Obermann (1804 - 2e éd, 1833)
Charpentier (p. 329-330).

LETTRE LXXI.

Im., 3 août, VIII.

S’il est une chose dans le spectacle du monde qui m’arrête quelquefois et quelquefois m’étonne, c’est cet être qui nous paraît la fin de tant de moyens, et qui semble n’être le moyen d’aucune fin ; qui est tout sur terre, et qui n’est rien pour elle, rien pour lui-même[1] ; qui cherche, qui combine, qui s’inquiète, qui réforme, et qui pourtant fait toujours de la même manière des choses nouvelles, et avec un espoir toujours nouveau des choses toujours les mêmes ; dont la nature est l’activité, ou plutôt l’inquiétude de l’activité ; qui s’agite pour trouver ce qu’il cherche, et s’agite bien plus lorsqu’il n’a rien à chercher ; qui dans ce qu’il a obtenu ne voit qu’un moyen pour obtenir une autre chose, et lorsqu’il jouit, ne trouve dans ce qu’il avait désiré qu’une force nouvelle pour s’avancer vers ce qu’il ne désirait pas ; qui aime mieux aspirer à ce qu’il craignait que de ne plus rien attendre ; dont le plus grand malheur serait de n’avoir à souffrir de rien ; que les obstacles enivrent, que les plaisirs accablent, qui ne s’attache au repos que quand il l’a perdu ; et qui, toujours emporté d’illusions en illusions, n’a pas, ne peut pas avoir autre chose, et ne fait jamais que rêver la vie.


  1. Il est probable que les autres parties de la nature seraient aussi obscures à nos yeux. Si nous trouvons dans l’homme plus de sujets de surprise, c’est que nous y voyons plus de choses. C’est surtout dans l’intérieur des êtres que nous rencontrons partout les bornes de nos conceptions. Dans un objet qui nous est beaucoup connu, nous sentons que l’inconnu est lié au connu ; nous voyons que nous sommes près de concevoir le reste, et que pourtant nous ne le concevrons pas.