Nous tous/À l’Hiver

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Nous tousG. Charpentier et Cie, éd. (p. 170-172).
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LXIII

À L’HIVER


Hiver bizarre, hiver tiède,
Par un vent chaud souffleté,
Faux printemps de Samoyède,
Es-tu l’hiver, ou l’été ?

Voyons, faut-il qu’on s’habille
De mousseline, ou de vair ?
Parle. Explique-toi. Babille.
Je veux bien. Es-tu l’hiver ?

Bon. Alors, fournis la glace
Où, sous leurs riants satins,
Les princesses que Worth lace
Courront avec des patins !


Apporte la blanche neige
Où, sous le ciel éclairci,
Défilera le cortège
Des dames, blanches aussi !

Donne un sérieux indice.
Te plaît-il d’être l’été ?
Que la Seine resplendisse
Comme le Guadalété !

Dans les clairières ouvertes,
Donne aux arbres les frissons
Des tremblantes feuilles vertes,
Et qu’ils soient pleins de chansons !

Apporte des tas de roses,
Et que Lise au front charmant
Dans les forêts grandioses
Folâtre avec son amant !

Déballe ta marchandise.
Mais jusqu’à présent, mon cher,
Il faut que je te le dise,
Tu n’es ni poisson, ni chair.


J’ignore si Turlurette
Doit prendre son éventail
Ou garder sa chaufferette.
Un hiver épouvantail,

Un hiver cruel, absurde,
À la fois borgne et manchot,
Un hiver chinois ou kurde,
Soufflant le froid et le chaud,

Avec un vent qui nous fouette
Ainsi que des Esclavons
Ou comme une girouette,
Voilà ce que nous avons !


12 février 1884.