Nouvelles de la littérature - 14 décembre 1831


PHILOSOPHIE DU DROIT,


PAR M. LERMINIER[1].

Le nouvel ouvrage de M. Lerminier a paru depuis deux jours seulement : le temps nous a manqué pour lire attentivement tous les chapitres qu’il a consacrés à la philosophie du droit ; mais nous avons pu du moins saisir nettement le plan et l’ordonnance de son livre, et, hormis quelques détails d’exécution, quelques rapprochemens historiques, que nous n’avons pas eu le loisir de vérifier, nous avons rapporté de cette lecture faite à la hâte, un plaisir sincère et une instruction sérieuse.

Il a fallu, pour concevoir la philosophie du droit, telle que M. Lerminier entreprend de la définir et de la fonder, un courage élevé, une rare érudition, et en même temps une hardie persévérance pour poser et résoudre toutes les questions qu’il a entrevues, et qu’il a nettement acceptées, sans répudier jamais à l’étourdie aucune des conséquences qui s’en pouvaient déduire.

Dans son Introduction générale à l’histoire du droit, il avait tracé a grands traits l’esquisse de la jurisprudence européenne depuis le douzième siècle jusqu’à nos jours, depuis la rénovation du droit romain jusqu’à Napoléon. Dans cet imposant prodrome, on pouvait déjà distinguer en perspective la carrière large et lointaine que l’auteur se proposait de parcourir. Aujourd’hui M. Lerminier, avant d’aborder l’histoire comparée des législations dont l’enseignement spécial lui a été confié, cherche et décrit non pas seulement les relations du droit et de la philosophie, mais bien aussi le sens intime et philosophique du droit. Il a tenté pour la jurisprudence qui, pour la pluralité vulgaire des intelligences, se réduit à la mesquine interprétation des lois écrites, ce que sir Humphrey Davy a tenté pour la chimie, c’est-à-dire, ni plus ni moins, l’exposition générale des principes qui doivent présider à l’institution de toutes les lois, ou du moins à l’aide desquels on peut vérifier leur légitimité réelle, leur force et leur durée, leur sagesse et leur viabilité.

Et pour exposer ces principes dont nous parlons, M. Lerminier, a distingué dans la question qu’il s’était proposée, cinq élémens spéciaux et distincts, à savoir : l’homme en soi, la société, l’histoire, les philosophes, et en dernier lieu la législation.

Les deux premiers élémens, comme on voit, sont de philosophie pure ; le troisième est destiné à vérifier les deux premiers, à les éprouver. C’est une précaution grave et utile contre les dangers d’une logique trop absolue ; et nous devons en remercier l’auteur. Le quatrième élément est exclusivement consacré à la critique des grands hommes qui marquent dans les évolutions du génie humain des époques fatales, et qui servent de phares dans l’étude des siècles évanouis, depuis Platon jusqu’à Benjamin Constant. Le cinquième et dernier élément de la question, la législation, n’arrive, comme on voit, qu’après qu’il a été préparé, et presque nécessité par les autres.

C’est un plan vaste et bien suivi. Il est sage et logique en effet de procéder de l’individualité humaine à l’individualité sociale, de suivre les sociétés sur le théâtre de l’histoire, de saisir et d’analyser les principales scènes et les premiers rôles, et en même temps de juger les acteurs, puis de conclure de la coutume à la loi, de l’expérience à la règle.

Nous soumettrons seulement à M. Lerminier deux critiques : d’abord il nous a semblé que son style, en faisant la part inévitable de l’élocution improvisée, conservait encore trop d’habitudes oratoires, et que l’imagination, en colorant sa pensée de nuances éclatantes, altérait souvent la précision et la netteté des idées ; c’est un défaut que le blâme ne peut atteindre, une exubérance facile à restreindre, mais que nous devons constater. En second lieu, dans le plan même adopté par M. Lerminier, avec son intention manifeste d’éprouver la philosophie par l’histoire, nous regrettons qu’il commence à Rome et qu’il néglige la Grèce et l’Orient. L’histoire, telle qu’il l’entend, est à coup sûr l’histoire humaine, c’est-à-dire, universelle, et sans doute, en remontant plus haut, il aurait trouvé pour ses principes de nouvelles et importantes épreuves.

Mais, tel qu’il est, son livre demeure comme un portique majestueux au temple qu’il va construire, comme une admirable préface à l’histoire comparée des législations.

Nous avons sous les yeux le prospectus de l’expédition scientifique de Morée, dirigée par MM. Bory de Saint-Vincent et Blouet. L’ouvrage sera divisé en deux sections, dont l’une, celle de sculpture sera confiée à M. Blouet, et l’autre, des sciences physiques, à M. Bory de Saint-Vincent. La division du travail, indiquée et expliquée par M. Bory, nous a paru sage et lumineuse. Sans nul doute, si toutes ses promesses se réalisent, comme nous devons l’espérer, l’expédition de Morée dépassera de bien loin la description de l’Égypte.


  1. Chez Pantin, Place de la Course.