Édition du Centenaire (p. 9-15).

I. — Les siècles celtiques

(600-52 av. J.-C.)
Origines.

Les Celtes étaient désignés par les Romains sous le nom de Gaulois, « à peu près, dit Camille Jullian (Histoire des Gaules), comme ils donnaient aux Hellènes le nom de Grecs, comme nous donnons aux Deutschen celui d’Allemands ». Les Celtes étaient, sans aucun doute, partis des plaines de l’Asie centrale avec les aïeux des Pélasges, premiers habitants de la Grèce et de l’Italie, et avec ceux des Slaves qui restèrent dans I’Europe centrale — en tous cas bien avant les tribus germaniques qui vinrent ensuite se fixer entre la Vistule et le Rhin. Ils poussèrent droit devant eux, passèrent même la Manche et ne s’arrêtèrent qu’au bord de l’océan. Ils gardaient en témoignage de leurs origines « quelques-uns des dogmes religieux de l’orient et un idiome qui, plus éloigné que le grec et le latin du sanscrit, s’y rattache cependant par des liens étroits ».

L’offensive celte (600-224 av. J.-C.)

Laissant de côté les légendes et les faits obscurs, il convient d’adopter la date de la fondation de Marseille par les Grecs comme point de départ de l’ère historique celte. Cette date est approximative, mais à quelques années près. Les Celtes, en pénétrant en Gaule, y avaient trouvé des populations antérieurement établies ; ils refoulèrent les Ligures sur les côtes de Provence et les Ibères au pied des Pyrénées. Ces derniers, remontés probablement d’Espagne, s’étaient répandus jusqu’aux rives de la Garonne et au delà ; il est permis de voir dans les Basques actuels leurs lointains descendants. La puissance celte domine alors de la Grande-Bretagne à l’Adriatique. À plusieurs reprises, elle se fit sentir au delà du Rhin. Sous quelles formes s’exerça-t-elle ? C’est ce que nous ignorons. Qu’il y ait eu à un moment donné une sorte d’empire celte, vaste confédération de peuplades groupées sous des chefs uniques, rien ne permet de le nier ou de l’affirmer. Ce qui est certain, c’est qu’à l’époque historique, la Gaule s’est montrée divisée en petits États, tour à tour alliés ou ennemis mais déjà stabilisés et organisés, capables de réaliser des expéditions audacieuses, dominés d’ailleurs par une solide unité ethnique et morale.

De cette unité, il ne nous reste, il est vrai, que des témoignages postérieurs, mais dont l’unanimité est remarquable. Tous les auteurs anciens semblent d’accord dans les portraits qu’ils ont tracés des Gaulois. Caton l’Ancien les représente comme dominés par deux passions, celle de la bataille et celle de l’éloquence : « rem militarem et argute loqui », dit-il. Posidonius cité par Strabon, dit que ce peuple est « irritable et prompt au combat. » mais « sans malignité », spontané, anxieux de culture et d’instruction et « prenant volontiers en main la cause de celui qu’on opprime ». Les Romains ont souvent reproché aux Gaulois leur amour des nouveautés : « cupidi rerum novarum ». Diodore de Sicile observe qu’ils « emploient beaucoup l’hyperbole soit pour se vanter eux-mêmes, soit pour abaisser les autres ». Dans la famille celte, les femmes étaient « libres du choix de leur époux ». Elles apportaient une dot et le mari devait « prendre sur son bien une valeur égale ». Ces traits accusent un type qui, d’une part, ressemble beaucoup plus au Français d’aujourd’hui qu’au Français du moyen âge[1] et qui, par ailleurs, diffère assez sensiblement des autres types contemporains. Les particularités s’en accentuent encore si l’on se place aux points de vue gouvernemental et religieux. L’agitation politique a secoué fréquemment les États gaulois ; tantôt des royautés populaires surgissaient pour s’user rapidement, tantôt la domination plus durable des Sénats maintenait le pouvoir aux mains d’oligarchies ombrageuses, tantôt enfin de grands mouvements démocratiques liguaient ensemble les classes laborieuses pour une revendication de leurs droits méconnus ou lésés. Ceci rappelle un peu l’Hellade. La religion semblerait accuser une empreinte différente. Pour trouver une caste sacerdotale aussi fortement organisée que celle des druides, il eût fallu la chercher en Égypte ou en Chaldée. « Il n’y avait à ce moment rien de semblable dans le monde grec ou romain ». Le druidisme pourtant fut un pur produit celte et ne franchit pas les limites des territoires occupés par le celtisme ; il enseignait l’unité de Dieu et l’immortalité de l’âme. La masse, bien entendu, restait adonnée aux pratiques superstitieuses, mais ces dogmes élevés étaient professés par l’élite.

On a disputé sur l’action hellénique en Gaule. Le bon sens indique que les colonies grecques — Marseille et ses filles, Agde, Nice, Antibes — ont joué un rôle considérable au soin du pays celte. Les caravanes de marchands et de banquiers qui en partaient ne se bornaient pas à remonter le Rhône. Par les vallées de la Garonne, de la Loire et de la Seine, elles pénétraient jusqu’aux rivages de l’océan et de la Manche. Les affinités dont nous parlions tout à l’heure expliquent qu’elles aient été bien reçues et encouragées. On sait d’ailleurs que les Gaulois se servirent de l’alphabet grec ; l’enseignement des druides était tout oral ; on a dit que les Grecs leur « avaient appris à écrire ».

La conquête romaine (224-52 av. J.-C.)

La période qui va, de l’an 600 (fondation de Marseille) à l’an 62 (capitulation d’Alésia), se divise tout naturellement en deux cycles distincts. L’an 224 marque, en effet, la fin de l’offensive celte. Cette année-là, la « Gaule cisalpine » cessa d’exister. Les Gaulois furent chassés de la vallée du Pô qu’ils occupaient depuis longtemps. En 391, ils avaient assiégé et pillé Rome. En 284 les Romains avaient pris sur eux une première revanche. Maintenant voici que la puissance celte est bannie de l’Italie ; elle ne dépassera plus les Alpes. En même tempe, le péril germanique grossit sur le Rhin. Le celtisme n’est plus au temps des incursions victorieuses ; il doit combattre sur ses propres frontières. L’un de ses adversaires, celui du nord, a la force du nombre ; l’autre, celui du sud, a la force de l’organisation. S’ils allaient s’entendre ?… Marseille détourne, sans le savoir, le destin. Ayant, dès 155, fait intervenir Rome dans une querelle entre elle et des peuplades ligures, ses voisines, elle provoque, trente ans plus tard (125 av. J.-C.), une nouvelle intervention, cette fois contre les Arvernes et les Allobroges en lutte avec les Éduens. La guerre, longue et dure, aboutit à la création d’une province romaine de « Gaule transalpine » : à peu près le triangle Toulouse-Nice-Genève. Narbonne en est la capitale. Marseille, enclavée, conserve son territoire et ses privilèges. Les Romains ont dès lors pris pied sur la terre celte.

À peine leur établissement s’est-il consolidé que la première grande invasion germanique se produit. En l’an 102 av. J.-C., Marius écrase les barbares à Aix et sauve du même coup la Gaule et la civilisation. Le celtisme va pouvoir maintenant servir de point d’appui à César pour créer l’empire. L’an 58 av. J.-C., César, qui est proconsul des deux provinces de Gaule transalpine et cisalpine, est appelé par les Éduens. C’est que le germain Arioviste, imprudemment attiré par les Arvernes qui se flattaient d’utiliser ses hommes comme mercenaires, a passé le Rhin. Tout un peuple — cent vingt mille, dit-on — vient derrière lui. Et voici que plus de trois cent mille Helvètes, renonçant à leurs foyers pour chercher au midi une meilleure fortune, demandent le passage. César se dresse au travers de ce désordre et, repoussant le traité de partage que lui offre Arioviste, il entreprend, après avoir chassé les Barbares, de conquérir la Gaule entière pour en faire le boulevard du futur empire.

Il fallut six ans pour y réussir. Plutarque, établissant le bilan de l’entreprise, parle de « huit cents villes prises de force », de « trois cents nations » (lisez peuples ou peuplades) soumises, d’environ un million d’hommes hors de combat sur les trois millions qui furent opposés aux légions romaines. Quant à César, il constate qu’il y eut alors chez les Gaulois une ardeur unanime « pour ressaisir l’ancienne gloire militaire de leur race » et que « tous, de toutes les forces de leur âme et de toutes leurs ressources matérielles, ne songèrent plus qu’à se battre ». Certaines de ces expressions, sous la plume concise et nette de César, sont à retenir. Ce passage contient, en effet, une allusion au glorieux passé celte ; il indique aussi la force du mouvement provoqué par le célèbre chef arverne, Vercingétorix. Les Arvernes incarnaient l’esprit anti-romain. Récemment, ils n’avaient pas reculé devant l’appel à des mercenaires germains ; au siècle précédent, ils s’étaient opposés par les armes à l’installation romaine en Provence. Vercingétorix parcourut boute la Gaule pour y prêcher une croisade véritable. Son éloquence, son activité, son influence personnelle eurent raison des oppositions et des rivalités. Ce ne fut pas sans peine. Ici et là, nombre de gouvernants devaient incliner vers Rome par la notion du danger que faisaient courir à la civilisation celte le voisinage et les ambitions de la barbarie germanique. Il semble que Vercingétorix ait trouvé son principal appui dans les rangs populaires et qu’ainsi l’organisation par ses soins d’une coalition nationale ait coïncidé avec une poussée d’effervescence démocratique en réaction contre le régime oligarchique qui depuis quelque temps tendait à prévaloir en Gaule et suscitait des mécontentements.

La capitulation d’Alésia (52 av. J.-C.) et la disparition de Vercingétorix mirent fin à la résistance et, rapidement, la conquête romaine[2] s’acheva.

  1. De tels phénomènes de régression ataviques se manifestent volontiers dans l’histoire ethnique ; ils sont en général le propre des races fortes. César, en parlant des Gaulois, disait précisément : puissante race mais faible société.
  2. Ce terme de conquête doit être pris dans le sens de simple soumission. En effet, aucune nation occidentale ne demeura aussi pure de race que la nation gauloise. Les « colonies » romaines établies par les premiers empereurs dans les vallées de l’Aude, du Rhône et de la Moselle ne comprenaient que de minimes contingents et il n’y en eut aucune entre les Pyrénées, les Cévennes et la Marne. « On peut évaluer à 30.000 au plus le nombre des colons établis par César et Auguste, en dehors, bien entendu des provinces de Germanie. Même en triplant ces chiffres et en tenant compte des négociants, des industriels, des esclaves, cela ne fera jamais une immigration comparable à celle que les Amériques reçoivent de nos jours et qui ait pu modifier le sang et le caractère d’une nation ». (Jullian). Les émigrants italiens se portaient plus volontiers vers le Danube et l’Afrique carthaginoise que vers le Gaule.