Nouvelle manière d’élever l’eau par la force du feu

Avis.



ON a eu des raisons pour Supprimer dans cette edition françoise les Demonstrations necessaires pour prouver tout ce qu’on avance : & ainsi les renvois qu’on trouvera entre deux parentheses, comme (2. Dem.) Sont icy inutiles : Mais ils servent dans l’edition Latine afin que ceux qui se plaisent à ces sortes de raisonnements les puissent facilement trouver à la fin de l’ouvrage.


À LA TRÈS ILLUSTRE
SOCIÉTÉ
ROYALE,
DE
LONDRES.


MESSIEURS,



IL seroit inutile de Vous demander excuse de la liberté que je prens de Vous addresser ce petit traitté : Il n’y a aucun lieu de douter qu’il ne Vous soit agreable puisqu’il tend à augmenter extremement le pouvoir du genre humain : On connoît le zele de la nation Angloise pour la félicité publique : On voit avec êtonnement les grands choses qu’elle fait pour la liberté de l’Europe : Et l’institution de vôtre illustre Société, composée d’un grand nombre d’hommes assez genereux pour employer beaucoup de temps, de peine & de dêpense afin de procurer de nouvelles commodites au Public, suffit seule pour me garantir dans cette occasion de la crainte de vous deplaire. Il ne me reste donc, Messieurs, que de Vous supplier tres humblement de daigner faire connoitre dans les Transactions Philosophiques quel jugement Vous faîttes de cet ouvrage. Comme je prétens y faire naitre l’esperance de rendre un homme capable de faire autant que mille : j’ay grand lieu de craindre qu’on ne regarde ce projet comme une chymere & il y aura fort peu de gens qui puissent & qui veuillent se donner la peine d’examiner comme il faut les expériences sur quoy Je me fonde & les raisonnements par ou je prettens prouver incontestablement tout ce que j’avance : Ainsi, Messieurs, je crois qu’il sera très utile qu’il Vous plaise de prononcer ce qu’on en doit croire : ou pour obliger à chercher des remedes aux inconvenients que Vous aurez découverts : ou pour empecher qu’on ne s’engage dans un travail inutile si l’invention n’est pas bonne : ou pour encourager bien des gens à la perfectionner avec chaleur si elle le merite. L’Authorité, que Vous Vous êtes justement acquise de juger dans ces matieres, est reconnue de tout le monde : les plus grands Princes mêmes pourront, sans faire tort à leur gloire, se reigler selon vos arrets & le Public en profitera : Je suis avec un tres profond respect,

MESSIEURS,


Vôtre tres humble & tres
obeissant serviteur



D. Papin.


PRÆFACE.



IL y à plus de huict ans que son Altesse Serenissime CHARLES LANDGRAVE de HESSE me feit l’honneur de me commander de travailler à une nouvelle invention pour élever l’eau par la force du feu : & dez l’année 1698. on en avoit déjà fait des expériences assez considerables mais les glaces qui furent fortes dez le mois de Novembre rompirent la machine & emportèrent la soupape démbas qui étoit enfoncée dans la rivière : de sorte que, d’autres affaires étant survenues, la chose n’avoit pas été poussée plus loin. Cependant j’en avoit écrit & parlé à diverses personnes & entre autres Je puis faire voir une lettre à l’illustre Mr. Leibniz ou je luy marquois que nous élevions l’eau par la force du feu d’une maniere plus avantageuse que celle que j’avois publiée quelques années auparavant : & que, outre la suction, nous nous servions aussi de la pression que leau exerce sur les autres corps en se dilatant par la chaleur, au lieu que auparavant Je ne me fervois que de la seule suction dont les effets sont bien plus bornez : & Mr. Leibniz dans sa reponse du 29e Juillet 1698. me marque qu’il a aussi eu la même pensée. Ce que Je dis icy n’est pas pour donner lieu de croire que Mr. Savery qui a depuis publié cette Invention à Londres n’en soit pas effectivement l’inventeur : Je ne doute point que cette pensée ne luy soit venue aussi bien qu’a d’autres sans l’avoir apprise d’ailleurs : mais ce que Je dis est seulement pour faire voir que MONSEIGNEUR le LANDGRAVE est le premier qui a formé un dessein si utile.

Ce travail ayant été interrompu, comme J’ay dit, seroit peut être demeuré encore long temps dans l’oubli n’eut été que Mr. LEIBNIZ, dans une lettre du 6. Janu 1705. me feit l’honneur de me demander ma pensée au sujet de la machine de Mons Thomas Savery dont il m’envoyoit la fidure imprimée à LONDRES. Quoyque sa construction fût un peu différente de la nôtre &que Je n’eusse pas le discours qui devoit expliquer la figure, Je connus pourtant dabord que la machine angloise & celle de Cassel êtoient fondées sur le même principe : & J’eus l’honneur de le faire voir à Monseigneur le LANDGRAVE. Cela feit reprendre à S.A.S. le dessein de pousser cette Invention qui est sans doute très utile ; mais qui étoit encore beaucoup plus defectueuse qu’on ne pensoit, comme on verra dans la suitte : Je puis donc asseurer qu’il a coûté bien du tems du travail & de la dêpense pour conduire la chose à la perfection ou elle est à présent : & il seroit trop long de particulariser toutes les difficultez imprevues qui se sont rencontrées & toutes les experiences qui ont reussi tout au contraire de ce qu’il sembloit qu’on en devoit attendre : ainsi Je me contenteray de faire voir combien ce que nous avons à present est preferable à ce que nous avions fait dabord & à ce que Mr. Savery a fait depuis : Afin que le Public ne puisse se meprendre dans le choix qu’il aura à faire entre ces differentes machines : & qu’il profite sans peine de ce qui en a tant couté : & afin aussi qu’on voie que l’obligation qu’on a à S.A.S. à cet égard, n’est pas simplement pour en avoir formé le premier dessein mais aussi pour avoir surmonté les difficultez des premières executions & avoir fait conduire la chose au degré de perfection ou elle est à present.


Nouvelle manière d’élever l’eau par la force du feu.


CHAPITRE I.


Description de la retorte avec les observations necessaires.



Voicy de quelle manière la machine est à present construite : A.A. est une grosse vessie de cuivre que j’appelle retorte à cause de sa conformité avec l’instrument de chymie qu’on appelle de ce nom : elle a de 20. à 21. pouces de diamètre dans sa plus grande largeur & 26. pouces en sa hauteur, elle doit être enfermée dans un fourneau de brique qu’il n’est pas necessaire de representer icy : il suffit de dire qu’il doit avoir environ 30. pouces de largeur de dehors en dehors. Parce que les briques, ayant trois pouces de largeur de chaque côté dudif fourneau lasseroient encor 24. pouces de vuide de dedans en dedans : & ainsi la retorte AA placée au milieu laisseroit tout autour un espace de prés de deux pouces pour le passage du feu qui l’embrasseroit de tous côtez. Il est bon que le fourneau en dedans s’elargisse & s’étrecisse suivant la figure de la retorte : &, comme cette retorte doit avoir tout en haut le tuyau recourbé ABB auquel on soude le robinet E par ou on ouvre le passage aux vapeurs, il faut en cet endroit élever la muraille dudit fourneau de la maniere qui est necessaire pour que une partie dudit tuyau se trouve aussi toute enfermée dans le feu y ayant par dessus & aux cotez plus d’un pouce de distance entre le tuyau & les briques : & il ne faut laisser de sortie au feu que par un trou qui se trouve en cet endroit & dont les bords s’élevent assez haut pour que le dit tuyau AB y soit enfoncé & n’empêche pas d’appliquer, quand on voudra, un couvercle juste sur ce trou.

2. À l’endroit marque C est le tuyau par ou on emplit la retorte & ce tuyau doit être long afin de pénétrer au travers du fourneau & parôitre en dehors pour recevoir de nouvelle eau à toute heure qu’on le jugera à propos. Il faut aussi bien cimenter le trou par ou ce tuyau passe en sorte que le feu ne puisse se perdre par la. Tout cela est il facile qu’il seroit inutile d’en dire davantage.

3. Je remarqueray pourtant encor qu’il sera bon, dans l’endroit ou passera le tuyau AB, de n’élever la muraille du fourneau qu’à 5. ou 6. pouces de distance dudit tuyau afin que le feu ayt le passage bien libre pour venir l’êchauffer autant qu’il sera possible : Et, pour empêcher le feu de se perdre, il faut fermer cette ouverture en appliquant au dehors du fourneau quelque plaque de fer qu’on y cimentera bien, exactement & au travers de la quelle la partie BB passera.

4. À cette extrémité sera soudé le robinet E qu’on aura soin de placer le plus prés du fourneau que l’on pourra aussi bien que la pompe DD. dans la quelle on voudra faire entrer les vapeurs de l’eau bouillante : En un mot il faut partout avoir soin d’échauffer le plus de lieux qu’il fera possible ; & d’accourcir tant qu’on pourra les parties exposées au refroidissement.

5. La raison qui nous oblige à avoir si grand soin d’augmenter & de conserver la chaleur c’est que c’est la chaleur qui fait toute la force mouvante dans cette machine : Car au lieu que dans les pompes ordinaires ce sont des animaux, des rivieres, du vent ou quelque autre chose de cette Nature qui emploient leur force pour enfoncer le piston dans la pompe & en chasser l’eau, icy ce ne font que les vapeurs échauffées dans la cornue AA. qui passent avec violence par le tuyau ABB. si tôt qu’on ouvre le robinet E, & vont presser le piston FF dans la pompe DD : Et la force de ces vapeurs est dautant plus grande que nous leur donnons un plus haut degré de chaleur.


CHAPITRE II.


Description de la pompe & de ses tuyaux.



LE vaisseau DD qui tient lieu de pompe à 20. pouces de diametre & son piston FF y parcourt un espace de 16. pouces de hauteur : Ainsi il est aisé de calculer (1. Dem.) qu’à chaque Operation ce piston peut chasser 200. Livres d’eau hors de la pompe DD.

2. On peut aussi faire voir par le calcul (2. Dem.) que, si on fait le tuyau GG. en sorte que dans l’endroit le plus étroit il ayt 8. pouces de diametre : Et que l’ouverture G (par ou l’eau doit rentrer pour remplir la pompe DD) soit 8. pouces plus haut que le robinet n. (par ou l’eau doit sortir si tôt qu’il y a assez d’eau dans DD) on peut, dî je, faire voir par le calcul que cela suffira pour faire que la pompe DD se puisse remplir de 200. livres d’eau en moins de une Seconde de temps, le dit tuyau GG ayant communication dans le gros tuyau recourbé HHH qui a sa grande ouverture dans la pompe DD.

3. Le piston FF est un cylindre creux de metal bien bouché partout crainte que l’eau y entrant ne le rende trop pesant : Car il doit flotter sur l’eau afin de remonter toujours au haut de la pompe quand elle se remplit. Dans ce piston il faut remarquer le tuyau II. ouvert par en haut & fermé par en bas : & passant au milieu du dit piston ou il est bien soudé tant au fonds qu’au couvercle. Ce tuyau sert à recevoir des fers rouges qu’on introduit par l’ouverture L & qui demeurent toujours suspendus au haut de la pompe : leur usage est d’augmenter la force des vapeurs qui entrent par le tuyau ABB quand on ouvre le robinet E : & ils peuvent demeurer long temps chauds parce que entrans dans le tuyau II. Ils sont garantis de toucher l’eau dont la pompe se remplit. L’ouverture L aussi bien que le tuyau CC se ferment fort exactement, & facilement par des plaques usees qu’on applique dessus & qui sont dalord pressées par des poids qu’on met plus ou moins grands selon qu’on veut faire la pression en dedans plus ou moins forte. Et on peut voir la maniere de se reigler en cela (0. Dem)

4. À la petite extremité du tuyau HHH est soudé le tuyau MM qui entre en partie dans le vaisseau cylindrique NN : ce vaisseau doit avoir 3. pieds de haut & 23. pouces de diametre afin que dans la hauteur d’un pied il contienne 200. Livres d’eau & en tout 600. Livres (4. Dem) : Ainsi il arrivera que quand il sera rempli d’eau jusques à la hauteur de 2. pieds l’air y sera reduit à n’occuper plus que le tiers de l’espace qu’il occupe Ordinairement & par consequent il sera capable de soutenir l’eau jusques à la hauteur de 64. pieds outre la hauteur ordinaire. (5. Dem.) Mais, quand il aura chassé 200. livres d’eau : & qu’ainsi le vaisseau NN ne sera plus repli que jusques à la hauteur d’un pied, l’air n’occupera plus qu’un tiers moins d’espace qu’il n’en occupe ordinairement & il ne soutiendra, que 16. pieds d’eau outre la hauteur ordinaire qui est de 32, pieds. (5. Dem.)

5. Lors donc que nous faisons la pression dans la retorte AA assez formé pour soutenir 64. pieds d’eau outre la pression ordinaire : Si le vaisseau NN n’est rempli que jusques au tiers, comme jusques en O tout l’air dudit vaisseau se trouvât réduit dans la hauteur QO & ainsi occupât encor les deux tiers de son espace ordinaire il sera capable de soutenir seulement 16. pieds d’eau : & ainsi, en ouvrant le robinet E les vapeurs qui viendront de la retorte AA presser sur le piston FF auront encor une force équivalente à 48. pieds & elles feront dêcendre ce piston & chasseront l’eau de la pompe DD par les tuyaux HHH’MM & la feront entres dans NN avec autant de vîtesse que si elle jalissoit au bas d’un reservoir haut de 48. pieds : & on peut demontrer que, nonobstant que la resistance dans le reservoir NN s’augmente toujours à mesure que l’air s’y codense par la quantité d’eau qui prent sa place, Il pourroit pourtant y entrer 200 livres d’eau en moins de une seconde quand même le tuyau MM n’auroit que quatre pouces de diametre (6. Dem.) : Ainsi donc, en luy en donnant 5. ou 6. on sera très assuré que le piston FF pourra toujours chasser, en moins d’une seconde de temps, 200. livres d’eau hors de la pompe DD & les faire entrer dans le reservoir NN. pourvû que les choses soient dans l’état que J’ay dit.

6. Je conclus donc que puisque nous avons vu cy dessus qu’il est facile de faire que la pompe DD se remplisse en une seconde de temps & qu’en suitte nous venons de voir qu’elle se vuidera aussi en moins d’une, seconde, On peut asseurer hardiment que l’operation entiere ne durera pas plus de deux secondes : & qu’ainsi un seul homme pourra lever toutes les 2. secondes 200. livres d’eau à 40. pieds de haut : Car quand l’air dans N.N. est réduit à n’occuper plus que l’espace QP il peut pousser l’eau à 54. pieds : & quand il occupe tout l’espace QO il ne la pousse qu’avec la force pour monter à 16. pieds de haut : & on peut demontrer que cela revient à la même chose que s’il la poussoit toujours avec une force égale & suffisante pour monter à 40. pieds. (7. Dem.)

7. Il faut encor remarquer icy que l’eau qu’on fait ainsi entrer à force dans le vaisseau NN fort continuellement par le robinet XX auquel on anjuste le tuyau qui la conduit ou il faut pour frapper le plus avantageusement la roue qu’on veut faire tourner : & on peut demontrer (8. Dem.) Que l’ouverture, par ou l’eau sort ainsi, doit avoir environ deux pouces & un quart de diamètre : Afin que pendant les 2. Secondes que dure chaque Opération il sorte 200. Livres d’eau du vaisseau NN : Pour place aux autres 200. livres qui doivent être entrées quand ouvrira le robinet E pour l’opération suivante : Et c’est dans le temps que ce robinet est ouvert que l’air se resserre & acquiert de la force dans NN : & ensuitte il se relâche & pert sa force dans le temps que ledit robinet E est fermé & que la pompe DD se remplit.

8. Il ne fera peut être pas aussi inutile de dire qu’il y a icy de même qu’aux pompes ordinaires, deux soupapes : L’une en s qui s’ouvre pour laisser entrer l’eau dans la pompe DD & qui se referme pour empêcher l’eau de ressortir par là ; l’autre en T pour laisser passer l’eau de DD dans NN par les tuyaux HHH MM & pour l’empêcher de retourner par le même chemin afin que elle soit contrainte de passer continuelement par le robinet XX.

9. Je ne crois pas qu’on puisse douter que la machine telle que Je viens de la décrire ne soit fort aisée à mettre en pratique à & assez bon marché : & néant moins on peut faire voir (9. Dem) que par ce moien un homme pourroit produire autant d’effet que cinquante.


CHAPITRE III.


Moiens d’augmenter l’effet de la machine.



ON pourroit encor faire l’effet beaucoup plus grand si on faisoit le reservoir d’une grandeur suffisante pourvque, ayant dans sa plus grande compression la force de pousser l’eau à 65. pieds de haut, il eut encor la force de la pousser à 60. pieds lors que l’air seroit le plus dilaté & cela reviendroit à la même chose que s’il la poussoir toujours avec égale force à la hauteur de plus de 62. pieds : Ce qui est de plus d’un tiers plus que nous ne venons de trouver : & ainsi, au lieu de ne faire l’effet que de cinquante hommes, on trouveroit qu’un homme feroit autant & même plus d’effet que septante cinq & pour cela il ne seroit pas besoing que le conduit II MM êut plus de largeur que 7. pouces (10. Dem) car la pression de 65. pieds, que nous supposons sur le piston FF suffiroit pour faire passer bien plus de 200. livres d’eau en une seconde par une ouverture de 7. pouces : malgré la resistance de l’air condensé autant que J’ay dit dans le reservoir NN.

2. L’augmentation d’effet dont Je viens de parler est peu de chose en comparaison de celle qu’on pourroit obtenir en augmentant la pression dans la retorte AA : Car celle dont J’ay parlé jusques icy pour pousser l’eau jusques à 64. ou 65. pieds n’est équivalente que à deux fois la pression ordinaire de l’air : or il est certain que l’on peut faire la pression beaucoup plus grande puisqu’, avec les digesteurs ou machines à cuire les os, qui n’étoient pas tout enfoncez dans leur fourneau, comme il est icy la retorte AA, jay fait quelques fois des pressions æquivalentes a onze fois la pression de l’air. Ainsi on peut conter hardiment que, la retorte êtant si bien echaufféee qu’ell’est & avec l’aide des fers rouges enfermez dans la pompe DD, on pourra faire des pressions bien plus de six fois plus fortes que celle qu’il faut pour pousser l’eau à 64. pieds de haut : & qu’alors un homme faroit presque autant d’effet que 500. autres qui n’auroient que les inventions usitées jusques à present.

3. Si on considere outre cela que le vaisseau DD & ses tuyaux sont d’une capacité fort mediocre & qu’on pourroit aisement les augmenter, soit en largeur soit en hauteur en sorte que ce vaisseau fourniroit 400. livres d’eau à chaque opération & même bien davantage : On tombera sans doute d’accord qu’il n’y a point d’hyperbole à dire que cette nouvelle invention peut mettre un homme en état de faire seul autant que mille pourroient faire sans cela.

4. Il faut pourtant avouer qu’il sera besoin d’avoir des vaisseaux extrémement forts pour pouvoir resister à une pression aussi forte que celle dont je parle à present, qui est de soutenir l’eau à quatre ou cinq cents pieds de haut : Mais neantmoins on pourra toujours fortifier les vaisseaux par dehors avec des cercles de fer : & passer en dedans des barres de fer qui attachent les deux fonds l’un à l’autre en sorte qu’il n’y aura aucun danger qu’ils se rompent quoyque le poids de toute la machine n’approche pas de celuy d’un canon de batterie : & on pourra retrancher le vaisseau NN quand il faudra seulement faire monter l’eau dans des tuyaux : Mais alors on ne pourra faire les operations si promptes à cause de la grande quantité d’eau qu’il faudra mettre en mouvement à chaque operation.


CHAPITRE IV.


Comparaison de la machine de Mons. Savery avec la nôtre.



AFin qu’on ne se méprenne pas dans le choix qu’on aura à faire entre la machine de Mr. Savery & cellecy : Je vais marquer icy les avantages de cette dernière. Premierement donc la cornue AA étant toute dans le feu se peut échauffer bien plus promptement & à moins de frais que les deux vaisseaux que M. Savery appelle boillers.

2. Je remarque que 2°. les vapeurs, chaudes, qui passent de là dans la pompe pour en chasser l’eau, rencontrent dans sa machine de l’eau froide qui les condense & leur fait perdre la plus grande partie de leur force. Surtout quand il faut pousser l’eau bien haut il est impossible que les vapeurs s’appuient si fortement sur l’eau froide sans en être condensées & ce n’est qu’après que l’eau est échauffée qu’on la peut pousser à 20. ou 25. pieds de hauteur pour chauffer ainsi l’eau il faut consumer beaucoup de vapeurs : il faut donc remettre souvent de nouvelle eau dans la cornue & il faut bien du temps & du bois pour la rechauffer : Mais, par le moien de nôtre piston FF, les vapeurs ne rencontrent toujours que la même surface de ce metal qui acquiert bientôt une si grande chaleur que les vapeurs ne perdent rien ou tres-peu de leur force en s’appliquant dessus.

3. Je remarque 3°. que M. Savery veut que ses pompes s’emplissent par suction lors que les vapeurs, qui ont chassé l’eau de la pompe se condensants par le froid laissent un espace vuide d’air qui se doit remplir d’eau qui monte par un tuyau soudé au bas de la pompe. Or il est bien vray que au commencement du travail cela reussit & c’est aussi de cette manière que nous avons fait autrefois ; Mais depuis cela nous avons éprouvé qu’en continuant de travailler, toutes les pièces s’échauffent en sorte qu’il faut un temps extremement long pour les refroidir assez pour faire la suction. Il a donc fallu avoir recours à nôtre vaisseau GG qui fait que l’eau entre par son poids dans la pompe DD ; & non par suction & afin que les vapeurs chaudes qui sont dans la ditte pompe n’empêchent point l’eau d’y entrer on ouvre le robinet n par ou on sent les vapeurs brûlâtes sortir impetueusement jusques à ce qu’on voye que l’eau commence auqqi à y sortir, alors on est assuré que la pompe est pleine, on ferme vîte le robinet n & on ouvre le robinet E & ainsi les operations se reiterent fort promptement, sans ce remède l’inconvénient dont Je parle dans cest article auroit aussi suffi pour rendre la machine tout à fait inutile.

4. 4°. le fer rouge qu’on introduit par l’ouverture L est aussi un addition fort considérable à la perfection de cette machine : Car par ce moien les vapeurs, qui viennent frapper avec impetuosité contre ce fer, Souffrent une dilatation encor bien plus grande & plus violente que dans la retorte AA : & ainsi il s’en consume une beaucoup moindre quantité ; elles font pourtant bien plus d’effet que si ce fer rouge n’étoit point.

5. Pour prouver incontestablement que le piston FF est neccessaire pour elever l’eau à une hauteur un peu considerable : parce que les vapeurs se condensent aussi tôt qu’elles s’appliquent sur l’eau froide avec autant de force qu’il faut pour pousser l’eau seulement à 25. pieds de haut : Je rapporteray icy une experience que nous avons faitte : C’est que, quand nôtre machine n’avoit point de piston, on voyoit qu’en faisant jalir l’eau dans l’air ouvert l’effet étoit assez bon ; Mais, quand on appliquoit le reservoir NN pour faire jalir la même eau dans l’air un peu pressé, il étoit impossible de reussir : Au lieu que avec le piston on fait toujours un bon effet quoy que la resistance de l’air pressé dans NN soit 10. ou 12. fois plus grande que celle qui étoit invincible sans l’aide du piston. Il me reste de répondre à quelques objections.


CHAPITRE V.


Rêponses à quelques Objections.



PRemierement on peut m’objecter que on sera toujours obligé de verser nouvelle eau dans l’ouverture G & l’autre machine est exempte de cette peine. J’avoue que cela peut être veritable en quelques rencontres : Mais on peut pourtant presque toujours préparer les choses en sorte que l’eau pourra couler d’elle même dans l’ouverture G : Ainsi dans les mines, il sera facile de faire place pour la machine un peu plus bas que n’est l’eau qu’il faut chasser : & quand on voudra se servir de cette machine pour faire tourner un moulin, il ne faudra que mettre la roue que l’au frappe plus haut que l’ouverture G & ainsi l’eau qui aura servi à frapper cette roue pourra toujours recouler dans laditte ouverture & circuler continuellement. Mais, dans les cas mêmes ou on sera obligé d’élever de l’eau d’un lieu plus bas dans lad. ouverture, cette machine sera toujours fort avantageuse : puisque il n’y aura qu’à avoir quelque invention commode pour qu’un homme puisse élever promptement cette eau jusques dans laditte ouverture : ce qui ne fera pas de grande peine, puisque il suffira d’élever l’eau à 15. ou 16. pouces de haut : & ensuite, par l’aide de nôtre machine, un homme seul pourra élever toute cette eau à des hauteurs pour les quelles il faudroit peut être plus de mille hommes : ou bien, par le moien du ressort de l’air il luy communiquera une force æquivalente.

2. On peut m’objecter encor que sa machine (comme nous la faisions d’abord & comme on la fait encor en Angleterre) a deux différentes forces : L’une par la pression des vapeurs qui poussent l’eau en haut ; & l’autre par ll’atraction qui se fait lorsque les vapeurs etant condensées laissent un vuide pour recevoir de nouvelle eau en la place de celle qui a été chassée or par cette nouvelle machine cette seconde force est absolument perdue. On a déjà vû cydessus la reponse à cette objection quand J’ay remarqué que lorsque la machine a un peu travaillé (surtout quand on veut lever l’eau un peu haut) les pièces acquièrent tant de chaleur que les vapeurs conservent long temps une force plus grande que la force de l’air extérieur : &, si on vouloit attendre qu’il se fît un refroidissement suffisant pour tirer l’eau seulement de 12. ou 15. pieds de profondeur, il faudroît attendre tant de temps que la perte seroit sans comparaison plus grande que le gain. Il vaut donc bien mieux ne faire fonds que sur la chaleur & ne s’étudier qu’à la conserver & l’augmenter aux moindres frais qu’il est possible : puisque la pression qu’elle produit a une force bien plus grande & plus prompte que n’est la force de la suction.

3. On objectera peut être encor que les fers rouges qu’on introduira par l’ouverture L Se refroidiront & que ce sera un grand embarras & perte de temps de les ôter pour en remettre d’autres qui soient chauds. Je rêpons à cela premièrement que on n’est pas obligé de se servir de ces sortes de fers si on ne veut & nôtre nouvelle construction seroit toujours préférable par plusieurs autres raisons quand même on n’y ajouteroit point celle cy : neant moins, parce que ces fers font pourtant aussi un effet fort avantageux, Je rêpons en second lieu que l’embarras de changer les dits fers n’est pas si grand qu’on S’imagine : Car il n’y a qu’à soulever d’une main la verge a b par son extrémité a ; ôter la plaque qui couvre le trou & tirer le fer refroidi : ce qui se fait fort promptement parce que ce fer est suspendu à un bouchon qui a une ance fort commode pour cet effet : ayant ensuite mis l’autre fer dans le trou L & la plaque pour le couvrir, on laisse baisser la verge a b qui presse dessus & qui est garnie du contrepoids necessaire pour resister à la pression qu’on veut faire au dedans de la pompe. Le fer rouge demeure d’abord suspendu au haut de la pompe parce qu’il est attaché à un bouchon qui entre bien dans le tuyau soudé sur l’ouverture L mais qui ne sçauroit passer tout outre à cause de quelque obstacle preparé pour cet effet. Il est aisé de juger qu’il n’y a rien en tout cela qui ne se puisse faire fort vîte & le fer étant du poids de 15. ou 20. livres pourra conserver sa chaleur fort longs temps n’étant environné que de vapeurs extrémement chaudes. Il faut pourtant avouer que il se refroidira toujours & que dabord qu’on l’aura mis il fera une rarefaction des vapeurs bien plus violente que quelque temps après : Mais neant moins il ne faut pas craindre que cela rompe la machine : car quand la force intérieure est trop grande elle surmonte la resistance du poids suspendu à la verge a b & ainsi elle ouvre le trou L & le superflu de la force se dissippe par là. On peut voir la maniere de se reigler pour fermer ce trou dans la (35. Dem.).


CHAPITRE VI.


Application de cette machine à faire tourner un moulin.



IL est aisé de juger que cette nouvelle invention se peut appliquer avantageusement à plusieurs ouvrages qui requierent une grande force & Mons. Savery a entr’autres donné les moiens de l’emploier à faire tourner un moulin. Je crois donc qu’il ne sera pas mal à propos de donner aussi icy nôtre manière comme êtant beaucoup plus simple & plus avantageuse que la sienne.

2. Je crois que le meilleur seroit de mettre la roue qui doit être frapée par l’eau sur le même arbre que la meule qui tourne & qu’elle soit aussi paralele à l’horizon & qu’on luy donne plus ou moins de diamètre selon que la vîtesse de nôtre jet sera plus ou moins grande : & pour ne s’y tromper pas il faut sçavoir 1°. quelle vîtesse on peut donner aux meules sans danger de mettre le feu au moulin & il semble que l’experience ayt fait voir qu’il est bon que la meule fasse un tour en une seconde & demie : Scachant, 2°. la vîtesse de l’eau qui doit frapper les ailes, il faudra proportionner les pièces en sorte que la partie des ailes qui est frappée ayt la moitié de la vîtesse de l’eau lorsque la meule fera un tour en une féconde & demie : & alors il n’y aura qu’à faire tomber continuelement entre les meules la quantité de bled nécessaire pour empêcher que la meule ne tourne ni plus ni moins vite. Si par exemple, la vîtesse de nôtre eau est de parcourir 55 pieds en une seconde ; la roue horizontale qui en est frappée & qui fait son tour en même temps que la meule, doit avoir les rayons de près de sept pieds : Car ainsi sa circum ference sera de environ quarante & un pieds qui seront parcourus en une seconde & demi : & par consequent ce feront environ 27. pieds & demi par seconde. Or cette vîtesse étant la moitié de la vîtesse de notre jet on démontre (11. Dem.) que c’est la disposition necessaire pour produire le meilleur effets possible.

4. pour sçavoir ensuitte quelle devroit être la grosseur & la vîtesse du jet afin que nôtre moulin feît autant d’effet que les moulins qui sont sur la seine : nous n’avons qu’à examiner la force que Mons. Mariotte leur attribue. Il dit donc que les aix qui enfoncent dans l’eau pour servir d’ailes à la roue sont de telle étendue que les parties qui sont poussées par l’eau ont 20. differents pieds quarrez de superficie : & il ajôute que l’eau a la vîtesse de parcourir quatre pieds par féconde.

5. Il démontre aussi que la force de l’eau se doit mesurer par l’étendue de sa baze & par la hauteur ou elle peut monter & que deux jets font équilibre l’un contre l’autre quand leurs bases & leurs hauteurs sont en raison réciproque : Si par exemple le premier a sa base 100. fois plus etendue que le second : & que le second ayt la force de monter 200. fois plus haur que le premier, ces deux jets feront équilibre, la hauteur de l’un recompensant la grosseur de l’autre. Nous trouvons donc dabord que la vîtesse de nôtre jet êtant 55. pieds & ½ par seconde il doit monter a 50. pieds de haut (13. Dem.) qui est 200. fois plus que ne pourroit monter l’eau de la Seine : Car la vîtesse de 4. pieds par seconde ne monte qu’à un quart de pied : nôtre jet ayant donc 200. fois plus de hauteur il doit avoir sa base 200. fois moins étendue pour faire equilibre contre l’autre : & par consequent, la base de l’autre étant de 20. differents pieds quarez, il suffiroit que la base du nôtre fût d’un peu plus de 14. pouces (12. Dem.) de sorte que, si nous avions 14. tuyaux chacun d’un pouce quarré d’ouverture qui jettassent l’eau avec la vîtesse pour monter à 50. pieds de haut, ils seroient à peu prés equilibre contre l’eau qui fait tourner les moulins de la Seine.

6. Mais il y a encor une autre chose à observer à quoy M. Mariotte n’a pas pensé : c’est que, encor que deux jets de differentes vîtesses fassent ainsi equilibre l’un contre l’autre, ils ne font pourtant pas également d’effet si on les emploie à tourner des roues mais celuy qui a le plus de vîtesse pourra faire un effet plus grand en même raison que la grande vîtesse est a la plus petite : cela se demontre fort bien (14. Dem.) Puis donc que la vîtesse de notre jet est prés de 14. fois plus grande que celle de l’eau de la Seine son effet sera 14. fois plus grand ; Ainsi donc, au lieu de prendre 14. tuyaux, comme Je viens de dire, il faudra en avoir seulement un & cela suffira pour faire faire à nôtre moulin plus d’effet que ne font les moulins de la seine.

7. J’avoue portant qu’à considerer simplement l’equilibre du jet impétueux contre le jet lent ; & ensuitte l’avantage que donne l’impetuosité pour tourner des roues, nous avons vû que notre jet d’un pouce en quarré montant à 50. pieds ne devroit pas même faire tout a fait autant deffet que les moulins de la seine. Mais il faut considerer aussi que nôtre nouvelle construction a encor bien d’autres avantages que je vais marquer,


CHAPITRE VII.


Divers avantages de cette nouvelle construction.



PRemierement nous n’avons point icy de roues dentées qui s’engrainent dans des lanternes, comme on en a pour augmenter la vîtesse des meules aux moulins ordinaires : & ces engrenages font perdre de la force beaucoup plus qu’on ne s’imagine.

2. Un autre avantage de nôtre construction c’est que l’eau ne perdroit presque point de da force par l’obliquité de son choc contre les ailes de la roue. Pour bien entendre cecy il faut considerer les roues des moulins de la Seine telles que M. Mariotte les décrit : elles ont 5. pieds de rayon & enfoncent de 2. pieds dans l’eau : il ne dit point combien il y a d’ailes ; mais Je suppose qu’il y en ayt six que Je represente fig. 2. par les six ligues noires dont A B, que Je suppose perpendiculaire à l’horizon, est divisée en 5 parties : & deux de ces parties, depuis H jusques en B, sont enfoncées dans l’eau dont la superficie est representée par la ligne LL. Il est vray que, les choses êtans dans cette situation, l’eau pousse à plomb toute la hauteur de deux pieds sçavoir H B : Mais si, outre ces six ailes, nous y en mettions encor six autres marquées par les lignes ponctuées Ac, AE, on voit bien que la partie CF recevroit la plus grande partie de l’eau qui la frapperoit obliquement : & ainsi la partie H M êtant a couvert il ne resteroit plus que la partie M B qui seroit frappée perpendiculairement par le courant de l’eau : & le reste frappant obliquement contre CF ne fait pas tant d’effet que s’il frappoit contre HM : car on sçayt que le coup oblique fait moins d’effet que le perpendiculaire : On voit de plus que plus on feroit le nombre des ailes grand plus il y auroit de coups obliques : car l’aile AV par exemple recevroit dans sa partie XV une quantité de coups plus obliques qu’ils n’auroient été contre l’aile FC : & aussi l’aile AN dans sa partie QN reçoit obliquement les coups qui auroient du frapper perpendiculairement contre MP.

3. Mais encor qu’on n’augmentât point le nombre des six premières ailes on souffriroit pourtant tôujours beaucoup de perte par l’obliquité des coups : parce que si tôt que le raion A B s’avanceroit vers E il cesseroit de recevoir des coups perpendiculaires : & aussi le rayon A D en s’enfonçant dans l’eau ne recevroit que des coups obliques jusques à ce que le point D fût parvenu en B : & il n’y a que dans l’instant qu’il y quelque aile perpendiculaire que ces sortes de roues ne perdent rien par l’obliquité des coups.

4. Nous pouvons voir apresent combien notre construction aura d’avantage par le peu de perte qu’elle fera à cet égard. Nous avons posé que notre roue frappée par l’eau doit avoir les rayons ou ailes de prês de 7. pieds de longueur, c’est à dire environ 84. pouces : Or il seroit facile de faire que nôtre jet ne frapperoit qu’un demi pouce à l’extrémité des dittes ailes : Car, au lieu de ne faire qu’un jet d’un pouce quarré, en pourroit on faire deux qui auroient chacun un pouce de haut, & demi pouce de large : & on pourroit les conduire en sorte qu’ils frapperoient des deux côtez de la roue qui par ce moien ne seroit point plus pressée d’un côté que de l’autre & ainsi les pivots ne souffriroient que peu de frottement dans leurs trous : Il n’y auroit donc que la 160. partie de chaque aile qui seroit rencontrée par l’eau : au-lieu que pour les moulins de la seine il y en a deux cinquièmes parties : Ainsi on pourroit mettre un tres grand nombre d’ailes à nôtre roue sans qu’il y eut aucun danger que celles de derriere empêchassent l’eau de frapper contre celle qui seroit perpendiculaire : & il y en auroit presque toujours quelcune perpendiculaire : &, quand elles cesseroient ou commenceroient d’être frappées par l’eau, elles seroient si peu éloignées de la perpendiculaire que leur force ne seroit pas sensiblement differente de celle de la perpendiculaire même : cela est si manifeste que ce seroit perdre le temps d’en apporter d’autres preuves : Je diray seulement à ceux qui en doutent qu’ils n’ont qu’a diviser la ligne AB en 160 parties : & par le point qui marquera la premiere partie, de puis B en montant, il faut tirer la ligne LL qui marque la superficie de l’eau : & alors ils ne douteront plus du tout ce que J’avance : & avoueront que la perte que nous feront par l’obliquité des coups de l’eau ne merite pas qu’on en parle ; au lieu que dans les moulins de la seine cette perte est bien considerable.

5. Un troisième avantage de nôtre machine c’est qu’elle peut ne rien perdre par l’obliquité des ailes dans l’eau. Pour bien entendre cecy il faut encor regarder la fig 2. ou on peut observer que, le rayon ou aile AB êtant perpendiculaire, il est vray que il sera sera frappé à plomb dans toute la hauteur HB qui est de deux pieds, pourvû qu’il n’y ayt que les six ailes noires : Mais quand le rayon AB sera venu en AE : & AD en AC : il est manifeste que toute l’eau qui passe dans toute la hauteur MB ne communique sa force à rien : & il n’y a que dans l’instant qu’il y a quelque rayon perpendiculaire qu’on ne souffre point de perte à cet égard : &, si on veut diminuer cette perte par la grande quantité d’ailes qu’on peut mettrre à la roue, on tombera dans l’autre inconvénient qui est d’augmenter la perte que nous avons vû qui se fait par l’obliquité du choc. Mais il est aisé de voir que dans notre machine on peut aisement faire que le jet frappe un peu plus pres de l’axe en sorte qu’il soit tout entier rencontré par les ailes dans le temps mêmes qu’elles sont le plus éloignées de la perpendiculaire : & comme nous avons vu qu’il n’y a aucun inconvenient d’en faire un tres grand nombre pour la roue de nôtre moulin, il y en peut toujours avoir quelcune si proche de la perpendiculaire que le jet demeurera presque aussi loin de l’axe que sil frappoit l’extremité d’une aile perpendiculaire : tout cela est si facile qu’il n’est pas besoin de s’y arrêter d’avantage.

6. Je conclus donc que tous ces avantages de notre construction doivent sans difficulté estre suffisants pour rendre l’effet de nôtre moulin considerablement plus grand que celuy des moulins de la seine : pourvu que son jet ayt un pouce quarré de base & la vîtesse de 56. pieds & ½ par seconde la quele vîtesse fait monter à la hauteur 50. pieds.


CHAPITRE VIII.


Contenant quelques observations considerables.



NOus pouvons voir presentement combien nôtre machine pourroit faire tourner de moulins tels que nous les avons representez : en supposant que son jet ayt la vitesse de monter à 50. pieds ou de parcouris 56. pieds & ½ par seconde. On sçait que un parallelipipede d’eau, long de 56. pieds & ½ & d’un pouce quarré de base, doit peser environ 27 livres & ½ c’est donc là la quantité d’eau que fournit, par seconde, l’ouverture quarrée qui fait tourner nôtre moulin : elle fournit donc 55. livres d’eau en 2. secondes : Mais nous avons vû cy dessus que nôtre machine doit fournir 200 livres d’eau toutes les deux secondes : ce qui est presque le quadruple de 55. livres : & ainsi on peut dire que nôtre machine seroit capable de faire tourner quatre moulins qui seroient chacun autant d’effet que les moulins sur la seine : Car ce qu’il s’en faut que 200. ne soient le quadruple de 55. seroit plus que recompensé par les avantages que nous avons remarqué cy dessus que nôtre nouvele construction a par dessus les moulins ordinaires. De plus nous avons cy dessus fait nôtre conte pour avoir la force æquivalente à faire continuelement monter l’eau plus de 62. pieds de haut : ce qui est presque la 5. partie plusque nous ne contons à present. Il est vray pourtant que, pour avoir cette force æquivalente à une force de pousser continuelement l’eau à 62. pieds de haut, il seroit necessaire de faire le reservoir NN bien grand : Mais ce ne seroit pourtant point une grandeur qui dut passer pour impraticable. Neant moins il vaudroit peut être mieux laisser une plus grande difference entre la plus grande & la moindre pression afin de n’être pas obligé de faire ce vaisseau si grand : & la proportion qui suit me paroit assez bonne.

3. Supposons, par exemple, que nous luy donnions 15. pieds de haut : c’est à sçavoir 5. pieds de Q à P, 5. pieds P à O & 5. pieds de O à N : il est clair que pour soutenir 64. pieds d’eau il faudra encor que l’air soit reduit à n’occuper que l’espace QP qui est 5. pieds le tiers de l’espace total : &, à la fin de l’operation, lorsqu’il sera le plus dilate ; il occupera un pied de plus sçavoir l’espace est de 6. pieds : Or on peut démontrer que l’air ainsi dilaté est encor capable de soutenir 48. pieds d’eau (15. Dem.) : Or le milieu entre 48. & 64. c’est 56. & ainsi ayant le reservoir NN de 15. pieds de haut & de 23. pouces de diamètre cela suffiroit pour avoir la force equivalente à une pression tôujours égale qui pousseroît continuelement l’eau à 56. pieds de haut : & cet excès au dessus de 50. pieds est aussi suffisant pour nous recompenser de ce que 200. n’est pas tout à fait quadruple de 55. & ainsi nous ne devons point douter que nôtre machine ne puidde faire plus d’effet que quatre des moulins sur la seine.

4. Mais on pourroit encor faire ledit vaisseau NN beaucoup plus petit : car pourvû que nous puissions avoir dans l’espace QV nôtre air aussi condensé qu’il faut, il est inutile d’avoir toute cette grande hauteur NV qui n’est remplie que d’eau : ainsi il faudroit seulement faire ledit vaisseau d’un peu plus de 6. pieds de haut, en sorte que quand l’air seroit le plus pressé il n’occuperoit que la hauteur N. 5. mais quand il seroit le plus dilaté il occuperoit encor l’espace N 6. & il resteroit encor assez d’eau au dessus de l’ouverture du robinet XX pour empêcher que l’air ne pût s’êchapper par là : on voit donc que la grandeur de ce vaisseau ON peut être fort mediocre & n’apportera point d’obstacle à l’execution.

5. Il ne reste donc que la difficulté d’avoir cet air si comprimé dans toute la hauteur N 6 : & on peut en venir à bout pas plusieurs moiens : mais Je crois que le meilleur seroit d’avoir un robinet assez gros dans l’endroit YY afin qu’en ouvrant ce robinet on pût promptement vuider d’eau tout l’espace entre la soupape T & Y : cet espace donc êtant rempli d’air & le robinet refermé il n’y auroit qu’à faire jouer la pompe : car l’eau qui viendroît de DD par HH ne manqueroit pas de chasser cet air par MM dans le reservoir NN d’où il ne pourroit plus sortir : & ainsi par plusieurs operations reiterées on obtiendroit infalliblement ce qu’on cherche : & quand une fois l’air seroit ainsi pressé ce seroit pour tôujours à moins de quelque accident.

6. La grande hauteur que Je donne au tuyau MM n’est pas sans dessein : Car Je suis persuadé qu’elle peut beaucoup contribuer à augmenter l’effet : La raison en est que, la pression sur le piston FF excede si fort la resistance qui se rencontre dans le vaisseau NN dans le temps que l’air y est le plus dilaté, que ce piston dêcend fort vîte : & ainsi il donne une grande impetuosité à l’eau qui mõte par YMM : & cette impetuosité sert ensuitte à vaincre la resistance de l’air qui se comprime de plus en plus dans NN : On voit quelque chose de pareil quand on fait l’experience de Torricelli ; car il se fait plusieurs allées venues parceque le mercure dêcend dabord & en dêcendant il acquiert un mouvement qui luy donne la force d’aller plus bas qu’il ne deuroit : & ensuitte la pression de l’air exterieur le fait remonter & luy communique aussi un mouvement qui luy donne la force de remonter plus haut que la pression de l’air ne le pourroit soutenir : on peut donc conclure que, par la méme raison, la grande impetuosité du gros cylindre d’eau passant par MM contribuera à comprimer l’air dans NN au dela de ce qu’on pourroit attendre de la seule force des vapeurs qui pressent sur FF : & la soupape T empéchera que l’eau qui sera une fois entrée ne puisse retourner par le même chemin : ainsi il n’y a pas grand mal que la pression de l’air dans NN se trouve considerablement diminuée quand on commence une nouvelle operation : Car cette diminution de pression dans NN fait que l’eau qui rentre par MM acquiert d’autant plus d’impetuosité, & on voit par la qu’il n’est pas besoin de s’embarrasser pour faire les reservoirs NN d’une grandeur incommode & qui côuteroît beaucoup : Cette grandeur ne servant que pour moderer la diminution de la pression de l’air & nous avons vû que cette diminution n’est pas prejudiciable. On peut aussi voir que nôtre machine fera plus d’effet que Je n’ay dit : parce que dans le calcul cy dessus Je n’ay point fait entrer cette force qui doit être produitte par l’impetuosité que l’eau acquiert en montant par le tuyau MM.

7. Je souhaiterois pouvoir aussi calculer la valeur de cette force & donner de boñes reigles pour déterminer quelle doit être la longueur du tuyau MM & la capacité du vaisseau NN pour mettre la machine en êtat de faire le plus grand effet & au meilleur marché qu’il est possible : Mais Je n’ay pas à present le loisir de m’attacher à ces sortes de meditations : & Je croirois faire mal de differer plus long temps à donner au Public une Invention si utile : car, quoyqu’il soit vray que les înstruments astronomiques ne sont pas à estimer à moins qu’ils ne soient fort parfaits : il n’en est pas de même de ces machines icy : & quoyqu’il leur manque encor bien des choses on en peut pourtant dêja tirer de tres grandes utilitez. Je crois donc que le meilleur est de publier sans delay ce petit ouvrage tel qu’il est & d’inviter les lecteurs à vouloit bien pousser aussi plus avant ces recherches si utiles, & à mettre cette machine en pratique pour en tirer des utilitez & luy donner en même temps de plus hauts degrez de perfection. Et il ne faut pas trouver à redire qu’il y ayt diverses choses qui ne sont pas de montrées avec la derniere exactitude : Car, quand meme on se donneroit bien de la peine pour mettre les preuves dans un plus haut degré devidence il n’en reviendroit que fort peu ou point d’utilité pour la pratique.

8. Je raporteray icy un seul exemple de ces demonstrations peu exactes afin que le lecteur puisse la juger des autres. Au 5. article du chap. 2. il est dit que la machine pourra toutes les deux secondes elever deux cent livres d’eau à 40. pieds de haut & la preuve de cela est dans la (7. Dem.) Mais si nous considerons la chose avec attention, nous verrons que cette preuve est fondée sur une fausse supposition : car elle suppose que, quand le piston FF s’êtent dans tout l’espace QO ; mais qu’ensuitte il se doit refferrer dans l’espace QP à cause de la nouvelle eau que le piston y a poussée par sa dêcente. Or cecy ne scauroit être vray à moins qu’on ne reteînt l’eau enfermée dans NN : car il est vray qu’alors l’eau introduitte par la dêcente du piston rempliroit NN jusques à la hauteur P : Mais, puisque nous voulons que l’eau sorte continuellement par le robinet XX, il doit en sortir une si grande quantité durant la dêcente du piston qu’il s’en faudra beaucoup que l’eau qui entre ne puisse monter jusques à la hauteur P. Je repons à cela que quand la pression de l’air dans NN sera moindre que nous ne l’avons supposée, le piston FF deçendra aussi plus vîte parce qu’il aura moins de resistance à vaincre : les operations devront donc s’achever dans un tẽps plus court : & ainsi il ne pourra sortir du vaisseau NN deux cents livres d’eau a chaque operation : vû principalement que la vitesse de l’eau qui sort se diminue par la diminution de la force qui la chasse. Puis donc que chaque operation fait entrer deux cents livres d’eau dans le vaisseau NN & qu’il n’en sortiroit pas une si grande quantité dans le meme temps il est infaillible que ledit vaisseau devroit se remplir de plus en plus jusques à ce que l’air y fût parvenu au degré de condensation necessaire pour chasser deux cents livres d’eau à châque operation & alors il auroit environ la force qu’il faut pour faire, comme nous avons dit, un effet equivalent a celuy de pousser continuelement deux cents livres d’eau à la hauteur de 40. pieds dans le temps de deux secondes. Et il seroit inutile de se fatiguer pour mettre cette proposition dans une plus grande evidence : car, quand même on auroit mis cette demonstration dans la plus grande exactitude Geometrique, Il faudroit pourtant toujours, quand on viendra a l’execution, avoir la precaution de preparer l’ouverture par ou l’eau jaillit en sorte qu’on puisse la rendre un peu plus large ou un peu plus êtroitte selon que l’expérience montrera qu’il en sera de besoin. Je puis ẽcor ajouter icy qu’encor que les operations ne pussent s’achever aussi vîte que nous pretendons & qu’il se trouvât encor quelques autres raison qui feissent que les avantages de nôtre machine fussent de la moitié moins grands que nous ne les avons posez ils le seroient pourant encor autant & plus qu’il n’est nesssaire pour faire conter cette invention comme une des plus utiles qui soient au monde.

9. Il reste encor de donner la maniere de mettre de l’eau dans la retorte AA même dans le temps qu’elle travaille & que la pression des vapeurs qui y sont enfermées seroit capable de soutenir l’eau peut être à la hauteur de plusieurs centaines de pieds : car, quoyque le piston FF & le fer rouge introduit par l’ouverture L puissent beaucoup contribuer à conserver les vapeurs extremement dilatées : & ainsi empêcher qu’il ne se cõsume baucoup d’eau dans la retorte AA il ne faut pourtãt pas esperer qu’elles ne se consumeront point dutout & il est tres avantageux de pouvir reparer la diminutiõ de l’eau sans qu’il soit necessaire d’interrompre le travail & de laisser échapper tout ce qui fait effert pour sortir de la retorte Cela se peut fort bien faire par le moien du robinet R au quel on peut ajuster une pompe de manière qu’on fera entrer par force l’eau dans la retorte quand meme la resistance de la pressiõ interieure seroit capable de soutenir l’eau à la hauteur de plus de mille pieds. J’ay autres fois, chez Mr, Hugens ajusté ainsi une pompe qui pressa l’air jusques à pouvoir soutenir la hauteur de plus de 1500. pieds d’eau : & nous l’auriõs pressé encor bien d’avantage si les vaisseaux ou se faisoit cette pression avoient pû resister. Il n’y a donc point de doute que la retorte AA ne puisse être fournie de nouvelle eau sans discontinuer son operation dans le temps même que la machine poussera l’eau aux plus grandes hauteurs dont on puisse avoir besoin : Car il n’y aura qu’à faire jouer de temps en temps la pompe ajustée au robinet R : &, moiennant divers artifices dont on se peut servir pour exciter la chaleur du feu, peu d’eau suffit pour faire des effets incroiables, la dilatation de l’eau pouvãt surpasser de beaucoup celle de la poudre à canon : & ainsi ce ne sera pas une grande augmentation de travail que de reparer la consumption de l’eau dans la retorte.


P. S.



Jay à la fin du chap. 3. ques si on retranchoit le vaisseau NN & qu’on mît en sa place de gros tuyaux qui conduisissent l’eau à la hauteur que l’on souhaitte, il arriverait que les operations ne pourraient se faire si promptement que quand on se sert du vaisseau NN : Mais Je n’êtois alors fondé que sur la théorie pour avancer cette proposition : ainsi Je crois qu’on sera bien aise d’apprendre que cela est à present confirmé par experieuce. MONSEIGNEUR a fait faire une machine dont le tuyau qui jette l’eau a un peu plus de 5. pouces de diamètre : cette machine est placée dans la cour de la maison que S.A.S. a fait bâtir pour les sciences & les arts : les tuyaux montent jusques au beluedere au dessus du toit & de la maison environ 70 pieds au dessus de la machine : de sorte que l’eau contenue dans soute cette hauteur de tuyau pese environ 600. livres : Il y a donc grand lieu de croire que les vapeurs rencontrant une telle resistance doivent emploier un temps remarquable pour communiquer un mouvement sensible à un si grand poids & en effect, apres que le robinet E est ouvert il se passe environ une seconde de temps avant qu’on voie rien sortir de la courbure qui est au haut du tuyau : & quand l’eau commence à sortir ce n’est qu’une petite quantité qui se grossit par degrez & il faut trois ou quatre secondes avant de refermer le robinet E : Ainsi on peut sâsseurer à present qu’il vaut mieux emploier un vaisseau cõme NN avec des tuyaux mediocres qui jettent l’eau continuelement ; que de se servir de gros tuyaux tels que ceux dont Je viens de parler : S.A.S. ayant encor eu la generosité de faire faire les experiences necessaires pour empêcher qu’on ne se trompe à cet égard. Je diray icy en passant que la methode pour presser l’air dans NN qui a êté décrite au chap. 8. art. 5. Nous ouvre un moien pour faire des soufflets d’une force incroyable ; Surtout dans les occasions ou on a besoin que le vent ayt une tres grande impetuosité.


Table des matieres.


Ou le premier chiffre marque le chapitre & le second chiffrre marque l’article.

RAisons qui obligent à bien conserver la chaleur dans nôtre machine (1.5.)

Une machine de grandeur mediocre peut à chaque operation elever 200. livres d’eau (2.1.)

Chaque operation peut se faire dans le temps de deux secondes & pousser 200. livres d’eau à 40. pieds de haut (2.6.)

Un homme peut par ce moien faire autant d’effect que cinquant qui auroient des machines ordinaires (2.9.)

On peut augmenter l’effect de la machine en sorte qu’un homme fasse plus que septante (3.1.)

On peut encor augmenter l’effet de la machine en sorte que un homme fasse plus que cinq cents (3.2.)

On peut encor augmenter l’effect de la machine en sorte qu’un homme fasse plus que mille. (3.3)

Avantage de nôtre machine par dessus celle de Mr. Savery a cause de son piston (42.)

Raisons pourquoy on ne doit pas se servir de la suction pour remplir nos machines (4.3.)

Experience incontestable pour prouver l’utilité du piston (4.5.)

On montre un gain tres considerable qui vient de la vitesse des forces mouvantes à quoy on n’avoit pas encor pris garde (6.6.)

Nouvelle construction de moulins preferable aux anciens mouins à cause de la simplicité & par deux autres raisons (71.) (72.) &c.

La machine decritte dans ce traitté peut faire tourner quatre moulins dont chacun feroit autant d’effet que les moulins qui sont sur la seine à Paris. (81.)

Nôtre machine peut faire encor plus d’effect que l’on n’avoit dit dans le chapitre 3. (8.6.)

Maniere de mettre de nouvelle eau dans la retorte sans interrompre les operations (8.9.)


FIN.