Nous tous/Le Cèdre

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Nous tousG. Charpentier et Cie, éd. (p. 164-166).
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LXI

LE CÈDRE


Que nous dit-on ? Monsieur Perrin
S’en irait de la Comédie !
Et d’où vient ce bruit-là ? Du Rhin,
Ou du Gange, ou de la Médie ?

La Comédie ! ô cieux flottants,
Vous le savez, monsieur Émile
Perrin y sera dans cent ans
Et, je l’espère aussi, dans mille.

Comme la froide goutte d’eau,
Coulant toujours, perce la roche,
Un temps, derrière le rideau,
Vient et patiemment s’approche


Où Victor Hugo sera vieux.
Les gens de notre âge sinistre
Pourront braver les envieux.
Coquelin sera mort, ministre.

Mademoiselle Reichemberg,
Se penchant vers l’ombre éternelle,
Aura des blancheurs d’iceberg,
Ainsi que madame Pernelle.

Le vieux comédien Truffier,
Beau de sa gloire octogénaire,
Ne sachant à qui se fier,
Trouvera que tout dégénère.

Ce temps que la Messagère a
Prédit, viendra ; mais, quoi qu’on die,
Monsieur Perrin dirigera
Plus que jamais la Comédie.

Plus tard, plus tard, encor plus tard,
L’homme futur, avec délice
Quittant le canon, ce pétard,
Reprendra l’arc géant d’Ulysse.


Paris, détruit comme Senlis,
Sera ce que sont à cette heure
Ecbatane et Persépolis.
Alors, mes amis, l’âme en pleure !

La Seine, où parfois nous plongeons
Et dont notre ville s’honore,
Sera la pâture des joncs
Murmurant dans le vent sonore.

Un cèdre croîtra, souverain,
Sur la place où l’on jouait Phèdre
Mais monsieur Émile Perrin
Dirigera toujours — le cèdre !


10 février 1884.