Nous tous/Cettivayo

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Nous tousG. Charpentier et Cie, éd. (p. 182-184).
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LXVII

CETTIVAYO


Oh ! ces rois d’ébène ou de cuivre !
Parfois, leur histoire va si
Vite, qu’on a peine à la suivre.
Tu l’as dit, ô Gaston Vassy,

Délicieux autant qu’immonde,
Cettivayo, roi des Zoulous,
S’en est allé dans l’autre monde,
Où les gens sont spectres ou loups.

En ce temps où tout se détraque,
Où même Jules Verne ment,
Il avait trouvé la matraque,
Idéal de gouvernement.


Comme Orphée à l’âme éblouie
Eut sa lyre, qui vibre encor,
Feu Dupin, son noir parapluie,
Agamemnon, son sceptre d’or ;

Cettivayo, prince électrique,
Ne quittait pas ce bâton lourd,
Cette matraque, ou simple trique,
Dont il s’escrimait comme un sourd.

Quand ses femmes, bravant sa force,
Voulaient obtenir un acquêt,
Il ne songeait pas au divorce,
Remède prêché par Naquet.

Briser leur boîte cérébrale,
Et frapper, d’un bras courageux,
Sur leur colonne vertébrale,
Tels étaient ses tranquilles jeux.

Si, voyant un vide sinistre,
On disait : Où donc est passé,
Très puissant roi, votre ministre ?
Il répondait : Je l’ai cassé.


Tel est Polichinelle en fête,
Qui chez nous, don Juan déjà mûr,
Pour s’amuser, casse la tête
De sa femme, contre le mur.

Le Zoulou fut marionnette,
Et notre biberon filou
Qui mignotte la chopinette,
Était digne d’être Zoulou.

Mais, avec son nez que décore
Un rubis, fabuleux joyau,
Polichinelle vit encore,
Plus malin que Cettivayo !


16 février 1884.