Odes (Horace, Séguier)/III/27 - À Galatée

Odes et Épodes et Chants séculaires
Traduction par M. le Comte de Séguier.
A. Quantin (p. 131-134).


XXVII

À GALATÉE


À son départ, pour présage, à l’impie :
Hibou plaintif, chienne allant mettre bas,
Louve au poil roux des champs de Lanuvie
          Et renarde aux flancs plats !

Sur son chemin qu’une vipère glisse
Comme une flèche, et rende ses bidets

Fous de terreur. Moi, prévoyant auspice,
          De l’Est, par mes souhaits,

En ses palus avant que se rejette
Du mauvais temps le prophétique oiseau,
J’évoquerai pour ceux que je regrette
          Un oscine corbeau.

Va, Galatée, aux lieux que tu préfères ;
Va, sois heureuse, et pense à nous longtemps.
Et loin de toi les corneilles sévères
          Les piverts tourmentants !

Vois néanmoins quel tumulte, en sa fuite,
Laisse Orion. Je connais la noirceur
Du flot de Brinde, et d’Iapyx ensuite
          La perfide douceur.

De l’ennemi que les fils et les femmes
Éprouvent seuls les coups sourds des autans.
Et l’affreux bruit des gigantesques lames
          Sur les bords palpitants !

Europe ainsi fia son corps de neige
Au faux taureau : l’audacieuse enfin
Pâlit devant la houle qui l’assiège
          Et les bonds du dauphin.

Elle, tantôt, qui cueillait sur la rive
Pour chaque nymphe un bouquet gracieux,
N’aperçoit plus, sous la lune furtive,
          Que la mer et les cieux.


Lorsque son pied de la Crète aux cent villes
Toucha le sol : « Mon père, ô nom trahi
Par ton enfant ! dit-elle ; ô fureurs viles !
          Honneur évanoui !

« D’ou viens-je ? Où suis-je ? Une mort pour mon crime
Ne suffit pas. Veillé-je en déplorant
L’acte commis, ou, digne encor d’estime,
          Un mensonge flagrant,

« Un rêve, issu de la porte éburnine,
M’abuse-t-il ? Quoi ! pour les larges flots
J’ai pu laisser notre cueille enfantine
          De boutons frais éclos ?

« Ce taureau fourbe, à ma haine sans bornes
Qu’il soit livré, je le meurtris d’un fer ;
Dans un effort, oui, je te romps les cornes,
          Monstre qui me fus cher !

« Lâche, j’ai fui la maison paternelle !
Lâche, à mourir j’hésite. Oh ! si des dieux
Un seul m’entend, contre moi qu’il appelle
          Des lions furieux.

« Avant qu’ici mon teint se décolore
Et que la faim dessèche mes appas,
Je veux d’un tigre, en ma splendeur encore
          Former le gai repas.

« Infâme Europe, un père absent te crie :
Meurs ! qu’attends-tu ? Pour terminer tes jours,
Sous cet ormeau ta ceinture flétrie
          Te servira toujours.


« Si ces écueils, ces rocs à fine aiguille
Te plaisent mieux, cours donc t’abandonner
Au prompt orage, à moins, royale fille,
          Que tu n’ailles tourner

« D’abjects fuseaux, concubine haïe
Par ta maîtresse. » — Amour l’arc détendu
Sa mère aussi, la bouche épanouie,
          Avaient tout entendu.

Leurs ris cessés : « Abstiens-toi, dit Cyprine,
D’un courroux fier, de transports ennemis,
Quand ce taureau viendra sur ta poitrine
          Poser son front soumis.

« Car, ton époux, c’est Zeus, dieu du tonnerre.
Plus de sanglots ! grandis à l’unisson
De ta fortune : un segment de la Terre
          Portera ton beau nom. »