Nous tous/Le Lion

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Nous tousG. Charpentier et Cie, éd. (p. 197-199).
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LXXII

LE LION


Tandis que déjà voulant naître,
Et tout bas me dictant des vers,
Le bleu Printemps, qui nous pénètre,
Gonfle ardemment les bourgeons verts ;

À cette heure où tout le bocage
Est en pleine rébellion,
Je voyais marcher dans sa cage,
De long en large, le Lion.

Il allait, un rayon qui passe
Dans ses cheveux d’or ayant lui,
Comme s’il avait eu l’espace
Ouvert tout entier devant lui.


Comme sur la plage marine
Où les flots jettent leur concert,
Il ouvrait sa large narine
Pour humer le vent du désert.

On eût dit qu’il cherchait la vague
Et le mugissement du flot,
Et son long rugissement vague
Avait la douceur d’un sanglot.

Il marchait d’un pas circulaire
Et, près de toucher la cloison,
Il se retournait, sans colère,
Et repartait dans sa prison.

Raillant sa démarche rapide,
Les spectateurs, en son essor,
Trouvaient cet animal stupide,
Avec sa chevelure d’or.

Un bourgeois disait : Il me glace.
Oh ! que ne puis-je lui parler !
Que ne demeure-t-il en place,
Puisqu’il ne peut pas s’en aller ?


Et de rire, dans l’auditoire.
Un autre disait : Tu me plais,
Marche encor, monstre ambulatoire !
Moi, comme je le contemplais,

Dans la face de cet Achille
Ignorant le cruel Paul Bert,
Je crus voir briller l’œil tranquille
Et le clair regard de Flaubert.


21 février 1884.