Œuvres complètes de Chamfort/1/Notes sur les Fables de La Fontaine


Notes sur les Fables de La Fontaine


NOTES
SUR
LES FABLES DE LA FONTAINE.

Séparateur


LIVRE PREMIER.

FABLE I.

Cette fable est une des plus faibles de La Fontaine. Elle n’est très-citée que parce qu’elle est la première. La fourmi qui paiera l’intérêt et le principal. Je chantais, eh bien ! dansez maintenant. La brièveté la plus concise vaudrait mieux que ces prétendus ornemens.

V. 15. La fourmi n’est pas prêteuse ;
V. 15.C’est là son moindre défaut.

Il y a là une équivoque, ou plutôt une vraie faute. La Fontaine veut dire que d’être prêteuse est son moindre défaut, pour faire entendre qu’elle ne l’est pas ; et on peut croire qu’il dit que de n’être pas prêteuse est son moindre défaut, c’est-à-dire qu’elle a de bien plus grands défauts que de ne pas prêter.

FABLE II.

C’est ici qu’on commence à trouver La Fontaine. Le discours du renard n’a que cinq vers, et n’en est pas moins un chef-d’œuvre. Monsieur du corbeau, pour entrer en matière ; et à la fin, vous êtes le phénix, etc.

V. 14. Il est plaisant de mettre la morale dans la bouche de celui qui profite de la sottise : c’est le renard qui donne la leçon à celui qu’il a dupé, ce qui rend cette petite scène, en quelque sorte, théâtrale et comique.

Il est fâcheux que Monsieur rime avec Flatteur, c’est-à-dire ne rime pas ; mais c’était l’usage alors de prononcer l’r de monsieur. On tolère même de nos jours cette petite négligence au théâtre, parce qu’elle est moins remarquable.

FABLE III.

Cette petite fable est charmante par la vérité de la peinture, pour le dialogue des deux grenouilles, et pour l’expression élégante qui s’y trouve.

Plusieurs gens de goût blâment La Fontaine d’avoir mis la morale, ou à la fin, ou au commencement de chaque fable ; chaque fable, disent-ils, contient sa morale dans elle-même : sévérité qui nous aurait fait perdre bien des vers charmans.

FABLE IV.

V. 5. Relevé. Mauvaise rime qu’on appelle suffisante ; La Fontaine pouvait mettre d’un pas dégagé.

V. 6. Et faisait sonner sa sonnette.


Est un vers heureux et d’harmonie imitative, qui s’est trouvé sous la plume de l’auteur.

La Fontaine ne manque pas, du moins autant qu’il le peut, l’occasion de mettre la morale de son Apologue dans la bouche d’un de ses acteurs. Cette fable des deux Mulets est d’une application bien fréquente.

V. 2. Celui-ci, glorieux d’une charge si belle,
V. 2. N’eût voulu pour beaucoup en être soulagé.

Ce mulet-là fait songer à bien d’honnêtes gens.

FABLE V.

Cette fable du loup et du chien est parfaite d’un bout à l’autre ; il n’y a à critiquer que l’avant-dernier vers.

Et ne voudrais pas même à ce prix un trésor.

Un loup n’a que faire d’un trésor.

FABLE VI.

Voilà certainement une mauvaise fable que La Fontaine a mise en vers d’après Phèdre. L’association de ces quatre personnages est absurde et contre nature. Quel besoin le lion a-t-il d’eux pour chasser ? ils sont eux-mêmes le gibier qu’il cherche. Si Phèdre a voulu faire voir qu’une association avec plus fort que soi est souvent dangereuse ; il y avait une grande quantité d’images ou d’allégories qui auraient rendu cette vérité sensible. Voyez la fable du Pot de terre et du Pot de fer.

FABLE VII.

La Fontaine pour nous dédommager d’avoir fait une fable aussi mauvaise que l’est la précédente, lui fait succéder un apologue excellent, où il développe avec finesse et avec force le jeu de l’amour-propre de toutes les espèces d’animaux, c’est-à-dire de l’homme, dont l’espèce réunit tous les genres d’amour-propre.

On ne finirait pas si on voulait noter tous les vers heureux de cette fable.

V. 20. Dame fourmi trouva le citron trop petit.
..................
..................
V. 28. Lynxs envers nos pareils et taupes envers nous.

Et les deux derniers vers.

C’est donc la faute à Jupiter si nous ne nous apercevons pas de nos propres défauts. Ésope, que Phèdre a gâté en l’imitant, dit, et beaucoup mieux, chaque homme naît avec deux besaces, etc. De cette manière, la faute n’est point rejetée spécialement sur le fabricateur souverain. La Fontaine aurait mieux fait d’imiter Ésope que Phèdre en cette occasion.

FABLE VIII.

Autre Apologue, excellent d’un bout à l’autre.

FABLE IX.

V. 27. Fi ! Espèce d’interjection qu’on n’emploie que proverbialement et dans le style très-familier.

FABLE X.

Cette fable est connue de tout le monde, même de ceux qui ne connaissent que celle-là. Ce qui en fait la beauté, c’est la vérité du dialogue. Plusieurs personnes ne semblent voir dans cet Apologue qu’une vérité triviale, que le faible est opprimé par le fort. Ce ne serait pas la peine de faire une fable. Ce qui fait la beauté de celle-ci, c’est la prétention du loup qui veut avoir raison de son injustice, et qui ne supprime tout prétexte et tout raisonnement, que lorsqu’il est réduit à l’absurde par les réponses de l’agneau.

V. 19 et 20. Si je n’étais pas né ne rime pas avec l’an passé. Pure négligence.

FABLE XI.

Ce n’est point là une fable, quoiqu’en dise La Fontaine ; c’est un compliment en vers adressé à M. le duc de la Rochefoucault sur son livre des Maximes. Un homme qui s’enfuit dans le désert pour éviter des miroirs : c’est là une idée assez bizarre, et une invention assez médiocre de La Fontaine.

V. 21. On voit bien où je veux venir.

On le voit à travers un nuage ; cela est si vrai, que La Fontaine est obligé d’expliquer son idée toute entière, et de dire enfin :

Et quant au canal, c’est celui
Que chacun sait, le livre des Maximes.

Cela rappelle un peu le peintre qui mettait au bas de ses figures, d’un coq, par exemple, ceci est un coq.

FABLE XII.

La plupart des fables et des contes ont fait le tour du globe. La Fontaine met en Europe la scène où il suppose que fut fait le récit de cette aventure, récit que les Orientaux mettent dans la bouche du fameux Gengiskan, à l’occasion du Grand Mogol, prince qui dépendait en quelque sorte de ses grands vassaux. Au surplus, ce récit ne peut pas s’appeler une fable ; c’est une petite histoire allégorique qui conduit à une vérité morale. Toute fable suppose une action.

FABLE XIII.

V. 10. Au lieu de deux, etc. Voilà deux traits de naturel qu’on ne trouve guère que dans La Fontaine, et qui charment par leur simplicité.

V. 12. De nul d’eux. Transposition que de nos jours on trouverait un peu forcée, mais qui se pardonnait alors dans le style familier.

V. 13. Un quart, un quatrième.

Un quart voleur survient, etc. Voilà les conquérans appelés voleurs, c’est-à-dire par leur nom. Nous sommes bien loin de l’Épître dédicatoire, et de ce roi qui comptera ses jours par ses conquêtes.

FABLE XIV.

Encore de la mauvaise morale ; on peut trop louer sa maîtresse, et tout éloge qui n’a pas l’air d’échapper à un sentiment vrai, ou d’être une galanterie aimable d’un esprit facile, déplaît souvent même à celle qui en est l’objet. On peut trop louer son roi, 1o quand on le loue et qu’il est blâmable ; 2o quand on le loue démesurément pour une bagatelle, etc.

V. 4. Ce sont maximes toujours bonnes.

Au contraire presque toujours mauvaises.

Castor et Pollux ne font pas un beau rôle dans cette fable. Quel mal avaient fait ces pauvres conviés et ces échansons ? Cela dut faire grand plaisir à ce Simonide, qui était fort avare.

Un jour un athlète qui avait remporté le prix aux courses de mules lui offrit une somme d’argent pour chanter sa victoire. Simonide, mécontent de la somme, répondit : Moi, faire des vers pour des animaux qui sont des demi-baudets ! Le vainqueur tripla la somme offerte. Alors Simonide fit une pièce très-pompeuse qui commence par des vers dont voici le sens : « Nobles filles des coursiers qui devancent les aquilons. »

Le même Simonide fut avec Anacréon à la cour d’Hipparque, fils de Pisistrate. Le dernier ne voulut que des honneurs, il fallut des présens au premier.

V. 64. Melpomène. Tout cela signifie qu’un poète peut tirer quelqu’avantage de ses travaux.

FABLE XVII.

V. 4 et 5. Il avait du comptant,
Et partant.

Ce vers de six syllabes, suivi d’un autre de trois, si l’on peut appeler ce dernier un vers, ne me semble qu’une négligence et non une beauté. Quand cette hardiesse sera une beauté, je ne manquerai pas de l’observer.

À proprement parler, cette pièce n’est pas exactement une fable, c’est un récit allégorique ; mais il est si joli et rend si sensible la vérité morale dont il s’agit, qu’il ne faut pas se rendre difficile.

FABLE XVIII.

V. 4. Besogne, (autrefois besongne) n’est pas le mot propre ; mais, à cela près, la fable est charmante d’un bout à l’autre. Elle me rappelle le trait d’un riche particulier qui avait fait dîner ensemble un antiquaire, qui hors de là ne savait rien, et un physicien célèbre dénué de toute espèce d’érudition. Ces deux messieurs ne surent que se dire. Sur quoi on observa que le maître de la maison leur avait fait faire le repas du renard et de la cicogne.

FABLE XIX.

Dans ce récit, La Fontaine pouvait se dispenser d’annoncer son dessein. Cela diminue la curiosité, d’autant plus qu’il y revient à la fin de la fable, et même d’une manière trop longue et peu piquante.

FABLE XX.

Ces deux petits faits mis ainsi à côté l’un de l’autre, racontés dans le même nombre de vers et dans la même mesure, font un effet très-piquant. Les six derniers vers ne sont que l’explication des six premiers, mais le commentaire plaît autant que le texte.

V. 3. Le beau premier, le fin premier, mots reçus dans l’ancien style pour dire simplement le premier. On le disait encore de nos jours dans le style familier.

FABLE XXI.

V. 7. Les témoins déposaient. Cette formule de nos tribunaux est plaisante : elle nous transporte au milieu de la société. C’est le charme et le secret de La Fontaine ; il nous montre ainsi qu’en parlant des animaux, il ne nous perd pas de vue un seul instant.

V. 31. Plût-à-Dieu, etc. Tous les procès ne sont pas de nature à être jugés ainsi ; et quant à la méthode des Turcs, Dieu nous en préserve. La voici : Le juge, appellé Cadi, prend une connaissance succincte de l’affaire, fait donner la bastonnade à celui qui lui paraît avoir tort, et ce tort se réduit souvent à n’avoir pas donné de l’argent au juge comme a fait son adversaire : puis il renvoie les deux parties.

FABLE XXII.

Je ne connais rien de plus parfait que cet Apologue. Il faudrait insister sur chaque mot, pour en faire sentir les beautés. L’auteur entre en matière sans prologue, sans morale. Chaque mot que dit le chêne fait sentir au roseau sa faiblesse.

V. 3. Un roitelet pour vous est un pesant fardeau.
Le moindre vent qui d’aventure
Fait rider la face de l’eau, etc.

Et puis tout d’un coup l’amour-propre lui fait prendre le style le plus pompeux et le plus poétique.

V. 8. Cependant que mon front, au Caucase pareil,
V. 8. Non content, etc.

Puis vient le tour de la pitié qui protège, et d’un orgueil mêlé de bonté.

V. 12. Encor si vous naissiez à l’abri du feuillage
Dont je couvre le voisinage.

Enfin il finit par s’arrêter sur l’idée la plus affligeante pour le roseau, et la plus flatteuse pour lui-même.

V. 18. La nature envers vous m’a semblé bien injuste.

Le roseau, dans sa réponse, rend d’abord justice à la bonté du cœur que le chêne a montrée. En effet, il n’a pas été trop impertinent, et il a rendu aimable le sentiment de sa supériorité. Enfin le roseau refuse sa protection, sans orgueil, seulement parce qu’il n’en a pas besoin.

V. 22. Je plie et ne romps pas.

Arrive le dénouement ; La Fontaine décrit l’orage avec la pompe de style que le chêne a employée en parlant de lui-même.

V. 27 Le plus terrible des enfans
Que le Nord eût porté jusque-là dans ses flancs.
..................
V. 30. Le vent redouble ses efforts,
V. 30. Et fait si bien qu’il déracine
Celui de qui la tête au ciel était voisine,
Et dont les pieds touchaient à l’empire des morts.

Remarquez que La Fontaine ne s’amuse pas plus à moraliser à la fin de sa fable qu’au commencement. La morale est toute entière dans le récit du fait. Cet Apologue est non-seulement le meilleur de ce premier livre, mais il n’y en a peut-être pas de plus achevé dans La Fontaine. Si l’on considère qu’il n’y a pas un mot de trop, pas un terme impropre, pas une négligence ; que dans l’espace de trente vers, La Fontaine, en ne faisant que se livrer au courant de sa narration, a pris tous les tons, celui de la poésie la plus gracieuse, la plus élevée : on ne craindra pas d’affirmer qu’à l’époque où cette fable parut, il n’y avait rien de ce ton là dans notre langue. Quelques autres fables, comme celle des animaux malades de la peste, présentent peut-être des leçons plus importantes, offrent des vérités qui ont plus d’étendue, mais il n’y en a pas d’une exécution plus facile.


LIVRE DEUXIÈME.

FABLE IV.

V. 10. Il ne régnera plus, etc. Voici encore un exemple de l’artifice et du naturel avec lequel La Fontaine passe du ton le plus simple à celui de la haute poésie. Avec quelle grâce il revient au style familier, dans les vers suivans :

V. 13 ..... Il faudra qu’on pâtisse
V. 13. Du combat qu’a causé madame la génisse.

Madame : mot qui donne de l’importance à la génisse. Ce vers rappelle celui de Virgile (Géorg. liv. 3) : Pascitur in magnâ silvâ formosa juvenea.

FABLE V.

Cette fable est très-jolie : on ne peut en blâmer que la morale.

V. 33. Le sage dit, selon les gens,
V. 33. Vive le roi ! vive la ligue !

Ce n’est point le sage qui dit cela : c’est le fourbe, et même le fourbe impudent. Quel parti devait donc prendre La Fontaine ? Celui de ne pas donner de morale du tout.

Solon décerna des peines contre les citoyens qui, dans un temps de troubles, ne se déclareraient pas ouvertement pour un des partis : son objet était de tirer l’homme de bien d’une inaction funeste, de le jeter au milieu des factieux, et de sauver la république par l’ascendant de la vertu.

Il paraît bien dur de blâmer la chauve-souris de s’être tirée d’affaire par un trait d’esprit et d’habileté, qui même ne fait point de mal à son ennemie la belette ; mais La Fontaine a tort d’en tirer la conclusion qu’il en tire.

Il y a des questions sur lesquelles la morale reste muette et ne peut rien décider. C’est ce que l’Aréopage donna bien à entendre dans une cause délicate et embarrassante dont le jugement lui fut renvoyé. Le tribunal ordonna, sans rien prononcer, que les deux parties eussent à comparaître de nouveau dans cent ans.

FABLE IV.

V. 1. Flèche empennée. Le mot empennée n’est point resté dans la langue ; c’est que nous avons celui d’emplumée, que l’auteur aurait aussi bien fait d’employer.

V. 9. Des enfans de Japet, etc. La Fontaine se contente d’indiquer d’un seul mot le point d’où sont partis tous les maux de l’humanité.

FABLE VII.

Cette fable, très-remarquable par la leçon qu’elle donne, ne l’est, dans son exécution, que par son élégante simplicité.

La morale de cet Apologue est si évidente, que le goût ordonnait peut-être de ne pas y joindre d’affabulation ; c’est le nom qu’on donne à l’explication que l’auteur fait de sa fable.

FABLE VIII.

Cette fable est une des plus heureuses et des mieux tournées.

V. 19. Ses œufs, ses tendres œufs, etc. Il semble que l’âme de La Fontaine n’attend que les occasions de s’ouvrir à tout ce qui peut être intéressant. Ce vers est d’une sensibilité si douce, qu’il fait plaindre l’aigle, malgré le rôle odieux qu’il joue dans cette fable.

FABLE IX.

V. 36. J’en vois deux, etc. Tant pis ; une bonne fable ne doit offrir qu’une seule moralité, et la mettre dans toute son évidence. Au reste, ce qui peut justifier La Fontaine, c’est que ces deux vérités sont si près l’une de l’autre, que l’esprit les réduit aisément à une moralité seule et unique.

FABLE X.

V. 1. Un ânier, son sceptre à la main,
V. 1. Menait en empereur romain
V. 1. Deux coursiers à longues oreilles.

Il y a bien de l’esprit et du goût à savoir tout annoblir sans donner aux petites choses une importance ridicule. C’est ce que fait La Fontaine en mêlant la plaisanterie à ses périphrases les plus poétiques ou à ses descriptions les plus pompeuses.

V. 21. Camarade épongier.

Épongier. Mot créé par La Fontaine, mais employé si heureusement, qu’on croirait qu’il existait avant lui.

FABLES XI ET XII.

Ces deux fables ne comportent aucune espèce de notes, n’étant remarquables ni par de grandes beautés, ni par aucun défaut. C’est la simplicité et la pureté de Phèdre, avec un peu plus d’élégance.

FABLE XIII.

Encore une fable qui n’est point fable. Un trait que La Fontaine raconte en quatre vers, lui donne lieu de causer avec son lecteur, mais pour le jeter dans des questions métaphysiques auxquelles il n’entendait pas grand’chose. De là il fait une sortie contre l’astrologie judiciaire, qui, de son temps, n’était pas encore tombée tout-à-fait.

V 21. Aurait-il imprimé ? etc.

Voilà deux vers qui ne dépareraient pas le poème écrit du style le plus haut et le plus soutenu.

V. 40. Emmenez avec vous les souffleurs tout d’un temps.

Les souffleurs, c’est-à-dire les alchymistes, dont la science est à la chymie ce que l’astrologie judiciaire est à l’astronomie.

FABLE XIV.

V. 2. Car que faire en un gîte, à moins que l’on ne songe ?

Ce vers est devenu proverbe à cause de son extrême naturel, sans qu’on puisse voir d’ailleurs ce qui a fait sa fortune.

V. 29. Et d’où me vient cette vaillance ?

Il se croit déjà brave, et son amour-propre devient son consolateur. Voilà ce me semble la pensée dont il fallait achever le développement ; et c’est ce que l’auteur ne fait pas. Au contraire, le lièvre qui vient de parler de sa vaillance, parle de sa poltronnerie dans les deux derniers vers. On pourrait, pour sauver cette faute et cette contradiction, supposer que le lièvre finit de parler après ce vers :

Je suis donc un foudre de guerre ?


et que c’est La Fontaine qui dit en son propre nom les deux vers suivans ; mais cette conjecture n’est pas assez fondée.

FABLE XV.

Il fallait ce me semble que le renard commençât par dire au coq : « Eh ! mon ami, pourquoi n’étais-tu pas aux fêtes qu’on a données pour la paix qui vient de se conclure ? » Dans ces vers, nous ne sommes plus en querelle, le renard n’a l’air que de proposer la paix.

V. 17.    Que celle
De cette paix.

Ces deux petits vers inégaux ne sont qu’une pure négligence, et ne font nullement beauté.

V. 19. Et ce m’est une double joie
De la tenir de toi, etc…

Les ressemblances de son déplaisent à l’oreille.

V. 32. Car c’est double plaisir de tromper le trompeur.
V. 29. Malcontent, etc. On dirait aujourd’hui mécontent.

Le coq ne trompe pas le renard, il le joue, il se moque de lui.

FABLE XVI.

V. 8 .....Pour la bouche des dieux.

Cette exposition montre la finesse d’esprit de La Fontaine. Les dieux étaient supposés respirer l’odeur des sacrifices, mais non pas manger les victimes. La Fontaine, par ce mot de la bouche des dieux, indique leurs représentans, qui avaient soin de choisir les victimes les plus belles et les plus grasses.

Les quatre derniers vers sont charmans ; le second et le quatrième sont devenus proverbes. Ce rapport de sons répété deux fois entre la rime de eure et celle de eurs, les gâte un peu à la lecture.

FABLE XIX.

Cette fantaisie de chasser doit être trop fréquente chez le lion pour qu’il y ait de la justesse à employer cette expression, se mit en tête ; ce mot semble indiquer une fantaisie nouvelle ou du moins assez rare.

Sanglier était autrefois de deux syllabes, ce qui était assez dur à l’oreille.

V. 12. Leur troupe n’était pas encore accoutumée, etc.

Il fallait donc que ce fût au commencement du monde. Cette circonstance paraît bizarre… dit l’âne en se donnant tout l’honneur de la chasse. Il fallait ce me semble que l’âne se rendît tout-à-fait insupportable au lion par ses fanfaronnades ; cela eût rendu la moralité de la fable plus sensible et plus évidente.

FABLE XX.

Ce n’est point là une fable ; c’est une anecdote dont il est assez difficile de tirer une moralité.

V. 5. Une histoire des plus gentilles.

Quoique ce soit d’Ésope que La Fontaine parle ici et non pas de lui-même, peut-être eût-il été mieux de ne pas promettre que l’histoire serait gentille ; on le verra bien.

V. 22..... Chacune sœur. C’est le style de la pratique ; et ce mot de chacune, au lieu de chaque, fait très-bien en cet endroit.


LIVRE DEUXIÈME.

FABLE I.

V. 4. Les derniers venus, etc., n’y ont presque rien trouvé.

V. 16. Et que rien ne doit fuir, etc. Locution empruntée de la langue latine.

V. 32. La guerre a ses douceurs, l’hymen a ses alarmes.

Vers charmant.

V. 23. ....... où buter. Ce mot de buter est sec et peu agréable à l’oreille.

V. 74 .... Car, quand il va voir Jeanne. La Fontaine, après nous avoir parlé de quolibets coup sur coup renvoyés, pouvait nous faire grâce de celui-là.

V. 81. Quant à vous, suivez Mars, etc. Ce n’est point La Fontaine qui parle à son lecteur, c’est Malherbe qui continue et qui s’adresse à Racan. Celui-ci ne prit ni femme, ni abbaye, ni emploi ; il se livra à son talent pour la poésie, qui lui fit une grande réputation. DE CIÎAMFORT. QI

FABLE ir.

La Fontaine a pris ici le ton le ]>lus simple , et ne parait pas olier- cher le moindre embellissement. Il a craint sans doute qu'on ne le soupçonnât d'avoir voulu lutter contre Horace , cjui , dans une de ses Épîtres , a mis en vers cet Apologue d'une manière beaucoup plus piquante et plus agréable.

V. 7. Chacun d'eux résolut de vivre en gentilhomme, Sans rien l'aire. . .

Voilà un trait de satyre qui porte sur le fond de nos mœurs, mais d'une manière bien adoucie. C'est le ton et la coutume de La Fontaine de placer la morale dans le tissu de la narration , par l'art dont il fait son r< cit.

V. 25 Et la chose est égale. Pas si égale. Mais La

Fontaine n'y regarde pas de si |)rès. On verra ailleurs qu'il ne traite pas aussi bien l'autorité royale , et fjuc même il se permet un trait de satyre qui passe le but.

FAIÎLE III.

V. 5. Hoqneton. Ce mot se dit et d'une sorte de casaque que por- tent les archers, et des archers qui la portent.

V. 10. C'est moi qui suis Cuillol, berger de ce troupeau.

Comme ce vers peint merveilleusement les fripons et les attentions superflues qu'ils prennent pour le succès de leurs fourberies ; atten- tions qui bien souvent les font éclîouer !

V. rfi. . . . Comme aussi sa musette. Ce dernier hémistiche est d'une grâce charmante. Ce qu'il y a de hardi dans l'expression , d'une musette qiildort, devient simple et naturel , })réparé par le som- meil du l)erger et du chien.

V. 22. Mais cela giMa son affaire.

C'est ce qni arjive. On lecomiaît l'imposteur à la caricature : le^

�� � fripons déliés l'évitent soigneusement : et voilà ce qui rend le monde si dangereux et si difficile à connaître.

Y. ^-1. Quiconque est loup, etc. . . . Il fallait finir la fable au vers précédent, toujours par quelque endroit fourbes se laissent prendre. La Fontaine alors avait l'air de vouloir décourager les fripons, ce qui était travailler pour les honnêtes gens.

FABLE IV.

V. 14. Or c'était un soliveau... Il faut convenir que la conduite de Jupiter, dans cet Apologue, n'est point du tout raisonnable. Il est très-simple de désirer un autre roi qu'un soliveau, et très-naturel que les grenouilles ne veuillent pas d'une grue qui les croque.

FABLE V.

V. 22. Et vous lui fait un beau sermon.

La Fontaine se plaît toujours à développer le caractère du renard, et il le fait sans cesse d'une manière gaie et comique. Les autres fabulistes sont secs auprès de lui.

FABLE VI.

V. 5. Fourbe, moins commun que foourberie.

V. 8. Possible , guèrcs. . Mot que Vaugelas , Ménage et Thomas Corneille ont condamné. L'usage a , depuis La Fontaine , confirmé leur arrêt.

V. 19. Gésine... Mot vieilli, qui ne s'emploie guère que dans les tribunaux.

V. 25. Obligez-moi de n'en rien dire.

C'est la première précaution du fourbe. La Fontaine ne manque pas ces nuances, qui marquent les caractères et les passions.

V. 2(). Sottes (le ne pas voir, etc. . . La Fontaine a bien fait de pré- Tcnir ses lecteurs sur cette invraisemblance avant qu'ils s'en apperçusDE CIIAMFORT. 93

sent eux-mêmes. Mais elle n'en est pas moins une tache dans cette faille. Il n'est pas naturel que la faim ne force pas tous ces animaux à sortir.

��FABLE VII.

��V. I . . . OU toujours il revient. Oii , pour auquel. Selon d'Olivet , auquel ne peut se supporter en vers : oii pour auquel ne peut se dire. Voilà les poètes bien embarrasses. Racine n'a point reconnu cette règle de d'Olivet.

FABLE VIII.

Cette goutte que l'auteur personnifie pour la mettre en scène avec l'araignée , est une idée assez bizarre et peu digne de La Fontaine.

V. II. . . ^/■ai,'«<? , vieux mot conservé pour le besoin de la rime ou du vers.

��V. i6. . . Vous êtes une ingrate. Mot qui exprime à merveille un des grands caractères de l'ingratitude , qui compte pour un bienfait le mal qu'elle ne fait pas.

FABLE X.

V. I. On exposait en peinture. Une femme d'esprit , lasse de voir dans nos Uvtcs des peintures satyriques de son sexe , appliqua aux hommes qui font les livres , la remarque du lion de cette fable. Elle avait raison; mais les femmes ont mieux fait depuis : c'est de prendre leur revanche , de faire des livres , et de peindre les hommes à leur tour.

��V. I. . . . Gascon, d'autres disent Normand. Cette uicertitude , ce doute où La Fontaine s'enveloppe avec l'apparence naïve de la bonne foi historique , est bien plaisante et d'un goût exquis.

On a critiqué , et bons pour des t^oujats , et l'on a eu raison ; les goujats n'ont que faire là.

�� � 94 OEUVRES

��FABLE XII.

V. S.^Tantùt on les eut vus côte à côte nager.

Ce vers et les deux suivans sont d'une vérité pittoresque qui met la chose sous les yeux.

FABLE XIII.

V. i3. . . . Xowt'rtf^. ^lot de style burlesque, qui s'emploie, comme on lésait , pour louveteau.

\. 1-. J'en conviens; mais de quoi sert-elle, Avec des ennemis sans foi?

La Fontaine se met ici à côté d'une grande question , savoir jus- qu'à quel poiut la morale peut s'associer avec la politique.

FABLE XIV.

V. 1. Prouesse, action ait preux, vieux adjectif qui signifie, en stvle marotique , brave , vaillant.

FABLE XV.

V. 8. Depuis le temps de Thrace , etc. , n'est pas une tournure bien poétique ni bien française : cependant elle ne déplaît pas , parce qu'elle évite cette phrase : depuis le temps où nous étions ensemble dans la Thrace.

Fable xvi.

V. aj Assez hors de saison. C'est mon avis, et je ne

conçois pas pourquoi La Fontaine s'est donné la peine de rimer cette historiette assez médiocre.

FABLE XVII.

V. ig. Ce que je vous dislà , on le dit à bien d'autres :

La Fontaine , avec sa délicatesse ordinaire, indique les trailans d'aiois , tourne court bien vite, comme s'il se tirait d'un mauvais ras»

�� � DE CHAMFORT. qS

FABLE XVIII.

Cette fable est charmante d'un bout à l'autre pour le naturel , la gaîté , surtout pour la vérité des tableaux.

��LIVRE QUATRIEME.

��V, 5. Ta qui nàquites toute belle, A votre iuditl'érence près.

Ces deux vers sont d'une finesse peu connue jusqu'à La Fon" taine , mais l'Apologue ne vaut rien. Quoi de plus ridicule que cette supposition d'un lion amoureux d'une jeune fille , de l'entrevue du lioa et du beau-père de ce lion , qui se laisse limer les dents ? Tranchons le mot, tout cela est misérable. Il était si aisé à La Fontaine de composer un Apologue dont la morale eut été comme dans celui-ci :

Amour! Amour! quand tu nous tiens, On peut bien dire adieu prudence.

FABLE II.

Cette petite aventure n'est point mie fable : La Fontaine l'avoue lui-même par ce vers :

Ceci n'est pas un conte à plaisir inventé.

Il s'en sert pour amener de la morale.

V. 24. . . assuré. Mauvaise rime.

V. 2j. Les conseils de la mer et de l'ambition ,

Expression très-noble et rapprochement très-heureux, qui réveille dans l'esprit du lecteiu" l'idée du naufrage pour le maiiu et pour l'ambitieux.

�� �

FABLE III.

Le commencement de cette fable est cLarmant. L’indignation de la fourmi contre l’illusion de l’amour-propre , et l’aveuglement de la fourmi qui se compare à elle , peint merveilleusement le délire de la vanité ; mais La Fontaine a eu tort d’ajouter

Y. 1 j. Et la dernière main cjue met à sa Lcaulo Une femme allant en conquête , C’est un ajustement des mouches emprunté.

D’abord ajustement n’est pas le mot propre. Ensuite le petit ornement s’appelle mouche eu français , et autrement dans une autre langue. Cependant ce jeu de mots est plus supportable que tous ceux qui se trouvent dans la réponse de la fourmi.

V. ô(j. Les mouches de cour chassées : Les mouchards sont pendus, etc.

Ce sont de mauvais quolibets qui déparent beaucoup cette fable , dont le commencement est parfait. On se passerait bien aussi du fnenier et de l’armoire des deux derniers vers.

FABLE IV.

Voici une fable presque parfaite. La scène du déjeûné , les questions du seigneur , l’embarras de la jeune fîlle, l’étonnement respectueux du paysan affligé, tout cela est peint de main de maître. Molière n’aurait pas mieux fait.

FABLE V.

Jolie fable , parfaitement écrite d’un haut à l’autre ; la seule négligence qu’on puisse lui icproclier est la lime toiuc usée , qui rime avec pensée.

FABLE VI.

V. 4 Etroites. La rime vent qu’on prononce étiettes ,

comme on le faisait autrefois, et comme on le fait encore ca DE CHAMFORT. C^'j

certaines provinces. C'est une indulgence qiie les poètes se per- mettent encore quelquefois.

V. ij. Plus d'un guéret s'engraissa.

Ce ton sérieux empriuité des récits de bataille d'Homère, est d'un effet piquant , appliqué aux rats et aux belettes.

V. 5o. N'est pas petit embarras.

Il fallait s'arrêter à ces deux vers faits pour devenir proverbe. Les six derniers ne font qu'affaililir la pensée de l'auteur.

FABLE VII.

Le fait est faux , mais c'est une tradition ancienne. D'ailleurs , La Fontaine évite plaisamment l'embarras d'une discussion ; au surplus , on ne voit pas trop quelle est la moralité de cette pré- tendue fable , qui n'en est pas une.

FABLE VIII.

T. 18. Pline le dit : il faut le croire.

Même défaut dans cet Apologue. Qu'y a-t-il d'étonnant qu'une idole de bois ne réponde pas à nos vœux , et que , renfermant de l'or, l'or paraisse quand vous brisez la statue ? Que conclure de tout cela ? qu'il faut battre ceux qui sont d'un naturel stupide. Cela n'est pas vrai, et cette méthode ne produit rien de bon.

FABLE IX.

V. 1. Un paon muait , un geai prit .son plumage , etc.

Esope met une corneille au lieu d'un geai : la corneille valait mieux, attendu qu'elle est toute noire; sa fantaisie de se parer des plumes du paon n'en était que plus ridicule , et sa prétention plus absurde. C'est Phèdre qui a substitué le geai à la corneille , et La Fontaine a suivi ce changement , qui ne me paraît pas heureux.

Lesseing , fabuliste allemand , a fait une fable où il suppose que les autres oiseaux , en ôtant au geai les plumes du paon , lui arrachent aussi les siennes ; c'est ce qui arrive à tous les plagiaires. On finit par leur oter même ce qui leur appartient,

7

�� � OliLVULS

��F.VBI.E X.

��V. 1. l.e premier , etc. La précision qui règne dans ces quatre jncmiers vers, exprime à merveille la facilité aveclaqucUe l'homme /se familiarise avec les objets les plus nouveaux pour lui et les })lus effrayans. Au reste , ce n'est pas là un Apologue.

��FABLE XI.

��\ . - L'aveiit ni le carême , ii"a^ aient que faire là.

\, i!i. Elle allégua pourtant Its délices tlu bain.

La Fontaine n'évite rieu autant que d'être sec. A oilà pourqi'.oi 11 ajoute ces vers qui sont charmans , quoiqu'il put s'en dispenser après avoir dit : // nccail pas besoin de pins tonique harangue.

FABLE XII.

T. 2. Et la raison ne m'en est pas connue.

ÎVl à moi non j)his , attendu que cette fable n'est pas bonne. Alexandre qui demande un tribut aux quadrupèdes, aux vermis- seaux , ce lion porteur de cet argent , et qui veut le garder pour lui , tout cela pèche contre la sorte de vraisemblance qui convient à l'Apologue. Au reste , la moralité de cette mauvaise fable , si l'on ])eut l'appeler ainsi , retombe dans celle du loup et de l'agneau.

La raison du plus fort est toujours lu meilleure. ,

TAIiLE Mil.

V. 10. Or un cheval cul alors dilï'érenl. • •

Cette fable ancienne , l'une de c(>lles qui renferment le plus grand sens , était une leçon bien instructive poui' les républiques grecfjues.

Les trois derniers vers qui contiennent la moralité de la fable , n'en indiquent pas assez, ce me semble , toute la portée. C'est aussi le déf;Aut que l'on pe^ut reprocher au prologue.

FaIU.E XIV.

V» I, Les grands, etc. La Fontaine 61e le piquant, de ce mot <

�� � DE CHAMFORT. QO

en commençant par en faire l'application aux giands. Il ne fallait que le dernier vers.

FA.EI.Ë3 XY et xvr.

Ces (îenx fables nie paraissent assez médiocres , et on se passerait fort bien du dicton picaid.

' FABLE XVII.

Pourquoi mettre ce mot de Sucrate dans un recueil d'Apolugues ?

• FABLE XVIII.

V. 4- C'est peindre nos mœurs, etc.

Voilà le grand m^'riîe des fables de La Fontaine , et peisonue ne l'avait eu avant lui.

Il était inutile d'ajouter et nu il pas par envie', le désir de surpas- ser un auteur mort il y a deux mille quatre cents ans , ne peut s'appeler envie. C'est une noble émulation qui ne peut être suspecte. Celui même de surpasser un auteur vivant, ne prend le nom d'envie que lorsque ce sentiment nous rend injuste envers un rival.

V\ dernier. Profiter de ces dards i>nis et pris à part.

La consonnance de ce mot dards , placé à l'iiémistiche avec la rime à parc, offense l'oreille.

FABLE XIX.

V. 1. Vouloir tromper le ciel, etc.

Ces cinq premiers vers sont nobles et imposans , ils ont pourtant un défaut. Il s'agit d'un prêtre d'Apollon , par conséquent d'un l'ourbe , d'un payen incrédule, par conséquent d'un homme de bon sens ; et La Fontaine se fàclic et parle comme s'il s'agissait du vrai dieu, d'un prêtre du dieu suprême.

Ce ridicule se trouve dans les histoires ancienne et romaine de UoUin. Ce digne professeur s'emporte contre ceux qui ne croyaient pas à Jupiter , à Neptune. Il suppose , sans y songer , que ces gens-là , nés parmi nous , n'auraient pas cru à notre rehgion

�� � Fable xx.

Cette petite pièce n’est point une fable ; c’est une aventnic très-bien contée, dont La Fontaine tire ime moralité contre les avaies. Le trait qui la termine , joint au piquant d’un saillie épigrammatique l’avantage de porter la conviction dans les esprits.

V. i3. Son cœur avec n’est ni liarmonieiix ni élégant ;

mais est d’une vivacité et d’une précision qui plaisent.

FABLE XXI.

V. I. Un cerf s’ étant sauvé. . . . Cette fable est un petit chef-d’œuvre. L’intention morale en est excellente , et les plus petites circonstances s’y rapportent avec une adresse ou un bonheur infini. Observons quelques détails.

V. 3. Qu’il cherchât un meilleur asyle.

j Voilà le dénouement préparé dès les trois premiers vers.

Y. 5. IMcs frères. . . je vous enseignerai, . .

Il parle là comme s’il était de leur espèce.

V.5. . . . Les pâtis les plus gras.

Voyez avec quel esprit La Fontaine saisit le seul rapport d’utilité dont le cerf puisse être aux bœufs.

V. 12 Les valets font cent tours.

L’intendant même.

Maison très-bien tenue ! tout le monde paraît à sa besogne et ne fait rien qui vaille.

V. \!\. N’apperçut ni cor, ni ramure.

Cela ne paraît guère vraisemblable , et voilà pourquoi cela est excellent.

Y. 20. . . L’homme aux cent yeux. . .

Cette courte périphrase exprime tout , et le discours du maîtrr

est excellent.... Je trouve bien peu d’herbe Cette litière est

vieille Qu’ont (ailles valets avec leurs cent tours? DE CHAMFORT. lOI

V. 54. Ses larmes ne sauraient. . . La Fontaine ne néglige pas la moindre circonstance capable de jeter de l'intérêt dans son récit.

V. dernière Quant à moi, j'y mettrais encor l'œil de l'amant.

Ce dernier vers produit une surprise charmante. Voilà de ces beautés que Phèdre ni Esope n'ont point connues.

FABLE XXII.

V. 2. Voici comme Esope le mit En ciédit;

Il fallait mettre ces deux vers en un , ce qui était facile , et cr qui sauvait en même temps les trois rimes consécutives en it.

V. 6 Environ le temps

Que tout aime. . . .

Un mit suFtit à La Fontaine pour réveiller son imagination mo- bile et sen ible. Le voilà qui s'intéresse au sort de cette allouette , qui a pïissé la moitié d'un printemps sans aimer.

V. i3. A toute force enfin elle se résolut

D'imiter la nature et d'être mère encore.

L'importance que La Fontaine donne à cet oiseau est charmante.

V. 24 Avecque ... Ce mot, dans La Fontahie, se trouve

souvent de trois syllabes, ce qui rend le vers pesant. On ne sup- porte plus cette ic nce.

V. 34. ...Un dit Avec quelle vivacité est peint l'em- pressement des enfans à rendre compte à leur mère. ' ♦

Aider, écouter, manger, mauvaises rimes , c'est dommage. On Toudrait rpe cette fable fût parfaite.

V. 36. S'il n'a dit que cela Peut-on mettre la morale en

action d'une manière plus sensible et plus frappante ?

V. 5o. Il a dit ses parens , mère ! c'est à cette heure. . . Non

Comme la kçon se fortifie par la sécurité de l'alouette.

�� � lOa OEUVRES

V. 67. Voletans et se culbistans.

Ce vers de sept syruJ)es entre deux vers de huit syllabes donne du mou.ement au tahicau, et exprime le sens-dessus-dessous avec lequel la petite famille déménage. La Fontaine ne pouvait guère finir par une plus jolie fiible.

��LIVRE CINQUIEME.

��Vers Ci. Vnnuieur n^ate tout. . . On voit, par ce petit prologue, que La Fontaine méditait plus qu'on ne le croit communément sur son art et sur les moyens de plaire à ses lecteurs. Madame de la Sablière l'appelait un fablier , comme on dit im ]K)mmier; et d'après ce mot , on a cru que La Fontaine trouvait ses fabh's au bout de sa plume. La multitude de ses négligences a confirmé cette opinion ; mais sa né- gligence n'était que la paresse d'un esprit aimable qui craint le tra- vail de corriger , de changer une mauvaise rime , etc. Il y a quelques négligences même dans ce Prologue :

V. 1 1. Enfin si , dans mes vers, je ne plais et n'histruis,

Il ne tient pas à moi; c'est toujours quelque chose.

Cela est commun et ne valait pas trop la peine d'être dit ; mais il

y a plusieurs vers charmans , comme :

r.

V. G Vn auteur gâte tout quand il veut trop bien faire; Non qu'il faille bannir certains traits délifals : ^ DUS les aimez ces traits , et je ne les bais pas.

V. an. Deux pivols sur qui roule aujourd'hui noire vie.

Ce vers et cent autres prnu> eut que La Fontaine ne manque point de force , quoiqu'il ne s'en pique point ; mais il la cache sous un air de bonhommie.

�� � DE CHAMFORT. ÏOJ

V. 5-, Une anijjle comédie à cent actes divers.

C'est là le grand mérite de La Fontaine , et c'est son secret qu'il MOUS donne. Tous ies fabulistes ont fait parler les animaux ; mais Ln Fontaine entre , plus qu'eux tous , dans le secret Je nos passions , quand il les fait parler.

\. 3i 4iix belles laparolc. P«;o/(,' et /vf/c riiueut très-mal.

îvH difûculté de la rime a fait [jardoniier cette faute à des poètes moins négligés que La Fontaine.

V. 33. Un bûcheron. . . . Cette fable, et les quatre suivantes, sont du ton le plus simple. Elles n'ont ni de grandes beautés, ni de grauc^ défauts. Elles n'offrent rien de bien remarquable.

FABLE II.

Y. 2j. Au moindre i'.oquct qu'ils treuvcut.

Treiwent. . . «cecyMC. .. Ces mots-là , qu'on pardoiuiait autrefois , sont devenus barbares. Je l'ai déjà observé , et je n'y rc^ iciulrai plus.

FABLE III.

V. 26. Quelques gros partisans.

Voilà un bon trait de satyre , et il est plaisant défaire parler ainsi le petit poisson.

FAI! LE IV.

V, 11. iV'allàt interpréter à cornes leur longueur.

Ce tour n'est guère dans le génie de notre langue, et la grammaire trouverait à cbicanner ; mais le sens est si clair que ce vers ne dé- plaît pas.

V. 20. . . Et cornes de licornes.

Cette consonnance fait ici un très-bon effet, parce qu'elle ancte l'esprit sur l'idée de l'exagération qu'emploient les accusateurs.

FABLE V.

V. i5. Mais tournez-vous de grâce. . . Molière n'aurait pas dit la c'.iose d'uue manière plus comique.

�� � JO-ΠOEUVRES

��FABLE VI.

��Voici une fahle où La Fontaine retrouve ses pinceaux et sa poésie, ce mélange de tours et cette variété de stvle qui lui est propre. La peinture du tra\ ail des servantes , celle de l'instant de leur réveil , sont parfaites. Dans la plupart des éditions, il y a une faute qui défi- gure le sens , tontes euaaient en jeu : il faut lire , vers 7 , tourets entraient au jeu. Ce sont de petits tours à dévider le fîl.

��FABLE VII.

��Cette fable est visiblement une des plus mauvaises de La Fontaine. On a déjà remarqué que le satjTC , ou plutôt le pa.ssant , fait une chose très-sensée en se servant de son haleine pour réchauffer ses doigts , et en soufflant sur sa soupe afin de la refroidir ; que la duplicité d'un homme qui dit tantôt une chose et tantôt l'autre n'a rien de com- mun avec cette conduite , et qu'ainsi il fallait trouver une autre em- blème , mie autre allégorie pour exprimer ce que la duplicité a de vil et d'odieux.

FABLE VIII. *

V, 2. Que les tiédcs zéphirs ont l'herbe rajeunie.

Cette transposition , au lieu de ont rajeuni l'hei-he , était autrefois admise dans le style le plus noble ; elle n'est plus reçue que dans le style familier , et encore faut-il en user sobrement. Elle vieillit tous les jours.

Prés . . . propriétés. . . . Mauvaises riraes.

V. 24. Mon fils. . .L'hypocrite redouble de tendresse au moment où il se croit sûr de réussir.

FABLE IX.

V. 10. . . . Dès» qu'o^ aura fait l'ofit.

IJoût. Vieux mot qui veut dire la moisson , et dont on se sert en- core en quelques provinces.

�� � DE CHAMFORT. lOj

��V. 8, Dont le récit est menteur, Et le sens est véritable.

Toutes les fables , quand elles sont bien faites , doivent être dans le même cas , et cacliei* un sens vrai sous le récit d'une action in- ventée. D'où vient donc La Fontaine n'applique-t-il cette réflexion qu'à l'Apologue actuel ? Serait-ce qu'une montagne prête d'accou- cher lui aurait paru plus contraire à la vraisemblance qu'une lime qui adresse la parole à un serpent ? Cela serait une grande bonhom- mie.

V. 14. Du vent.

Ce vers de deux syllabes fait ici un effet très-agiéable ; et on ne- peut exprimer mieux la nullité de la production annoncée avec faste.

FABLE xr.'

Cette fable n'est guèie remarquable que par la simplicité du ton et la pureté du style.

��Cette fable est moins un apologue qu'une épigramme. Comme telle, elle est même parfaite, et elle figurerait très-bien parmi les épigram- mes de Rousseau.

■' F.VBLEXIII.

Il crut que dans son corps elle avait un trésor. Cette consonnance de l'iiémistiche et de la rime est désagréable à l'oreille.

��Lesdeux derniers vers de cettepetite fable sont devenus proverbe.

D'un magistrat ignorant , C'est la robe qu'on salue.

�� � io6 OECvnEs

��FABLE XV.

V. 2. . . En de certains climats. En Italie, par exemple , où Ion marie la vigne à l'ormeau , au tilleul , etc.

\'.6. Broute sa bienfaitrice . . . Est une expression hardie , mais amenée si naturellement , qu'on ne songe point à cette liai> diesse.

rAiîi.j-. XV r.

\ . i3. .Ir ne crains que celle du temps.

Cette idée trés-pliilosophique, jetée dans le discours cpie La Fon- taine prête à la lime, fait beaucoup d'effet , parce qu'elle est entière- ment inattendue.

FAB1,K XVI t.

T. 3. Car qui peut s'assurer ù'èlrc toujours heureux ?

Cette raison de ne pas se moquer des misérahles , a l'air d'être peu noble et peu généreuse. En effet , ime àme honnête ne se moque- rait pas des niisi'rahlcs , quand r.iême elle serait assurée d'être toU' joius dans le bonheur. Mais La Fontaine se contente de nous ren- voyer an simple bon sens , et fonde sa morale sur la nature commune et sur la raison vulgaire. On a remarf|ué cpi'il n'était pas le poète de l'héroïsme , c'est assez pour lui ci'être celui de la nature et de la raison.

V. 1.) Sur leur odeur ajanl philosophé,

Conchil

Et Rustaul qui u"a jamais menti.

��La F'ontaine se sert exprès de ces expressions qui a]ipartiennent à l'^u-t de raisonner , que l'hoinuie dit être son seul partage, et que .Oescai tes refuse aux auimaux.

��rABi.r, XVI it.

��V. g. domine vous clés roi , vous ne considérez Qui ni quoi ;

�� � N’est-il pas plaisant Je supposer que ce soit un effet nécessaire et une suite naturelle de la royauté, de n’avoir d’égard ni pour- les choses ni pour les personnages? Ce tour est très-satyrique , et sa simplicité même ajoute à ce qu’il a de piquant.

y. 21. . . Dieu donna géniturc. Les cinq rimes en ure font un effet trés-mauvais , et c’est pousser la négligence , c’est-à-dire la paresse un peu trop loin. Il était bien aisé de corriger cela.

V. 3y. Ou plutôt la commune loi.

Cela est vrai ; mais s’il est ainsi , à quoi sert la morale en général , et où est la morale de cette fable en particulier ? Pour donner une moralité à cet Apologue , il fallait faire entendre que l’esprit consiste à s’élever au-dessus des illusions de l’amour propre , et que notre véritable intérêt doit nous conseiller de nous défier sans cesse de notre vanité.

FABLE XIX.

La manière dont le roi distribue les emplois de son armée est très-ingénieuse ; ces quatre vers qui expriment la moralité de cette fable sont excellens, et le dernier surtout est parfait.

Le monarque prudent et sage , . De ses moindres sujets sait tirer quelque usage , Et connaît les divers talens. 11 n’est rien d’iuutile aux personnes de sens.

FAEI.E XX.

V. 4- • • Du moins à ce qu’ils dirent.

Cette suspension fait un effet charmant. Jusqu’à ce mot, on croirait que l’ours est mort, ou du moins pris et enchaîné.

V, i5. . . Il fallut le résoudre. . . se défaire.

Ce mot de résoudre se prenait autrefois dans le sens que lui donne La Fontaine.

V. 28. . , Otons-nous, car il sent.

Peut-on peindre mieux l’effet de la prévention? Cela me rappelle une farce dans laquelle Arlequin est représenté . couchant dans la I o8 OEUVRES

nie. Il se plaint du froid. Scapin fait avec sa Louche le bruit d'un rideau qu'on tire le long de sa tringle. Il demande à Arlequin com- ment il se trouA'e ^ présent. Oh ! dit celri-ci, il n'y a pas de compa- raison.

^- ^7- Il m'a dit qu'il ne faut jamais

Vendre la peau de l'ours qu'on ne l'ait mis par terre.

La morale dans la bouche de celui qui vient d'être châtie , fait ici mi effet d'autant meilleur que le trait est saillant et l'épigramnic excellente.

FABLE XXI.

Cette petite fable , ainsi que plusieurs de ce cinquième livre , est du ton le plus simple : les deux meilleures sans contredit sont celles de l'ours et celle de la vieille et les deux servantes. Nous serons plus heureux dans le livre suivant.

��LIVRE SIXIEME.

��V. 1. Les fables ne sont pas , etc.

Voici encore un Prologue , mais moins piquant et moins agréable que celui du livre précédent ; cependant on y reconnaît toujoius La Fontaine, ne fût-ce qu'à ce joli vers :

V. 6. Et conter pour conter nie semble pen d'affaires.

Ce vers devrait être la devise de tous ceux qui fout des fables et même des contes.

V. i8. . . L'un amène un chasseur. . .

Cette fable et la suivante semblent être la même et ifoffrir qu'une seule moralité. 11 y a cependant des différences à observer. Dans la jjremiere , c'est un paysan qu'on ne peut accuser que d'imjjru- dence , quand il suppose que sa brebis n'a pu être mangée que [>ar un loup. Il se croit assez fort pour combattre cet animal , et

�� � DE CHAMFORT. IO9

trouve à décompter quand il voit qu'il a affaire à un lion. Il n'en est pas de même de la fable suivante. Celui qui en est le héros , sait très-bien qu'il va combattre tni lion , et cependant il est saisi de frayeur quand il voit le lion paraître. C'est un fanfaron qui l'est, pour ainsi diie, de bonne foi , et en se trompant lui-même.

Il convenait , ce me semble , que La Fontaine exprimât cette diffé- rence et donnât deux moralités diverses. Le paysan n'est nulle- ment ridicide et le chasseur l'est beaucoup. Je crois que la morale du premier Apologue aurait pu être: connaissez bien la natnre du péril dans lequel vous allez vous engager. Et la morale du second : connaissez-vous vous-même , ne sojez pas votre dupe , et ne vous en rap- portez pas au faux instinct cPun courage qui n'est qu'un premier mouve- ment. Au surplus , l'exécution de ces deux fables est agréable , sans avoir rien de bien saillant.

^ FABLE III.

V. I. Corée et le soleil. . . Voici une des meilleures fables. L'auteur y est poète et grand poète , c'est-à-dire grand peintre , comme sans dessein et en suivant le mouvement de son sujet. Les descriptions agréables et brillantes y sont nécessaires nu récit du fait. Observons tous ce vers iniitatif. . . siffle ., souffle, tempête, etc. N'oublions par sur-tout ce trait qui donne tant à penser :

, Fait périr maint bateau ; Le tout au sujet d'un manteau.

Enfin la moralité de la fable exprimée eu un seul vers : Plus fait douceur que violence.

Je n'y vols à critiquer que les deux mauvaises rimes de paroles et diépaulcs.

FABIE IV.

V. 9. . . Pourvu que Jupiter, etc.

L'idée de rendre sensible par une fable , que la Providence sait ce qu'il nous faut mieux que nous , est très-morale et très-philoso- phique; mais je ne sais si le fait par lequel La Fontaine veut k

�� � I I o OEUVRES

iircuver e»t vraiseinblaWr. Il jiaraît certain que le laboureur qui disposerait des saisons, aurait un grand avantage sur ceux([ui sont obligés de les prendre comrae elles viennent , et qu'il consentirait volontiers à laisser doidjler ses baux à cette condition. A cela près, la fable est très-bonne , quoiqu'un goût sévère critiquât peut-être comme trop familiers et voisins du bas ces deux vers :

V. i7>. EnCn du sec et du mouillé , Aussi-tùl qu'il aurait baillé.

V. 16. Trancbc du roi des airs , j)leul , vente , etc.

Ces mots pleut, vente, pour dire, fait pleuvoir , fait venter, ne sont pas français en ce sens.

Ce sont de ces verbes que les grammairiens a])pell('nt imperson- nels , parce que personne n'agit par eux ; mais La Fontaine a si bien préparé ces deux expressions , par ce mot tranche de roi des airs', ces mots , pleut, vente , semblent en cette occasion si naturels et si nécessaires, qu'il y aurait de la pédanterie à les critiquer. L'au- teur brave la langue française et a l'air do l'cnricbir. Ce sont de les fautes qui ne réussissent qu'aux maîtres.

��\. 1. Ln souriceau loul jeune, etc. . . •

Voici encore une de ces fables qui peuvent passer pour un cbcf- d'œuvre. La narration et la morale se trouvent dans le dialogue des personnages , et l'auteur s'y montre à peine , si ce n'est dans cinq ou six vers qui sont de la plus grande simplicité. Le discours du soiu'iceau, la peinture qu'il fait du jeune coq, cette petite vanité ,

\. 20. Que moi, qui, grfice aux dieux, de courage me pique.

Ce beau raisonnement , cette logique de l'enfance, // sympathise nvec les rats.

V. 29, . . . Car il a des oreilles

Ln figure aux iiùlres pareilles.

Tout cela est excellent , et le discours de .la mère est parfait : paè un mot de trop dans toute ln fable, et pas une seule négligence.

�� � FABLE VI

V. 1. Les animaux au décos d’un lion.

Cette fable écrite purement et où le fait est bien raconté , a , ce me semble, le défaut de n’avoir qu’un but vague, incertain, et qu’on a de la peine à saisir.

V. dernier. A peu de gens convient le diadème ,

dit La Fontaine; mais il y avait bien d’autres choses renfermées dans cet Apologue. La sottise des animaux qui décernent la couronne aux talens d’un bateleur , devrait être punie par quelque catastrophe, et il ne leur en arrive aucun mal. Les animaux restent sans roi. L’assemblée se sépare donc sans rien faire. Le lecteur ne sait où il en est, ainsi que les animaux que l’auteur introduit dans cette fable.

FABLE VII.

Fable très-bonne dans le genre le plus simple et presque sans ornemens.

FABLE VIII.

V. 1. Le mulet d’un prélat. . .

V. i5. Notre ennemi c’est notre maître.

On ne cesse de s’étonner de trouver un pareil vers dans La Fontaine , lui qui dit ailleurs ;

On ne peut trop louer trois sortes de personnes.
Les dieux , sa maîtresse et son roi.

Lui qui a dit dans une autre fable :

Je devais par la royauté ;
Avoir commencé mon ouvrage.

On ne lui passerait pas maintenant un vers tel que celui-là , et on ne voit pas pourtant qu’on le lui ait reproché sous Louis XIV. Les écrivains de nos jours, qu’on a le plus accusés d’audace, n’ont pas iî'2 OEUVRES

poussé la liardiesse aussi loin. On pourrait observer à La Fonlaiiie que notre maîti-e n'est pas toujours notre ennemi, qu'il ne Tost pas lorsqu'il veut nous faire du bien et qu'il nous en fait ; que Titus , Trajan furent les amis des Romains et non pas leurs ennemis ; que l'ennemi de la France était Louis XI , et non pas Henri IV.

FABLE IX.

y. 2 1. Nous faisons cas du beau , nous méprisons l'utile.

C'est-là lui des Apologues de La Fontaine dont la moralité a le plus d'appliftitions , et qu'il faut le plus souvent répéter à notre va- nité , qui est , comme il dit ailleurs ,

Le pivot sur qui tourne aujourd'hui notre vie.

FABI.E X.

V. j. Avec quatre grains d'ellébore.

C'était riierbe avec laquelle on traitait la folie. Cette plante a perdu chez nous cette propriété.

V. 25. Croit qu'il y va de son honneur De partir tard. . . .

Toujours la vanité.

V. 3i. Furent vains. . . La coupe de ce vers et ce monosyl- labe au troisième pied, expriment à merveille l'inutilité de l'effort que fait le lièvre.

• V. 34. ... Et que serait-ce Si vous portiez une maison ?

Tiait admirable ; la tortue non contente d'être victorieuse , brave encore le vaincu. C'est dans la joie qui suit un avantage remporté, que l'amour-proj^rc s'épanche plus librement. La nature est ainsi faite chez les tortues et chez les hommes. Louez une jolie pièce de vers, 11 est bien rare que l'auteur n'ajoute , je n'ai mis qu'une heure, un jour , plus ou moins ; et s'il s'abstient de dire cette sottise, c'est qu'il y réfléchit, c'est cju'il remporte une victoire sur lui-même, c'est qu'il craint le ridicule.

�� � DE CHAMFORT. i i 3

��FABLE XI.

V. 20. . . . Quoi donc ! dit le Sort en coli/rc.

II faut convenir que l'àue n'a pas tout-à-fait tort <le se plaindre. Le Destin , dans cette fable-ci , a presque autant d'humeur que Ju- piter dans la fable des grenouilles , du soliveau et de l'hvdrc. ?tlais j'ai déjà observé que la morale de la résignation est toujours excel- lente à prêcher aux hommes , bien entendu que le snal est sau» remède.

FABLE XII.

\. dernier Pour un pauvre animal ,

Grenouilles , à mon sens , ne raisonnaient pas mal.

Voici une de ces vérités épineuses qui ne veulent être dites qu'a- vec finesse et avec mesure. La Fontaine > en met beaucoup ; et ce dernier vers, malgré son apparente simplicité, laisse entrevoir tout ce qu'il ne dit pas. Cela vaut mieux que , notre ennemi , c'est notn: maure.

KAKLK XIII.

l

\. 2. (Charitable autant que peu sage ;

Et à la un,

11 est bon d'être charitable; ,,

Mais envers qui? c'est là le point.

��Voilà ce qu'ili^llait peut-être développer. Il fallait faire voir que la bienfaisance ^P peut tourner contre nous-mêmes, ou contre la société , est souvent un mal plutôt qu'un bien ; que,pour<^tre louable , elle a besoin d'être éclairée. C'est-là la matière d'un bon Pro- logue. La Fontame en a fait de charmans sur des sujets moins heu- reux. Au reste , il n'y a rien à dire à l'exécution de cet Apologue. Le tableau du serpent qui se redresse , le vers

V. 20. Il fait trois scrpens de deux coups ,

uieltent la chose sous les yeux. On pourrait peut-être critiquer,

8

�� � II 4 ojuvîir.s

cherche à se réunir, pour dire à réunir les trois portionsde son corps ; mais La Fontaine a cherché la précision.

FABLE XVI. ,

Y. i. De par le roi des animaux,

Fut fait savoir , etc.

J'ai déjà ohservé que ces formules , prises dans la société de» hommes et transportées dans celle des l)ètes , ont le double mérite d'être plaisantes et de nous rappeler sans cesse que c'est de nous qu'il s'agit dans les fables.

\ . iS. Pas un ne marque de retour.

Peut-être était-il d'un goût plus sé^ère de s'arrêter là et de ne pas ajouter les ^ers sui\ans , qui n'enchérissent en lien sur la pensée. Cependant on a retenu les trois derniers vers de cet Apo- logue, et c'est ce qui justifie La Fontaine.

Alais dans cet antre ,

Je vois fort bien comme l'on entre , Et ne vois pas comme on en sort.

f F\BLF. XV.

\ . {). Sur celle qui clianlail ijiioiqiu' pris (Ui tombeau,

^'oyez combien ce vers de sentiment jette d'intérêt sur le soit de cette pauvre allouette.

\ . 12 Elle sent son oujïle maligne.

��'d'

��Maligne rime très-mal a\ ec machi/ie. C'est ce ÂBun appelle une lime provinmale.

V. I- (]e petit auimal

T'en avait-il l'ait davantage ?

Le défaut de cet Apologue est de manquer d'une exacte justesse dans la morale «ju'il veut insinuer. Ce (b'faut vient de ce qu'il est tlans la nature qu'un autour mange une allouette , et qu'il n'est

�� � DE CHAMFORT. I 1

pas dans la natiue bien ordonnée qu'un homme nuise à son sem- blable. De plus , l'autoiu: aurait bien pu manger l'alouette , quand celle-ci n'aurait pas été prise dans le filet.

F\BLE XVI.

Cette fable très-simple n'est susceptible d'aucune remarqua intéressante.

FABLE XVII.

Un chien qui est dans l'eau trouble l'eau , et ne saurait y voir l'ombre de sa proie. Si ce chien était sur une planche ou dans un bateau , il fallait le dire.

FVBLE XVIII.

V. 1. Le phaéton d'une voiture à foin.

Aucun poète français ne connaissait, avant Lafontaine , cet ai t plaisant d'employer des expressions nobles et prises de la haute poésie , pour exprimer des choses vulgaires ou même basses. C'est un des artifices qui jette le plus d'agrément dans le style.

V. 21. Hercule veut qu'on se remue.

Vers charmant qui méritait de devenir proverbe , commt l'est devenu le dernier vers :

Aide-loi , le ciel t'aidera.

Remarquons la vivacité du dialogue entre le charretier et la voix d'Hercule.

FABLE XIX.

��V. 7. Un des derniers se vantait d'être

��Le fond de cette fable est un fait arrivé dans une petite ville d'Italie ; mais le charlatan n'avait fait cette promesse qu'à l'égard d'u;i sot, d'un stupide, et non pas d'un âne: cela était moins invraisemblable , mais n'était pas si plaisant. Que fait La Fontaine?

�� � Il6 01LUVK!S

Il chaige , pour ri-iidic la chose plus comique ; à lu placr du sfiipidc, il met un âne , un âne véritable. Pour cela, il fait parler le charlatan même. Scène enti-e le charlatan , le prince et un phu- saut de la cour. D-' ce fonds , qui était assez médiocre, La Fon- taine sait tirer des détails plaisiius ; et le tout finit par une leçon excellente.

FABLE XX.

V. 4' Chez ranimai qu'on aj!i)elle Loainic > On la reçut à bias ouverts.

��Bonne satire de l'humanité en général ; puis vient la satire de la société , de l'homme civilisé qui n'a fait , par les conventions sociales , que multiplier les sujets de discorde. La Fontaine ne sort pas du ton de la plus simple honl.ommie , et c'est ce qui rend cette fahle si piquante. La difficulté de loger la discorde , parce qu'il n'y avait point de couvent de filles , est un trait imité de l'Arioste , qui la loge chez les moines ; mais La Fontaine qui voulait la lt)ger chez les époux , a su tirer parti de cette imagination de l'Arioste.

FAKLE XXI.

\. 1. La perle d'un époux ne va pas sans soupirs.

Le seul défaut de cette fable est de n'en être pas luie. C'est ime pièce de vers charmante. Le Prologue est ])lein de finesse , de naturel et de grâce. Tous ceux qui aiment 1« s vers de La Fon- taine , le savent presque par cœur.

Le discours du père à sa fille est à la fois plein de senti- ment , de douceur et de raison. La réponse de la jeune veuve est un mot qui appartient encore à la passion ou du moins le jjarait. La description de divers changemens que le temps amène dans la toilette de la veuve ; ce vers :

Le deuil enfin sert de parure ;

Et enfin le dernier irait :

Oii donc Oit le jeune mari f

�� � 1>E CnA?vIFORT. 1 I

��Oii ne sait ce qu'on doit admirer davantage. C'est la perfec- tion d'un poète sérère avec la grâce d'un poète négligé.

��E P t I. O G U K.

��y. 1. Loin d'épuiser une n)at!ère ,

On n'eu doit prendre que la fleur.

On verra, par un grand nombre de fahles du volume suivant, que La Fontaine aurait bien fait de prendre pour lui-même le conseil qu'il donne ici. On verra que plusieurs des fables qu'il fît dans sa vieillesse , d(parent un peu son cliarmant recueil.

V. 5. // s'en i>a temps. . . . Tournure un peu gauloise , mais qui n'est pas sans grâce , pour dire , il est bien temps.

V. i5. Heureux ! On sait que l'époux de Psyché, c'est l'Amour.

��LIVRE SEPTIE.^ll::.

��DsiOICACE A MADAME DE M0XTE5PAX.

��\ . 1. L'Apologue est un don qui vient des' immortels.

��VJE que dit La Fontaine est presque d'une vérité exacte , et est au moins d'une vérité poétique. On trouve des Apologues jusques dans les plus anciens livres de la bible. En voici un bien extraordinaire :

Les arbres voulurent un jour se choisir un Roi. Ils s' adressèrent d^ abord à l'olivier et lui dirent : règne. L'olivier répondit : je ne quit'terai pas le soin de mon huile pour î-égner sur vous. Le figuier dit qu'd aimait mieux ses f gués que l'embarras du pouvoir suprême. La vigne donna la préférence h ses laisius. Enfin les arbres s'adressèrent au buissoti ; le buisson répondit : Je vous offre mon ombre.

On sent tout ce qu'il y a de hardi dans cette idée ; et si on trou- \ait une telle fable dans les écrits de ceux qu'on nomme philosopht s ,

�� � J l8 OEUVRES

on se récrierait contre cette audace. Heureusement le Saint-Esprit nest ])as exposé aux persécutions , et ne les craint pas plus (pi'il ne les inspire ou ne les approuve.

T. 25 Paroles rt regards , tout est eliarinc dans vous.

Cet éloge est trop direct, et le goût délicat de madame de Mon- tespan eût sans doute été plus flatte d'une louange plus fine. Tout ce que lui dit La F<mtaine est assez connnun ; mais il \ a deux vers bien singuliers :

'W 2j. F.t d'un plus grand maître que moi A olre louange esl le jiarliigc

Ce grand maître était , comnu- ou le sait , Louis XIV. Peut-être un autre que La Fontaine n'eut pas osé s'exjirimer aussi simplement ; mais la bonhommie a bien des didits.

��Ce second volume ouvre par le plus beau des Apologues de La Fontaine, et de tous ses Apologues. Outre le mérite de I exécution , qui dans son genre est aussi parfaite cpie celle du cbène et du roseau , cette fable a l'avantage d'im fond beaucoup plus ricbe et plus (tendu; et les applications morales en sont bien ani remeut iuijiortaiites. C'est presque l'hisfcire de toute société bumaine.

Le lieu de la scène est imposant ; c'est rasseuil)li'e g<U(rale des animaux. L'époque en est terrible, celle d'une peste univei selle ; l'intérêt aussi grand qu'il peut être dans im Apol* gue, celui desau\er presque tous les êti'es ; hôtes t/c /'univers soti': le nom (/'(iniinaii.r, comme a dit La Fontaine dans un autreendroit. Les discomsdes ti ois principaux personnages , le lion, le renard cl i'iuie , son! diMie vérité telle que Molière lui-mênu' n'eût ])u iillcr plus loin. Le dé- nouement de la pièce a , comuu' celui d'une lionne comédie , le jnérile d'être préparé sans être prévu , et donne lieu à une surpii.se agréable, a])rès laquelle l'esprit est connue foicé «le rêvera la leçon qu'il vient de rece\(»ir , et aux con»équences qu'elle lui pn seule.

Passons au d, taii.

L'auteur conunencc par le plus grand ton. . . Un mal qui rcjunut

�� � DE CniMFOTxT. 1 «9

la terreur , etc. . . C'est qu'il veut remplir l'esprit du lecteur de l'im- portance de son sujet , et de plus il se prépare un contraste avec le ton qu'il va prendre dix vers plus bas.

V. i5. Les tourterelles se fuyaient ;

Plus d'auiour , partant plus de joie.

Quel vers que ce dernier! et peut-on mieux exprimer la désolation que par le vers précèdent ? . . Les tourterelles se Juraient. Ce sont de ces traits qui valent un tableau tout entier.

Il paraît , par le discours du lion , qu'il en agit de très-bonne foi , et qu'il se confesse ti'ès-complettement. Remarquons pourtant après ce grand vers :

V. aS. Même il m'est arrivé quelquefois de manger Remai'quons ce petit A'ers. . . Le berger.

Il semble qu'il voudrait bien escamoter un pécbé aussi énorme. On se rappelle cet acteur qui , dans Dupuis et Desronais , escamote par sa prononciation le mot de cette petite , ste-p-titc file.

Voyez ensuite ce scélérat de renard , ce maudit flatteur, qui ôte à son roi le remords des plus giands crimes.

\. 07 Vous Icurfites, seigneur.

En les croquant beaucoup d'honneur.

Puis vient ce trait de satire eontic l'homme et contre ses préten- tions à l'empire sur les animaux , reproche qui est assez grave à leurs yeux pour justifier leur roi d'avoir mangé le berger même. Aussi le discours du renard a un grand succès.

Je ne dirai rien des grandes puissances (jui se trouvent inno- centes , mais pesons chaque circonstance de la confession de l'âne.

V. 49 J'ai souvenance. . . .

Qu'en un pré de moines passant ....

Il ne faisait que passer. L'intention dépêcher n'y était pas. Et puis un pré de moines .' la plaisante idée de La Fontaine d'avoir

�� � I20 OEUVRES

choisi des moines, au lieu d'une commune de pciysans, afin que la faute de lâne fût la plus petite possible , et la confession plus comique.

V. 56. Un loup quelque pou clerc

"\ oiià la science et la justice aux ordres du pins fort , comme il arrive , et n'épargnanî pas les injures , ce pelé , ce galeux , etc.

Enfin vient la morale énoncée très-brièvement :

V. Cô. Selon que vous serez heureux ou misérable ,

Les jugemens de cour vous rendront blanc ou noir.

Non -seulement les jngeniens de cour, mais les jugemens de ville et je crois ceux de village. Presque partout, l'opinion publique est aussi partiale que les lois. Partout on jient dire comme Sosie dans l'Amj)hvlrion de IMolièie :

Selon ce que l'on peut être , Les choses changent de nom.

FAIU.E II.

V. 6. N»! Irouvcz pas mauvais

.Te ne sais pourquoi I,a Fontaine parle ainsi. On sait qu'il fut ma- rié. Oublierait-il sa femme? Rien n'est plus vraisemblable; il vécut loin d'elle presque toute sa vie. Au surplus, après mi Ajjologue excellent , voilà une fable fort médiocre, et même on peut diie cpie ce n'est pas une fable. C'est une aventure fort connnune qui ne mrrilait guère la peine d'êtr(> rimée.

��V. I. Les Levantins , cte . . .' .

On verra à la fiu pourquoi La Fontaine met le lit n delà scène dans le Levant.

�� � DE CHAMFORT. 12 1

V. 2 Las «les soins d'ici l)as ,

Se retira , etc '. *

Remarquez ces expressions qui appartiennent à ia langue flévote. C'est ainsi que Molière met tous les termes de la mysticité dans la bouche de Tartuffe.

V. i). La solitude était ]nofonde.

Ces mots si simples, si usités , deviennent plaisans ici . parce qu/- cette solitude était un \tis\c fromage.

V. 10 Que faut-il davantage '.

Quelle modération !

V. 11. . , Dieu prodigue ses biens. . .

Allusion bien mesurée à la richesse de ceux qui ont renoncé aux biens du siècle.

V. i4- Des députés. . .

Otez des huit vers sui^ ans ce •; mots de Rats , Chais , RaCopolis , vous croiriez qu'il s'agit d'une grande n[)ubl:quo , et fjue c'est ici ime narration de Vcrtot ou de llollin.

V. 25. Les clioses d'ici bas ne me regardent plus.

Nous avons vu un peu plus haut le prétexte delà dévotion cacher le goût de toutes les jouissances. Nous voyons l'égoïsme qJ la dureté monacale , cachés sous l'air de la sainteté. C'est après avoir parlé du ciel, qu'il ferme sa porte à ces pauvres gens. L'auteur de Tar- tuffe dut être Ijien content de cette petite fable. C'est vraiment un chcf-d'œuMe. Un goût sévère n'en effacerait qu'un seul mot , c'est celui à^argcijt dans le récit du voyage des députés. Il fallait un termçv plus généra], celui de provisions, par exemple.

�� � 111 OF.UVRrs

V. 55- Je suppose qu'un moine. . . .

C'est pour cela qu'il a mis la scène dans le Levant. Que de ma- lice dans la prétendue bonhommie de ce vers ! et c'est le même auteur qui vous a dit si crûment : votre ennemi , c'est votre maître. Craignait-il plus les moines que les rois? Peut-être n'avait-il pas tout-à-fait tort.

��\. I. tn jour sur se^ longs pieds.

��M. de Voltaire critique ces deux vers comme d'un .style ignoble- et bas. Il me semble qu'ils ne sont que familiers , qu'ils mettent la chose sous les yeux , et que ce mot lo'is^ répété trois fois exprime merveilleusement la conformation extraordinaire du héron.

A l'occasion de ce mot Voiscau , qui finit le vers 12 , et qui recom- mence uue autre ])hrase, je ferai quelques remarques que j'ai omises jusqu'à j)résent sur la Acrification de La Fontaine. Nul poète n'a autant varié la sieniu; par la c.'sure et le re[>os de .ses ■v ers , par la manière dont il entrei.ièle les grands et les petits , ])ar celle dont il croise ses rimes. Rien ne contribue autant a sauser la poésie française de l'espèce de monotonie qu'on lui reproche. Le genre dans lequel La Fontaine a écrit, est celui qui se prétait le plus à cette variété de mesure, de rimes et de vers; mais il faut conve- nir qu'il a été merveilleusement aidé par sou génie , par la finesse de son goût , et par la di'licatesse de sou oreille.

��\. 4- ■ • iVole/. ces deux point.s-ci.

La Fontaine a raison d'arrêter l'atlenlion de son lecteur sur le bon espi€l de cette jeune personne, qui a songé à tout; mais que de grâces dans cette précision : notez ces Jeux points-ci !

V. 2.S. Sans chagrin quoiqu'on solitude.

Pourqu(ji donc le dit-elle ? Pourquoi y pcuse-t^lle ? La Fon- taine nous le dit plus bas.

�� � Dr CHAMFORT. ISiJ

Y. 4o. Le dcsir peut loger chez une précieuse. Quelle finesse dans cette peinture du cœiu- ! V. 5o Déloger quelques jeux , quelques ris , puis l'amour.

Peut-on expi-lmer avec plus de grâces cette idée si peu agréable en elle-même?

Sa préciosité. Ce mot est employé si naturellement qu'on ne songe pas qu'il est nou^eau, et peut-être de l'invention de La Fontaine. On sait que le mot précieuse se prenait d'abord en bonne ])art ; il voidait dire simplement tles femmes distinguiez,]);» l'agrément de leur conversation et j)ar leurs connaissances. Et en effet , de telles femmes sont d'un grand prix. Mais ce uiéiite devint bien- tôt une prétention, el plusieurs .se rendirent ridicules; on distin- gua alors différentes espèces de précieuses , mais le nom fut encore respecté. Molière mèu>e , pour ne pas se brouiller avec un corps si dangereux , appela précieuses ridicu/es celles <ju'il mit sur la scène ; depuis ce temps le mot précieuse se prit en mauvaise part , et c'est en ce sens que La Fontaine s'en sert dans celte petite historiette, qu'il lui plaît d'appeler une fable.

FABLE M.

Y. 11. Peuple ami du démon. ...

C'est-à-dire , ami de cet esprit , de ce folet.

V. 40. Les grands seigneurs leur empruntèrent.

Comme La Fontaine glisse cette circonstance avec une appa- rente naïveté !

V. 49. • ■ Trésor , fuyez : et loi , déesse , Mère du bon esprit

On voit que La Fontaine, parle ici d'abondance de cœur. C'est ce sentiment qui anime ici son style , et lui inspire cette in- vocation .

�� � 12/1 crrvRTs

^ . 55. Avec elle ils rentrent en grâce.

Ne dirait-on pas que c'est une souveraine à la ck'mencc de la- quelle il finit recourir, quand on a fait l'imprudeiice de la quitter pour la fortune ?

V. 08. Le follet en lit avec eus.

La Fontaine , au commencement de cette fahie , a élabli que le folet était l'ami de ces bonnes gens, et s'inlrressait véritable- ment à eux. Cependant le folet n'a aucun regret qu'ils aient perdu cette abondance tant désirée. Il en est au contraire fort aise , parce qu'il voit qu'ils seront plus heureux dans la médiocrité. Peut-on rendre la morale pins aimable et plus naturelle ?

FVBI-E VII.

\. 7.8. Fut- parent de Caligiila.

La note de Coste , qui est au bas de la page , n'explique rien. Caligula était non-seulement cruel , mais l)i7.arre et capricieux ; et on ne savait souvent comment éc]iapj)er à sa férocité. En voici un exemple. Sa sa-tir DnisUe étant morle , il la mit au ?ang des déesses. Il fit mourir ceux qui la pleuraient , et ceux qui ne la pleuraient pas : les premiers, parce qu'ils pleuraient une déesse ; les autres , parce qu'ils étaient contens de sa mort. C'est à ce trait et à quelques autres de la même espèce que La Fontaine fait allusion en parlant du lion de cette fable. C'est ce cpii n'est point indique par la note de Coste.

Fviti.F. vni.

V. 5 Non ceux que le printemps

Mtne :'i sa fciiir

Tournure poétique qui a l'avantage de mettre en contraste , dans l'espace de dix vers , les idées cli^iuantes qui réveillent le prin- lems , les oiseaux de Vénus, etc.. et les couleurs opposées dans lu description du peuple vautour.

�� � DE CKxlMFOilï. 125

T. 27. Au col changeant

Description charmante , qui a aussi l'avantage c!e contraster avec le ton grave que La Fontaine a pris dans les douze ou quinze vers précédens.

V. ^i. Tenez toujours divisés les niéchaiis.

Ceci n'est pas à la vérité une règle de morale : ce n'est qu'un conseil de prudence ; mais il ne répugne pas à la morale.

FABLE IX.

\. 1. Dans un du min montant

Ces cinq premiers vers n'ont rien de saillant ; mais ils mettent la chose sous les yeux avec une précision bien remarcjuahle. La Fon- taine emploie près de vingt vers à peindre les travaux de la mou- che , et son séiieux est très-plaisant; mais peut-être fallait-il être La Fontaine pour songer au moine qui dit son bréviaire.

Ce petit Apologue est un des plus parfaits : aussi a-t-il donné lieu au proverbe , /a mouche du coche.

��Cette fable est charmante jusqu'à l'endroit adieu veau, vache, etc.

Ne passons pas à La Foritaine sa mauvaise rime de transportée et couvée.

Quelques gens de goi*it ont blâmé , avec raison , ce me senible, la femme en danger d'être battue ; le récit qui en fat fait en une farce ; tout cela est froid ; xn^^ La Fontaine , après cette petite chute , se relève bien vite. Que de giâces et de naturel dans la peinture qu'il fait de cette faînlesse, si naturelle aux hommes, d'ouvrir leur âme .'i la moindre lueur d'espérance ! Il se met lui-même en scène , car iî ne se pique pas d'être plus sag<; que ses lecteurs ; et voilà uu de«  charmes de sa philosophie-

�� � T 20 OEUVRES

��FVB1.U -M.

��Nous lie feions aucune remarque sur cette méchante petite histo- riette à qui I.a Fontaine a fait , ou ne sait pourquoi , l'honneur de la mettre en vers. Elle a d'ailleurs l'inconvénient de retomher dans la moralité delà précédente, qui vaut cent fois mieux ; aussi personne ne parle de Mcssire Jean Chouan , mais tout le monde sait le nom de la pamTe Peirctce.

FABLE XII.

V. 9. Pauvres gens ! je les plains ; car on a pour les fous , etc.

C'était le caractère de La F'ontaine ; et c'est ce qui a rendu sa satire moins anière que celle de tant d'autres satiriques , qui ont pour les fous plus de colère que de pitié.

V. ij. Le repos ? le repos , trésor si précieux ,

Qu'on en faisait jadis le partage des dieux ?

Tout le monde a retenu ces deux vers qui expriment si hien le Aœu d'une àme douce et insouciante ; mais ce sentiment est encore mieux exprimi dans le charmant morceau de la fin de cet Apologue: Hciireuj: qui vit chez soi , eU.

V. 2S. (Iheiehcz , dit l'autre ami, etc.

Cette amitié là n'est pas hien vive , ce n'est pas comme celle des deux amis du Iflonomotujxi , livre 8 , fable 11. JMais dans cette fable-ci , il y a mi des deux amis qui est un avare ou un ambi- tieux ; et ces gens - la sont aunes fioidemeiit et aiment encore moins.

^. 5i. \ ous ie\i(ndrrz bicnlùt. . . . Celui-ci connaît le monde cl a bien pris son parti.

\. 55. L'ambitieux, on, si l'on veut , l'avare

��Vers admirable. Kn effet , l'andjition dans nos ('tais modernes

�� � DE CHAMFORT. 1^7

n'est guère que de l'avarice. Cela est si vial qu'on demande sur |es places les plus honorables : combien cela vaut-il ? quel en est le revenu ?

V. 4i- Bref, se trouvant à tout , et n'arrivant à rien. . .

Ce vers-là devrait être la devise de certains vieux courtisans que l'on connaît.

V. 5, . . . Des temples à Surate.

Voilà qu'il se fait marchand.

V. 78. Il ne sait que par oui-dire.

La Fontaine est toujours animé , toujours plein de mouvement et d'abondance , lorsqu'il s'agit d inspirer l'amour de la retraite, de la douce iucurie , de la médiocrité dans les d;-sirs. \oyez cette apos- trophe : £c ton empire , Fortune ! Et puis cette longue période qui semble se prolonger comme les fausses espérances que la fortune nous donne , et l'adresse avec laquelle il garde pour la fin : Sans que l'ejfet aux promesses réponde. Ce sont là de ces traits qui n'ap- partiennent qu'à un grand poète.

FABLE XI II.

V. s Et voilà la f^erre allumée.

Amour, tu perdis Troie; . . .

Quelle rapidité ! quel mouvement ! quel rapprochement heu- reux des petites choses et des grands objets! c'est un des charmes du stvle de La Fontaine.

V. 5. Où du sang des aieux même on vit le Xante teint.

Ce beau vers est un peu gâté par la dureté des deux dernières svllabes Xanthe teint.

V. 9. Plus d'une Hélène , etc. . . .

�� � Il» 8 cœuvRES

Rien de plus naturel que cette expression, après avoir parlé de la guerre de Troie.

y. i5. Ses amours , qu'un lival , etc. . . .

Quel doux regret , quel sentiment dans cette répétition ! Le rest? du tableau est de la plus grande force et figurerait dans une ode.

V. 20. Tout cet orgueil périt, etc. . . .

Ce vers est très-beau , mais il fallait s'arrêter là. La plaisan- terie sur le caquet des femmes est usée et peu digne de La Fon- taine ; d'ailleurs ce caquet des poules n'avait rien de nouveau pour le coq.

/

P.VBI.E XIV- ' '•

V. 3. . . . N'exigea de péage. ' -" '

Belle expression qui rajeunit une idée commune.

V. 12. Bref, il plut dans son escarcelle.

La Fontaine, en disant qu'il plut dans la bourse de ce marchand, a voulu exprimer avec force qu'il avait fait fortune , sans qu'il l'eût mérité par ses soins et par sa prévoyance; comme il a soin de dire ensuite que, s'il fut ruiné , ce fut par son impruflence, par sa faute, et même pour avoir trop dépensé. Mais, à la lin de son Apologue, il en exprime trop longuement la moralité. Il fallait passer bieu vite à ces deux vers admirables :

Le bien nous le faisons : le mal c'est la Forlune. On a toujours raison, le Destin toujours tort.

FABI.E XV.

��V. 6. (l'est un torrent , qu'y faire ? il Tant qu'il ait son cours. Cela fut et sera toujours.

Il est aisé de voir qu'il y a ici, dans les mots , une contradiction

�� � DE CHAMFORT. I2()

tion qui nuit à la liaison des idées. Un torrent réveille l'idée d'une chose qui passe , et cela fut et sera toujours , exprime précisément l'idée contraire.

��V. 10. Perdait-on un chiffon, avait-on, etc.

��Ces cinq vers sont charmans. C'est une peinture de moeurs qui est encore fidèle de nos jours ; et ce dernier trait : Pour se faire annoncer ce que l'on desirait, développe les derniers replis du cœur humain.

Il y a un mot d'omis dans l'imprimé , il faut liie :

Chez la devineresse aussitôt on coiuait.

Sans quoi il n'y a point de vers. Voyez le vers i3.

Fallut deviner.

Dans ce style familier, on peut supprimer il et dire fallut au lieu de il Jallut.

Et gagner malgré soi. . .

C'est en partie ce qui arriva au Médecin malgré lui de Molière.

Force écoulans. . . .

Le lecteur croit que La Fontairi^ va ajouter , parce que cet ora- teur est l'oracle du harreau. Point du tout ; il ajoute , demandez- moi pourquoi , et se moque à la fois et du puhlic et de l'avocat. C'est une épée à deux tranchans C'est l'art des grands maîtres de savoir se joJier à propos de lem- sujet.

FABI.E XVI.

\ . G . . . Faire à l'Aurore sa coin- , Parmi le thym et la rosée.

La Fontaine possède cet art , qui dit sans s'aiùHr les plus petites choses , selon l'expression de Boileau ; mais nous verrons cette idée

9

�� � i3o OKUvr.us

exprimée encore bien plus pottiquemeut dans la fable quinziîine du livre lo.

V. ig Où lui-mi'mp. il n'ontrait qu'en rampant!

Elle voudrait en di'goùter Jcannot Lapin , car elle n'est pas elle- même bien sûre de ses droits.

y . 20. Et quand ce serait un royaume.

Il est plaisant de voir l'importante qu(>slion de la propriété très-bien discutée à roccasion d'un li(ui de lapin. I.e diiiouement de cette fable ressemble im peu à celui de l'huitre et des plaideurs , sauf qu'il est plus tragique pour les parties disputantes.

��F.\BLF. XVII.

V. 1. Le serpent a deux parties. ^

Cette fable écrite du st^le le plus simple , et bien moins ornée que les précédentes, n'est pas d'une grande application dans nos mœurs ; mais elle en avait beaucoup dans nos anciennes démo- craties.

Je n'aime pas ces petits vers ,

' V. 8. Pour le pas ...

V. II. Kt lui (Jit: •

Tout cela me paraît de pures négligences ; mais il v en a deux Irès-bons. ^

\ . aS. Le ciel eut ])0ur ses vceux ime bonté cruelle. Souvent sa complaisance a de médians cH'els.

FABLE XVI II.

La petite aventure que raconte ici La Fontaine, arriva à Londres vers ce tenqjs-ià , et donna lieu à cette pièce de vers , qu'il plaît à La Fontaine d'appeler une fable. '

�� � DK CirAMFOr.T. loi

V 14. J'en dirai quelque jour les raisons ampleinenf.

Cela ii'a l'air que d'une plaisanterie: cependant La Fontaine s'avisait quelquefois de traiter des sujets de philosophie et de phy- sique , auxquels il n'entendait pas grand-chose. Il s'est donné la peine de faire un poème en quatre chants sur le quinquina. Au reste le Prologue de cette fahle-ci serait excellent , si on faisait une coupure après le treizième vers ; que l'on passât tout de suite au trentième, quand l'eau courbe un btUun. Tout ce que dit le poète, est exprimé avec autant d'exactitude que pourrait en avoir un philo- sophe qui écrirait en prose.

V. l\-. Qui présageait sans doute un graud événeinenl.

On croyait encore que les astres avaient de l'influence sur nos destinées.

V. 54. . . Peuple heureux ! quand pourront les Français , Se donner comme vous entiers i\ ces emplois?

Ne serait-il pas mieux de dire ?

Unir, ainsi que vous, les arts avec la paix !

Car emplois ne rime même plus aux yeux , depuis qu'on a adopte l'orthographe de Voltaire pour le mot Français.

��LIVRE HUITIEME.

��Ce premier Apologue est parfait ; non qu'il soit aussi brillant , aussi riche de poésie , aussi varié , que le sont quantité d'autres. Ce n'est que le ton d'une raison sage , simple et tranquille. On a dit que Boileau était le premier parmi nous qui eût mis la raisen «n

�� � IÔ2 OLl. MIES

vers. Il me semble qu'il est le premier qui ait uiis en a ers les pré- ceptes de la raison , en matière de goût et de littérature ; mais La Fontaine a mis en vers les préceptes de la raison universelle , comme ?.'Iolière v a mis ceux qui sont relatifs à la société; et ces deux empires sont plus étendus que ceux du goût et de la littérature.

Le ton du Prologue est touchant comme il devait l'être sur un sujet qui intéresse tous les hommes. Quel vers que celui-ci !

\. 5. Ce Ifiinps, li,;las 1 cm'orr.ssc tous les temps. Et à la i'in delà pièce, quoi de plus admiiahlo que cet autre; \ . dernier. Le plus scmblabl;' aux inorls Uieiul le phis à leyrel.

��VA5;i.r; ii.

' . ' '?

\. 1. Liisavclkr eliaiUait, etc. ...

Voici un Apologue d'un tcMi propre à bannir le sérieux du pré- cédent. C'est La Fontaine dans tout son talent , avec sa grâce , sa variété ordinaire. La conversation du savetier et du financier ne serait pas indigne de Molière lui-même ; il dut être sur-tout

trappe; du trait :

V. 45. Si quelque cLat Taisait du Ijiuit ; 1,(; clial j'ieiîait l'argent, de ..

Et de cet autre :

V. ôj. . . . Daii:r sa rave il enserre L'ajgeut et sa joii; à la loi:;.

Il y a un autre trait qui dut donner à rêver à Molière , c'est celui , j)!iis content quanain. des sept Sa^es. Molière , si philosophe , et malgré sa philosophie, si malheureux, dut (aire qnelcpie atten- tion à ce vers. Ne relevons pas quelques mauvaises rimes, connue celle de monsieur , qu'on pardonnait alois parce qu'elle rimait aux ) eux ; et cette autre , naiveté et curé.

�� � m-. CHAMFOr.T. l3'>

��FVBI.E III.

��V. 5 Il en est cîc tom arts.

Je ne sais ce que cela vent dire. Veiit-il dire que , dans tontes les professions , il y a des gens qui se mêlent de nn'declne ? en ce cas , cela est mal exprimé. Ce n'est pas sa coiitunic.

V, 10 Daube , au couclier du roi ,

Son camarade absent. . . .

On dit, sur ce trait, dans l'éloge de La Fontaine: Suis-fe dans l'antre du lion? siiis-je ù la cou?-? On pourrait presque ajouter que l'illusion se prolonge jusqu'à la fin de cette charmante fable.

��rviii.K IV.

��\. I. Ija qualité d'ambassadeur.

Ce M. de Barillon était l'un des plus aima.bles lionnnes du siècle de Louis XI\ . Il était intime ami de madame de Sévigné , à qui il disait : En vétitc , celui qui vous aime plus que moi vous aithe trop. Il avait le plus grand talent pour les négociations, comme on le voit dans les mémoires de Dalrimple imprimés de nos jours ; mais de son temps , il ne passait que pour lui homme de beaucoup d'esprit et un homme de plaisir. C'est qu'il méprisait la charlatannerie de sa place, et qu'alors cette morgue faisait- plus d'effet qu'à présent.

Au reste , le Prologue que lui adresse ici La Fontaine n^e paraît assez médiocre ; mais la petite historiette Cjui fait le suj?t de cette prétendue fable, est très-agi-éabiement contée.

V. 65. Nous sommes 'ous d'Athènes en ce point. ..

Est une transition très-heureuse. Et quand La Fontaine ajoute qu'il s'amuserait du conte de Penu-d'âne , il peint les effets de son caractère. Il eut la constance d'aller voir , trois semaines de suite , un charlatan qui devait couper la tête à son coq , et la lui remettre

  • ur le champ. Il est vrai qu'il tiouvait toujours des prétextes de

�� � l34 UELVR'KS

différer jusqu'au lendemain. On avertit La Fontaine que le len- demain n'arriverait pas. Il en fut d'une surprise extrême.

��V. I. Par des vœux importuns , etc. . . .

Cette distribution égale de huit vers ])our le Prologue , et de huit autres pour la fable , rappelle ce que nous avons dit dans la note sur celle du coq et de la perle , Uv. i , fable 20.

��T. 1. Rien ne pèse autant qu'un secret" :

Cette petite historiette , dont la moralité n'est pas neuve , est bien joliment contée. Renommée, journée, mauvaise rime. Le dia- logue des deux femmes est très-naturel. C'est im des taieiis de La Fontaine, et vf)ilà ce que n'ont pas les autres fabulistes.

F\iîi.K VI r. V. 1. ^^ous n'avons pas les yeux à répi-euvr des belles.

Lamotir , falnitiste très-inférieur à La Fontaine, a rapproché ces deux idées dans un vers fort heureux. Il dit que les juges ont très- souvent ,

• l'bur les présens des mains, pour les belles des yeux.

V. 6. S'était f;iil un collier, etc. . . .

Précision très-lieureuse et qui fait peinture.

V. -. Il était tempérant plus qu'il ii'cfil vouhi l'èlrc.

Vers très-plaisant , .cjui expiiiue à merveille le coniJ)at entre l'a))- pétit du chien , et la victoire que son éducation le force à riMuporIcr »ur lui-mérac.

�� � DE CHAMFORT. K'JO

V. 23 Et, lui sage, il leur dit :

11 est difficile de })li\mer la rondiiite de ce chien ; cependant comme il est, dans cette fable, le représentant d'iinéchevin on d'im prévôt des marchands, La Funtaine n'aurait pas dû lui donner l'épithète de sage. Il a Tair d'apprc uvcr j)ar ce mot ce voleur qui suit l'exemple des autres : proposition insoutenable en morale. Mais l'échevin doit dire : 3Iessii'iirs, volez tant qu'il vous plaira , je ne puis l'empêcher , je me retire. Mais d'où vient le même fait offre-t-il un résultat moral si différent, quant au cliien et quant à rcchc\in? La cause de cette différence vient de ce que le chien n'étant pas obligé d'être moral , on admire son instinct dont il fait ici un très-bon usage. Mais l'homme étant obligé de mettre la moralité dans toutes ses actions, il cesse , lorsqu'elles n'en ont pas, de faire un bon usage de sa raison.

��FABLE viii.

V. 2. Cet art veut , sur tout autre, un suprême mérite.

Cela est vrai ; et quand on le possède , on n'est pourtant qu'un rieur , im plaisant , et c'est un triste rôle. On dit avec raison : rhonnéte homme ne met aucune affiche.

V. 26. .l'en doute j elr. . . .

Je ne sais pas pourqu<jj. La plaisanterie n'est point du tout mau- vaise , sur-tout dans la bouche d'un de ces hommes que les ancien* appelaient parasites.

i'ABLE IX.

V. 1. Un rat , hôte d'un champ , etc. . .

On reconnaît tout le talent de La Fontaine dans le discours du rat , dans la peinture de l'huitre bâillant au soleil, dans celle du rat surpris au moment où l'huitre se rcjerme ; et voyez comme ce

�� � 1 3G OEUVRi;S

dernier mot est rejeté au commencement du vers , par une suspen- sion qui met la chose sous les yeux , et le natiu-el de la leçon qui termine la phrase.

On peut blâmer , dans le discours du rat , ce vers :

\'. iG. .l'ai passé les déserts ; mais nous n'y bvimcs point.

C'est quelque propos populaire et trivial dont on se passerait bien ; mais il n'appartient qu'a La Fontaine de rendre cette sorte de naturel su{)portal)le aux iionnètes gens ; nous en verrons plus bas un autre exemple dans la faille du singe et du léopard.

V. Ô4. Cette fable contient plus d'un enseignement.

Il n'en faut qu'un dans une fable bien faite. J'aurais voulu que La Fontaine exprimât l'idée suivante : Quand on est ignoiant , il faut suppléer au déjaut d'expérience par une sage réserve et par t:nc défiance attentive.

��V. 4. Il fût devenu fou: la raison d'ordinaire....

Nul poète , nul auteur ne prêche plus souvent Tamour de la re- traite , et ne la fait aimer davantage. Mais la retraite et la solitude absolue sont deux choses bien différentes. La première est le besoin du sage, et la seconde est la manie d'un fou iusociable ; c'est ce que La Fonlaijie exprime si bien dans ces -Ncrs charmans :

V. \\. 11 aimait Il'S jardins, était piètre de l'iore , 11 l'était de Ponione cncoie. Crs deux (emplois sont beaux: mais je voiuhais parmi , Quelque doux et discret ami.

Nous verrons ce sentiment , déveîopjoé avec plus de grâce et d'intérêt encore , dans la fable suivante et dans celle des deux pigeons. , . *

FABI-r. XI. V. 2. L'un ne possédait lieu qui n'ap[iailinl a l'autre.

�� � - . Di: CIIA3IFORT. iS^

Après ce vers qui dit tout , La Fontaine n'ajoute plus rien. Quelle grâce encore et quelle mesure dans ce mot , dit-on ? Avec moins de goût , un autre poète aurait fait une sortie contre les amis de notre pays. C'est l'art de La Fontaine de faire entendre beau- coup plus qu'il ne dit.

W g. Morphée avait touché le seuil de ce palais.

Toujours quelque grand trait de poésie , sans jamais blesser le naturel.

\. 16. .l'ai mon t'péc , allons. ...

Voici qui paraît bien français, et l'on croirait que nous ne sommes point au Mouomotapa.

V. iS. . . . . Voulez-vous qu'on l'appelle ?

Nous ne sommes plus en France; nous \o\\k dans le fond de l'Afrique.

V. 21. Vous m'êtes en dormant un peu triste apparu.

Quel sentiment dans ce mot, nu peu. ha. fin de cet Apologue

est au-dessus de tout éloge , tout le monde le sait par cœiu\

in

FABI.E XU. t

V. 1. Une chèvre , un cochon, etc. , . .

Cette fable est très-bien écrite et parfaitement contée; mais quelle morale , quelle règle de conduite {)eut-on en tirer ? Aucune. La Fontaine l'a bien senti.

V, 29. Dom pourceau raisonnait en subtil personnage 1 Mais que lui servait-il ? . . .

Il en conclut , avec raison , que , dans les malheurs certains , le moins prévoyant est encore le plus sage. Mais peut-on se donner

�� � l38 OEUVRES

ou s'ôter la prévoyance ? Dépend-il de nous de voir pins ou moins loin ? Il ne faut pas conduire ses lecteurs dans une route sans issue.

��FABLE XVIII.

V. 1. Un marcliand grec , etc. ...

J'ai déjà observé que c'est la manière de Pilpai d'amener une fable» à la suite d'une liistoriette ; et on sent combien cette ma- nière est défectueuse. La vérité que veut établir ici La Fontaine , n'avait nul besoin de cette espèce de Prologue : c'est ce qu'on verra aisément , en sautant le Prt)logue et en commençant à ces mots : // était un berger , etc

FABLE XIX. •

V. 4- L'autre liclir , mais ignorant.

II serait très-mallieurcux que l'utilité de la science ne pût se prouver que dans une circonstance aussi fâclieuse que la ruine d'une ville. La société ordinaire offre ime multitude d'occasions, où ses avantages deviennent frapj)ans ; et l'Apologue de La Fon- taine ne ])rouve pas assez en faveur de la science. Il laisse à l'igno- rant trop de clioses à répondre. Au surplus , il faut toujours sup- poser (ju'il s'agit de la science unie au bon sens ; car , comme a dit Molière :

Un sot savant est sol , plus qu'un sot ignorant.

FABI.H XX.

, A. 1. .Jupiler voyant nos fautes

��Cette fable pouvait avoir plus d'intérêt et plus de v raisemblance chez les anciens, qui attribuaient à différens dieux différens dépar- t^mens. Mais elle ne signifie ))as grand chose pour nous qui ad- mettons une providence, di.spcnsatrice immédiate des biens et des maux.

�� � DE CHAMFORT. ïSq

Nouhlions pas de remart'juer un veis charmant :

V. /{i. Tout père frappe à cùté.

Mais La Fontaine a tort de revenir sur cette idée , et de dire huit vers après :

V. 49- On hii dit qu'il était père.

Ce dernier vers ne peut faire aucun effet après l'autre.

FABLE XXI.

V. 5. Un citoyen du Mans , etc. . . .

Cette fable rentre lui peu dans celle du mouton , du pourcean et de la chèvre , avec cette différence rpie le chapon est plus maître d'échapper à son sort. Il faut supposer que le chapon s'envole de la basse-cour pour n'y plus revenir , ce que pourtant La Fontaine ne dit pas. Au reste , elle est contée plus gaiment que l'autrej

V. i6 Les chapons ont en nous fort peu de confiance. Soit instinct , soit expérience.

Cela est plaisant ; et le chapon qui

Y. 19. Devait le lendemain être d'un grand souper! Je voudrais seulement que l'Apologue iînît par un trait plus saillant.

FABLE XXI r.

V. 9. Les derniers tiaits de l'ombre (mpèchent qu'il r.c voie Le fdel

Cette suspension est pleine de goirt Le chat est pris.

V. 16. Sont cominunes en mon endroit.

Il veut dire , ont été fréquentes à mon égard. Cela n'est pas bien exprimé ; mais remarquons qu'il feint d'avoir déjà reçu du rat plusieurs services. Il sait qu'on est porté à fau'e du bien à ceux auxquels on en a déjà fait.

Le résultat de cette fable n'est pas une leçon de morale , mais

�� � i4o OFX'vr.rs

elle est un conseil de prudence ; et celte prudence n'a rien dont la morale soit blessée. Ai\isi l'Apologue est très-beau.

FABLE XXIII.

"\. I. Avec grand bruit et grand fracas.

Voyez comme La Fontaine varie ses tons ; voyez comme il monte , comme il^descend avec son sujet. Opposez à cette jjcinturc du torrent, celle de la rivière , liuit ou dix vers plus bas. Remar- quons aussi ce trait de poésie du voyageur qui \a traverser

A . 20. liii'ii d'autres (Iciives que les nôtres.

On peut objecter que , dans cette fable , le marchand est forcé de passer la rivière , comme il a été forcé de passer le torrent , et que la fable serait meilleme , c'est-à-dire , la vérité que l'auteur veut établir mieux démontrée , si le marchand , ayant le choix de ]->asser par la rivière , ou par le torrent , eût préféré la rivière. Cela peut être , mais il en résulterait que la fable est bonne et pourrait fctre meilleure.

FABI.E XXIV.

V. I. Laridou et César, ....

Voici nue fable qui , pour être courte , n'en est pas moins une des meilleures de I.a Fonlaine. La morale suitout en est excellente. Sans croire, comme certains philosophes, que la nature partage éga- lement bien tous ses enfans , il est pourtant certain que c'est l'édu- cation qui met, entre un liommc et un autre , l'énorme différence qui s'\ trouve quelquefois : c'est d'ailleurs une opinion qu'on ne saurait trop répandue , parce qu'elle est le meilleur moyen d'en- «ourager les réformes que l'on peut faire dans l'éducation, réformes siuis lesquelles il est impossible de changer les fausses opinions et les mauvaises mœurs.

• V. 4. JlanlaiiMil l'un les l'oréls, et l'autre la cuisine.

La naissance est la même, mais l'éducation est , comnieon voit, bien différente.

�� � DE cîia:mfokt. 1:41

V. 6., Mais la diverse nourrituie. . .

Ce mot st prenait alors , nirnie dans le style noble , pour s> no- ninie d'éducation. Corneille l'emploie plusieurs fois en ce sens.

V. 18. Tôurne-broches par lui , elc. . . .

Il est jilaisaiit d'avoir suppf)sé que nos cliiens appelés tourne- broches viennent de cette belle origine, comme d'avoir fait hon- neur au marmiton du surnom de son élève.

V. ig. . . A part. . . . hasards. Cette consonnance déplaît à l'oreille. Les quatre derniers vers sont parfaits.

F.VliLIÎ XXV.

V. 1; Les vertus devraient être sœurs.

Ce petit Prologue est excellent ; mais il amène une fable à mon gré bien médiocre. La Fontaine a beau dire que chacun est sot et gourmand, il ne l'est pas au point de donner la moindre vrai- semblance à cet Apoloj^iic. il était aisé d'établir la ménK' nioralu .sur mic supposition moins absurde.

V. 38. Tout cela c'est la mer à boire.

M. de Voltaire criticjue ce vers comme plat et trivial. Il me semble que ce qui rend excusable ici cette expression populaire , c'est qu'elle fait allusion à une faille où il s'agit déboire une rivière.

FAELF. XXVI.

\'. 1. Que j'ai toujours haï les pensers du vulgaire I Pensers \ le penser est uji mot poétique, pour la pensée.

�� � V. 5. Mettant de faux milieux entre la chose et lui.

Vers très-heureux. En effet, une idée fausse qui nous empêche de porter sur une chose un jugement sain , est comme un voile interposé entre nous et l’objet que nous voulons juger.

V. 15 Disaient-ils en pleurant.

Il faut supposer que ce sont les ambassadeurs qui pleurent ; car on ne pleure pas en écrivant , en envoyant des ambassadeurs pour une affaire de cette espèce. Cependant ce qui fer.ul croiie que c’est le peuple qui parle , ce sont les veis suivans :

V. 14. . . . la lecture a gâté Démocrite.

nous l’estimerions plus s’il était ignorant.

V. 17. Peut-être même ils sont remplis De Démocrites infinis.

Je ne sais pourquoi La Fontaine ajoute ces deux vers. Il n’est pas absurde de dire qu’il v a un nombre infini de mondes , mais rpi’ils soient pleins de Démocrites , je ne sais ce que cela veut dire.

V. 22. Il connaît l’univers et ne se connaît pas.

On a appliqué ce vers à l’homme en général.

V. 59 Le sage est ménager du temps et des paroles.

Vers devenu proverbe.

V. 47. En quel sens est donc véritable ...

La Fontaine prend l’air du doute, par respect pour l’écriture, dont ces paroles sont tirées.

FABLE XXVII.

S . 1 l’iiieur d’jccimiuler , monstre , etc. . . . DE CHAMFORT. I 4^

Cette fable commence avec la même violence qu'une satire de Juvénfl ; c'est contre les avares que La Fontaine exerce le plus sa satire.

V. 5. . . .A ma voix comme à celle du sage...

Remarquons comme La Fontaine évite toujours de se donner pour un sage.

V. 9. Jouis. — Je le ferai, etc. . . .

Tout ce dialogue est d'une vivacité et d'une précision admirables.

Au reste, des deux Apologues suivans , le premier , sans être excellent, me paraît beaucoup meilleur que l'autre. Il n'est pas im- possible qu'un chasseur avant tué un daim et un faon , y veuille joindre une perdrix ; mais qu'un loujl devant quatre corps se jette sur une corde d'arc , cela ne me paraît pas d'une invention bien heureuse. Les meilleurs .Apologues sont ceux où les animaux se trouvent dans leur naturel véritable.

��LIVRE NEUVIEME.

��V. 2. J'ai chanté des animaux.

Nous avançons dans,notre carrière, et La Fontaine avance vers la vieillesse ; car tous les livres de cette seconde partie n'ont pas été donnés à la fois : même la plupart des fables du douzième livre ne parurent que plusieurs années après les autres, et quelques-unes de ces derniers livres se ressentent de l'âge de l'auteur ; il y en a qui rentrent tout-à-fait dans la moralité des fables précédentes ; d'autres qui ont une moralité vague et indéterminée ; d'autres enfin qui n'en ont pas du tout. Cependant La Fontaine se relève quelquefois et se montre avec tout son talent , soit dans des fables entières , soit dans des morceaux plus ou moins considérables.

V. 22. Que les gens du bas étage.

�� � 1 44 OEUVRES

Pourquoi La Fontaine leur pardonnerait-il plus le mensonge qu'aux autres ? Le mensonge est vil par-tout , et par-tout il est des- tructem- de toute société.

V. ?Aj. Et m( me qui mentirait

Comme^EsopeVet comme Homère.

Cela est trivial à force détre vrai. C'sst jouer sur les mots que de confondre ces deux idées. Quel rapport y a-t-il , dit Bacon , entre les mensonges des poètes et ceux des marchands? Le mal moral du mensonge réside dans le dessein de flatter, d'affliger, de tromper ou de nuire.

Y. 58. Sans fin , <'t plus , s'il se peut :

Ce mot, et plus , s'il se peut , est ridicule. Tout ce Prologue pèclie par un défaut de liaison dans les idées , et aucune beauté de détail ne racliète ce défart.

Les deux historiettes suivantes ne so«t point des failles, et n'étaient la matière que de deux petits contes épigranimaliques. Le conseil de prudence qui les termine , n'est pas assez imposant pour mériter tant d'apprêts.

��\, 1. Deux pigeons s'aimaient d'amour tendre :

Cette fable est célèbre et au-d(>ssus de tout éloge. Le ton du cœur qui y règne d'un bout à l'autre , a obtenu grAce pour les défauts qu'une critique sévère lui a reprochés. Le discours du premier des «Icu.x pigeons :

V. 5 Qu'alle-^-x ous faire ?

Voule/.-voiis quitter voire frère ?

Fsl plein de traits de sentiment. •

A . S. Non pas pour vous, cruel , etc. . . ■ A . ) I. tncor si la saison , etc.. . .

�� � DE CHAMFORT. l45

V. 16. Mon frère a-t-il tout ce qu'il veut, - _ Bon souper , bon gîfe, et le reste ?

Quelle grâce, quelle finesse sous-entendues dans ce petit mot et le reste , caché comme négligemment au bout du vers ?

Tout le morceau de la fin , depuis amans , heureux amans , est , s'il est possible , d'mie perfection plus grande. C'est l'éuanchement d'ime àme tendie , trop pleine de sentimens affectueux , et qui le» répand avec une abondance qui la soulage. Quels souvenirs et quelle expression dans le regret qui les accouipagne ! On a souvent imité ce morceau , et même avec succès , parce que les sentimens qu'il exprime sont cachés au fond de tous les cœurs , mais on. n'a pu sur- passer ni peut-être égaler La Fontaine,

Lamotte , qui a fait un examen détaillé de cette fable , dit qu'un ne sait quelle est l'idée qui domine dans cet Apologue , ou des dan- gers du voyage , ou de l'inquiétude de l'amitié , ou du plaisir du retour après l'absence. Si au contraire , dit-il , le j)igeon voyageur n'eût pas essuyé de dangers , mais qu'il eût trouvé les plaisir s insi • pides loin de son ami , et qu'il eût été j ap[)elé près de lui par le seul besoin de le revoir , tout m'aurait ramené à cette seule idée , que la présence d'im ami est le plus doux des plaisirs. Cette ciitique de Lamotte n'est peut-être pas sans fondement ; mais que dire contre un poète qui , par le charme de sa sensibilité , touche , pénètre , at- tendrit votre cœur , au point de vous faire illusion sur ses fautes , et qui sait plaire même par elles ? On est presque tenté de s'éton- ner que Lamotte ail perdu, à critiquer cette fable, un temps qu'il pou\ait employer à la relire.

F\BLK III. ,

V, 1. Le singe avec le léopard.

Voilà encore luie de ces fables qui ne pouvaient guère réussir que dans les mains de La Fontaine. Le sujet , si mince , prend tout de suite de l'agrément , et en quelque sorte im intérêt de curiosité, par l'idée de donner aux discours des personnages la forme et le ton des charlatans de la foLe. C'est par-là qu'il fait passer ce propos populaire, arrive en triais bateaux ; on pardonne ce trait en faveur d« 

10

�� � î46 OEUVRES

l'argent qu'on rendra à la porte. D'après un trait de la vie de Ls Fontaine , que j'ai raconté , on a vu qu'il allait quelquefois entendre les charlatans de place , et on voit par cette fable qu'il ne perdait pas son temps.

��FABLE TV.

��V. 1. Dieu fait bien ce qu'il fait, etc....

Le simple bon sens qui a dicté cet Apologue , est supérieur à toutes les subtilités philosophiques ou théologiques, qui remplissent des millieis de volumes sur des matières impénétrables à l'esprit humain. Le paysan Mathieu Garo est plus célèbre que tous les docteurs qui ont aj'gumenté contre la providence.

��V. 4- Qu'ont les pédans de gâter la raison. . , ,

Après les avares , ce sont les pédans contre lesquels La Fontaine s'emporte avec le plus de vivacité. Au reste , cette fiUjle rentre abso- lument dans la même moralité quecelledu jardinier et son seigneur. ( livre 5 , fable 4. ) Mais celle-ci est fort, iaférieure à l'autre. Remar- quons pourtant ce vers charmant:

Gâtait jusqu'aux boulons , douce et frêle espérance. . . .

La Fontaine s'intéresse à toute la natuie animée.

FABLE VI.

Un statuaire qui fait une statue , et voilà tout ; ce n'est pas-là le sujet d'un Apologue : aussi cette prétendue fable n'est-ellc qu'une suite de stances agréables et élégantes. Tout le monde a retenu la dernière.

Chacun tourne en réalités , Autant qu'il peut ses propres songes. L'homiix; est de glare aux vérités , Il est de feu pour les uicniionges.

�� � DE CHAMFORT. l47

Le mouvement : il sera Dieu, appartient à un véritable enthou- siasme d'artiste^ Aussi La Fontaine remarque-t-il que la statue était parfaite.

Je ne sais pourquoi La Fontaine fait souveut le mot poète de deux syllabes. Boileau et ses contemporains ne lui en donnent jamais que deux.

FABLE TII.

V. 1 . Une souris tomba d'un bec du chat-buant

��Je n'ai pas le courage de faire des notes sur une si méchante fable, qui rentre d'ailleurs dans le même fond que celui de la fable xviii du livre deuxième. C'est un fort mauvais présent que Pilpai a fait à La Fontaine. Remarquons seulement ce vers: <i« tient toujours du lieu dont on vient... Si La Fontaine a voulu dire : on se ressent toujours de ses premières habitudes , c'est-à-dire , de son éducation; cette maxime peut se soutenir et n'a rien de blâmable ; mais s'il a voulu dire : on se ressent toujours de son origine , il a débité une maxime fausse en elle-même et dangereuse ; il est en contradiction avec lui-même , et et il faut le renvoyer à sa fable de César et de Laridon.

V. -9. Parlez au diable , employez la magie

est encore un vers répréhensible , en ce que La Fontaine a l'air de supposer qu'il y ait une magie et qu'on puisse parler au diaJjle.

FABLE VIII.

V. 5. On en voit souvent dans les cours.

La Fontaine , c{ui vante si souvent Louis XIV sur ses guerres et sur ses conquêtes , avait ici une belle occasion de lui donner des éloges plus justes et mieux mérités. Il pouvait le louer d'avoir banni ces fous de cour si multipliés en Europe , d'avoir sulostitué à cet amusement misérable , les plaisirs nobles de l'esprit et de la so- ciété. C'était un sujet sur lequel il était aisé de faire de beaux ou de jolis vers. La Fontaine avait le choix. On ne l'èiit point accusé de flatterie ; et il aurait eu la gloire de contribuer peut-être à faire cette réforme dans les cours de quelques souverains , qui coIiser^ ifient ce ridicule usage. ^

�� � l48 OEUVKLS

��FABiE I X.

��•• V. I. Dn jour deux pèlerins, etc....

Cette fable est parfaite d'un bout à l'autre. La morale . ou p'uiôt la leçon de prudence qui en résulte , est excellente. C'est un do ces Apologues qui ont acquis la célébrité des proverbes , sans en avoir la popularité basse et ignoble.

Rien ne forme autant le goût que la comparaison entre dcu\ grands écrivains dont la manière est différente. Transcrivons ici cet Apologue mis en vers par Boileau , et qui termine sa seconde épîlre.

• ■

Un jour, dit un auteur, n'importe en quel cliapilre,

Deux voyageurs à jeun rencontrèrent une liuilre.

Tous deux la contestaient , lorsque dans leur chemin .

La justice passa la balance à la main.

Devant elle, à grand bruit ils expliquent la chose.

Tous deux avec dépens veulent gagiiei- leur cause.

I,a justice , pesant ce droit litigieux,

Demande l'huitre , l'ouvre, «:t l'avale ;i leurs yeux ;

Et par ce bel arrêt terminant la bataille :

Tenez, voilà, dit-elle à chacun, une écîiille.

Des sottises d'autrui nous vivons au palais;

Messieius , l'huitre était bonne; adieu, vivez eu paix. »

On voit quel avantage La Fontaine a sur l)!)ilcau. Celui-ci , à la vérité , a plus de précision ; mais en la cbercbant , il n'a pu éviter la séc'ieresse. N'importe en (jutl chapitre , est froid et visiblement là ])Cjur la rime. Tous den.r avec dé/ferts veulent gagner leur cause. Cela n'a pas besoin d'être dit ; et les deux parties ne sont point par- la distinguées des autres plaideurs. A la vérité , les deux derniers vers sont plus plaisans «pie dans La Fontaine ; mais le mot sans dépens (\e\aix. Fontaine , équi\aul , à-peu-près , à Messieurs , l'huitre était bonne.

La Fontaine ne s'est point |)iqué de la précision de lîoile.ui. Il n'oublie aucime circonstance intéjessantc. Sur le sable , l'iiuitrc est fralc'iie, ce qui était bon à remarquer; aussi le dit-il formellement , i/ue le f.nt y venait d'apporter , et ce mol fait image.

�� �

L’appétit des plaideurs lui fournit deux jolis vers qui peignent la chose.

V. 3. Ils l’avalent des yeux, du doigt ils se la montrent : A l’égard de la dent il fallut contester. L’un se baissait déjà L’autre le pousse, etc

Voilà comme cela a dii se passer. Le discours des plaideurs anime la scène. L’arrivée de Perrin Dandiit lui donne un air plus vrai que celui de la justice, qui est un personnage allégorique. Je voudrais seulement que les deux pèlerins fussent à jeun comme ceux de Boileau.

Cette fahîe de Thuitre et des plaideurs est devenue, en quelque sorte, l’emhlème delà justice, et n’est pas moins connue que l’image qui représente cette divinité, un bandeau sur les yeux et une balance à la main.

F^^;LE x. ^.I. Autrefois carpillon fretin.

Après l’Apologue précédent, dont la moralité est si étendue, en voici nn où elle est Irès-étroite et très-bornée. Elle rentre même dans celle d’une autre fable, comme La Fontaine nous le dit dans son petit Prologue assez médiocre.

V. 10. Ce que j’avançai lors, de quelque trait encor.

Cela n’avait pas besoin d’être appuyé de cette consonnance de lors et A’ encor insupportable à l’oreille. Il n’y avait qu’à mettre ce on alors j’avançai, etc.. . Il est impardonnable d’être si négligent.

V

FABLE XI.


V. 1 Je ne vois point de créature.

Je ne sais comment La Fontaine a pu faire une aussi mauvaise petite pièce sur lui sujet de morale si heureux : tout y porte à faux. La providence a établi les lois cpii «llrigent la végétation des arbres I DO OEUVRES

et des blés , qui gourernent l'instinct des animaux , qui forcent les moutons à manger les herbes , et les loups à manger les mon- tons. C'est elle qui a donné à l'homme la raison qui lui conseille de tuer les loups. Ne dirait-on pas , suivant La Fontaine , que nous sommes obligés , en conscience , à en conserver l'espèce ? Si cela est , les Anglais , qui sont parvenus à les détruire dans leur île , sont de grands scélérats. Que veut dire La Fontaine avec cette per- mission donnée , aux moutons de^retrancher l'excès des blés , aux loups de manger quelques moutons ? Est-ce sur de pareilles suppo- sitions qu'on doit établir le précepte de la modération , précepte qui naît d'une des loix de notre nature, et que nous ne pouvons presque jamais violer sans en être punis ? Toute morale doit reposer sur la base inébranlable de la raison. C'est la raison qui en est le principe et la source.

<.■ " " -

FABLE XII.

'V. 10. ISIaint cierge aussi fut façonné.

Autre mauvaise fable. Quelle bizarre idée de prêter à un cierge la fantaisie de devenir immortel , et pour cela de se jeter au feu.

\ . i"). Et nouvel Empédocle.. ..

Que La Fontaine adoj)te ce conte ridicule sur Empédocle , on peut le lui passer ; mais comment ImpaLidciïmcv VEmpéJoc/e cir cc.-c ? On s'est moqué de Lamottc pour avoir aj)pelc une grosse rave , un pkcvioinène potager.

FVRLE XIII.

V. 8. Eh 1 qu'est-ce donc que le tonnerre f

Le tonnerre n'est point un huissier. C'est le bruit formé par le choc des nuages inégalement chargés d'un fluide électrique. C'est lin résultat d'une des lois de la puissance divine , comme tous les météores, tous les phénomènes, ou plutôt toute la nature. Il prouve celte ]iuissanco ; mais il ne l'annonce ])as plus que la neige ou la pluie. Les découvertes sur l'électricité ne laissent rien à désirer

�� � DE CHAMFORT. lOI

��à cet égard, et nous ont donné de nouvelles raisons d'admirer l'Etre suprême. Je ne ferai point de remarques sur cette fable , qui est ancienne et conforme aux idées que les payens avaient de leur Jupiter.

��FABLE XIV.

��V. 5. C'était deux viais tartuffes , etc. . . .

Cette fable est très-agréablement contée; mais la moralité en est vague et indéterminée. L'auteur a l'air de blâmer le renard , en disant :

V. 33. Le trop d'expédiens peut gâter une affaire.

Et cependant le renard fait ce qu'il y a de mieux pour se sauver, et ce quile sauve très-souvent. La Fontaine ajoute, à propos d'expédiens :

V. 55. N'en ayons qu'un , mais qu'il soit bon.

Il ne songe pas qu'il est en contradiction avec lui-même , et que , dans la fable XXI II du douzième livre, il dit , à propos d'une ruse admirable d'un renard , qui ne réussit que la première fois :

V, 49- Tant il est vrai qu'il faut changer de stratagème.

FABLE XV.

V. I. Un mari fort amoureux. . .

Je dirais volontiers, sur cette fable, ce que disait mi mathématicien , après avoir lu l'Ipliigénie de Racine : Qu'est-ce que cela prouve.? Quelle morale y a-t-il à tirer de-là ?

Remarquons cependant trois jolis vers :

V, i5. Mais quoi! si l'amour n'assaisonne

Les plaisirs que l'amour nous donne , Je ne vois pas qu'on en soit mieu^

FABLE XVI.

V. 1. Un homme n'ayant plr.s, etc. . .

Cette fable n'est que le récit d'une aventure dont il ne résulte pas ime grande moralité. J'y ferai , par cette raison , très-peu de re- marques.

�� � iSa (TF.UVRES

\. s. . . . Do goittcr le trépas.

CVst-à-clhe , (le jn-olonger les souffrances de Ui luoit : cela ne me paraît pas henreusenient exprime.

\. 20. Absent.

Ce petit vers de deux syll;il)es exprime merveilleusement la sur- prise de l'avare , en voyant la ])lace vide et son argent disj)aru.

V. 3t). Fj'avare raremi^nt finit ses jours sans pleurs.

Ce vers et les trois suivons sont très-bons.

V. 54. Ce sont là de ses traits , etc. . . .

.l'ai déjà dit un mot sur le danger de faire jouei- un trop gran({ rôle à la fortune dans un livre de morale , et de donner aux jeunes gens ridée d'une fatalité inévitable.

' FABLE XVII.

V. 1. Bertrand avec Raton ; etc. • • • ' •

Voici enfin un Apologue digne de La Fontaine. Les deux ani- maux (pii sont les acteurs de la pièce , j sont peints dans leur vrai caractère. Le lecteur est comme présent à la scène. La peinture du chat tirant les marons du feu , est digne de Ténicrs. Il y a, dans la pièce, plusieurs vers que tout le monde a retenus , tels rjue celui-ci :

V. ."îk D'animaux malfaisans cYlait un très-bon plat.

\. 12. Kos galaiis y voyaient double profit à faire ,

î/cur bien jircniièrcmenl , et puis le mai d'aulrui.

Muda-.nc de Sévigué fut exlrémeuienr liajipt <; (]<■ cet Apologue , quand La Fontaine le lui montra , et disait à madame de Grignan :

Poiiiquoi n' écrit-il pas toujours de ce style ?

�� � DE CHAMFORT. 1 53

Je trouve cependant que la moralité de la fable manque de jus- tesse. Il me semble que les princes qui servent mi grand souverain dans ses guerres , sont rarement dans le cas de Raton. Si ce sont des princes dont le secours soit important , ils sont dédommages par des subsides souvent très-forts. Si ce sont de petits princes , alors ils servent dans un grade militaire considérable , ont de grosses pen- sions , de grandes places, etc.. Enfin , cette fable me paraît s'ap- pliquer beaucoup mieux à cette espèce très-nombreuse d'hommes timides et prudens , ou quelquefois de fripons délies qui se servent d'un homme moins habile , dans des affaires épineuses dont ils lui laissent tout le péril , et dont eux-mêmes doivent seuls recueillir tout le fruit. Ce n'est même qu'en ce dernier sens , que le public applique ordinairement cette fable.

��FABLE XVIII.

V. I. Après que le Milan, etr. ^ .

Cet Apologue est bien inférieur au précédent. La seule moralit<'- qui en résuite , ne tend qu'à épargner au malheureux opprimé quel- ques prières inutiles que le péril lui arrache. Cela n'est pas d'une grande importance.

V^ 4- • • • Tomba dans ses mains , etc. . .

C'est une métaphore , poiu- dire , en son pouvoir ; autrement il faudrait, dans ses griffes.

FVBLE xix.

L'objet de cette fable me paraît, connue celui de la précédente , d'une assez petite importance. Haranguez de méchans soldats , et i/s s'enfuiront. Eh bien ! c'est une harangue perdue. Que conclure de- là ? Qu'il faut les réformer et en avoir d'autres ( quand on peut ), ou s'en aller et laisser là la besogne. Cette fable a aussi le défaut de rentrer dans la morale de plusieurs autres Apologues , entre autres dans celle de la fable ix du douzième livre , qu'on ne change pas son naturel.

�� � l54 OEUVRES

Quant au style , n'oublions pas ce dernier trait.

V. 25. Un loup parut , tout le troupeau s'enfuit.

Ce n'était pas un loup, ce n'en était que l'ombre.

Voyez, quel effet de surprise produit ce dernier vers, et avec quelle force , quelle a ivacité ce tour peint la fuite et la timidité des moutons.

En reportant les yeux sur les fables contenues dans ce neuvième livre , on peut s'apercevoir que La Fontaine baisse considérable- ment. De dix-neuf Apologues qu'il contient , nous n'en avons , comme on a vu , que quatre excellens , le gland et la citrouille , Vhintre et les plaideurs , le singe et le chat , et les deux pigeons , pour qui seuls il faudrait pardonner à La Fontaine toutes ses fautes et • toutes ses négligences.

��LIVRE DIXIEME.

V. I. Iris je vous louerais , il n'est que trop aisé: ■

Madame de la Sablière était en effet une des femmes les ])lus aimables de son temps , très-instruite , et ayant plusieurs genres d'esprit.. Elle avait donné un logement, dans sa maison à La^ Fon- tame , qu'elle regardait presque comme un animal domestique ; et après un déplacement , elle disait : Je n'ai plus , dans mon ancienne maison , que moi , mon chat , mon chien , et mon La Fontaine. En même temps qu'elle voyait beaucoup l'auteur des fables, elle était, mair^ en secret , une des écolières du fameux géomètre Sauveur ; mais elle s'en cachait : nous verrons bientôt pourquoi.

V. 7, Elle est commune aux dieux , etc. . .

On peut observer qu'en ceci , comme en bien d'autres choses , les hommes ont fait les dieux à leur image. Au reste , il y a à la fois de l'esprit et de la poésie à supposer que le nectar , si vanté par les poètes, n'est autre chose que la louange.

�� � DE CHAMFORT. ibti

V. 12. D'autres propos chez vous récompensent ce point :

Il veut dire ; en récompense, on a chez vous des conversations intéressantes ; cela n'est pas heureusement exprimé. Ce vers , ainsi que le suivant ,

V. i3. Propos , agréables commerce»,

amènent mal les dix vers suivans, qui sont très-jolis et montrent à merveille ce que doit être une bonne conversation.

V. 16. . . . Le monde n'en croit rien.

Les sots croient ou font semblant de croire que la conversation des gens d'esprit est toujours grave , sérieuse , guindée. Pourquoi ne supposent-ils pas que les gens d'esprit ont de l'esprit aussi na- rellement que les sots ont de la sotise ?

y. 28. .... En avez-vous ou non Oui parler?

La Fontaine savait que madame de la Sablière , non seulement avait oui parler de la philosophie , mais '1 savait qu'elle y était même très -versée ; en effet, elle la connaissait mieux que La Fontaine ; mais elle craignait de passer pour savante. Voilà poiu-quoi il prend cet air de doute et d'inceititude. C'est sûrement pour lui faire sa cour, et par une comp'aisance dont il ne se rendait pas compte , qu'il s'efforce d'être cartésien , c'est- à-dire , de croire que les bêtes étaient de pures machines. Rien n'est plus curieux que de voir comment il cherche par ses raisonne- mens à établir cette idée, et comment son bon sens le ramène malgré lui à croire le contraire. C'est ce que nous verrons dans cette pièce même.

V. 67. Vous n'êtes point embarrassée De le croire , ni moi.

Mon embarras est de savoir comment ils faisaient pour admettra de telles idées.

�� � 1 56 COUVRES

V. s?.. Quand la perdrit A Oil SCS petits.

Négligence ne produisant aiicnne beauté ; effet de pure paresse.

V. 96. Je parle des humains; car, quant aux animaux. ..

A'oil.i un excellent trait de satire déguisée en bonhommie. Swift ou Lucien, Tcuîant mettre les îioninies au-dessous des animaux, ne s'y seraient pas mieux pris. Cela est plaisant dans une pièce où l'au- teur veut établir cjucles animaux sont des machines.

A . 1 14 Que ces castors ne soient qu'un corps vide d'esprit, Jamais on ne pourra m'obliger à le croire.

"Voilà le cartésianisme de La Fontaine fort ébranlé. Il y reviendra pourtant. Madame de la Sablière est cartésienne.

V. 1 iS. Le défenseur du nord. ...

C'est le grand général Sobieski, qui, avant de sauver Vienne et de monter sur le troue de Pologne, était venu à Paris, et avait été de la société de madame de la Sablière , comme , de nos jours , nous avons vu M. Poniatoski lié avec madame Geoffrin.

V. lai Jamais nn roi ne nient.

Du milieu de ces idées si étrangères an génie de La Fontaine, il sort pourtant des traits qui le caractérisent , tel que ce plaisant iié- mistiche : Jamais un roi ne ment.

y. 1Ô7. . . . Ah! s'il h; rendait ; Et qu'il rendit aussi. . . .

ToiUcs ces idées sont incohérentes et mal liées ensend)le, du moins quant à l'effet poétique. Les vers suivanssont l'exposé de la doctrine de Ucscartes , et l'obscurité qu'on peut leur reprocher, tient à la na- ture xn^me de ces idées , car La Fontaine emploie presque les terme»; de Descartes lui-même.

�� � DE CHAMFORT. 1^7

V. 162 Je vois l'outil

Obéir à la main : mais la main , qui la guido, ? Eh ! qui guide les cieux , et leur course rapide?

Ce mouvement' est très-vif, très-noble , et ne déparerait pas un ou- vrage d'un plus grand genre.

Vient ensuite l'histoire des deux rats et de Fœuf , après laquelle La Fontaine oublie qu'il est cartésien et s'écrie :

V. 197. Qu'on m'aille soutenir , après un tel récit , Que les bêles n'ont point d'esprit !

Le reste n'est qu'une suite de raisonnemens creux où La Fontaine a cru s'entendre , ce qui était absolument impossible. S'entendait-il , par exemple , en disant :

V. 20-. Je subtiliserais un morceau de matière , Que l'on ne pourrait plus, etc. . . .

On voit que cette pièce manque entièrement d'ensemble et mt*n)e d'objet. Ce sont trois fables qui prouvent l'intelligence des animaux; et ces fables se trouvent entre-coupées de raisonnemens , dont le but est de prouver qu'elles n'en ont pas. La Fontaine pèche ici contre la première des lègles, l'unité de dessein. L'auteur paraît l'avoir senti , et cherche à prendre un parti mitoyen entre les deux systèmes ; mais les raisonnemens où il s'embarque, sont entièrement inintelligibles. • .

��V. }. Un homme vit une couleiivie.

Après la pièce précédente , si confuse et si embrouillée , voici une fable remarquable par l'unité , la simplicité et l'évidence de son ré- sultat. A la vérité, il n'est pas de la dernière importance, puisqu'il se réduit à faire voir la dureté de l'empire que l'homme exerce sur les animaux et sur toute la nature ; mais c'est quelque chose de l'arrêter un moment sur cette idée ; et La Fontaine a d'ailleurs su répandre tant de beautés de détail sur le fond de cet Apologue , qu'il est presque au niveau des meilleurs et des plus célèbres.

�� � i58 caîuviiFs

V. 5. (C'est le serpent que je veux dire,

Et non l'homme , on pourrait aisément s'y tromper.)

Ce second vers paraît froid après le premier ; mais La Fontainr l'ajoute à dessein', pour rentrer un peu dans son caractère de bon- liommie, dont il vient de sortir un moment par un vers si satirique contre l'espèce humaine.

V. 10. Afin de le payer toutefois de raison.

Voyez les remarques sur la fable du loup et de l'agneau , au pre- )nicr livre.

V, 27. . . . Il recula d'un pas.

C'est la surprise de l'homme qui est cause de sa patience et qui l'o- blige à écouter le serpent. Le discours de la vache est plein de raison et d'intérêt. Tous les mouvemens en sont d'une simplicité touchante.

V. 42. . . . 11 me laisse en un coin

Sans herbe. . .

Ce dernier mot rejeté à l'autîe vers , et ce vœu si naturel ,

V. 43. . . . S'il voulait encor me laisser paître! ^

Tout cela est parfait. Le discours du bœuf a un autre genre de beauté : c'est celui d'un ton noble et poétique , quoique naturel et vrai.

V. 55. . . . Ce long cercle de peines, •• Qui , revenant sur soi , ramenait dans nos plaines

Ce que Cérès nous donne et vend aux animaux :

Et cet autre vers:

V. C2. Achetaient de son sang l'indulgence des dieux.

La Fontaine tire un parti ingénieux du ton qu'il vient de prêter au

�� � DE CHAMFORT. 1 D()

bœuf, c'est de le faire appeler declamateiir par Thoinme qui lui reproche de chercher de grands mots: tout cela est d'un goût exquis.

La Fontaine a su être aussi intéressant en faisant parler l'arbre.

V. -4 Libéral il nous donne

Ou des fleurs au printemps, ou des fruits à l'autoniRe.

Et quelle heureuse précision dans le vers suivant !

V. Si. Je suis bien bon , dit-ii, d'écouter ces gens-là.

Le despotisme n'est jamais si redoutable que quand on vient dt; le convaincre d'absurdité.

FABLE rir. ■ V. i. Une tortue était , etc. . . .

Quoique l'invention de cette fable soit un peu bizarre , quoique la tortue y soit peinte dans un costume bien étranger à ses habi- tudes, on peut ranger cet Apologue parmi les bons. C'est que l'in- tention en est sage , morale , bien marquée , et que d'ailleurs l'e.vé- cution en est très-agréable.

V. 4- Volontiers gens boiteux , etc. . . .

La répétition de ce mot volontiers est pleine de grâces ; et ce vers : Volontiers gens boiteiijc haïssent le logis , fait voir comment La Fon- tame sait tirer parti des plus petites circonstances.

V, 9. . . . Par l'air en Amérique :

Il ne fallait point particular-ser , ni nommer ï Amérique : du moins fallait-il ne nommer qu'une contrée de l'ancien hémisphère. Toute action qui forme le nœud ou l'intérêt d'un Apologue , est supposée se passer dans les temps fabuleux, au temps (comme dit le peuple) où les bêtes parlaient. Il y a, pour chaque genre de poésie, une \rsà- semblance reçue , une convenance particulière , dont il ne faut pas s'écarter.

�� � l6o OEUVRES , '

V. i5. Ulysse eu fit autaat.

Ce trait ne pèche point contie la règle que nous venons d'étahlir , parce que le temps où Ulysse vivait est supposé compris dans l'é- poque que nous avons indiquée ; d'ailleurs , ce rapproclienicrnt des voyages d'Ulysse avec celui de la tortue est si plaisant , que le lec- "teur s'y rendiait bien moins difficile.

V. lô. . . . On ne s'attendait guère. . .'.

\i)ilà un de ces traits qui caractérisent un poète supérieur à son sujet ; nul n'a su s'en jouer à propos connue La Fontaine.

FABLE IV.

V. 1. Il n'était point d'étang, etc. ...

Nous ne trouverons plus dans ce dixième livre , de fable qui puisse être comparée aux deux précédentes. Celle-ci n'en approche , ni poiu- le fond , ni pour la forme. Remarquons cependant le sérieux •plaisant de cette réflexion.

1 \. j. Tout cormoran se sert de pourvoyeur lui-même.

\ . 42. En ceux qui sont mangeurs de gens.

Il fallait s'arrêter là. La léflexion <pie La Fontaine ajoute à ce conseil de prudence, ne sert qu'à en détourner l'esprit de son lecteur. L'idée de la mort absorbe toute autre idée.

��V. 1. Un pinceaiaiile avait tant amassé.

Le résultatde cette fable est encore très peu de chose ; mais, dans l'éxecution, clic offre plusieurs vers très-bons. Je me contente de les indiquer à la marge.

�� � DE CHA3ÎFORT. l6l

V. dernier. Il n'est pas malaise de tromper un troin]3eur.

Cela n'est pas exactement vrai ; et souvent c'est mie chose très- difficile. J'aurais mieux aimé que La Fontaine eût exprimé le sens de l'idée suivante ; Heureux celui qu'un seul avertissement ensias'e à triompher de sa passion favorite !

��\ . 2. (S'il en est de tels dans le monde.)

Ce mol seul fait la critique de cet Apologue. Les meilleures fables sont celles où les animaux sont peints dans leur naturel , avec les goûts et les habitudes qui naissent dç leur organisation. Esope , dont cette fable est imitée , a su éviter ce défaut en employant d'ail- leurs une brièveté préférable aux ornemens de La Fontaine. Voici la fable d'Esope :

" Un loup passant près de la cabane de quelques bergers , les vit inan- » géant un mouton. Il leur cria: Que ne diriez-vous point , si j'en fai- » sais autant ? »

Il est évident que cet Apologue vaut mieux que celui du fabuliste français.

V. ro De loups l'Angleterre est déserte.

Même faute que celle qui a été notée dajis la fable de la tortue , .sur le mot Amérique.

Y. 24. Mangeans un agnenu cuit en broche.

Quel résultat moral peut-on tirer de-là ? car , comme a dit La Fon- taine lui-même:

Sans cela toute fable est un oeuvre imparfait.

J'en vois quelques traits confus, comme, par exemple, que nombre d'bommes se permettent ce qu'ils interdisent aux autres , l'effet de leurs discours anéanti par leurs actions ; mais cela ne vaut guère la peine d'être dit. D'un autre eût- , il faut que l'action soit ninu,

I I

�� � l6^2 OF.LVRES

valse; et La Fontaine Teiit-il établir que c'est très-mal fait de

manger hs moutons ? tout cula me parait vague et dénué d'objet.

FABLE VII.

V. 7. Elle me prend mes mouches à ma porte.

Cette action de P/ïî7o/n<?/<', c'est-.': -dire du 7o«.f?^'«c»/, enlevant d'abord les mouches de l'araignée , et ensuite l'araiiinée même avec sa toile et tout , cette action , que prouve-t-elle ? La loi du plus fort , soit. Mais est-ce une chose si bonne à répéter sans cesse ? n'est-ce pas exposer l'esprit des jeunes gens à saisir ini faux rapport entre la vio- lence que les différentes espèces d'animaux exercent les unes à l'égard des autres , et les injustices que les hommes se font mutuel- lement? N'est-ce pas leur montrer le tout comme un effet des mêmes loix , et un produit de la nécessité ? Cependant, quel rapport y a-t-il, à cet égard , entre les animaux et les hommes ? Aucun. Nul animal ne peut mal faire , soit qu'il dévore un être d'une espèce plus faible que la sienne , ou un être de la sienne même. On peut aller jusqu'à dire qu'il fait très-bien , car il obéit à un instinct déterminé par des lois supérieiu'es : mais l'homme , à qui ces mêmes lois ont donné la raison , paraît la combattre au moment où elle est préjudiciable à ses semblables. Dès qu'il nuit , il est , pour ainsi dire , lioi s de sa nature. Que peuvent donc avoir de commun les moeursdel'homme et les habitudes des animaux? Les dernières ne doivent être la repré- sentation des autres, que dans les cas où le résultat est ytile , ou du moins n'est pas nuisible à la morale. Autrement l'auteur, faute d'avoir des idées justes, risque d'en donner de fausses à son lecteur. C'est ce qui est arrivé plus d'une fois à La Fontaine même; et je suis forcé d'en convenir , malgré mon admiration pour lui.

FVBI.F. VIII.

V. 10. Elle se consola

��Rien de si naturel que ce sentiment et la réflexion qui le suit. C'est ici que la résignation à la nécessité est établie avec les adoucisseinens qui lui conviennent. La soumission de la perdrix est d'un très-bon «xemple , et on est souvent dans le cas de dire comme elle :

��V. 10. iW. sont leurs mœurs

�� � DE CHAMFORT. l63

FABLE IX.

V. 1. Qu'ai-je fait pour me voir ainsi?

Nous avons déjà vu quelques exemples de ce tour vif et animé , xjui met d'abord le personnage en scène.

Après le sentiment de la douleur physique , vient celui de l'injus- tice qui lui fait subir un pareil traitement; et puis l'indignation contre l'ingratitude ; enfin l'amour-propre a son tour.

V. 4- Devant les autres chiens oserai-je paraître ?

Un homme n'aurait pas mieux dit.

Les six vers dans lesquels La Fontaine exprime la moralité de cet Apologue , ont le défaut de ne pas sortir de l'exemple de Moujlar. I,a vraie moralité de la pièce est dans la fable même :

V. 10. . . . Il vit avec le temps Qu'il y gagnait beaucoup. . . .

Ou il fallait ne pas mettre de moralité du tout , ou bien il fallait laisser là Moufllar, et dire que, souvent d'un malheur qui nous a causf: bien du chagrin , // est résulté des avantages inappréciables et imprévus^ Souvenons-nous désormais de faire cette réflexion , dans les acciden* qui peuvent nous survenir.

��V. 1. Deux démons à leur gré, etc. . . .

Ce que dit ici La Fontaine est si vTai , que certains philosophes l'ont posé en principe dans des traités de morale , et font remonter à ces deux sources toutes nos passions et tous nos sentiment.

V. j. Car même elle entre dans l'amour, .le le ferais bien voir: etc. . .

�� � l64 OILUVRES

L'auteur n'aurait pas eu grand peine dans l'époque où il vivait. L'a- mour, dans des mœurs simples , n'est composé que de lui-même , ne peut être payé que par lui , s'offense de ce qui n'est pas lui ; mais dans des mœurs rafînées , c'est-à-dire , corrompues , ce sentiment laisse entrer dans sa composition une foule d'accessoires qui lui sont étrangers. Rapports de position , convenances de société, calculs d'amour-propre, intérêt de vanité, et nombre d'autres combinai- sons qui vont même jusqu'à le rendre ridicule. En France c'est , pour l'ordinaire, un amusement , un jeu de commerce qui ne ruine et n'enrichit personne.

\ . 21. Il avait du bon sens ; le reste vient ensuite.

C'est l'opinion de M. Guillaume dans l'Avocat Patelin. On lui dit : 3Iais , 3J. GiiiUmune , savez-vous que vous gotn-ernericz très-bien un état ■" Tout comme un autre , répond-il.

Y. 55. Je crois voir cet aveugle, etc. . .

Ce récit de l'histoire du serpent , formant une autri; fable dans la fable, me paraît déplacé. Outre qu'il rentre dans l'Apologue du ser- pent etdu villageois au livre vi , il gâte un peu cette jolie pièce. Vou- lez-vous voir combien elle serait plus vive , plus rapide , et d'unnlus grand effet ! Essayez de supprimer l'épisode cUi serpent : supposez qu'après ces mots :

Y. 28. Ne produisent jamais que d'illustres malheurs.

Supposez qu'en' sautant 22 vers , La Fontaine eût dit :

V. 5i. Mille dégoûts viendront, dit le prophète ermite. (1) 11 en Tint en effet, l'ermite n'eut pas lorl. Mainte peste de cour , etc. . . .

Le reste comme il est. Il nie semble que cette suspension ferait un très-bon effet , et donnerait à cette pièce une rapidité qui lui manque.

��(i) Nous avons, contre l'usage, adopte le sonliincut de l'académir- pour l'orlhographc de ce mol , appuyés aussi sur son origine, cniuu.s. 'U:ierl.

�� � DE CnAMFORT. l65

V. 60. Louanges du désert et de la pauvreté.

Etait-ce dans des lettres que le berger ccriAait ? Ce berger-visir était-il un sage qui eût écrit ses pensées dans un ouvrage ? il me semble qu'il eût fallu éclaircir cela brièvement.

V. 69. Et je pense aussi sa musette.

Ce n'était pas un poète comme La Fontaine , qui pouvait oublier de mettre une musette dans le coffre-fort du berger. Quelle grâce dans ce petit mot , je pense !

V, -o. Doux trésors ! se dit-il , cliers gages . . .

Voilà encore ini de ces morceaux où il semble que le cœur de La Fontaine prenne plaisir à s'épancher. La naïveté de son caract*Te , la simplicité de son âme , son goût pour la retraite le mettent vite à la place de ceux qui forment des vœux pour le séjour de la campagne , pour la médiocrité , pour la solitude. Nous en avons déjà vu plusieurs exemple^ , et heureusement nous en retrouverons encore.

FVBLE xr.

V. 1. Tircis, qui pour la stiilc Annelte.

La chanson du ])erger est fort jolie ; mais on est un peu scanda- lisé de la morale de la pièce et du conseil que l'auteur donne aux rois. La Fontaine , apôtre du despotisme 1 La Fontaine , Jjlàmer les voies de la douceur et de la persuasion ! cela paraît plus extraordi- naire et plus contre la nature , que le loup rempli d'humanité, dont il nous a parlé quatre ou cinq fables plus haut.

FABLE XII.

V. I. Deux perroquets, l'un père et l'autre fils. . .

Ces quatre premiers vers sont joliment tournés , et sembleraient annoncer un meilleur apologue. Celui-ci est très-médloci'e. Ce perro-

�� � 1 6C) OEUVRES

quet qui crevé les yeux au fils du roi ; ce roi qui va pérorer le per- roquet perché sur le haut d'im pin ; cela n'est pas d'un goiit bien exquis.

Les deux derniers vers de la pièce sont agréables et ont presque passé en proverbe ; mais la vraie moralité de cette prétendue fable est que la confiance mutuelle une fois perdue , elle ne se recouvre pas. Voyez un conte de Séiiecé , intitule le Kairaak , qui se trouve dans tous les recueils.

FABLE XIII.

A'. 1. INlère lionne , etc. . . .

J'aurais voulu que La Fontaine s'arrêtât après le douzième vers ;

JN'avaient-ils ni père ni mère î

lime semble que cela donnait bien autrement à penser. Et en effet, toute la morale ne tend guère qu'à empêcher les malheureux de se plaindre : ce qui n'est pas d'une g;rande conséquence.

Les deux derniers vers :

Quiconque en pareil cas se voit haï des cieux , Qu'il considère Hécubc , il rendra grâce aux dieux ;

sont excellens ; mais la moralité qu'ils enseignent est énoncée d'une manière l)ien ])lus fiajipanlc dans une fable de Sadi , fameux poète persan ; la voici :

« Un pauvre entra dans une mosquée pour y faire sa prière : ses »> jambes et ses pieds étaient nus , tant sa misère était grande ; et il » s'en plaignait au ciel avec amertume. Ayant fini sa prière , il se » retourne et voit un autre pauvre appuyé contre inie colonne et assis » sur son séant. Il appcrcut que ce pauvre n'avait point de jambes. Le « premier pauvre sortit delà mosquée , en rendant grâce aux dieux.»

TABLE XIV.

y. /(. J'en vois peu dans la fable, enror nuiins ilans l'histoire. Ces qna're premiers vers son» très-jolis, mais n'obtiennent pfe

�� � DE CHAMFORT. xG'j

grâce pour le fond de cet Apologue, <iui me paraît défectueux. Quel rapport y a-t-il entre Hercule avant obtenu Tapotlii^ose par des travaux utiles aux hommes ( c'est ainsi du moins qu'il faut l'envisager dans l'Apologue ) , quel rapport , dis-je , entre ce dieu et un aventurier faisant une action folle , dangereuse , utile aux autres , ou qui ne peut-être utile qu'à lui-même? Quelle leçon peut-il résulter du succès de son audace a'osurde et imprudente ? je ne connais pas de sujet de fable moins fait pour plaire à La Fontaine que celui-ci. J'ai déjà ob- servé qu'il n'était point le poète de l'héroïsme, mais celui de la nature et de la raison ; et la raison peut-elle être pins blessée qu'elle no l'est , par l'entreprise de cet aventurier ?

V. 28. Auquel cas, où l'honneur d'une telle aventure?

J'avoue que ce raisonnemenî du chevalier me paraît très-bon.

V. 57. 11 le prend , il remporte. . . . L'auteur aurait bien dû nous dire comment.

V. 45- Le proclamer monarque. . . .

Eh bien ! la morale de cette fable est donc qu'il en faut croire le premier ëcriteau ?

V. 49- ( Serait-ce bien une misère,

Que d'être pape ou d'être roi ?)

Voilà pourtant La Fontaine qui trouve le secret de mêler lui trait de son caractère, au récit d'une aventure qui y est le plus opposée.

V esage quelquefois. . . .

Cela est vrai , mais dans tel ou tel cas qu'il aurait fallu spécifier , et non dans une aventure folle qui réussit à im fou.

FVBLE XV.

Discours à M. le duc de la Rochefoucault. C'est toujours ce même duc de la Rochefoucault, aute u des Maw

�� � mes, ce livre si cher aux esprits secs et aux âmes froides. L’auteur qui n’avait guère fréquente que des courtisans, rapporte le motif de toutes nos actions à l’amour-propre ; et il faut convenir qu’il dévoile, avec une sagacité infinie, les subterfuges de ce misérable amour-propre. Mais s’il V a un amour-propre petit, mesquin, ou si l’on veut méprisable , n’en est-il pas un autre noble , sensible et généreux ? Pourquoi M. le duc de la Rochefoucault ne nous peint-il jamais que le premier ? Est-ce faire connaître un palais , de n’en montrer que les portion? consacrées aux usages les plus rebutans ?

V. 4- l^e roi de ces gens-là. . . ,

Les défaïUs des sujets ont servi à peindre leur roi , d’une manière dont on n’a point approché depuis La F’ontaine. Il a eu bien raison de dire :

Peut-être d’autres héros , IM’auraicnt moins acquis de gloire,

\. 8. J’entends les esprits corps. ...

Nous voilà revenus à ne pas nous entendre.

V. iS, Ta rjiK’ n’étant plus nuit, il n’est pas cncor jour.

Voiljji un de ces veis que La Fontaine seul a su faire. Il est vrai qu’il est un peu imité du Tasse ou de l’Arioste , je ne me souviens plus lequel des deux.

V. 21. S’égayaient, et de thym parfumaient leur banquet.

Tout ce tableau est charmant , et le dernier vers plein de poésie. Ne reconnaît-on pas en cela les humains?

Y. ’/S. Dispersés par quelque orage.

Tout le reste est de trop,

V. ô5. Quand des chiens étrangers. . . . Il y a trop peu de liaison entre cette idée et la précédente. DE CHAIvIFORT. 169

Y. ig. Le moins de gens qu'on peut à l'entour du gâteau.

Cette attention de l'amour propre à écarter tous les concurrens , méritait les frais d'un Apologue particulier.

V. 5j. Vous qui m'avez donné. ...

H est aisé de reconnaître l'auteur des Maximes dans la compa- raison du gâteau ; mais il aurait dû dire à La Fontaine qu'il n'en avait pas tiré le meilleur parti possiLle. Toute cette période , qui contient l'éloge de M. de la Rocliefoucault , me paraît longue et pesante.

FABLE XVI.

V. 1. Quatre chercheurs , etc. . . .

La moralité qui résulte de cet Apologue est incontestable , m;us elle a bien peu d'application dans nos mœurs.

V. 5i. Comme si devers l'Inde. . .

Cette Tanité n'est point inconnue dans l'Inde. Seulement elle y prend des formes différentes de celles qu'elle peut avoir en Europe. La Fontaine ne savait pas à quels excès horribles et dégradans la classe des Naires s'est souvent portée contre les autre^ classes.

��LIVRE ONZIEME.

��V. I. Sultan léopard autrefois.

C'est ici le heu de développer une partie des idées que je n'ai fait qu'effleurer, à l'occasion de la f^hle du chien qui porte au col ie dîner de son maicre , et de celle de l'hirondelle et de l'araignée.

�� � C’est certainement une idée très-ingénieuse d’avoir trouvé et saisi, dans le naturel et les habitudes des animaux, des rapports avec nos mœurs, pour en faire ou la peinture ou la satire : mais cette idée heureuse n’est pas exempte d’uiconvéniens, comme je l’ai déjà insinué. Cela vient de ce que le rapport de l’animal à l’homme est trop incomplet; et cette ressemblance imparfaite peut introduire de grandes erreurs dans la morale. Dans cette fable-ci , par exemple, il est clair que le renard a raison et est un très-bon ministre. Il est clair que sultan léopard devait étrangler le lionceau , non - seulement comme léopard d’Apologue, c’est-à-dire qui raisonne ; mais il le devait même comme sultan , vu que sa majesté léoparde se devait tout entière au bonheur de ses peuples. C’est ce qui fut démontré peu de temps après. Que conclure de-là ? S’ensuit-il que , parmi les hommes, un monarque, orphelin, héritier d’un grand empire, doive être étranglé par lui roi voisin , sous prétexte que cet orphelin , devenu majeur , sera peut-être un conquérant redoutable ? Machiavel dirait que oui ; la politique vulgaire balancerait peut-être ; mais la morale affirmerait que non. D’où vient cette différence entre sa majesté léoparde et cette autre majesté ? C’est que la première se trouve dans une nécessité physique , instante, évidente et incontestable d’étrangler l’orphelin pour l’intérêt de sa propre sureté : nécessité qui ne saurait avoir lieu pour l’autre monarque. C’est la mesure de cette nécessité , de l’effort qu’on fait pour s’y soustraire , de la douleur qu’on éprouve en s’y soumettant , qui devient la mesure du caractère moral de l’homme , qui , plutôt que de s’y soumettre , consent à s’immoler lui-même ( en n’immolant toutefois que lui-même et non ceux dont le sort lui est confié ) , et s’élève par-là au plus haut di gré de vertu auquel l’humanité puisse atteindre. On sent, d’après ces réflexions, combien il sti ait aisé d’abuser de l’Apologue de La Fontaine. On sent combien les méchans sont embarrassans poiii- la morale des bons. Ils nuisent à la société , non-seulement en leur qualité de méchans, mais en empêchant les bons d’être aussi bons qu’ils le souhaiteraient , eu forçant ceux-ci de mêler à leur bonté une prudence qui en gêne et qui en restreint l’usage ; et c’est ce qui a fait enfin qu’un recueil d’apologues doit presqu’autant contenir de leçons de sagesse que de préceptes de morale. DE CHA3IFORT. I7I

Proposez-vous d'avoir le lion pour ami , Si vous voulez le laisser croître.

Ces deux derniers vers sont presque devenus proverbes. Il y en a deux autres, dans le cours de cet Apulogue , que j'ai vu citer et appliquer à im très-méchant homme , qui t tait des inc à avoir de grands moyens de servir et de nuire, et qui avait au moins le mérite d'être attaché à ses amis. Voici ces deux vers :

Ce .«era le meilleur lion ,

Pour ses amis , qui soil sur terre.

Mais les trois alliés du lion qui ne lui coûtent rien , son courage , sa jorce , avec sa vigilance , est une tournure d'un goût noble et grand , et presque oratoire. Aussi cela se dit-il dans le conseil du roi .

FACLE II.

V. 1. Jupiter eut un fiLs , qui

Avait l'âme toute divine.

Vraiment , c'est l'effet à côté de la cause ; rien n'est plus simple. Cela doit bien faciliter l'éducation des princes ; je suis même étonné que cette réflexion ne l'ait pas fait supprimer entièrement.

V. 4- L'enfance n'ainxe rien.

Cela n'est pas d'une Térité assez exacte et as.sez générale pour être mis en maxime. D'ailleurs , pourquoi le dire à un jeune prince? pourquoi lui donner cette mauvaise opinion des enfans de son âge ? Est-ce pour qu'il se regarde comme un être à part, comme im dieu , et le tout parce qu'il aime son père , sa mère et sa gouvernante ?

16. . . . Et d'autres dons des cieux , Que les enfans des autres dieux.

La Fontaine l'a déjà dit , à-peu-près douze ou treize vers pluii

�� � 17^ OEUVRES

Laut ; mais les belles choses ne sauraient être trop répétées. Par mai- heur , il y a ici un petit inconvénient : c'est qu'il esi inutile on même absurde de parler de morale aux princes , tant qu'on leur dira de ces choses-là.

V. 30. Tant il le fit parfaitement.

Ceci doit faire allusion à quelque petite pièce de société, repré- sentée devant le roi dans son intérieur , où M. le duc du Maine avait sans doute bien joué le rôle d'amoureux.

V. aç). 11 faut qu'il sache tout , etc. . . .

\ oila une étrange idée. La Fontaine oublie qu'il s'en est moqué lui-même , dans sa fable du chien qui veut boire la rivière.

Si j'apprenais l'hcbreu , les sciences , riiistoire ! Tout cela c'est la mer à boire.

Bailleurs, un prince est moins obligé qu'un autre homme, de savoir tout. Quand il connaît ses devoirs aussi bien que la plupart dci princes coimaissent leurs droits , quand il sait ne parler que de ce qu'il entend , quand on a formé sa raison , quand on lui a en- seigné l'art d'apprécier les hommes et les choses , son éducation est tiès-bonnc et très-avancée.

V. 5o. Eut à peine achevé que chacun applaudit.

C'est de quoi personne n'est en peine.

V. 5?,. Je veux , dit le (lion de la guerre . . .

Cette idée de représenter tous les dieux , ou tous les génies , eu toutes les fées qiu se réunissent pour doter im prince de toutes les qualités possibles, est une vieille flatterie, déjà usée dès le temjjs de La Fontaine. Quant à M. le duc du Maine , il est fâcheux que l'assemblée des dieux ait oublié à son égard un article bien imp(n- tant ; c'était de lui donner tui peu de caractère; cette qualité lui eût épargné bien des dégoûts. C'était d'ailleurs un prince très- iustruit eu lilléralure d'agrément. Il s'amusait à traduire en fran-

�� � DE CHA.MFORT. l']3

cais l'Anti-Lucrèce du cardinal de Polignac, pendant la dernière année du règne de Louis xiv. Madame la duchesse du Maine , oc- cupée d'idées plus ambitieuses , lui disait : Vous apprendrez au premier moment que Tu. le duc d'Orléans est le maître du loyaume , et vous de l'académie française.

��PABiE III.

��V. 20. Il choisit une nuit libérale en patois:

H n'a été donné qu'à La Fontaine de jeter , au milieu d'un récit li'ès-simple , des ti'aits de poésie aussi^nohles et aussi heureux.

V. 7)1. Peu s'en fallut que le soleil. , .

II ne restait plus à prendre que le ton de la tragédie ; et \ oilà La Fontaine qui le prend très-plaisamment, à l'occasion du désa^Ue d'un poulailler.

V. 5-. Tel encor autour de sa tente . . .

La première comparaison suffisait pour produire l'effet de variété que cherchait l'auteur ; ou bien il pouvait préférer la seconde pour conserver le vers.

V. iô. Le renard, autre Ajax,etc

��Le discours du chien est excellent ; et la raison pour laqueir? on le trouve mauvais , peint assez la société.

V. 6i. (Et je ne t'ai jamais envié cet honneur.)

N'est-il pas plaisant de voir toujours La Fontaine oublier son mariage , sa femme et son fils? On sait que M. le président de Harlay s'était chargé de cet enfant , qu'on fit rencontrer le père et le fils quand ce dernier eut vingt-cinq ans , que La Fontaine lui trouva de l'esprit , et apprenant que c'était son fils, avait dit naïve- luent : ah ! j'en suis bien aise.

�� � I^-i OEUVRES

. Couche-toi le dernier, etc.

La moralité de cette fable entre dans celle de l'œil du maître, livre IV , fable ai.

FABLE IV.

V. 1. Jadis certain Mogol,etc. . .

Ce que La Fontaine appelle ici une fable, est nn trait de la bi- bliothèque orientale qu'il a mis en Aeis très-btureusenient.

V. 8. Mines en ces deux morts , «le.

Le costume est ici mal observé; Minos est le juge des enfers dans la Mythologie grecque, mais ne l'est point dans la religion du Mogol , qui est le mahonu-tisme.

Tout ce que l'auleur ajoute aux m.ots de l'interprète , connue il dit, est excellent. C'est La Fontaine dans son caractère et dans la perfection de son talent. Quel vers que celui-ci !

V. 85. Je lui voue au désert de nouveaux sacrifices.

Voilà bien le solitaire , insouciant et donneur.

Cette charmante tirade n'est gâtée que par

V. ag. . . . Ces clartés errantes ,

Par qui sont nos destins el nos mœurs différentes.

Pourquoi attribuer aux astres de l'influence sur nos mo-urs et sur notre caractère? Pourquoi consacrer une absnidité qui! a lui- même combattue? Ces variations montrent ccmbien les idées de La Fontaine étaient , à certains égards , peu fixes et peu aiTètée."».

��V. I . Le lion , pour bien gouverner. . .

La .rable des deux ânes, qui fait le fonds de cette pièce , est très- ancienne. Elle est fort bien contée; mais pouiquoi l'encadrer dans cette autre faille dn lion et du singe? Les seuls vers très-bons de tout ce commencement, sont ceux-ci:

�� � DE CllAMFORT. I^S

V, 52. QuTci bas maint talent n'est que pure grimace , Cabale, et certain air de se faire valoir , Mieux su des ignorans que des gens de savoir.

Le dernier vers surtout est admirable.

V. 53. Vous surpassez Lambert, etc. . .

On peut appliquer ici ma remarque sur rAmérique dans la fable de la tortue et des deux canards ; il était bien de citer Philomène , triais un musicien contemporain détruit l'illusion du lecteur.

FABLE VI.

V. 1. Mais d'où vient qu'au renard , etc .

Ce petit Prologue est assez peu piquant ; pourquoi commencer par contredire Esope sur un point où l'on finit par convenir qu'il St raison ? Il était mieux d'entrer tout de suite en matière , et de dire :

V. 10. Le renard un soir apperçut, etc.

V. 55. . . Le dieu Faune l'a fait , La vaclie lo donna le lait :

La Fontaine brille toujours dans cet usage plaisant et poétique qu'il fait de la Mythologie. Au reste , la morale de cet Apologue est à-peu-près la même que celle du renard et du bouc, livre tti, fable 5.

��V. 1, Il ne faut point juger des gens sur l'apparence.

Il paraît singulier que La Fontaine réduise à un résultat si mé- diocre , le récit d'un fait aussi intéressant que celui qui est le sujet de cet Apologue. Il me semble que ce fait devait réveiller , dans l'es- prit de l'auteur, des idées d'une toute autre importance. Un paysan

�� � I-jG OEUVRES

giossier, sans instruction, à qui le sentiment des droits de l'homme, trop offensés par les t^Tans , donne une éloquence naturelle et pas- sionnée qui s'attire l'admiration de la capitale du monde et dé- sarme le despotisme, un tel sujet devait conduire à un autre terme que la morale du souriceau.

V. 7. . . . Homme dont Marc-Aurèle

��Je ne sais pourquoi il jjlaît à M. Coste, dans sa note, de gratifier Marc-Aurèle d'une figure à-peu-près semblable à celle d'Esope. Rien n'est plus faux. Les historiens remarquent seulement qu'il avait la figure ordinaire, et par conséquent peu digne de son rang , de son âme et de son génie ; mais il était loin d'avoir un extérieur rebutant. Je ferai peu de remarques sur ce morceau , qui d'un bout à l'autre est un chef-d'œuvre d'éloquence.

V. 5o. Et sauraient en user sans iuhumanitè.

Ce dernier trait manque un peu de justesse. En effet , si les Ger» tnains avaient eu l'avidité et la violence de leurs tyrans , il est bien probable que les peuples de Germanie eussent été inhumains comme leui s oppresseurs. Avec de l'avidité et de la violence , on est bien près d'être un tyran. Le plus fort est fait.

FABLE VIII.

V, 1. Un octogénaire plantait.

Cette fable n'a pas la perfection qu'on admire dans plusieurs autrçs, si on la considère comme apologue. On peut dire même que ce n'en est pas un , puisqu'un apologue doit offrir une action pas- sée entre des animaux , qui rappelle aux hommes l'idée d'une vérité morale , revêtue du voile de l'allégorie. Ici la vérité se montre sans voile : c'est la chose même et non pas une narration allégorique.

Mais si on considère cette fable simplement comme une pièce de vers, elle est charmante et aussi parfaite ])our l'exécution, qu'aucun autre omTage sorti des mains de La Fontaine. Examinons-la en détail.

�� � DE CHAMFORT. i-^n

V. 2. Passe encor d<; bâtir; mais planter à cet âge!

Ce vers est devenu proverbe; et on le cite souvent à l'occasion de ceux qui se sont mis dans le même cas. Le discours des jeunes gens est assez raisonnable , mais il y a un mot qui ne convient qu'à des étourdis, c'est celui du vers 4 '■

Assurément il radotait.

On verra pourquoi La Fontaine leur prête ce propos assez im- pertinent.

V. 1 1 . Quittez le long espoir et les vastes pensées.

Quelle force de sens et quelle précision !

V. 12. Tout cela ne convient qu'à nous.

Mot important. Voilà le sentiment qui les fait parler. La réponse du vieillard est admirable et cause une sorte de surprise. Le lecteur trouvait, comme ces jeunes gens, que ce vieillard est assez peu sensé. Le premier mot de sa réplique annonce un sage :

V. i5. II ne convient pas à vous-mêmes. . . Cinq ou six vers après , on voit que c'est un sage très-agréable.

V. 21. Mes arrière-neveux me devront cet ombrage:

Hé bien , défendez-vous au sage

De se donner des soins pour le plaisir d'autrui?

La jouissance des autres est la sienne.

V. 24. Cela rnCme est un l'ruit que je goûte aujourdhui :

Quel mélange de sentiment et de véritable philosophie !

V. 26. Je puis enfin compter l'aurore

Plus d'une fois sur vos tombeaux.

A la vérité , ce moi est un peu dur ; mais il l'est beaucoup moins

19.

�� � inS OKLYRIIS

que le propos de ces jeunes gens : .-Isstiréinent il radotait. ,T';n oiic que je vouJrais que le vieillard eixX encore été plus doii\ et plus aimable , qu'il eût dit avec encore plus de bonté :

Et même avec regret je puis comjitei l'aurore , Plus d'une fois sur vos tombeaux.

"\ ient ensuite le récit très-rapide de la min-t des trois jeunes gens ; mais ce qui est parfait , ce qui ajoute à l'intérêt qu'on prend à ce vieillard et à la force de la leçon , ce sont les deux derniers A ers :

��Et pleures ùu vi'illard , il grava sur leiu- marbre Ce que je viens de raconter,

11 les pleure , il s'occupe du soin d'iionorci- leur mémoire, il leur élève un cénotaphe : ce qui suppose un intérêt tendre , car enGn leurs corps étaient dispersés. Et La Fontaine ! voyez comme il s'efface , comme il est oublié , comme il a disparu ! 11 n'est pour rien dans tout ceci. Il n'est point l'auteur do cette fable ; l'honneur ne lui en est ])as dû ; il n'a fait que la copier d'après le marbre sur lequel le vieillard l'avait gravée. On dirait que La Fontaine , déjà vieux et attendri par le rap[)ort qu'il a lui-même avec le vieillard de sa fable , se plaise à le rendre intéressant , et à lui prêter le charme de la douce philosophie , et des scntimens affectueux avec les(|uels lui-même se consolait de sa propre vieillesse.

FABLE IX.

V. I. Il nr faut jamais dire aux gens :

11 s'en f^i.ut bien que cet Apologue-('i a[){)roche du précédent. Ce n'est que le récit d'un fait singulier qui prouve l'intelligejice des animaux. Aussi, La Fontaine ccssc-t-ii tl'être cartésien , en déjjil de madame de la Sablière.

^'. j/|. Voyez. <iue d'argumens il fil 1

�� � i>F. cnxyivuiiï. 1 '?()

La Fontaine , malgré ia contraiiUe de la versification , dévelopDe la suite du raisonnement qu'a dû faire le hibou , avec autant d exactitude et de pr("cision que le ferait un philosophe écrivant en prose.

V. 42. Quel autre art dépenser Aristote et sa suite...

M. Coste aurait dû nous dire simplement, dans sa note , qu' Aris- tote avait fait un livre intitulé: la Logique, et MM. de Port-Royal un ouvrage qui a pour titre : l'An de penser. C'est à ce livre que La Fontaine fait allusion.

��EPILOGUE. •

Derniers vers. ... Ce sont là dos «ujets , \'ain(uiturs du Temps et de la l'arque.

Les fables de La Fontaine seront Lien aussi victorieuses du temps, et ne dureront pas moins que les plus beaux monumeiis consacrés à la gloire de Louis XIV. Molière au moins le pensait , quand il disait de La Fontaine à Boileau : « le bonhomme ira plus loin que nous tous ». On am-ait bien dû nous apprendre la réponse du satiiique.

��LIVRE DOUZIEME.

Tout ce douzième livre est dédié à >L le duc de Bourgogne , alors âgé de huit ans. On avait ménagé la protection de ce prince à l'auteur des faîjles, déjà vieux , presque sans fortune et dénué d'appui. C'est , comme on l'a déjà observé , presque le seul grand homine de ce siècle, qui n'ait point eu part aux bienfaits de Louis XIV. L'inimitié de Colbert , le peu d'habileté de La Fontaine h faire sa cour , un talent peu fait poiu- èîre apprécié par le roi , de petites pièces qui paraissaient successivement , ne pouvaient avoir l'éclat

�� � l8() OEUVRES

d'un grand onnagc , et st-mhlaient manquer de ccffe inipoi tnncc qui frappait Louis xiv; des contes un pen libres, dont on avait le souvenir dans une cour qui commençait à devenir dévote : toutes ces circonstances s'étaient réunies contre La Fontaine , et l'avaient fait négliger. Il songeait à passer en Angleterre ; il apprenait même la langue anglaise , lorsque les bienfaits de M. le duc de Bourgogne le retinrent en France , et sauvèrent à sa vieillesse les désagrémens de ce voyage.

Il faut pardonner à un vieillard déjà accablé de peines et d'infir- mités, le ton faible et le style languissant de cette épitre dédicatoire ; il faut même s'étonner de retrouver dans plusieurs des fables de ce douzième livre, une partie de son talent poétique , et, dans quelques-unes , des morceaux où ce talent brille de tout son éclat.

��V. I. Prince , l'unique objet du soin des immorlels ...

Pourquoi V unique P La Fontaine fait mieux parler les animaux qu'il ne parle lui-même. Voyez , dans ce livre douzième , dédié à ce même duc de Bourgogne , la fable de YEIcphant et du Singe de Jupiter. Elle a pour objet d'établir que les petits et les grands sont égaux aux yeux des immortels. Je n'accuserai point ici La Fontaine d'une flatterie malheureusement autorisée par trop d'exemples. J'observerai seulement que, tant que les écri- vains, soit en vers, soit en prose, mettront, d:\nsleursdedicaces, des idées ou des sentimens contraires à la morale énoncée dans leurs livres, les princes croiront toujours que la dédicace a raison et que le livre a tort ; que, dans l'une, l'auteur parle sérieusement , comme il convient ; et dans l'autre , qu'il se joue de son esprit et de son imagination ; enfin qu'il faut lui pardonner sa morale , qui n'est qu'une fintaisie de poète , un jeu d'auteur.

\. 10. Il ne tieul pas à lui. .

M. le daupliin , qu'on a]i[)elait monseigneur , père du diu" de Bourgogne , commandait l'armée d'Allemagne , et avait , sous ses ordres , et pour conseil , MM. les maréchaux de Duras, de Boufilers et d'Humièrcs,

�� � DE CIIAMFOr.T. l8l

V. 16. Peul-('fre elle scr'.it aujourd'hui téméraire.

Ne dirait-on pas que le dauphin avait le choix d'avancer ou de n'avancer pas ? Il n'avançait point , parce qu'il ne le pouvait , parce qu'il s'élevait souvent des sujets de division entre les trois maréchaux.

V. ij. . . . Aussi bien les ris tl les amours.

On ne voit pas trop ce que les lis et les amours ont à faire dans une pièce de vers adressée à un prince de huit ans , élevé par le duc de Beauvilliers et par M. de Fénélon.

Ces sortes de dieux , et la raison qui tient le haut bout est d'un stv le très-négligé.

V. 27. Les compagnons d'Ulysse. .

Le sujet qu'a prisiciLa Fontaine, est plutôt un cadre heureux et piquant , pour faire une satire de l'humanité , qu'un texte d'où il puisse sortir naturellement des vérités bien utiles : aussi l'auteur italien que La Fontaine imite dans cet Apologue , en a-t-il fait un usage purement satirique. La force du sujet a même obligé La Fontaine à suivTe l'intention du premier auteur , jusqu'au dénoue- ment , où. il l'abandonne. Nous nous réservons à faire quelques observations sur ce dénouement.

V. 4o. . . . Excmplum ul talpa :

C'est une espèce de proverbe latin, la taupe par exemple : j'ignore l'origine de ce proverbe.

V. 46. Prit un autre poison peu difiVrcnl du sien.

Quel bonheiu- dans le rapprochement de ces deux idées ! et quelle grâce fine à la fois et naïve , pour justifier Circé qui parle la pre

��V. 4~. Lue déesse dit tout ce qu'elle a dans l'âme

�� � V. T)?.. Mais le voiidioiil ils bien? etc. . . ,

Ceci prépare le refus des compagnons d’Ulysse. On voit que chacune de leurs réponses est une satire très-forte de l'homme en société ; et l’auteur italien développe , d’une manière encore plus satirique , les raisons de leur refus.

’S'. lOf. Tons reiionraicnl au loi des belles actions.

C’est ici qu{^ La Fontaine abandonne son o.utcur pour ajipropricr la morale de ce conte à l’âge et à l’état du prince auquel il est adressé ; mais l’auteur italien n’en use pas ainsi : il poursuit son projet ; et quand Ulysse .pour amener ses gens à l’état d’hommes , leur parle de belles actions et de gloire , voici ce que l’un d’eux lui répond : « A’rai" V ment nous voilà bien. N’est-ce pas lui qui est la cause de tous nos » mallieurs passés , de dix ans de travaux devant Troye , de dix « autres années de souffrances et d’alaimes sur les mers ? N’est-ce » pas ton amour de la gloire qui a fait de nous si long-temps des j> meurtriers mercenaires , couverts de cicatrices ? Lequel valait le » mieux pour toi d’être l’appui de ton vieux père qui se meiut de » doideur , de ta femme qu’on cherche à séduire depuis vingt ans » quoiqu’elle n’en vaille pas la peine, de ton fils que les princes " voisins vont dépouiller, de gouverner tes sujets avec sagesse , de » nous rendre heureux en nous laissant pratirpier sous nos cabanes » des vertus que tu aurais j^ratiquées dans ton palais ? Lequel valait « mieux de goi’iter tous ces avantages de la paix et de la vertu, ou y de t’expatrier , toi et la plus grande partie de tes sujets, pour aller » restituer une femme fausse et perfide à son imbécille époux , qui » a la constance de la redemander pendant dix ans? Petirc-toi et » ne me parle plus de la gloire, qui d’ailleurs n’est pas la mienne , ■>’ mais que je détosle comme la source de toutes nos calamités. >>

Il me sem1)le qu’il y a , dans cette réponse , des choses fort .sensées et auxquelles il n’est pas facile de répondre. Je suis bien loin de blâmer La Font.iine du parti qu’il a pris ; mais il est curieux d’observer cjr.e ce que di t le compagnon d’Ulysse, sur les guerres , sur les conquêtes , sur la gloire, etc., offre le même fonc^ d’idées que Fénélon dé\<lop|>a depuis dans leTélémaque : ce sont les principes dont il fil la hase de Véducatioa du dut- de liourgogne. Si ces principes , connus ensuit’^

�� � Dr cnvMFor.T.

��i83

��de Louis XIV , plus de quinze ans après, occasionnèrent la disgrâce de Fénélon , on peut juger de la manière dont La Fontaine aurait été reru , s'il se fût avisé d'imiter jusqu'au bout l'original italien.

��Cette fable est joliment contée ; mais voî'à , je crois, le seul éloge que l'on puisse lui donner.

V. 53. J'en crois voir quelques traits, mais leur ombre nral)ns<'.

Il ne faut pas voir quelques traits de la moralité d'un Apologue , il faut voir l'image toute entière. Dans ]n fixhle des a ni ma u.r , dans celle de Valouette et de ses petits, dans celle du rat retiré du monde , ce n'est pas une ombre douteuse et confuse que le lecteiu- entrevoit , c'est la chose même. L'auteur sait ce qu'il a voulu dire, et n'est pas obligé de s'en rapporter aux lumières d'un prince âgé de huit ans.

FVELTÎ iir.

V. 1. Un homme accimiuhiil , c!.c.

Fort jolie îiistoriette, dont il n'y a pas non plus beaucoup de mo- rale à extraire, sinon que l'avarice est un vice ridicule ; et que , quand on a le malheur d'en être atteint , il faut bien fermer son cofrie.

FARJ.F. IV.

Y. i.Bès que les chèvres ont brouté-

L'auteur emploie ici deux vers à insister sur cet instinct des chèvres, de grimper et de chercher les endroits périlleux. Il en a vme bonne raison : c'est qu'il fallait inculquer au lecteur cette propriété des chèvres qui fait le fondement de sa fable.

V. 11. Toutes deux ayant pattes blanches.

C'est que ce sont deux chèvres de grande distinction , de grandes

�� � l84 OEUVRES

dames , comme on le verra plus bas. Aussi quittent-elles les bas prés pour ne point se gâter les pattes.

^'. i5. . . . Pour quelque bon hajard.

Pour quelque plante , quelque arbuste appétissant. Cela pourrait être mieux exprimé.

V. i6. Sur ce pont :

Ce vers inégal de trois syllabes fait ici un effet très-lieureux. La Fontaine aurait dû ne pas prodiguer ces hardiesses , et les réserver pour les occasions où elles sont pittoresques comme ici.

V. 18. . . . Ces Amazones.

ê

J\ou5 sommes accoutumés à ce jeu brillant et facile de l'imagiiui- tion de La Fontaine , à qui le plus léger rapport suffit pour rappro- cher les grandes choses et les petites. La comparaison de ces deux chèvres avec Louis-h -Grandet Philippe iv, et sur-tout la gémalogie des deux chèvres, rendent la fin de cette fable un des plus jolis mor- ceaux de La Fontaine.

FABLE V.

A'. II. A présent je suis maigre , etc. . . .

Ceci rentre d;iiis l\ moralité de carpillanj'rétin et ùwcliicn maigre,

V. \~. Chat et vieux, pardonner ! . . .

Cela est" plaisant : mais il ne fallait pas revenir sur cette idée à la iiu de la fable. Cette maxime , que la vieillesse est impitoyable , n'est pas appliquée ici avec assez de justesse. Si le chat ne pardonne pas à la souris, ce n'est pas en qualité de vieux, c'est en qualité de chat. De plus , ces vérités qui ont besoin d'explication , de restriction, ne doivent-elles pas être r.'scrvées j)our lui âge plus avancé que celui du duc de Uouigogne ? Pourquoi mettre dans l'esprit d'wn en-

�� � DE CHAMFORi. l85

fant que son grand-père , et peut-être son père , sont impitoyables. Je dis son père , car les enfaiis trouvent tout le monde vieux. Si Louis XIV lut cette fable , dut-il être bien aise que son petit-fils Ir crût homme dur et impitoyaJ>'e ?

��V. 2. Incontinent maint camarade.

Cette fable rentre absolument dans la morale du Jardinier et son Seigneur, ( livre iv, fable 4 ) et dans celle de l'Écolier, le Pédant et le Maître d'un jardin (livre IX , fable 5 ) : mais elle est fort au-des?us des deux autres.

rA.BLE VI r. V. 1. Le buisson , le canard et la chauve-souris.

Voilà une association dont l'idée blesse le bon sens. Nul rapport, nul besoin réel entre les êtres qu'elle rassemble; et l'esprit la rejette comme absurde. Comment un buisson peut-il voyager ? Quel besoin a-t-il de faire fortune , lui et ces deux animaux ? Ue ce fond tiéfec- tueux , il ne ]ieut naître que des dcfails non moins ridicules : tel est celui-ci ,

V. 21. Prêt à porter le bonnet verd.

On sait que c'était !e symbole des banqueroutiers. La Fontaine baisse beaucoup.

FAHLK VIII.

^ . 10. Autrefois un logis plein de chieui et de chais. . .

C'est ici que cette vieillesse se montre encore davantage. Que! sens peut-on tirer de cette fable ? quelle était l'idée de La Fontaine ? On est fâché de dire que c'est une espèce de radotage. Quel rapport y a-t-il entre une querelle de chiens et de chats , et le combat des élémens , dont il résulte une harmonie qu'on ne peut concevoir , et dont le fabuh'ste ne parle jîas .

�� � i86

��Or.UVRES

��■\ . 29. Le rennrd dit au loup, etc.

A oici une fable plus heureuse que les trois prccédontes. La Fon- taine a déjà établi plusieurs fois qu'on revient toujours à son ca- ractère ; mais de toutes les fiMes où il a cherché à établir cette vé- rité , celle-ci est sans contredit la meilleure : aussi y avons-nous souvent renvoyé le lecteur. La manière dont le renard répète sa le- çon, la comparaison de Patrocle revêtu des armes d'Acbille, sont des détails très-agréables, et du ton auquel La Fontaine nous a accoutu- més.

��\. j. Mon sujet es; petit , cet accessoire est grand.

Si grand , cju'il l'est peut-être trop ; si gravd, qu'il mériterait l'hon- neur d'un A|jologue particulier. Cet accessoire est trop étranger à l'idée d'éducation qui est ici la principale.

V. 1 1. IN 'est d'abord qu'un secret , puis devient des co;iqu(tcs.

Ce vers , dont !e toiu- est très-hardi, est fort beau pour exprimer la rapidité avec laquelle Louis XIV fit plusieurs conquêtes, celle de la Fi-anche-Comt( , par t>xeiup!e ; le secret du roi a\ait été impéné- trable jusqu'au moment où l'on se mit en camjiagne.

^\ 19. . . !Vc prux-lu niarciii-r droit ?

Cette idée , qui fait le fonds delà fabl,' , ne me pai-aît pas heu- reuse. Ce ne doit point être un.défaut, aux yeux de l'écrevisse , de marcher comme elle fait. Elle ne saurait en faire im reproche à sa fille. .Sa fille et elle marchent comme elles doivent marcher , par im effet des lois de la nature. C'est w\ faux rapjiortqiie ceUii qui a été saisi entre les deux écrevisses , et celui d'nnt^ mère vicieuse que sa fille imite. Cet Apo'ogue , pour être ci'Esope , ne m'en ])arait pa-s

�� � Dr, CH.VMFORT.

��8-7

��meilleur. 11 a réussi , parce que cette image offre , en résultat , une très-bonne leçon.

V. 27. . . . Quant à tourner le dos A son but , j'y reviens. . .

Il ne fallait pas v revenir. J'en al dit la raison plus haut.

FABLE XI.

y. 6. . . . Mais l'aigle ayant fort bien dîné .. .

L'auteur explique pourquoi l'aigle ne mangea pas la pie.

La raison que donne l'aigle du besoin qu'elle a d'être désennuyée , est très-plaisante ; et l'exemple de Jupiter est choisi merveilleuse- ment.

V. 20. Ce n'est pas ce qu'on eroit , qne d'entrer chez les flienx.

Vers excellent ; mais je u'aime point l'habit de deux paroisses.

r\BLK XII.

Le prince à qui cette fable estdidiée, était le prince Louis de Conti, neveu du Grand Condé, et fils de celui qui joua un si grand rôle dans la guerre de la fronde. C'était un des grands protecteurs de La Fon- taine , ainsi que le prince de la Roche-sur-Yon son frère , qui eut depuis le nom de prince de Conti. Ce dernier se rendit célèbre, par la valeur et les talens qu'il montra dans les journées de Fleurus et de Nervinde. C'est lui qui fut élu roi de Pologne en 1697 ' '^^ ^1"^ mourut en 1709 , sans avoir pu prendre possession de cette couronne.

V. 4- ^on li^s ('ouceurs de la vengeance.

Ceci est d'une meilleure morale que les deux vers qui jp trouvent dans la fable 12 du livre x.

. . . Je sais que la vengeance Est i!n morceau de roi, car vous vivez en dieux.

�� � l88 OEUVRES

J'ai négligé alors d'y mettre un correctif, pour éviter la longueur ; mais voilà La Fontaine qui met ce correctif lui-même. 11 vaut mieux l'entendre que moi.

V. 11. . •. . En cet âge on nous sommes.

C'est un malheur de notre poésie, que , dès qu'on voit le mot /in,n:i:es à la fin d'un vers, on puisse être sur de voir i;rriver à lafin de l'autre vers, où nous so:rimes , ou bien tous tant que nous sommes.\J\vAh\\tt.é de l'écrivain consiste à sauver cette misère de la langue , par le na- turel et l'exactituiîe de la phrase où ces mots sont employés.

^ . 12. L'univers leur sait gré du mal qu'ils ne font pas. ■

C'est un fort bon vers , quoique l'idée en soit assez commune.

\. lô. Ln siècle de séjour ici doit vous sufSre.

Ce prfmostic fut maHicureusemeut bien démenti , puisque ce jeune prince mourut en ioSj , deux ou trois ans jîeut-être après cette pièce.

V. 2Ô. Et la princesse, etc. . . .

C'était elle qui, avant d'être mariée, s'appelait mademoiselle de Blois. Elle était fille du roi et de madame la duchesse de la Valière. Elle ne mourut qu'en ijSq. Il y eut aussi un autre mademoiselle de Blois , iîlle de Louis xiv et de madame de Montespan. Cette dernière fut mariée au duc d'Orléans régent , et ne mourut qu'en 1749-

\. 1-. Des qualités qui n'ont qu'en vous, etc. . . .

Tous ces éloges directs ne me paraissent ni higénieux ni dignes de La Fontaine: et ce qui sait se faire estimer joint à ce qui sait se faire aimer, tout cela me paraît d'un ton trivial et bourgeois.

V. 5ô. Il ne m'appartient pas d'étaler voire joie.

Manque un peu 1 1 op de délicatesse; et c'est une transition bii u lourde que celle-ci.

�� � DE CflAMFORT. 1 Bq

V. 54. Je inc tais donc et vais rimer Ce que lit un oiseau de proie.

Cela me rappelle une transition aussi })rusque, mais plus plai- sante de Scarron , je crois. La voici : Des aventuivs de ce jeune prince à l'histoire de ma vieille gouvernante , il n'y n pas loin , car nous y 'voilà.

Je ne ferai aucune note sur cette fable , qui me paraît au-dessous du médiocre , et où l'on ne retrouve La Fontaine que dans ces deux jolis vers :

V. -I . . Ils n'avaient appris à connaître Que les Ilotes des bois ; élail-ce un si grand mal ?

FABLE xiri.

V. 2. Renaid fin , subtil et matois.

La note deCoste indique nue application assez juste de cet Apo- logue. Mais alors, pourquoi prendre le renard , le plus fin des ani- maux ? Il me semble que c'est mal choisir le représentant du peuple , lequel n'est pas , à beaucoup près , si spirituel et si délié. C'est qu'il fallait de l'esprit pour faire la réponse que fait l'animal luangé des mouches ; et sous ce rapport , le renard a paru mieux convenir.

FAELF. XIV.

Y% 7. Comment l'aveugle que voici.

La Fontaine suppose que l'amour est là , et lui tient compagnie. Cela devrait être , quand on écrit une fable aussi charmante que celle-ci.

V. 8. (C'est un dieu.).

Cette parenthèse est plciric de grâces, et les deux vers suivant sout au-dessus de tout éloge.

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V. 9. Quelle suite eut ce mal , qui peut-être est un bien ? J’en lais juge un amant , et ne décide rien.

Est-ce un bien , est-ce un mal , que l’amour soit aveugle ? Question embarassante que La Fontaine ne laisse résoudre qu’au sentiment.

Toute cette allégorie est parfaite d’un bout à l’autre : et quel dénouement ! Est-ce un bien , est-ce un mal que la folie soit le guide de l’amour ? C’est le cas de répéter le mot de La Fontaine :

V. 10. J’en fais juge un amant , et ne décide rien.

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FABLE XV.

V. 6. Que dans ce temple on aurait adorée.

Il me semble que les six vers suivans ne disent pas grand chose : Junon et le maitre des dieux , qui seraient fiers de porter les messages de la déesse Iris ; cela n’ajoute pas beaucoup à l’idée qu’on avait de madame de la Sablière. Il faut , dans la louange , le ton de la vérité. C’est lui seul qui accrédite la louange, en même temps qu’il honore et celui qui la reçoit et celui qui la donne.

V. 22. Son art de plaire et de n’y penser pas.

Voilà un de ces vers qui font pardonner mille négligences, un de ces vers après lequel on n’a presque plus le courage de critiquer La Fontaine.

V. 26. Même des dieux : ce que le monde adore Vient quelquefois parfumer ses autels.

Sa société étoit en effet très-recherchée, et cela déplaisait à plus d’une princesse. Mademoiselle de Montpensier, qui ne la connaissait pas, qui même ne l’avait jamais vue, dit , dans.ses Mémoires, que « le marquis de Lafare et nombre d’autres passaient leur vie chez une petite bourgeoise, savante et précieuse, qu’on appelait maDE CHAMFORT. I9I

5> dame de la Sablière. » Cela veut dire seulement, en style de prin- cesse, que madame de la Sablière avait de l'esprit et de rinstructi<>n qu elle voyait bonne compagnie à Paris , et n'avait pas l'honneur de vivre à la cour.

V. 52. Car cet esprit qui , né du firmament.

Ces quatre rimes masculines de suite sont aussi trop négligées. Et puis le firmament est presque un mot de théologie qui paraît ici déplacé.

\. 38. Ceci soit dit sans nul soupçon d'amour.

Il ne fallait pas revenii' là-dessus, après avoir dit beaucoup mieux et sans apprêt : ,

V. jo. Car ce cœur vif et tendre infiniment

Pour ses amis, et non point aulrement.

Le reste me pajaît faible.

Je trouve aussi l'idée de la fable un peu bizarre , mais il y a des vers heureux. J'en remar({uerai quelques-uns.

V. 55. . . . Douce société.

A la bonne heure , quoique je la trouve un peu singulière.

V. 56. Le choix d'une demeure aux humains inconnue.

La Fontaine ne passe point pour misanthrope. C'est qu'il n'a point la mauvaise humeur attachée à ce défaut. Mais nous avons déjà vu plusieurs traits sangîans de satire contre l'humanité : et ce dernier montre assez ce qu'il pensait des hommes.

V. 77. Car, à l'égard du cœur, il en faut mieux juger.

C'cst-là un trait charmant d'amitié , de ne pas croire à l'oubli , aux torts , au refroidissement de ses amis. '

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��oizrvRES

��\. 154. A qui donner le piix ? au cœur , si l'on ni'"en croit.

C'est donc La Fontaine qui aura ce prix : car on ne peut mieux prendre le ton du cœur qu'il ne le prend dans ce dernier morceau. Il rappelle en quelque sorte celui qui termine la fable des deux amis, celle des deux pigeons. Mais le sujet ne permettait pas une effusion de sentimens aussi touchante. Il y a, entre ce morceau et les deux que je cite , la même différence qui se trouve entre iUntérêt d'une société aimable et le charme d'une amitié parfaite.

Il paraît que cette fable avait été laissée dans le porte-feuille de l'auteur , et qu'elle était faite depuis long-temps ; car il y pai le xni peu d'amour : ce qui eut été ridicule à l'âge où il était , quanfl ce douzième hvre parut. Au reste , peut-être n'y regardait-il pas de si près ; peut-être crovait-il que, tant que l'âme éprouve des sentimens, elle peut les énoncer avec franchise. Il ne songeait point à une vérité triste qu'un autre poète a , depuis La Fontaine , exprimée dans un vers très-hem-eux; la voici :

Quand ou n'a que son cœur, il faut s'aller cacher.

FABLE XVI.

\. 5. L'homme cnHu la prie humblement.

Pourquoi cette prière si Inmihle? Pourquoi riiommen'arrachalt-it pas une Lranclie ? Cela n'est pas motivé. D'ailleurs la morale de cet Apologue rentre dans celui du cerf cl de la vigne, qui est beaucoup meilleur (Livre v, fable i5).

TABLE XVII.

V. 1. Un renard jeune encore. ...

Même défaut dans cet Apologue que dans le précédent. C'est presque la même chose que celui du loup et du clieval ( livre v , faljle 8 ). Il est vrai qu'il a une leçon de plus , celle de la vanité punie.

�� � Dr. riîvMFuRi. i;j3

\. 25. I-e loup , par ce discours flatté , S'appiocha. IMais .sa vanité Lui coûta quatre dcuts , etc. . .

L'avantage aussi que La Fontaine a trcnivé en introdulsr.nt ici nu acteur de plus qu'en l'autre , c'est de faire débiter la morale par le renard , au lieu que , dans l'autre fal)le , le loup se la débite à Un- même , malgré le mauvais état de sa mâchoire.

rviii-E XVIII.

V. .3. Le perfide ayant fait tout le tour du rempart.

Cette fable est jolie et bien contée ; mais elle aura peu d'applica- tions, tant qu'il sera vrai de dire qu'on ne guérit pas de la peur.

r.\Bi.~ XIX.

��V. 1. Il est un sinf^e dans Paris.

��Comment est-il possible que La Foj-.Iainc ait fait une aussi mau- Taise petite fable ? Comment ses amis la lui ont-ils laissé mettre dans ce recueil ? Un singe qui bat sa femme , qui va à la taverne , qui s'eni'STe : qu'est-ce cjue cela signifie? et quel rappoit cela a-t-il avec les mauvais auteurs ? Le frriid imitateur , le plagiaire menu; d'un grand écrivain peut d'ailleurs n'être ni mauvais mari , ni mau- vais père, ni ivrogne, etc., enfin ne faire nul tort à la société, que de l'excéder d'ennui.

��FiELE XX.

��V. 1. Un philosophe austère. . . .

Après luie mauvaise petite pièce , en voici une excellente. Ce n'est point à la vérité un Apologue , mais une fort bonne leçon de morale , et plusieurs vers sont admirables ; tels sont ceux-ci :

\. 4- L^n s.Tg.'î assi'/. ^c!iiblal)le au vieillard de ^ irgijp.

I »

�� � ft CSiUVRKS

��•194

Iloninie igalanl les rois, homme approchant des dieux, Et, comme ces derniers , satisfait tt tranquille.

Tel est encore le dernier :

Ils font cesser de vivre avant que l'on soit mort.

• 4

Mais ce qui est au-dessus fie tout , c'est ce tiaif de poésie vive et animée , qui suppose que des aibres coupés et , pour ainsi dire , mis à mort , vont revivre sur les bords du St\ x.

\. ij. Laissez ajjir la faux du temps:

Ils iront assez-tùt bord^-r le noir rivage.

Nul poète n'est plus hardi que La Fontaine ; mais ses hardiesses sont si naturelles, que très- souvent on ne s'en aperçoit pas, ou du moins on ne voit pas à quel point ce sont des hardiesses. C'est ce qu'on peut dire aussi de Racine.

FVKI.E \'XI.

V. 1. iVutri'lois !'tléi)hant et le rhinocéros. ,.

Nous retrouvons pourtant un véritable Apologue , c'est-à-dire, une action d'où naît un# vérité morale voilée dans le récit de cette action même.

Cette fable est excellente , et on la croirait du bon temps de La Fontaine. La vanité de léhpbant , le })esoin qu'il a de parler vovant que Gille ne lui dit mot, l'air de satisfaction et d'impor- tance qui déguise mal son amitur-piopre , le ton qu'il jirend en par- lant du combat qu'il ^a ]i\ icr et de sa capitale: tout cela est ]iarfait. La réponse du singe ne l'est pas moins , et le dénouement du brin d'herbe à partager entre quelques fourmis , est digne du reste.

I vm.K XXII. V. 1. Certain fou poursuivait.

Joli petit conte , et bonne leçon |)oiir qui peut en profiter ; mais j'imagine que les occasions en sont rares.

�� � DK CHAMFORT. rq!)

��FABLE XXI II.

��A inadaine Hnrvey.

��Madame Harvey était une dame anglaise qui avait l)eanc()up d'amitié pour La Fontaine ; et même c'est elle principalement qui l'engageait à passer en Angleterre , après la mort de madame de In Sablière et de M. Hervard. C'était une femme de beaucoup d'esprit.

V. 5 Et le don d'ètie amie ,

Expression bien heureuse que La Fontaine a inventée et rendue célèbre. - ■ i

  • ' V. 16. Ils étendent par-tout l'empire des sciences.

Rien n'était plus vrai et plus exact. La société rovalc de Londres fondée sous Charles 11 , jetait les fondemens de la vraie physique établie sur les expériences et sur les faits.

V. 19 Même les chiens de leur séjour.

Voilà qui me paraît étrange ; mais à toute force peut-être les chiens anglais sentent-ils mieux le renard que les nôtres. Ils le chassent plus souvent. ., • •

V. 49- Tant il est vrai qu'il faut changer de stratagème. Nous avons vu dans la fable du chat et du renard :

N'en ayons qu'un , mais qu'il soit bon. Il faut qu'un auteur évite ces contradictions formelles.

V. 52. . . . Est-il quelqu'un qui nie Que tout anglais . . .

Quoi ! tous les anglais ont de l'esprit ! il n'y a point de sols chez eux ! A quoi La Fontaine songeait-Il en écrivant cela ?

�� � 196 CœUVKES

. V. 56. Je reviens à vous. ...

Ce tour est froid. Il faut revenir à son ami sans y penser et sans Fy faire songer lui-même.

V.62. . . . Des nations étranges.

Il veut dire étrangères. Corneille ss sert du même mot dans ce sens ; mais ni Boileau , ni Racine ne se le sont permis. Toute cette fin m<» paraît dénuée de grâces , et le mot de Charles 1 1 à madame Harve} :

V. 65. . . . Qu'il aimait mieux un trait d'aïuonr. Que quatre pagijs de louanges ;

Ce mot seul vaut mieux que tout ce que dit ici La Fontaine » •cette dame et à madame de Mazarin.

FABÎLR xxvir.

\ . S.Et que j'ai le secret de rendre exqui». cl doux.

Cela est très- vrai , témoin les quatre vers de cette pièce et ceux qui suivent.

V. i5. Vous n'auriez en cela ni maître ni maîtresse^ Sans celle dont sur vous l'éloge rejaillit.

V. ly. Cardez d'environner ces roses De trop d'épines, etc. . . .

]\I.-»is , malf^Tc la louange dont La Fontaine se gratifie , nous a-\oin vu qu'il n'était pas si heiueux dans l'éloge de M. le prince d<; Conti et de madame ILirvey.

Au reste , toute cette pièce est très-agréable ; mais elle fait peut- être allusion à quelque petit secret de société rpii la rendait plus piquante : par exemple , au peu de goût que mademoiselle de la Mésnngère pouvait avoir pour le mariage , ou pour quelque préton- dant appu} c par sa mère.

�� � DE CHAMFORT. I 97

« V. dernier. Non plus qu'Ajax , Ulysse , et Didon son perfide.

Deux silences cités comme subUmes, l'un dans l'Odissce , l'autre dans l'Enéide.

F\FLE XXXII.

V. 4- Tous chemins vont à Rome. . . .

C'est un vieux proverbe qui devient ici plaisant , appliqué à la ca- uonisation.

y. S. S'offrit de les juger sans récompense aucune.

Ce vers aurait pu donner l'idée de la petite comédie intitulée !• Procureur arbitre , dont le héios se conduit de la même manière.

y. iS. Les malaéles d'alors étant tels que les nôtres.

Manière bien plaisante d'expliquer pourquoi les malades d'alors étaient insupportables. Le ton de satire appartient absolument a La Fontaine.

V. 3j. Il faut , dit l'autre ami , le prendre de soi-même.

C'est-là un des meilleurs conseils que le sage pût donner; et je voudrais que La Fontaine eût composé un ou deux Apologues pour,- en faire sentir l'importance.

Tout le discours du solitaire est parfait , et ceux qui aiment les vers le savent par cœur.

V. 55. Ce n'est pas qu'un emploi. ....

La Fontaine a senti l'objection prise du tort que l'on ferait à la société , si le goîit de la retraite devenait trop général. Il nie que cela puisse arriver.

y. 56. Ces secours , grâce à dieu , ne nous manqueront pas ; I<es honneuri» et le gain , tout me le persuade.

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Et il revient de nouveau au plaisir de prêcher l’amour de la retraite : et quelle force de sens dans ces vers-ci :

V. 60. Magistrats, princes et ministres,
V. 60. ............
V. 60. Que le malheur abat, que le bonheur corrompt.

Et sur-tout ce vers admirable qui suit :

Vous ne vous voyez point, vous ne voyez personne.

On pourrait finir par un Apologue plus parfait, mais non par de meilleurs vers.

CONCLUSION.

Après cet examen, qu’il était aisé de rendre plus exact et plus sévère, il se présente naturellement quelques réflexions. On a pu être étonné de la multitude des fautes qui se trouvent dans un écrivain si justement célèbre. Je ne parle point de celles qui ne concernent point la langue, la versification, etc. ; je n’insiste que sur celles qui intéressent la morale, objet beaucoup plus important. On a pu remarquer quelques fables dont la morale est évidemment mauvaise ; un plus grand nombre dont la morale est vague, indéterminée, sujette à discussion ; enfin quelques autres qui sont entièrement contradictoires. On voit, par cet exemple, quelle attention il faut porter dans sa lecture, pour ne point admettre de fausses idées dans son esprit ; et s’il s’en est glissé plusieurs dans un livre qui entre dans notre éducation, comme un des meilleurs qui aient jamais été faits, qu’on juge de celles que nous recevrons par un grand nombre de livres inférieurs à celui-ci. Que faire donc ? Je l’ai déjà dit. Ne point lire légèrement, ne point être la dupe des grands noms, ni des écrivains les plus célèbres, former son jugement par l’habitude de réfléchir. Mais c’est recommencer son éducation. Il est vrai ; et c’est ce qu’il faudra faire constamment, jusqu’à ce que l’éducation ordinaire soit devenue meilleure, réforme qui ne paraît pas prochaine.