Nous tous/Escrime

(Redirigé depuis Nous tous/25)

Pour les autres éditions de ce texte, voir Escrime.

Nous tousG. Charpentier et Cie, éd. (p. 54-56).


XXIV

ESCRIME


Chez nous l’Éternel Féminin
A pris un essor léonin.
Les femmes les plus délicates
Sont avocates.

D’autres, ayant le charme empreint
Sur leur font, dont nous n’avions craint
Que les œillades assassines,
Sont médecines.

Celles-là, dont le vent mutin
A follement, dès le matin,
Baisé les boucles et les tresses,
Sont les peintresses.


Celles-ci, cœurs inexpliqués,
Mettent en rythmes compliqués
Leurs mélodieuses tristesses
De poétesses.

D’autres par l’esprit le plus fin
Nous ravissent. D’autres enfin,
Et certes ce n’est pas un crime,
Font de l’escrime.

Elles en font même très bien.
Carolus Duran ne sait rien
Vraiment que désormais ignore
Ninette ou Laure.

Ces tireurs, qu’Amour effleurait,
Tiennent maintenant le fleuret,
Enchaînant avec mille charmes
Leurs phrases d’armes.

Que n’as-tu pu voir, ô Balzac !
Leurs ripostes du tac au tac,
Leur jeu correct et leur mimique
Académique !


Aussi bien que l’homme hideux,
Elles savent faire : Une ! Deux !
Quant à leurs attaques d’allonge,
C’est comme un songe !

Qu’elles mènent agilement
Les changements d’engagement !
Quand un homme est leur adversaire,
Mon cœur se serre.

Car bien vite mécontenté,
Il est toujours au fond tenté
De tomber aux pieds de ce sexe
Et, tout perplexe,

Il se sent devenir poltron
À voir frémir sous le plastron,
Comme une cruelle épigramme,
Un sein de femme.


21 décembre 1883.