Nous tous/Les Robes

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Nous tousG. Charpentier et Cie, éd. (p. 248-250).


LXXXIX

LES ROBES


La pitié, dont vivent les drames,
Je la trouve à la note B
Qui fait suite à L’Ami des Femmes,
Comme un joyau, du ciel tombé.

Ô triste envers d’un art folâtre !
Je le demande avec Dumas :
La Vertu peut-elle au Théâtre
Dire tranquillement : Tu m’as ?

L’actrice que le succès porte,
Est-elle souvent ce que fut
Mademoiselle Delaporte,
Quand l’amour la guette à l’affût ?


Ah ! la vertu n’a rien qui glace
L’esprit au vol aérien ;
Elle est partout bien à sa place,
Et la neige ne tache rien.

Même en sa vie impétueuse,
L’actrice au mérite éprouvé
Peut certes rester vertueuse.
Plus d’une femme l’a prouvé.

Sagesse ! tu ne lui dérobes
Rien de son rêve créateur.
Cependant, qui paiera les robes ?
Quoi ! sera-ce le directeur ?

Bon. Je le crois. Même sans preuves.
Mais devant ce tragique effet,
On verra tout à coup les fleuves
Remonter leur cours stupéfait.

Dérogeant aux anciennes règles
Et domestiqués loin du jour,
On pourra voir les sombres aigles
Picorer dans la basse-cour,


Tandis qu’au-dessus de nos foules
S’élançant en plein ciel vermeil,
Les humbles canards et les poules
S’évaderont vers le soleil !

Et sans écouter les murmures
Du vent, symphoniste et bourreau,
On cueillera des pêches mûres
Sur les cimes de la Jung-Frau !


9 mars 1884.