Ode qui a concouru pour le prix de poésie décerné par l’Institut national de France, le 6 nivôse an XII

ODE

Qui a concouru pour le Prix de la Poésie décerné par l’Institut National de France, le 6 nivôse an 12 :


Par Mme Fortunée B. BRIQUET,


De la Société des Belles-Lettres, et de l’Athénée des Arts, de Paris



Un Peuple brise en vain les chaînes qu’il abhorre :
S’il n’est point épuré par ses propres revers,
S’il n’est point vertueux, il n’est point libre encore ;
Et ses vices bientôt le rendraient à ses fers.

Lebrun.



NIORT
DE l’IMPRIMERIE D’É. DÉPIERRIS AINÉ.

GERMINAL AN 12. — AVRIL 1804.

À Ch. POUGENS,
De l’Institut National de France, de l’Académie Impériale des Sciences de Saint-Pétersbourg, etc.


Monsieur,

L’Ode que je vous offre, est le tribut de ma reconnaissance. Vous m’avez encouragée dès les premiers pas que j’ai faits dans la carrière des Lettres et les Lettres ont embelli mon bonheur. Puisse l’hommage de ma gratitude vous être aussi agréable qu’il est sincère !

Salut et respect.
Fortunée B. BRIQUET.

S U J E T
Du Prix de Poésie donné par l’Institut National de France :


La Vertu est la base des Républiques.
Montesquieu, liv. 2, chap. 2 et 3.

ODE

Qui a concouru pour le Prix de Poésie décerné par l’Institut National de France, le 6 nivôse an douze.


Astre éclatant des cieux, Père de la Nature,
Elle te doit la vie et la fécondité ;
Ta fuite fait son deuil, ton retour, sa parure ;
C’est de toi qu’elle attend les biens et la beauté.
Le feu compose ta couronne,
Et, comme un vêtement, l’abyme t’environne
Dans le vague immense des airs.
Que ta splendeur inaltérable
Trompe à jamais l’espoir de la faulx implacable
Qui doit moissonner l’Univers !



Pour le Monde naissant quel jour, et quelle fête !
Lorsqu’à peine sorti de la nuit du chaos,
Son regard étonné vit briller sur sa tête
Cet Astre qui versait la lumière à grands flots.
À ses feux tout naît, tout s’anime,
Et ce Globe enflammé, dans un ordre sublime,
Attire les célestes corps.
Bientôt l’homme à l’homme s’allie ;
Et, pour jouir en paix de la terre embellie,
Il en partage les trésors.



Qu’êtes-vous devenus, Peuples des premiers âges,
Orgueilleuses Cités qui futes leur berceau ?
Vos noms mêmes du tems ont subi les ravages :
Pourrai-je du passé soulever le rideau ?
Soleil, ô toi qui les vis naître,
Redis-moi leurs destins ; je brûle de connaître
S’ils ont fait régner la Vertu…
Ils vivraient, s’ils l’avaient aimée ;
Leur gloire charmerait encor la Renommée ;
Mais rien ne leur a survécu.


Eh ! quel affreux spectacle offriraient des Empires
Où le crime lui seul unit les Nations ?
Leurs mœurs sont des forfaits, leurs lois sont des délires,
Et leurs Sociétés, des conjurations.
Tous les maux inondent la terre ;
Rien n’est sacré : la Paix, moins sure que la Guerre,
Produit de nouvelles horreurs.
Ainsi le ciel inexorable
Vit périr des Humains la race déplorable,
En proie à ses propres fureurs,



Un petit nombre échappe à ce sanglant déluge :
De l’Humanité sainte il écoute la voix ;
Il t’implore, ô Vertu, daigne être son refuge ;
Il a brisé ses fers pour vivre sous tes lois.
Lois augustes, lois fortunées,
La Liberté, les Mœurs, suivent vos destinées
Et brillent de votre splendeur.
Hélas ! aux passions altières,
Quand vous n’opposez plus que de vaines barrières,
Le Peuple a perdu sa grandeur.


Ivres d’un fol orgueil, à la Grèce rivale,
Darius et Xercès avaient juré des fers :
Marathon, Salamine et Platée et Micale
Ont immortalisé leur honte et leurs revers.
Ils avaient compté sur le nombre :
Insensés ! leur armée a passé comme l’ombre
Des voiles fuyant sur les flots.
Trompés dans leur superbe attente,
À leurs vastes États ils portent l’épouvante
Dont les frappèrent des Héros.



Ô funeste présent de cette infâme horde !
Les trésors qu’à Platée elle laisse entassés,
Appauvrissent les Grecs, leur soufflent la discorde :
Les Vainqueurs à leur tour vont être terrassés.
En vain Thémistocle, Aristide,
S’opposent quelque tems à ce torrent rapide :
Les lois, les mœurs, ne règnent plus.
Trasybule en vain se dévoue,
De ses hardis succès la fortune se joue :
Athènes languit sans Vertus.


Et toi, de l’Univers et l’orgueil et l’exemple,
Quand de la Liberté tu suis les étendards ;
Ô Rome, avec horreur l’Univers te contemple,
Lorsque la tyrannie a souillé tes remparts.
Sont-ils sortis de ta mémoire
Les jours heureux, les jours consacrés par la gloire
Des Émiles, des Scipions ?
Eh ! quelle puissance ennemie
Te force à partager l’éternelle infamie
Des Tibères et des Nérons ?



Aspire, aspire encore à ta grandeur première ;
De l’austère Vertu rallume le flambeau,
Ose être heureuse enfin et marche à sa lumière :
Le dernier des Romains serait-il au tombeau ?
À tes brillantes destinées,
Le ciel n’a point marqué le terme des années,
Si tu respectes la Vertu…
Ah ! c’en est fait, Rome succombe :
Le Monde est sa conquête, et son empire tombe
Sous son propre poids abattu.


Malheur ! trois fois malheur à toute République.
Qui peut de la Vertu fouler aux pieds les droits :
L’opprobre est son partage et son pouvoir inique
La condamne à passer sous le sceptre des Rois.
Venise, ô perfidie atroce !
À nos Soldats blessés tend une main féroce ;
Leur sein de poignards est percé[1] !
Venise expîra ces offenses ;
L’humanité l’ordonne, et du rang des puissances
Son nom coupable est effacé.



Serait-ce donc en vain, ô France, ô ma Patrie,
Qu’Athènes et que Rome offriraient à tes yeux
Les tableaux de la gloire et de l’ignominie ?
Non, non, ton choix est fait ; il a pour lui les Dieux.
J’en jure tes nombreux trophées,
Tes saintes lois, tes moeurs, les chants de tes Orphées,
Et de tes Héros le Premier[2].
À la Vertu toujours fidèle,
Des Empires heureux tu seras le modèle,
L’honneur, l’amour du monde entier.

  1. Massacre des Français dans les hôpitaux des États de Venise, peu de jours après la signature du Traité de Léoben.
  2. Bonaparte, Premier Consul de la République française.