Odes et Ballades/Le Portrait d’une enfant

Odes et BalladesOllendorf24 (p. 287-288).


À MLLE. J.-D. DE M.




ODE VINGT-DEUXIÈME.

LE PORTRAIT D’UNE ENFANT.


Pictura poesis.
Horace.


Quand ie voy tant de couleurs
Et de fleurs
Qui esmaillent un riuage,
Ie pense voir le beau teint
Qui est peint
Si vermeil en son visage.

Quand ie sens, parmi les prez
Diaprez,
Les fleurs dont la terre est pleine
Lors ie fais croire à mes sens
Que ie sens
La douceur de son haleine.

Ronsard.[1]


I

Oui, ce front, ce sourire et cette fraîche joue,
C’est bien l’enfant qui pleure et joue,
Et qu’un esprit du ciel défend !
De ses doux traits, ravis à la sainte phalange,
C’est bien le délicat mélange ;
Poëte, j’y crois voir un ange,
Père, j’y trouve mon enfant.


On devine à ses yeux, pleins d’une pure flamme,
Qu’au paradis, d’où vient son âme,
Elle a dit un récent adieu.
Son regard, rayonnant d’une joie éphémère,
Semble en suivre encor la chimère,
Et revoir dans sa douce mère
L’humble mère de l’Enfant-Dieu !

On dirait qu’elle écoute un chœur de voix célestes,
Que, de loin, des vierges modestes
Elle entend l’appel gracieux ;
À son joyeux regard, à son naïf sourire,
On serait tenté de lui dire :
— Jeune ange, quel fut ton martyre,
Et quel est ton nom dans les cieux ?


II



Ô toi dont le pinceau me la fit si touchante,
Tu me la peins, je te la chante !
Car tes nobles travaux vivront ;
Une force virile à ta grâce est unie ;
Tes couleurs sont une harmonie ;
Et dans ton enfance un génie
Mit une flamme sur ton front !

Sans doute quelque fée, à ton berceau venue,
Des sept couleurs que dans la nue
Suspend le prisme aérien,
Des roses de l’aurore humide et matinale,
Des feux de l’aube boréale,
Fit une palette idéale
Pour ton pinceau magicien !


6 novembre 1825.
  1. Cette épigraphe a remplacé, en 1828, celle de l’édition originale : Ballades, 1826. (Note de l’éditeur.)