Notices sur M. le comte Chaptal, et discours prononcés sur sa tombe, le 1er août 1832/Blanqui

DISCOURS

DE M. BLANQUI aîné,

DIRECTEUR DE L’ÉCOLE SPÉCIALE DU COMMERCE.

La France vient encore de perdre une de ses plus brillantes illustrations : le savant et vénérable Chaptal est mort. Peu d’hommes ont rendu de plus éminens services à leur patrie et à la science, et lui ont consacré une vie plus active, plus pleine, plus dévouée. M. Chaptal était né en 1756, dans une petite ville du département de la Lozère, d’une famille aisée et honorable. Quelques livres de médecine et d’histoire naturelle, trouvés dans la maison paternelle, déterminèrent sa vocation. Initié aux premiers élémens des sciences par un de ses oncles, médecin du plus grand mérite, il se perfectionna, à Paris, à l’école des maîtres célèbres qui venaient de fonder la chimie moderne, et il se lia avec Cabanis, Fontanes et les hommes les plus distingués de son temps.

Bientôt ses concitoyens du Languedoc l’appelèrent à la chaire de chimie qui venait d’être créée pour lui à Montpellier. C’est là qu’il commença les belles leçons qui furent ensuite imprimées sous le nom d’Élémens de chimie, et traduites dans toutes les langues. Pour la première fois, on admira la clarté et la simplicité familière d’une méthode d’enseignement fondée sur des expériences nettes, décisives et susceptibles des plus importantes applications. À peu près vers cette époque, M. Chaptal hérita d’une fortune considérable, qui profita tout entière à la science, et dont il se servit pour fonder des établissemens consacrés aux grandes applications qu’il avait prévues. C’est ainsi qu’eurent lieu les premiers essais de fabrication de l’acide sulfurique, de l’alun artificiel et de la soude factice, qui ont opéré une véritable révolution dans les arts industriels.

C’est encore à Chaptal que nous devons la naturalisation en France du fameux rouge d’Andrinople, et la substitution des terres ocreuses aux pouzzolanes d’Italie. Lorsqu’en 1793, cernée de toutes parts par les armées du despotisme, la France entière courut aux armes, et qu’il lui fallut suffire à une immense consommation de poudre, Chaptal fut chargé par le Comité de salut public d’aviser aux moyens d’y pourvoir, et il parvint à faire fabriquer dans une seule usine jusqu’à trente-cinq milliers de poudre par jour : la France, à cette époque, en produisit plus de quinze millions de livres en un an. Chaptal contribua ensuite à l’organisation de l’École polytechnique ; à celle de l’École de médecine de Montpellier et aux progrès de la chimie, sa science favorite. En vain, et presqu’en même temps, Washington, au nom des États-Unis, la reine de Naples et le roi d’Espagne lui firent offrir d’immenses avantages, s’il voulait abandonner sa patrie : Chaptal en préféra le séjour, alors dangereux, aux offres brillantes qui lui étaient adressées.

Appelé en 1798 à l’Institut, le professeur de Montpellier se fixa définitivement à Paris, y forma de nouveaux établissemens, fut nommé conseiller d’État et ministre de l’intérieur. Tout le monde sait avec quelle ardeur M. Chaptal se livra dès lors au culte des arts utiles, qu’il se plaisait à encourager par tous les moyens qui étaient en son pouvoir. La France lui doit une foule de créations importantes, l’établissement des chambres de commerce, l’amélioration du régime des hôpitaux, et la réunion des premiers documens statistiques recueillis dans toute l’étendue de l’empire. L’empereur, si habile à discerner le vrai mérite, combla M. Chaptal de distinctions et lui fournit tous les moyens de se livrer à son goût dominant pour les arts.

Tout le monde connaît la part que ce savant prit alors à la naturalisation du sucre de betteraves, et ses belles recherches, suivies d’une véritable révolution dans l’art de faire le vin. C’est surtout aux arts utiles qu’il aimait à consacrer ses loisirs, et nous osons affirmer que nul n’en a exposé les principes et les applications avec plus de netteté, d’abondance et de facilité. Ses ouvrages indiquent souvent jusqu’aux opérations les plus minutieuses, et nous ne connaissons que le célèbre Vauquelin qui puisse lui être comparé pour l’exactitude des faits et la sagacité des déductions. Aussi tous ses traités ont-ils été très populaires, et on les trouve encore aujourd’hui plus souvent que ceux des maîtres en renom dans les ateliers de nos industriels. Chaptal a terminé ses travaux par un dernier ouvrage sur l’Industrie française, dont personne n’était plus en position de parler avec supériorité que celui qui avait tant contribué à ses progrès. Jusqu’au terme de ses jours, il a présidé la Société d’encouragement pour l’industrie nationale, témoignant ainsi hautement d’un zèle qui ne s’est jamais démenti pour les progrès des arts utiles.

La conduite politique de Chaptal a toujours été remarquable par sa tolérance et sa modération. C’est surtout aux hommes de mérite qu’il appartient de donner l’exemple de ces vertus si rares de nos jours, où chaque médiocrité essaie de se mettre en relief à force de fanatisme et de dévouement. Chaptal n’a été dévoué qu’à son pays, aux sciences, à l’industrie nationale. Il était de cette génération virile qui s’est fortifiée au milieu des tempêtes, et qui nous a laissé dans les arts et dans la guerre de si glorieux souvenirs. À quoi bon rappeler qu’il était sénateur, qu’il est mort pair de France et grand-officier de la Légion-d’Honneur ? Chaptal a légué à son pays vingt industries nouvelles, cent perfectionnemens ingénieux, au moyen desquels le peuple est mieux vêtu, mieux nourri que dans l’ancien régime ; voilà ses vrais titres de gloire, auxquels il faut ajouter une bienveillance réelle, une sérénité de caractère vraiment admirable, un empressement infatigable à protéger tous les essais utiles. C’était un homme de génie et un homme de bien : respect à sa mémoire ! gloire à son nom !