attribuer aux entretiens qu’il eut avec la reine des fées. Un conte populaire dit que Thomas fut emmené dans

sa jeunesse dans le royaume de féerie (fairy land), où il acquit toute la, science qui le rendit depuis si fameux. Après sept ans de séjour dans ces régions fantastiques, il obtint la permission de descendre sur la terre pour éclairer et surprendre ses compatriotes par ses talens prophétiques, mais en restant à la disposition de sa souveraine et ayant promis de retourner à elle aussitôt qu’elle l’exigerait.

En conséquence, pendant que Thomas se réjouissait avec ses amis dans son château d’Erceldoune, une personne vint lui annoncer avec toutes les marques de la crainte et de l’étonnement qu’un cerf et une biche avaient abandonné la forêt voisine et se promenaient librement dans le village : le prophète se leva au même instant, alla trouver les deux animaux, les suivit, et ne revint plus. Selon la croyance populaire, il habite encore le pays des fées. Quelque jour, à ce qu’on prétend, il viendra rendre de nouveau visite aux habitans de la terre ; en attendant, sa mémoire est en grande vénération. L’arbre d’Eildon, sous lequel il débitait ses prophéties, n’existe plus, mais la place est marquée par une large pierre, appelée la pierre d’Eildon ; un ruisseau voisin est désigné par le nom de Bogle-Burn (ruisseau des esprits), à cause des entretiens que le barde avait avec eux.

Le respect dont on entourait le lieu où habita Thomas d’Erceldoune s’étendit même à un certain degré jusque sur un homme qui choisit pour sa résidence la tour en ruines de Learmont, à une époque moderne : c’était une espèce d’herboriste appelé Murray, qui parvint à se faire pendant plusieurs années une réputation de sorcier par quelque connaissance des simples, la possession d’une horloge musicale, une machine électrique et un alligator empaillé, mais surtout par ses communications supposées avec Thomas le Rimeur.

Il eût paru impardonnable à l’auteur, en donnant la ballade suivante, de se contenter d’un simple commentaire, quand il s’agit d’un personnage aussi important dans nos traditions que Thomas le Rimeur.

Cette ballade est tirée d’un manuscrit que nous a confié une dame qui habite près d’Erceldoune ; elle a été corrigée et augmentée dans la copie de mistress Brown.

L’auteur s’est hasardé d’y ajouter une seconde partie qui forme une espèce de centon tiré des prophéties communément attribuées au Rimeur, et une troisième tout-à-fait moderne, fondée sur la tradition qui fait retourner Thomas au pays des fées avec le cerf et la biche.

Pour me concilier le suffrage des antiquaires, plus difficiles, j’ai ajouté à la seconde partie quelques remarques sur les prédictions de Learmont.


I.

Thomas était couché sur les rives de l’Huntlie : il aperçut soudain un spectacle merveilleux ; une dame brillante de beauté descendit de son palefroi auprès de l’arbre d’Eildon.

II.

Sa robe était de soie verte, son manteau d’un riche velours ; à la crinière flottante de son coursier pendaient cinquante-neuf clochettes d’argent.

III.

Thomas se découvre la tête, et fait une profonde salutation… — Salut, dit-il, puissante reine du ciel, car je n’ai jamais vu ton égale sur la terre.

IV.

— Non, Thomas, répondit-elle, non, ce titre ne m’appartient pas : je ne suis que la reine du pays des fées. Je viens ici pour te visiter.

V.

— Prends ta harpe, et suis-moi, Thomas, répétait-elle, et si tu oses approcher tes lèvres des miennes, ce baiser me rendra maîtresse de toi.

VI.

— Advienne ce que pourra ; heur ou malheur, dit-il, ce destin ne saurait jamais m’effrayer.

Thomas baisa ses lèvres de rose sous l’arbre d’Eildon.

VII.

— Maintenant, reprit-elle, Thomas, tu es obligé de me suivre ; tu me serviras pendant sept ans, qu’il t’arrive heur ou malheur.

VIII.

Elle remonte sur son palefroi couleur de lait ; elle prend Thomas en croupe ; et, docile à la main qui guide ses rênes, le coursier vole rapide comme le vent.

IX.

Ils voyagèrent bien loin : rien ne ralentissait l’ardeur du coursier, jusqu’à ce qu’ils atteignirent un vaste désert, laissant derrière eux la terre habitée par les hommes.

X.

— Descends, fidèle Thomas, descends, dit la reine des fées ; appuie ta tête sur mes genoux… repose-toi quelques instans, et je te montrerai trois prodiges.

XI.

— Ne vois-tu pas ce sentier étroit, embarrassé par les épines et les broussailles… c’est le sentier de la vertu ; peu de gens le cherchent.

XII.

— Ne vois-tu pas cette route qui serpente au milieu des fleurs ? … C’est le chemin du vice, quoique quelques-uns l’appellent le chemin du ciel.

XIII.

— Ne vois-tu pas ce joli sentier qui tourne dans la bruyère ? … c’est le sentier qui mène au beau royaume des fées, où nous devons, toi et moi, nous rendre cette nuit.

XIV.

— Mais, Thomas, tu retiendras ta langue, quelque chose que tu puisses entendre ou voir ; car si tu prononces une parole dans le pays des fées, tu ne retourneras plus dans ta terre natale.

XV.

Ils remontèrent sur le palefroi, et voyagèrent bien loin. Ils traversèrent des rivières, ayant de l’eau jusqu’au genou, et ne voyant ni soleil ni lune, mais entendant le mugissement de la mer.

XVI.

Il était nuit, et la nuit était sombre et sans étoiles : Ils marchèrent dans une mer de sang ; car tout le sang qui se répand sur la terre va se mêler aux ruisseaux de cette contrée.

XVII.

Ils arrivèrent enfin dans un jardin vert. La reine cueillit une pomme sur l’arbre, et l’offrant à Thomas : — Reçois, dit-elle, ce fruit pour ta récompense ; il te donnera une langue qui ne pourra jamais mentir.

XVIII.

— Je ne pourrai donc plus disposer de ma langue, dit Thomas ; vous me faites là un don précieux ! Je ne pourrai donc plus acheter ni vendre en quelque lieu que je me trouve ?

XIX.

— Je ne pourrai donc plus parler à un prince ou à un seigneur, ni demander aucune grâce à une belle dame !

— Silence ! reprit la reine en l’interrompant ; il en sera comme j’ai dit.

XX.

Thomas fut revêtu d’un manteau de drap uni ; il chaussa des sandales de velours vert, et pendant sept ans on ne le vit plus reparaître sur la terre.



SECONDE PARTIE

Ce sont surtout les prophéties attribuées à Thomas d’Erceldoune qui ont consacré sa mémoire parmi les enfans de sa nation. L’auteur de sir Tristrem serait allé depuis long-temps joindre dans la vallée de l’oubli Clerk de Tranent, qui écrivit les aventures de Schir Gawain. Mais, par bonheur, la même superstition qui fait que les lazzaroni de Naples regardent Virgile comme un magicien, a élevé le barde d’Erceldoune au rang de prophète.

Peut-être lui-même y prétendit-il pendant sa vie. Nous savons du moins que déjà peu de temps après sa mort on parlait de ses connaissances surnaturelles. Ses prédictions sont citées par Barbour et par Winton, vulgairement appelé Barry l’aveugle.

Aucun de ces auteurs cependant ne donne le texte des prophéties du Rimeur ; mais ils se contentent de raconter en historiens qu’il a prédit les événemens dont ils parlent.

La plus moderne des prophéties attribuées à Thomas d’Erceldoune est citée par M. Pinkerton d’après un manuscrit. C’est une réponse supposée faite à la comtesse de March, cette héroïne renommée par la défense du château de Dunbar contre les Anglais, et appelée dans le dialecte familier de son temps la noire Agnès de Dunbar. Comme je n’ai jamais vu le manuscrit où sir Pinkerton a puisé cet extrait, et que ce savant en fixe, la date au règne d’Édouard <span title="Nombre Ier écrit en chiffres romains" style="text-transform:uppercase;">Ier, je me hasarde avec peine à le déclarer apocryphe.

Si j’osais me permettre une conjecture, je dirais que cette prophétie avait été arrangée en faveur des Anglais contre l’indépendance de l’Écosse. Il en est de même de celle qu’on supposa pour le régent duc d’Albany.

Le nom de Thomas d’Erceldoune a servi plusieurs fois d’autorité, et outre ces prophéties, publiées sous son nom, Gildas, personnage fictif, est supposé lui devoir toute sa science ; car il conclut en ces termes : — Voilà ce que m’a révélé dans des temps de malheur le véridique Thomas sur les collines d’Eildon.

Dans le recueil des prophéties écossaises réunies par Hart, le prophète Berlington dit aussi : — Merveilleux Merlin, et toi., Thomas, interprète de l’avenir !

Puisque ce nom se présente, je demanderai la permission aux antiquaires d’appeler leur intention sur Merdwynn-Wyllt ou Merlin le sauvage, auteur des prophéties écossaises, qu’on ne doit point confondre avec Ambroise Merlin, l’ami d’Arthur.

Fordun nous apprend que ce personnage a habité Drummelziar, où il errait dans les bois comme un autre Nabuchodonosor, pleurant le meurtre de son neveu. Dans le Scotichronicon il est rapporté une entrevue entre saint Kentigern et Merlin, surnommé alors Lailovren à cause de son genre de vie. Le saint lui commande de raconter son histoire ; il dit alors que la pénitence qu’il accomplit lui a été imposée par une voix du ciel. Selon sa propre prédiction, Merlin périt à la fois par le bois, la terre et l’eau ; car étant poursuivi à coups de pierres par des paysans, il tomba dans la Tweed, et fut transpercé par un pieu aigu qui avait été fixé à cet endroit pour placer un filet.

Sude perfossus, lapide percussus et unda,
Hœc tria Merlinum fertur mire necem.
Sicque ruit, mersusque fuit, lignoque pependit,
Et fecit vatem per terna pericula verum.

Mais dans une histoire en vers de Merlin de Calédonie, compilée par Geoffroy de Monmouth sur les traditions des poètes gallois, ce genre de mort est la destinée d’un page qu’une sœur de Merlin, qui désirait faire passer son frère pour un faux prophète, parce qu’il avait découvert ses intrigues, envoya sous trois déguisemens lui demander de quelle mort il périrait. La première fois Merlin répondit à celui qui le consultait qu’il périrait en tombant d’un rocher, la seconde qu’il mourrait par un arbre, et la troisième en se noyant ; ce qui arriva en effet au page, à peu près comme Fordun veut qu’il soit arrivé à Merlin lui-même.

En opposition avec les autorités galloises, Fordun confond ce second Merlin avec le Merlin d’Arthur. Mais il conclut en nous assurant que plusieurs auteurs en reconnaissaient deux.

Le tombeau de Merlin est montré aux étrangers à Drummelziar, dans la vallée de Teviot, sons une antique aubépine. Au couchant du cimetière, le ruisseau appelé Pansayl tombe dans la Tweed, et la prophétie suivante courut, dit-on, au sujet de la réunion des eaux de la Tweed et du Pansayl.

Quand la Tweed et le Pansayl se réuniront au tombeau de Merlin, l’Écosse et l’Angleterre n’auront plus qu’un monarque.

Le jour du couronnement de Jacques VI la Tweed déborda, et joignit en effet le Pansayl, au tombeau du prophète.

La mémoire de Merlin était en vénération en Écosse sous le règne de Jacques V. Waldhave, sous le nom duquel un livre de prophéties fut publié, se représente lui-même comme étendu sur le sommet du Lomond-Law, lorsqu’il entendit une voix qui lui criait de se tenir sur la défensive. Il tourne la tête, et aperçoit un troupeau de lièvres et de renards, poursuivis sur les montagnes par une espèce de sauvage auquel on avait de la peine à donner le nom d’homme. À la vue de Waldhave, le chasseur abandonne ces animaux qui fuyaient devant lui, et l’attaque avec une massue. Waldhave se défend avec son épée, jette le sauvage par terre, et refuse de le laisser se relever, jusqu’à ce qu’il lui ait juré par le Law et la cabane qu’il habite de ne lui faire aucun mal. À cette condition, il lui permet de se remettre sur ses pieds, et s’étonne de son aspect extraordinaire.

Il était fait comme un homme qui a ses quatre membres ; mais une barbe si épaisse couvrait son menton et ses joues ; ses cheveux étaient si touffus, qu’il faisait peur.

Il répond en peu de mots à Waldhave ce que Fordun lui fait dire à saint Kentigern.

Les prophéties de Merlin, comme celles de Thomas, semblent avoir été très-recherchées sous la minorité de Jacques V ; car, parmi les amusemens que sir David Lindsay procurait à ce prince pendant son enfance, il compte :

Les Prophéties du Rimeur, de Merlin et de Bède.

(Sir David Lindsay, Epître au Roi .)

Avant de terminer cette espèce de dissertation sur les prophéties de notre pays d’Écosse, il est juste de remarquer que plusieurs vers qui passent pour des boutades prophétiques de Thomas sont encore en faveur parmi le peuple. C’est ainsi qu’on répète souvent ce qu’il a prédit au sujet de l’ancienne famille de Haig de Bemerside :

— Advienne que pourra, Haig de Bemerside aura toujours un enfant mâle.

Le grand-père du propriétaire actuel de Bemerside eut douze filles avant que sa femme pût lui donner un garçon. Le peuple tremblait pour la réputation de son prophète favori ; Sir M. J. Haignaquit enfin, et Thomas le Rimeur fut prophète plus certainement que jamais.

Une autre prédiction mémorable dit que la vieille église de Kelso, construite sur les ruines de l’abbaye, s’écroulera qu’elle sera pleine. Il y a trente ans que, pendant un sermon qui avait attiré une assemblée nombreuse, il tomba un morceau de plâtre de la voûte. L’alarme devint universelle, et heureux les fidèles qui se trouvèrent les plus voisins de la porte. J’espère, pour la conservation d’un des plus beaux monumens de l’architecture saxo-gothique, que la prédiction de Thomas ne s’accomplira pas de long-temps.

Corspatrick (Côme Patrick), comte de March, mais prenant plus souvent le titre de comte de Dunbar, joua un rôle important pendant la guerre d’Écosse sous Edouard <span title="Nombre Ier écrit en chiffres romains" style="text-transform:uppercase;">Ier.

Comme Thomas d’Erceldoune avait fait à ce seigneur la prédiction de la mort d’Alexandre, j’ai cru devoir l’introduire dans la ballade suivante. Tous les vers prophétiques sont tirés du recueil publié par M. Hart.


I.

Lorsque sept années se furent écoulées, un jour que le soleil brillait sur le lac et la rivière, Thomas se retrouva sur les bords de l’Huntlie, comme s’il se réveillait après un songe.

II.

Il entendit les pas bruyans d’un coursier ; il vit étinceler une armure ; un vaillant chevalier se dirigeait d’une course rapide vers l’arbre d’Eildon.

III.

C’était un chevalier de grande taille et qui semblait de la race des géans ; il piquait les flancs de son palefroi avec des éperons d’or d’une forme élégante.

IV.

— Sois le bienvenu, dit-il à Thomas, sois le bienvenu ; révèle-moi quelque étrange merveille.

Thomas répond : — Que le Christ veille sur toi, brave Corspatrick, généreux comte de Dunbar ; sois trois fois le bienvenu)

V.

Descends près de moi, brave Corspatrick, et je te découvrirai trois grands malheurs qui menacent la belle Écosse, et qui doivent changer ses habits de fête en habits de deuil.

VI.

Un orage gronde en ce moment depuis les collines de Ross jusqu’à la mer de Solway.

— Tu mens, tu mens, vieux magicien ! car le soleil brille sur la terre et sur les flots.

VII.

Thomas mit la main sur la tête du comte, et lui fit voir un rocher du côté de la mer, où un monarque était étendu sans vie sous son coursier, et ses nobles chevaliers essuyaient leurs yeux humides.

VIII.

— La seconde malédiction que je t’annonce s’accomplira sur les collines de Branxton : au milieu des fougères de Flodden flottera une bannière rouge comme le sang, sous laquelle marcheront des Chefs valeureux.

IX.

— Un roi d’Écosse viendra à leur rencontre ; il porte le lion sur son écu ; une flèche empennée, lancée par une main ennemie, le renversera sur le champ de bataille.

X.

En voyant couler le sang de la blessure, il dit encore à ses guerriers : — Pour l’amour du ciel, faites face à ces soldats du Sud, et forcez la victoire à vous suivre ! Pourquoi perdrais-je aujourd’hui mes droits ? Ce n’est pas aujourd’hui que je dois mourir.

XI.

— Maintenant, comte, tourne les yeux du côté de l’orient, et tu verras un spectacle de malheur : quarante mille soldats armés de lances sont rangés en bataille près du lieu où la rivière se perd dans la mer.

XII.

— C’est là que le lion perdra sa dorure, entièrement effacée par les léopards. Que de noble sang sera versé ce jour-là auprès de Pinkyn !

XIII.

— C’est assez, dit le comte, me montrer de revers ; fais-moi voir maintenant quelque heureux événement, ou sur ma foi, tu maudiras le jour où tu rencontras Corspatrick.

XIV.

— La première des bénédictions que je te vais révéler s’accomplira près du ruisseau de Bannock-Burn[2]; c’est là que les Saxons maudiront leurs arcs, en voyant leurs flèches tromper leur adresse.


XIV.

— Non loin d’un pont qui n’existe pas encore, au lieu où l’onde du ruisseau est limpide et brillante, maint coursier roulera sur le sable et maint chevalier recevra le trépas.


XVI.

— Au pied d’une croix de pierre, les léopards verront échapper leur proie ; les corbeaux viendront se désaltérer dans le sang des Saxons, la croix de pierre disparaîtra sous les cadavres amoncelés.


XVII.

— Mais dis-moi, demanda le vaillant Dunbar, dis-moi, véridique Thomas, qui gouvernera alors l’île de la Grande-Bretagne, depuis le nord jusqu’aux mers du sud ?


XVIII.

— C’est d’une reine française que doit naître celui qui régnera sur la Grande-Bretagne. Il appartiendra au sang de Bruce jusqu’au neuvième degré.


XIX.

— Les mers les plus éloignées respecteront sa race ; les habitans de nos îles parcourront l’immense plaine de l’Océan avec des rênes de chanvre et des coursiers de bois.

TROISIÈME PARTIE.

Thomas le Rimeur fut célèbre parmi ses contemporains comme auteur du fameux roman de sir Tristrem. Il n’existe qu’une copie connue de ce poème jadis si généralement admiré ; on la trouve dans la bibliothèque des avocats d’Édimbourg.

L’auteur publia en 1804 une édition de cet ouvrage curieux : si elle ne ressuscite pas la grande réputation du barde d’Erceldonne, elle donne du moins un modèle de la poésie écossaise la plus ancienne qu’on ait jamais publiée. Elle nous avait déjà fait connaître quelque chose de ce roman poétique dans son Choix d’anciennes poésies, vol. I, pag. 165 ; ouvrage auquel nos prédécesseurs et la postérité sont également redevables, ceux-là parce qu’il est un monument de leur littérature, ceux-ci parce qu’ils y trouvent une histoire de la langue anglaise qui sera intéressante aussi long-temps que le génie et la science qui l’ont illustrée.

Il doit suffire ici de dire que le roman de sir Tristrem était tellement renommé, que peu de personnes étaient jugées capables de le réciter comme l’auteur lui-même.

Il paraît, d’après un manuscrit curieux du treizième siècle, qui contient un roman en vers de sir Tristrem., que l’ouvrage de notre Thomas le Rimeur était connu et cité par les ménestrels de la Normandie et de la Bretagne : arrivé à un passage du Roman où les rhapsodes de ces temps féodaux différaient dans leurs versions, le barde français cite expressément l’autorité du poète d’Erceldonne :

Plusurs de nos granter ne volent
Co que del naim dire se solent,
Ki femme Kaberdin dut aimer,
Li naim redut Tristram narrer,
E entusché par grant engin,
Quant il afole Kaherdin ;
Pur cest plaie e pur cest mal,
Enveiad, Tristran Guvernal,
En Engleterre pur Ysolt
Thomas ico granter ne volt,
Et si volt pur raisun mostrer,
Qu’ico ne put pas esteer, etc., etc., etc.

L’histoire de sir Tristrem, du manuscrit d’Édimbourg, diffère totalement du volumineux roman en prose compilé jadis par Rusticien de Pise et analysé par M.  le comte de Tressan ; mais elle est d’accord dans toutes les particularités essentielles avec le poème que je viens de citer, et qui est d’une antiquité beaucoup plus reculée.


I.

— Pendant sept ans le soleil avait parcouru son cercle accoutumé, la guerre exerçait ses fureurs en Écosse, et le Ruberslaw montrait au Dunyon sa cime couronnée de la flamme rouge des signaux.

II.

Aux alentours de Coldingknow des pavillons s’élèvent dans la plaine. Les cimiers des casques et les fers des lances étincellent dans les touffes du genêt.

III.

Le Leader, roulant ses ondes vers la Tweed, entend résonner l’ensenzie[3] sur ses rives ; les chevreuils tressaillent et fuient depuis Caddenhead jusqu’aux bois lointains de Torwoodlee.

IV.

On donne un grand festin à Erceldoune, dans l’antique château de Learmont : des chevaliers de renom et des dames vêtues de manteaux brodés d’or sont conviés au banquet.

V.

Ils n’attendirent pas vainement à table la musique et les agréables récits, les coupes remplies d’un rouge nectar, et les quaighs[4] couronnée de la mousse argentée de l’ale.

VI.

Quand le festin fut terminé, le prophétique Thomas se leva la harpe à la main (harpe magique qu’il avait obtenue pour prix de ses chants dans le royaume de féerie).

VII.

Le silence règne parmi les convives ; immobiles et muets, les harpistes pâlissent d’envie ; les lords armés s’appuient sur la garde de leurs épées, prêtant une oreille attentive.

VIII.

Le prophète commence ses chants magiques sur un mode élevé ; aucun des bardes qui sont venus après lui n’a osé les continuer.

IX.

Des fragmens de ses nobles récits flottent encore sur le fleuve des années, comme on voit après la tempête les débris d’un naufrage surnager sur les vagues.

X.

Il chanta la table ronde d’Arthur et le chevalier du Lac ; il dit comment le courtois Gawaine combattit avec valeur, et versa son sang pour l’amour des dames.

XI.

Mais ce fut surtout Tristrem et ses exploits que célébrèrent ses mélodieux accons. Aucun chevalier du temps d’Arthur ne surpassa le chevalier de Lionel.

XII.

Il reçut une blessure empoisonnée en soutenant les droits d’un oncle sans courage ; ce fut pour le roi Marc qu’il immola le farouche Morolt sur le rivage d’Irlande.

XIII.

Aucun secret ne pouvait arrêter les progrès du poison ; l’art d’Esculape échouait lorsque la main de lis de l’aimable Isolde[5] sonda la fatale blessure.

XIV.

Sa douce main et ses tendres paroles eurent plus de vertu que les simples ; et, pendant qu’elle se penchait sur sa couche, Tristrem la paya de ses soins en lui donnant son cœur.

XV.

Présent funeste ! hélas ! une destinée ennemie a déjà condamné Isolde à être la reine de Cornouailles ; elle est promise en mariage à l’oncle de Tristrem.

XVI.

Le barde aimé des fées célèbre en vers mélodieux leurs amours et leurs malheurs ; il chante les fêtes où brillèrent tant de nobles chevaliers et de belles dames.

XVII.

La garde joyeuse jetait partout son brillant éclat, et les merveilles du vallon enchanteur d’Avallon furent décrites par le ménestrel.

XVII.

Il n’oublia pas Brengwain, Segramore, ni la science magique de Merlin. — Qui pouvait chanter comme Thomas les charmes puissans de ce fameux enchanteur ?

XIX.

Ses accords séduisans et variés firent passer tous les cœurs d’une passion à un autre, jusqu’à ce que les convives se crurent transportés autour du lit de Tristrem mourant.

XX.

Les cicatrices de ses anciennes blessures se sont ouvertes ; son cœur souffre une cruelle agonie ! où est la main blanche d’Isolde, où sont ses douces paroles ?

XXI.

Elle arrive, elle arrive ! les amans volent comme l’éclair ; … elle arrive, elle arrive !… Elle n’arrive que pour voir expirer Tristrem.

XXII.

Elle mêle dans un baiser son dernier soupir au sien ; le couple le plus aimable qu’eût produit la Bretagne est réuni par la mort. —

XXIII.

La harpe s’est tue… ses derniers sons meurent doucement à l’oreille : les convives silencieux restent immobiles et penchés ; ils semblent écouter encore.

XXIV.

Bientôt la douleur éclate en faibles murmures ; ce ne sont pas les dames seules qui soupirent ; mais, honteux à demi, maint rude guerrier essuie ses joues basanées avec son gantelet de fer.

XXV.

Les vapeurs du soir sont suspendues sur les ondes du Leader et sur la tour de Learmont : chaque guerrier va chercher le repos dans le camp ou dans le château.

XXVI.

Lord Douglas, étendu dans sa tente, rêvait au mélancolique récit de Thomas, lorsque des pas légers viennent, dans l’ombre, frapper l’oreille du guerrier.

XXVII.

Il tressaille et se dresse : — Debout ! Richard, debout ! dit-il ; lève-toi, mon page ; quel téméraire ose donc venir pendant la nuit au lieu où Douglas repose ?

XXVIII.

Le seigneur et son page sortent de leur tente ; ils se dirigent vers les flots du Leader, et voient sur ses rives un spectacle étrange : c’étaient un cerf et sa biche, blancs comme la neige qui tombe sur Fairnalie

XXIX.

Ils marchent de front au clair de la lune, levant fièrement la tête ; ils ne sont point effarouchés par la foule qui accourt pour les voir passer.

XXX.

Un jeune page léger à la course est dépêché au château de Learmont ; Thomas, entendant son message, se lève en sursaut, et s’habille à la hâte.

XXXI.

Pâlissant et rougissant tour à tour, il ne dit que ces trois paroles : — Le sable de ma vie est écoulé ; le fil de mes jours est filé ; ce prodige me regarde.

XXXII.

Il suspend sa harpe magique à ses épaules, à la manière des ménestrels ; ses cordes, que le vent fait vibrer, jettent un son mourant et mélancolique.

XXXIII.

Il part ; il tourne souvent la tête pour voir son antique château ; les rayons d’une lune d’automne versaient une douce lumière sur les créneaux noircis de la tour.

XXXVI.

L’onde argentée du Leader s’agitait en flots lumineux dans une perspective lointaine ; les sommets imposans du Soltra se groupaient en masses obscures.

XXXV.

— Adieu, château gothique de mon père, adieu pour long-temps, dit-il ; tu ne seras plus le rendez-vous des plaisirs, de la magnificence et du pouvoir.

XXXVI.

— Il n’y aura plus un pouce de terre qui porte le nom de Learmont, et le lièvre laissera ses petits sur ton foyer hospitalier.

XXXVII.

— Adieu, adieu, s’écria-t-il encore en détournant les yeux ; adieu, onde argentée du Leader ; adieu, château d’Erceldoune !

XXXVIII.

Le cerf et la biche s’approchèrent de lui pendant qu’il s’éloignait à regret ; et là, devant Douglas, il traversa le fleuve avec ses deux guides.

XXXIX.

Lord Douglas sauta sur son coursier noir comme le jais, et le lança dans les flots du Leader ; mais vainement les suivit-il avec la rapidité de l’éclair, il ne les revit plus.

XL.

Les uns dirent qu’ils avaient poursuivi leur voyage merveilleux du côté des collines, les autres du côté du vallon ; mais on ne vit plus parmi les hommes Thomas d’Erceldoune,

PRÉCIS

DE L’HISTOIRE

DE SIR TRISTREM[6].

CHANT PREMIER.

i à xvi.

Le poète annonce qu’il va raconter la naissance et les aventures de sir Tristrem, telles qu’elles lui ont été communiquées par Thomas d’Erceldoune. Il déplore la dégénération de son siècle, comparable au changement que doit produire l’approche de l’hiver sur l’aspect des champs et des bois.

Tout à coup, sans transition, le narrateur commence le récit d’une guerre entre deux Chefs féodaux, le duc Morgan et Roland Rise, seigneur d’Ermonie. Ce dernier est victorieux : une trève de sept ans est conclue ; Roland se rend à la cour de Marc, roi de Cornouailles.

Dans un tournois qui a lieu à la cour du roi de Cornouailles, Roland remporte la gloire de la journée, et en même temps gagne le cœur de la princesse Blanche-Fleur, sœur du roi Marc. La princesse découvre son amour à ses précepteurs. Ici le poète place un éloge obscur de la bravoure et des qualités aimables de Roland Rise.

La princesse Blanche-Fleur se rend en secret à la chambre du chevalier blessé, et sir Tristrem doit sa naissance à cette clandestine entrevue. Bientôt un vassal fidèle informe Roland que ses domaines sont envahis par le duc Morgan, malgré la trêve. La princesse ne veut pas laisser partir son amant sans elle ; elle l’accompagne quand il retourne à la défense de ses États. Ils fuient avec mystère ; ils s’arrêtent dans un château appartenant à Roland, et reçoivent la bénédiction nuptiale. Cependant le duc Morgan s’avance à la tête d’une puissante armée.

xvii à xxx.

Une grande bataille est livrée : Roland a d’abord l’avantage ; mais le duc reçoit des renforts ; et, malgré des prodiges de valeur, Roland est vaincu et tué par trahison. C’est au milieu des cruelles douleurs de l’enfantement que Blanche-Fleur apprend la mort de son époux : elle met Tristrem au monde. La malheureuse mère, après l’avoir recommandé aux soins de Rohan, seigneur dévoué à son époux, expire au milieu des sanglots et des lamentations de ses femmes. Avec l’enfant, Rohan a reçu une bague de Blanche-Fleur, destinée à prouver la parenté de Tristrem avec le roi Marc.

Rohan, pour plus de sûreté, fait passer son pupille pour son fils, et change son nom par l’inversion des deux syllabes qui, le composent. On appelle donc Tristrem, Tremtris.

Cependant le duc Morgan devient le maître absolu des domaines d’Ermonie, et Rohan lui rend un hommage contraint et simulé. Il s’occupe de l’éducation de Tristrem, dont le poète décrit les détails depuis l’enfance du héros jusqu’à sa quinzième année. Tristrem devient habile dans l’art des ménestrels, dans celui de la chasse, et dans tous les exercices de la chevalerie.

Un navire norwégien arrive. La cargaison consiste en un trésor et en faucons. Tristrem apprend que le capitaine défie tout le monde au jeu d’échecs, en pariant vingt shillings. Rohan et ses fils, avec Tristrem, se rendent à bord du vaisseau norwégien. Tristrem joue aux échecs avec le capitaine, et lui gagne six faucons et cent livres sterling. Rohan retourne à terre, laissant à bord Tristrem, qui continue une partie d’échecs, sous la surveillance de son précepteur. Le capitaine, pour ne pas payer ce qu’il a perdu, renvoie le précepteur seul dans un bateau, et met à la voile en emmenant Tristrem.

xxxi à L.

Le vaisseau norwégien est battu par une cruelle tempête, et les matelots l’attribuent à l’injustice dont ils se sont rendus coupables.

En réparation, ils paient à Tristrem ce qu’il a gagné, et le déposent à terre dans un pays inconnu. Tristrem se recommande à la Providence, et la supplie d’être son guide et sa protection.

Le narrateur interrompt ici son récit pour nous garantir l’authenticité de tout ce que Thomas a vérifié par des recherches minutieuses. Il décrit ensuite l’habillement de Tristrem. Ayant réparé ses forces avec quelques alimens que les Norwégiens avaient laissés en le débarquant, Tristrem traverse une forêt dans laquelle il rencontre deux pèlerins ; il leur demande où il est ; en réponse à cette question, les pèlerins lui apprennent qu’il est en Angleterre. Tristrem leur offre une récompense de dix shillings, s’ils consentent à le conduire à la cour du roi. Les pèlerins consentent volontiers à lui servir de guides.

Dans leur route, ils rencontrent une compagnie de chasseurs : Tristrem est scandalisé de la maladresse avec laquelle ils mettent en quartiers les cerfs qu’ils ont tués. — Pourquoi, leur dit-il, écorcher si follement votre gibier ? C’est un martyre. — Un officier ou un ancien répond à Tristrem : Nous suivons la méthode de tout temps adoptée dans notre pays ; mais nous consentirons à en apprendre une meilleure, si vous voulez bien découper un cerf pour notre instruction.

Tristrem se met à l’ouvrage, et découpe en effet le cerf d’après les règles de l’art ; puis il enseigne aussi aux chasseurs la fanfare de triomphe appelée la mort. Tout ceci se passe en Cornouailles. Le roi Marc apprend bientôt qu’il est arrivé un savant chasseur dans ses États : c’est une découverte importante dont il se réjouit ; l’air nouveau le charme surtout. Il veut voir Tristrem, qui s’est acquitté d’un devoir en instruisant l’ignorance.

li à lxxiii.

Tristrem est présenté au monarque, à qui il raconte son éducation ; mais comme le nom de Rohan, père supposé de notre héros, est inconnu au roi de Cornouailles, il ne découvre pas son neveu dans le jeune chasseur. Tristrem est admis au banquet royal, servi avec magnificence.

Après le repas, un ménestrel est introduit, ce qui donne à Tristrem l’occasion de montrer son talent sur la harpe ; et le musicien de Cornouailles lui cède la palme. Tristrem devient le favori de Marc ; on le comble de prévenances et de riches bienfaits à la cour.

Cependant Rohan, désespéré de la perte de son fils supposé, le cherche dans différens pays, sans renouveler même ses vêtemens, qui tombent en haillons. Il rencontre enfin un des deux pèlerins qui ont conduit Tristrem à la cour de Cornouailles.

Le pèlerin raconte à Rohan la faveur dont Tristrem jouit auprès du roi ; et, à sa requête, il le conduit aussi à la cour. En arrivant, Rohan se voit repoussé d’abord par le portier, ensuite par l’huissier de service, à cause de son vêtement sale et déchiré. Il triomphe de leurs refus par des récompenses libérales, et parvient enfin à être introduit chez Tristrem, qui d’abord ne peut le reconnaître.

Une explication a lieu : Tristrem, désolé de sa méprise, présente Rohan au roi Marc comme son père, et lui raconte en même temps la cause de leur séparation. Rohan est conduit au bain. On le revêt de riches habits par ordre du roi Marc. Il paraît aux yeux de toute la cour ; chacun admire son air majestueux. Hôte du banquet royal, il est placé à la droite du monarque.

lxxiii à xc.

Rohan révèle au roi le secret de la naissance de Tristrem, lui montre la bague de Blanche-Fleur, témoignage irrécusable que cette malheureuse mère lui a légué à son lit de mort. Tristrem est reconnu neveu du roi.

Tristrem ayant reçu les félicitations des courtisans, désire ardemment connaître les particularités de la mort de son père. Rohan lui apprend la perfidie du duc Morgan, et la mort tragique de Roland et de Blanche-Fleur. Alors Tristrem annonce au roi que son intention est de se rendre à Ermonie pour y venger la mort de son père.

Après avoir vainement cherché à dissuader son neveu d’une si dangereuse entreprise, Marc y donne enfin son assentiment. Il confère à Tristrem l’honneur de la chevalerie, et lui confie une troupe choisie de mille hommes, qui mettent à la voile avec le héros. Ils arrivent au château de Rohan, et en forment la garnison. Fatigué de rester inactif dans une forteresse, sir Tristrem se décide à se rendre, déguisé, à la cour du duc Morgan.

Il entre chez le duc pendant qu’il est à table. Avec sir Tristrem sont quinze chevaliers qui portent chacun, comme un présent destiné au duc, une hure de sanglier. Cependant Rohan, inquiet pour son fils adoptif, se met à la tête des soldats de Cornouailles et de ses propres vassaux.

Sir Tristrem adresse à Morgan un salut ambigu qui amène celui-ci à lui demander son nom et ses projets. Sir Tristrem se déclare. D’après une provocation pleine de colère et d’aigreur, le duc porte la main sur notre héros. Tristrem tire son épée ; en ce moment arrive Rohan avec son armée ; un combat a lieu ; Morgan est tué ; ses partisans sont vaincus et prennent la fuite. Sir Tristrem recouvre les domaines paternels, qu’il donne à Rohan, en s’en réservant la suzeraineté. Il prend congé de ce brave défenseur, et retourne en Cornouailles.

xci à cx.

À son arrivée à la cour, sir Tristrem trouve tout le pays en émoi, à cause d’un tribut réclamé de Marc par le roi d’Angleterre. Ce tribut consiste en un paiement de trois cents livres d’or, trois cents livres d’argent, trois cents livres de cuivre ; plus, chaque quatrième année, trois cents enfans[7].

Au moment où sir Tristrem se montre, Moraunt, ambassadeur irlandais, chevalier et champion célèbre, fait la demande de ce tribut. Marc explique à son neveu la cause de son chagrin, et proteste contre l’injustice d’une semblable réclamation. Sir Tristrem se propose de la faire refuser.

Le conseil de la nation s’assemble ; on y discute l’affaire : sir Tristrem y prend la parole, déclare, sur son titre de chevalerie, qu’il défendra les libertés de Cornouailles. Cette proposition est acceptée à contre-cœur par le conseil national. Tristrem en personne remet à Moraunt la déclaration qu’aucun tribut n’est dû au roi d’Angleterre. Moraunt réplique en donnant un démenti à Tristrem ; ils échangent les gages du défi, et Tristrem et son adversaire s’embarquent pour une petite île, afin d’y combattre. Là Tristrem abandonne son navire au gré des flots, disant qu’un seul suffira pour ramener le vainqueur.

    1. s1 ##

Les deux chevaliers en viennent aux mains : ils fondent l’un sur l’autre ; le cheval de Moraunt est tué. Tristrem met pied à terre ; le combat est renouvelé à pied ; Tristrem est blessé dangereusement à la cuisse ; mais il assène un coup terrible à Moraunt, et lui fend le crâne ; son épée est brisée ; un fragment de la lame reste dans la blessure.

Tristrem se félicite d’avoir tué le miroir de la chevalerie d’Irlande[8]. Il retourne en Cornouailles, et les suivans de Moraunt emportent son corps. Le héros offre son épée à l’autel. Il est proclamé prince héréditaire de Cornouailles, et successeur de son oncle ; mais sa blessure, causée par une arme empoisonnée, empire de jour en jour ; tous les remèdes sont inefficaces : l’odeur de la gangrène éloigne tout le monde de sa présence, excepté son fidèle serviteur Gouvernayl.

    1. s2 ##

CHANT SECOND.

i à xv.

TRISTREM, abandonné de tous, demande au roi Marc un navire pour s’embarquer et quitter le pays de Cornouailles. Marc lui accorde à regret sa requête. Tristrem met à la voile avec Gouvernayl, son seul serviteur, et avec sa harpe, sa seule consolation. Il part de Carlion, et reste neuf semaines en mer. Le vent le pousse enfin au port de Dublin, en Irlande. Des mariniers viennent à lui en bateaux ; il leur dit qu’il a été blessé par des pirates.

Tristrem apprend à son tour qu’il est en Irlande ; et, se rappelant que Moraunt, qu’il a occis, était le frère de la reine du pays, il reprend son nom de Tremtris.

On parle bientôt à la reine, princesse célèbre par la science en médecine, du talent que le blessé montre sur la harpe ; elle veut visiter Tristrem, qui, conservant son nom supposé, continue à se dire un marchand que des pirates ont pillé et blessé. Son talent comme musicien, son adresse aux échecs et au trictrac, étonnent la reine et les assistans, qui jurent par saint Patrice, le patron du pays, que jamais son pareil n’a paru en Irlande. La reine entreprend la guérison de Tristrem, et par le moyen d’un bain médicinal, lui rend l’usage de ses membres inférieurs ;

Les précieux remèdes de la reine hâtent la guérison du blessé, que son talent comme musicien et son adresse dans tous les jeux font appeler souvent à la cour. Il y devient le précepteur de la princesse Ysonde, princesse qui aime l’étude de la musique et de la poésie. Tristrem lui donne des leçons dans ces deux arts, aussi-bien que des leçons d’échecs, et d’autres jeux ; bientôt Ysonde n’a point d’égale en Irlande dans ces récréations élégantes, si ce n’est son précepteur.

xvi à xx.

La santé de Tristrem est rétablie ; l’éducation d’Ysonde est complète. Notre héros désire retourner dans la Bretagne : le reine, fâchée de son départ, lui donne la permission de la quitter, mais non sans se plaindre de l’ingratitude des étrangers. Tristrem est comblé de présens. Il met à la voile pour Carliole, où il arrive avec Gouvernayl, à la grande surprise des habitans de Cornouailles.

Marc reçoit avec joie son neveu, et lui demande comment sa blessure a été guérie. Tristrem vante au roi la bonté de la sœur de Moraunt, et il est prodigue surtout de louanges pour la beauté et les vertus de la jeune Ysonde. Le roi, frappé de ce panégyrique, promet à Tristrem qu’il sera son héritier, s’il veut amener Ysonde en Cornouailles.

Les barons, jaloux du crédit de Tristrem, persuadent au roi Marc qu’il serait facile à son neveu d’obtenir pour son oncle la main de la belle Ysonde. Tristrem cherche à leur prouver la folie d’une telle entreprise ; mais il ajoute qu’il veut la tenter, sachant bien que les nobles attribuent son opinion contraire à ses projets égoïstes, lui supposant le désir d’empêcher le roi de se marier. Il demande une suite de quinze chevaliers.

Les quinze chevaliers sont accordés ; on charge de riches marchandises le vaisseau qui doit les conduire à Dublin. Tristrem, avec son cortège, met à la voile, et arrivé en vue du port de la capitale d’Irlande. Sans annoncer l’objet de son voyage, Tristrem envoie des messagers porter des présens précieux au roi, à la reine et à la princesse. Ces messagers reviennent exaltant les charmes de la princesse Ysonde, et ils racontent que le peuple de Dublin est dans de vives alarmes.

xxviii à xl.


Quelle cause excite la terreur des Irlandais ? C’est l’approche d’un monstrueux dragon qui a exercé de si grands ravages, qu’une proclamation a fait connaître que la main de la princesse sera le prix de celui qui immolera le monstre. Tristrem propose l’aventure à ses chevaliers, qui refusent de l’entreprendre. Il descend lui-même à terre, bien monté, bien armé, pour aller au-devant du dragon redoutable.

Tristrem attaque le monstre, brise sa lance sur sa peau impénétrable, perd son cheval, et après s’être recommandé à Dieu, il recommence le combat à pied.

Il atteint le dragon à la gueule. Le monstre, dans sa rage, jette tant de feu par les naseaux, qu’il consume toute l’armure du chevalier ; mais il est enfin tué. Le vainqueur lui coupe la langue, et la cache dans son haut-de-chausses (ou son bas), et revient à la ville : mais l’opération subite du venin le prive de ses sens.

Sur ces entrefaites, l’intendant du roi venant à passer par là, coupe la tête au dragon, la porte à la cour, s’arroge le mérite de la victoire, et demande la main de la princesse Ysonde et sa mère, ne pouvant ajouter foi aux paroles de l’intendant, prennent la résolution de visiter le lieu du combat : elles trouvent le coursier, les armes brisées de Tristrem, et enfin le chevalier lui-même. Revenu à la vie par l’application de la thériaque, le véritable vainqueur vient faire valoir ses droits à la victoire, et produit la langue du dragon. Il offre en même temps, pour garantie, son vaisseau et sa riche cargaison, et demande le combat singulier contre le perfide intendant. Comme Tristrem ne se donne que pour un marchand, Ysonde exprime le regret qu’il ne soit pas chevalier.

xl à xlviii.

La reine et Ysonde admirent la bravoure, l’air noble et la beauté de Tristrem. Elles le conduisent elles-mêmes au bain ; et la reine va chercher pour lui un breuvage particulier. Cependant Ysonde soupçonne enfin que l’étranger n’est autre que son ancien précepteur Tremtris. En cherchant à confirmer cette conjecture, elle examine son épée, qu’elle trouve ébréchée. En comparant la brèche avec le fragment retiré de la blessure de Moraunt, Ysonde découvre que le possesseur de cette arme est celui qui a tué son parent : elle reproche à Tristrem cette mort, et fond sur lui avec sa propre épée. Sa mère arrive au même moment, prend part au ressentiment d’Ysonde, dès qu’elle apprend que c’est Tristrem qui est devant elle. L’arrivée du roi empêche notre héros d’être tué dans le bain.

Tristrem déclare, pour sa défense, qu’il a tué Moraunt dans un combat légitime ; et, avec un sourire qu’il adresse à Ysonde ; il dit qu’elle avait eu plus d’une occasion de le tuer lorsqu’il était son précepteur Tremtris. Il rappelle les bons services qu’il lui a rendus à ce titre, et se fait aussi un mérite des éloges qu’il a faits d’elle au roi Marc. Enfin, il fait connaître sa mission d’ambassadeur.

Tristrem ayant pris l’engagement, au nom de son oncle, que ce monarque épousera Ysonde, il est convenu qu’elle partira sous son escorte pour le royaume de Cornouailles. L’intendant n’a pas plus tôt appris que son antagoniste est le redouté Tristrem, qu’il renonce à racheter son gage et à réclamer le prix de la mort du serpent. Il est mis en prison, à la demande de la princesse.

La fiancée, Tristrem et ses chevaliers, sont à la veille de leur départ. La reine appelle Brengwain (Brenguien), demoiselle chargée de servir Ysonde, et lui remet un philtre puissant, ou boire amoureux, en lui recommandant de le faire prendre au roi Marc et à son épouse le soir de leur mariage[9]

Les voilà en mer : le vent devient contraire ; on est forcé d’avoir recours à la rame. Tristrem s’exerce à ramer ; et Ysonde, le voyant fatigué, demande un breuvage pour lui rendre ses forces et le rafraîchir. Brengwain, par inadvertance, lui donne la coupe qui contient la fatale liqueur. Tristrem et Ysonde l’approchent tous deux de leurs lèvres, et la vident. Un chien favori, appelé Hodain, en lèche les dernières gouttes. L’effet de ce breuvage est la malheureuse passion qui rendit Tristrem et Ysonde criminels et si malheureux[10]

Le vaisseau arrive en Angleterre après une traversée d’une quinzaine de jours. Ysonde épouse le roi Marc. Mais pour cacher au roi son commerce coupable avec Tristrem, elle substitue Brengwain à sa place la première nuit de ses noces. Après le premier somme du monarque, Ysonde revient se coucher auprès de son royal époux.

lvi à lxiii.

Le soupçon, conséquence inévitable du crime, s’empare de l’âme de la belle Ysonde, qui craint que Brengwain ne trahisse le secret important dont elle est la confidente. Elle paie des assassins pour tuer sa fidèle suivante.

Brengwain est conduite par ces brigands dans une sombre forêt, où ils se préparent à exécuter leur sanglante mission. Les prières de la pauvre demoiselle touchent cependant les meurtriers. Elle proteste que son seul crime est d’avoir prêté à Ysonde une robe de nuit propre, la première nuit de ses noces, parce que la chemise royale avait été salie par accident. Les brigands lui laissent la vie sauve, mais font croire qu’ils l’ont immolée. Ils rapportent à la reine ce qu’a dit Brengwain, comme si c’eût été ses dernières paroles. Ysonde ; reconnaissant la fidélité de sa suivante, déplore sa perte, et jure de la venger sur ses prétendus assassins : ceux-ci font alors reparaître Brengwain, qui rentre en faveur auprès d’Ysonde. (L’allégorie de Brenguien est bien plus délicate dans le vieux roman français que dans celui de Thomas le Rimeur :

« Quand madame Yseult se partit d’Yrland, elle avoit une
fleur de liz qu’elle devoit porter au roy Marc ; et une de
ses demoiselles en avoit une aultre. Madame perdit la
sienne, dont eust esté mal baille : quand la demoiselle
lui présenta par moi la sienne dont elle fut saulvée et
cuide, que pour celle bonté, me fait-elle mourir ; car je
ne sais aultre achoison. » )

lxiii à lxxiii.

Un comte irlandais, ancien admirateur d’Ysonde, arrive à la cour de Cornouailles, déguisé en ménestrel, et portant une harpe d’une forme singulière ; il excite la curiosité du bon roi Marc, en refusant de jouer de ce superbe instrument jusqu’à ce qu’il lui ait accordé un don : Le roi jure sur son honneur de chevalier qu’il satisfera sa demande. Le ménestrel s’accompagne de sa harpe, en chantant un lai, dans lequel il réclame Ysonde comme le don promis.

Marc ayant engagé son honneur, n’a d’autre alternative que de passer pour un chevalier déshonoré, ou de livrer sa femme au ménestrel : il se décide à ce dernier parti.

Tristrem avait, été absent à la chasse : il arrive au moment où le comte aventurier emmène la belle Ysonde. Il reproche au roi (non sans raison) son extravagante générosité pour les ménestrels. Alors il saisit lui-même sa rote ; et, courant au rivage où Ysonde venait de s’embarquer, il commence à jouer de cet instrument.

Le son en affecte profondément Ysonde, qui devient tellement indisposée, que le comte, son amant, est contraint de revenir à terre avec elle.

Ysonde prétend que la musique de la rote de Tristrem est nécessaire à son rétablissement ; et le comte, à qui Tristrem était inconnu, personnellement, lui propose d’aller en Irlande à sa suite. Ysonde se ranime au son de la musique de son amant, et le comte se prépare à remonter sur son vaisseau. Alors Tristrem saute sur son coursier ; et saisissant la bride de celui d’Ysonde, il l’entraîne, et fuit dans le plus épais du bois, après avoir crié, en se moquant, au comte d’Irlande, qu’il a perdu par la rote ce qu’il avait gagné par la harpe,

Les amans restent toute une semaine dans une hutte de la forêt ; après quoi Tristrem restitue Ysonde à son oncle, en conseillant de ne plus accorder à l’avenir de semblables dons aux ménestrels.

lxxiv à lxxx.

Meriadoc[11], chevalier de Cornouailles, compagnon de Tristrem, et qui lui a des obligations, conçoit des soupçons de son commerce amoureux avec la reine. Ce commerce était entretenu au moyen d’une porte à coulisse par laquelle Tristrem était admis dans l’appartement d’Ysonde. Une nuit qu’il tombait de la neige, l’espion Meriadoc put suivre les traces des pas de Tristrem, quoique notre héros eût pris la précaution d’attacher un tamis à ses pieds. Par une fente de la porte à coulisse, Meriadoc découvre un pan de la cotte verte de Tristrem.

Il fait part de son soupçon au roi, qui, par son avis, prétend vouloir faire un pèlerinage en Terre-Sainte, et demande à la reine quel est celui à la garde de qui elle veut être confiée. La reine nomme d’abord Tristrem. Brengwain, plus rusée, lui conseille de revenir sur cet entretien, et de feindre une haine mortelle contre Tristrem, ce qu’elle fait, en prétextant pour motif le scandale qui a eu lieu à son sujet. Les soupçons du bon roi de Cornouailles sont endormis par cette ruse.

lxxxi à xc.

À l’instigation de Meriadoc, qui promet de donner au roi la preuve évidente de son déshonneur, sir Tristrem devient encore l’objet de la jalousie de Marc. On le sépare d’Ysonde : leur douleur est décrite par le poète.

Ysonde habite un pavillon solitaire, et Tristrem est dans une ville voisine. Il essaie d’établir une communication avec elle par le moyen de légers rameaux jetés dans la rivière qui coule à travers son jardin. C’étaient des signaux qui instruisaient Ysonde de la visite clandestine de Tristrem.

Leurs entrevues sont découvertes par un nain caché dans un arbre. Meriadoc conseille au roi de faire proclamer une grande partie de chasse, et, au lieu de s’enfoncer dans la forêt, de se cacher dans le poste mystérieux du nain.

Le nain est envoyé à Tristrem avec un prétendu message d’Ysonde, pour lui fixer un rendez-vous. Tristrem se doute de la ruse, et fait une froide réponse. Le nain dit à Marc que Tristrem n’a aucune confiance dans son message ; mais que néanmoins il est sûr qu’il viendra voir Ysonde cette nuit.

xci à xcviii.

Marc prend son poste dans l’arbre, et l’entrevue a lieu sous l’abri de ses rameaux ; mais les deux amans sont avertis de la présence du roi par la projection de son`ombre, et ils se parlent avec un ton d’aigreur et de reproches. Tristrem accuse Ysonde de lui avoir ravi l’affection de son oncle, à un tel point qu’il se prépare à fuir dans le pays de Galles. Ysonde avoue sa haine pour Tristrem, et allègue pour cause les soupçons injustes que son époux a conçus au sujet de leur commerce prétendu. Ils continuent ces mutuelles récriminations ; Tristrem supplie Ysonde de lui procurer son éloignement de la cour, et Ysonde s’engage, sous la condition de son départ, d’obtenir pour lui la somme nécessaire à son entretien dans une terre étrangère.

Le bon roi Marc est comblé de joie et de tendresse par la découverte qu’il croit faire de l’innocence de sa femme et de son neveu. Bien loin de consentir à l’éloignement de Tristrem, il le crée grand-connétable.

Le chevalier reconnaissant continue son intrigue avec Ysonde, sans plus de soupçons, pendant trois années.

xcviii à cviii.

Meriadoc excite de nouveau la jalousie du roi Mare, et lui conseille de faire saigner (par ordonnance sans doute) la reine et Tristrem le même jour. Meriadoc fait aussi répandre de la farine sur le plancher de la chambre du roi, pour y découvrir l’empreinte des pas. Tristrem élude cette précaution en sautant par-dessus l’espace couvert de farine ; c’était un saut de trente pas ; mais sa veine s’ouvre par cet effort ; ses visites clandestines sont trahies par les traces de son sang. Il fuit du pays de Cornouailles.

Ysonde entreprend de prouver son innocence par l’ordalie du feu. Un tribunal est convoqué à Westminster, où la reine doit porter à la main un fer rouge, selon l’ancienne loi de l’ordalie. Tristrem se mêle à la suite de la cour, déguisé en paysan, dans le costume de la plus abjecte indigence.

Au moment où l’on va traverser la Tamise, la reine distingue son amant déguisé, et lui fait signe de la transporter du rivage au vaisseau. Tristrem laisse tomber à dessein son précieux fardeau sur le sable de la plage, de manière à exposer aux yeux une partie de la nudité de sa personne. Les serviteurs de la cour, scandalisés de cet accident indécent, causé par la maladresse de l’étranger, sont prêts à le jeter lui-même dans le fleuve ; mais Ysonde les prévient, en attribuant sa chute à la faiblesse causée par son estomac à jeun, et ordonne au contraire qu’on le récompense.

Le tribunal est assemblé : la séance s’ouvre. Ysonde prend la parole, et jure qu’elle est innocente : « Oui, dit-elle, personne n’a jamais eu de familiarité avec moi, excepté le roi mon époux et le paysan qui m’a transportée au vaisseau, et dont la maladresse a été vue de toute notre suite. » On présente alors le fer brûlant à Ysonde ; mais le plus bénévole des époux, le roi de Cornouailles, se déclare content du serment équivoque de sa moitié. Il refuse de lui laisser pousser plus loin l’épreuve dangereuse de sa fidélité conjugale.

Ysonde est proclamée innocente, en dépit des accusations de Meriadoc, et se réconcilie complètement avec son royal époux. Cependant Tristrem est dans le pays de Galles, où il passe le temps de sa séparation d’Ysonde à se rendre redoutable par de nouveaux exploits.

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  1. Extrait du Cartulaire de la Trinité de Soltra.(Bibliothèque des avocats à Édimbourg.)
    ERSYLTON.
    Omnibus has lifteras visuris vel audituris Thomas de Ercildoun, filius et hæres Thomæ Rymour de Ercildoun, salutem in Domino. Noveritis me per fustem et baculum in pleno judicio resignasse ac per præsentes quietem clamasse pro me et hœredibus meis, Magistro domus sanctæ Trinitatis de Soltre et fratribus ejusdem domus totam terram meam cum omnibus pertinentibus suis, quam in tenemento de Ercildoun hæreditarie tenui, renunciando de toto pro me et hæredibus meis omni jure et clam coque ego seu antecessores mei in eadem terra alioque tempore de
    habuimus sive de futuro habere possumus. In cujus rei testimonio, præsentibus his sigillum meum apposui. Data apud Ercildoun, die martis proximo post festum sanctorum apostolorum Symonis et Judæ, anno Domini millesimo ducentesimo nonagesimo nono. — Ed.
  2. The burn of Breid
    Shall run fow reid.
    (Thoma’s Rhymes)

  3. Cri de guerre.– Ed
  4. Vases de bois formé de douves assemblées.– Ed
  5. L’Iseult du roman français. –Ed
  6. L’espèce d’extrait ou sommaire suivant, par sir Walter Scott, est curieux comme un moyen de comparaison entre le Tristrem écossais et notre Tristan de Léonais. Il atteste aussi l’industrieuse étude que le romancier a faite des anciennes poésies nationales. Une conclusion a été adaptée par lui en style gothique à l’original brusquement terminé dans un manuscrit incomplet. La seule copie de ce manuscrit publiée par sir Walter Scott existait dans la bibliothèque de la Faculté des avocats d’Édimbourg. Elle faisait partie d’une riche collection appelée le Manuscrit Auchinleck, d’après le nom du donataire (le lord d’Auchinleck). — E. d.
  7. Ici commence la ressemblance entre le poème de Thomas et la prose française où Moraunt est appelé Morhault. – « Quand le roy de Cornouailles entend que ceulx d’Irlande sont venus quérire le treu, si commencent le deuil et le cry, sus et, jus. » — Ed.
  8. L’Amorant d’Irlande fut, en son temps, ung des bons chevaliers du monde. Il estoit grand et de si belle taille que chevalier pouvoit avoir. Les cheveux eust oncques crespés, le visage bel et plaisant ; moult chantoit bien ; les épaules eust droites et larges ; les bras et les poings eust longs, gros, carrez. Pas le bas estoit maigre, les cuisses et les jambes eust belles et grosses, à mesure armé et désarmé, estoit un des plus beaux chevaliers qu’on pouvoit veoir, et chevauchoit mieux que tout autre. Trop estoit bon ferreur de lance, et meilleur d’espée. Si hardy et si aspre estoit, qu’il ne craignoit rien à rencontrer. Tousjours cherchoit les plus périlleuses aventures : moult estoit craint et doubté par le monde. Doux et courtois estoit, fors aux demoiselles errantes, car il les hayoit à mort. Moult estoit aymé de bons chevaliers, gayères ne hantoit gens de religion. » (Manuscrit de la bibliothèque du duc Roxburgh) –Ed.
  9. « Ce breuvage est appelé le boire amoureux ; car sitôt comme le roy Marc en aura beu, et ma fille apréz ; ils se aymeront si merveilleusement que nul ne pourroit mettre discord entre eux. » (Sic dans le texte d’un vieux manuscrit français sur Tristan.) — Ed.
  10. C’onques Tristan, Yseult la-Blonde
    Né nulle femme de cest monde
    N’aura oncques si fort melui
    Comme elle fist tantôt celui. (La vieille Truandes.)— Ed.

  11. Dans le roman français, c’est un neveu de Marc qui se fait le dénonciateur des amans. — Ed.