Note sur une série de registres du Trésor des chartes anciennement cotés par lettres


NOTE SUR UNE SÉRIE
de
REGISTRES DU TRÉSOR DES CHARTES
ANCIENNEMENT COTÉS PAR LETTRES.


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I.

Les Transcripta.


En tête de l’état des registres du Trésor des Chartes dont Dupuy a fait suivre son inventaire des Layettes figurent quelques articles ainsi désignés collectivement : « Registres cottez A, B, C, D, L, M et N sont coppies de chartes qui estoient en plusieurs laiettes dont les originaux sont encore en partie au Trésor. » Les volumes, dont c’est ici la première mention, ont été maintenus à la place où les a trouvés Dupuy ; généralement connus sous le nom de Transcripta, ils portent encore des cotes en lettres, tandis que les suivants portent les cotes en chiffres qu’ils ont reçues du trésorier des chartes de Charles V, Gérard de Montaigu. L’écriture, ainsi que les dates des pièces qui s’y trouvent copiées, — ils ne contiennent pas de documents postérieurs à 1411, — en placent la rédaction dans les premières années du xve siècle.

Il est facile de reconnaître, dans le classement des chartes transcrites, celui que Gérard de Montaigu avait donné aux Layettes et dont Teulet a jadis reconstitué le tableau[1]. La suite des copies fut-elle jamais complète et embrassa-t-elle jamais le contenu des 310 scrinea entre lesquels le vigilant archiviste avait réparti les chartes du Trésor ? C’est là une question à laquelle il sera répondu plus tard. Les layettes dont nous possédons les copies ne sont pas au nombre de plus de 56, et, loin de former une série continue, elles se divisent en quatre groupes séparés par de considérables lacunes : I à XXXIX, CXXIII à CXXVI, CCXII à CCXXII et CCLII. De plus, on ne trouve pas dans les Transcripta l’intégralité des pièces contenues dans chaque layette ; c’est ainsi que, dans la layette CCXVI relative au Laonnais et au Soissonnais, on ne relève que la copie de 35 pièces, tandis que l’on voit par l’inventaire dit de 1420 (JJ 279, fol. 710 vo) que cette layette en contenait au moins 39.

Ces registres ont été, en dernier lieu, rangés dans l’ordre des layettes auxquelles ils correspondent ; mais les lettres qu’ils portent, conformément à cet ordre, dans l’État sommaire des Archives nationales de 1891, et auparavant dans le Tableau méthodique de 1871, voire même dans l’Inventaire général sommaire de 1867, ne sont pas celles qui servaient à les désigner dans l’état manuscrit de Dupuy et qui se retrouvaient encore en 1855 dans les Archives de la France de Henri Bordier[2]. On en pourra juger par la concordance ci-dessous :


JJA = ancien M.

JJB = ancien L.

JJC = ancien N.

JJD = ancien Colbert 2591 de la Bibliothèque nationale, entré aux Archives par l’échange de 1862.

JJE = ancien A.

JJF = ancien J.

JJG = ancien B.

JJH = ancien C.

JJJ = ancien D.

JJK = documents concernant Gênes.


Celles des lettres du premier classement qui se voient encore, sont inscrites d’une écriture du xve siècle sur l’ancienne couverture des registres dont elle forme aujourd’hui le feuillet de garde. C’est donc à cette époque que l’on doit faire remonter ce classement qui, — je l’ai déjà dit, — avait disparu dans l’Inventaire de 1867, mais qui subsistait encore après 1862. On voit en effet, par un inventaire manuscrit des Transcripta conservé dans les bureaux de la Section historique, que le volume JJD entré à cette dernière date avait d’abord reçu de M. Douët d’Arcq la cote faisant suite aux anciennes lettres A à N alors en usage.


II.

Autres registres du Trésor des Chartes jadis cotés par lettres.


Les lettres anciennement portées par les Transcripta leur avaient certainement été données au hasard ; l’ordre alphabétique, en effet, ne correspondait nullement à l’ordre des layettes :

M contenait les copies des layettes I à VIII
L IX à XIX
N XX à XXVIII
A CXXIII à CXXVI
J CCIX à CCXI
B CCXII à CCXVIII
C CCXVII à CCXVIII
D CCXIX à CCXXII

En rétablissant la série de ces lettres, il est facile de voir que les lacunes qu’elle présente ne répondent pas aux lacunes de la série des layettes transcrites. De plus, tous les inventaires des Archives nationales et, en dernier lieu, l’État sommaire mentionnent deux registres des Fueros de Navarra désignés aussi par des lettres, JJNN et JJOO, et qui, bien que confondus parfois, notamment par Bordier[3], avec les Transcripta, ne présentent avec ceux-ci aucune analogie ni d’aspect, ni de matières, ni même de date. Enfin, j’ai retrouvé, dans le Trésor des Chartes, six autres registres qui ne sont point non plus des Transcripta et qui, comme eux cependant, portent sur leurs feuillets de garde des lettres inscrites de la même main. Ce sont :

F.
Aujourd’hui JJ 114. Inventaire de documents relatifs aux acquisitions faites par le roi. xive siècle.
P.
Aujourd’hui JJ 42B. Double du registre JJ 41. C’est là un de ces registres destinés à servir de formulaire que M. Ch.-V. Langlois a récemment signalés[4].
R.
Aujourd’hui JJ 24A2. Terrier de la Rochelle, 1246.
T.
Aujourd’hui JJ 15. Fragment d’un travail de Pierre d’Étampes contenant les tables du Registrum veterius, du Registrum ad nudos asseres de quercu et des cinq premières parties du Registrum Guarini.
V.
Aujourd’hui JJ 16. Titre d’un ancien répertoire du Trésor des Chartes relié par méprise en tête du Repertorium in grosso de Gérard de Montaigu[5].
EE.
Aujourd’hui JJ 79a. « Registrum aliquorum negociorum Camere compotorum[6]. »

Ce n’est pas tout ; on peut encore démontrer qu’un registre de la même série se trouve actuellement à la Bibliothèque nationale. Parmi les volumes d’inventaires et d’analyses de registres du Trésor entrepris dans le premier tiers du xviiie siècle et cédés par les Archives lors de l’échange de 1862, celui qui occupe aujourd’hui le no  7269 du fonds français contient, au folio 3, la mention d’un « registre du Trésor des Chartes cotté sur la couverture Q, datté au dernier feuillet de l’an 1292, » décrit en ces termes par M. Rousseau, auditeur des comptes : « Au commencement duquel sont nommez les Lombards de la ville de Paris, et, à la fin dudit registre, sont nommez les Juifs de la même ville. Ce registre ne contient autre chose qu’une taxe sur le menu peuple de Paris par manière de capitation, laquelle taxe est faite par paroisse, chaque paroisse par quartier et chaque quartier par rue… » Cette description, quelque sommaire qu’elle soit, suffit à faire reconnaître le registre publié par H. Géraud dans les Documents inédits sous le titre de Paris sous Philippe le Bel et conservé à la Bibliothèque sous le no  6220 du fonds français. La couverture ancienne ayant été remplacée par une reliure moderne, on ne trouve plus trace de la lettre Q qui se voyait encore au xviiie siècle, mais l’identité n’en est pas moins certaine[7].

Dans le Musée des Archives nationales, M.  Boutaric, décrivant le registre KK 283 (anciennement Musée, no  302), connu sous le titre de Registre de la taille de Paris pour les années 1296-1300, a cru que le fr. 6220 et le KK 283 étaient « deux fragments d’un même registre[8]. » Cette assertion me paraît quelque peu risquée ; outre des différences de format et d’écriture, il est certain que le fr. 6220 existait déjà isolément au temps de Charles V. Il figure en effet dans le premier inventaire de Gérard de Montaigu, inventaire où l’on voit qu’il était recouvert d’une peau de veau jaune velue : « XLIIIus. — Magnus, sine asseribus, coopertus de pelle vitulina pilosa crocea, signatus XLIII, continet questam vel taxacionem Lombardorum et aliorum civium ville Parisiensis[9]. » On le trouve mentionné sous le même chiffre dans la seconde rédaction de l’inventaire[10]. Dans la troisième, où les registres sont répartis en trois catégories : libri utiles, libri aliqualiter inutiles, libri penitus inutiles, il porte le no  XXII de la seconde classe, et les termes employés pour le décrire, — surtout la mention de la date de 1292 inscrite à la fin du registre, — montrent bien qu’il s’agit, non d’un volume comprenant tous les rôles de tailles de 1292 à 1300, mais du rôle spécial à cette année. « XXIIus. Continet questam ville Parisiensis factam anno Mo CCo IIIIxx XIIo, et ibi videbis nomina vicorum ville[11]. » Il est encore mentionné au même rang dans la quatrième rédaction[12]. Comme, d’autre part, le Terrier de la Rochelle, anciennement coté R, se retrouve aussi parmi les libri aliqualiter inutiles sous le no  XXVIII[13], je ne serais pas éloigné de croire que tous les volumes de la seconde catégorie ont dû être compris au xve siècle dans la série cotée par lettres.

Quant à l’ordre des lettres données à cette série, il n’est pas inutile de faire remarquer que le registre JJ 114, anciennement coté F, aurait trouvé sa place au beau milieu des Transcripta, avec lesquels il n’a certes rien de commun. On est donc en droit de dire que les lettres attribuées à ces registres leur avaient été données tout à fait au hasard ; par suite, il paraît naturel d’en déduire que l’on attachait peu d’importance à la série ainsi classée et qu’elle constituait une sorte de rebut. La présence des volumes des Transcripta dans une pareille série donne à croire qu’ils n’ont jamais dû comprendre l’ensemble des Layettes ; la collection formée de la sorte aurait été trop précieuse pour que, même après quelques pertes, les restes en fussent mis au rebut. Ces pertes, d’ailleurs, auraient dû se produire avec une bien singulière rapidité ; elles auraient en effet été un fait accompli à l’époque où les Transcripta reçurent les lettres qui les désignaient et qui leur furent imposées dans le siècle même où ils avaient été exécutés.

Des observations qui viennent d’être soumises au lecteur, il résulte que, durant le xve siècle, au Trésor des Chartes, à côté de la série de registres classés numériquement par Gérard de Montaigu, série comprenant les registres qualifiés par lui libri utiles, et continuée par l’adjonction des nouveaux registres de la chancellerie royale au fur et à mesure de leur achèvement, on a donné aux autres registres des cotes alphabétiques imposées au hasard. La série alphabétique ainsi formée devait comprendre entre autres les registres qualifiés par Montaigu libri aliqualiter inutiles, ainsi que les volumes intitulés aujourd’hui Transcripta, contenant la transcription des pièces conservées dans les Layettes, volumes dont la suite n’a jamais dû être complète et dont l’exécution n’est pas antérieure au premier quart du xve siècle. On peut reconnaître aujourd’hui 19 registres de la collection alphabétique, mais celle-ci fut jadis assez considérable pour nécessiter l’emploi d’un double alphabet. Toutefois, elle paraît avoir été assez vite oubliée et ne subsistait plus à l’état de série lorsque Dupuy dressa une liste des registres du Trésor des Chartes.


H.-François Delaborde.


Post-scriptum. — Cette note était déjà composée lorsque le hasard d’une lecture me mit sous les yeux un passage de l’épître par laquelle Du Tillet dédiait son Recueil des rois de France à Charles IX : « Mais il m’advint ce que Maistre Girard de Montagu, secrétaire et thrésorier des chartes du roy Charles cinquiesme, escrit en l’épistre liminaire de son répertoire général et registre dudit Thrésor cotté par AA, qu’aucuns ses antécesseurs audit office avoient laissé l’œuvre par eux commencié audit Thrésor imparfaict[14]… » Il convient donc d’ajouter aux volumes de la série cotée par lettres encore existants, l’un des deux exemplaires de l’inventaire de Gérard de Montaigu où se trouve la préface à laquelle Du Tillet fait allusion, JJ115 ou JJ124.


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  1. Teulet, Layettes du Trésor des Chartes, t. I, Introduction, p. xlviii à l.
  2. Archives de la France, p. 149 et suiv.
  3. Archives de la France, p. 148.
  4. Notices et extraits, t. XXXV, 2e partie, p. 823.
  5. Le premier feuillet actuel de ce volume, celui qui est marqué d’un V, n’est pas, en effet, comme on pourrait le croire, l’ancienne couverture ; la note qu’il porte est bien de la main de Gérard de Montaigu ; mais elle ne peut s’appliquer qu’à quelque répertoire plus ancien, composé à une époque antérieure aux changements déjà introduits par plusieurs des prédécesseurs de Gérard au Trésor des Charles : Istud repertorium est nunc penitus inutile nec per ipsum posset aliqua littera commode reperiri quia per successores illius qui composuit, custodes hujus Thesauri, omnia sunt mutata et ultimo per me Gerardum de Monteacuto, secretarium regis et hujus Thesauri custodem, qui de precepto regis Karoli, anno M CCC LXX, ordinacioni litterarum et librorum presentis Thesauri institi modoque et sub aliis titulis ordinavi prout mihi Altissimus ministravit. Ce feuillet, d’ailleurs, est isolé et ne représente que la première moitié d’une couverture ; il a donc été intercalé à tort en tête de ce volume et sans doute à l’époque toute moderne où celui-ci a été relié. La véritable couverture est en réalité constituée par le folio 2, qui est tout entier rempli par un titre en grosses capitales que nous allons reproduire et qui forme la première moitié de la feuille de parchemin repliée dont le dernier feuillet, numéroté 25, est la seconde moitié : Repertorium novissimum factum in grosso per me Gerardum de Monteacuto secretarium regis nuncque presentis Thesauri custodem, de bullis, cartis, litteris et registris in eodem contentis.
  6. Ce registre a été décrit par notre confrère M. Joseph Petit dans le précédent volume de la Bibliothèque de l’École des chartes (p. 421).
  7. Le ms. fr. 6220 était encore au Trésor au xviiie siècle lorsque M. Rousseau en fit l’analyse. Les travaux auxquels fut associé cet auditeur des comptes furent l’origine de plusieurs des lacunes qui déparent aujourd’hui le Trésor des Chartes. Ce registre resta chez Joly de Fleury et fut cédé, en 1836, à la Bibliothèque par son héritier, le comte Joly de Fleury, en même temps que d’autres reliques du Trésor des Chartes que l’échange de 1862 n’a pas toutes fait rentrer aux Archives.
  8. Musée des Archives, p. 164, col. 1.
  9. Archives nationales, JJ 121, fol. 8.
  10. Archives nationales, JJ 16, fol. 20 vo.
  11. Archives nationales, JJ 126, fol. 6 vo.
  12. Archives nationales^ JJ 124, fol. 50.
  13. « Vicesimus octavus continet terras vel redditus de Rupella et non est intitulatus, estque nullius modicive valoris. » JJ 124.
  14. Du Tillet, Recueil des roys de France, éd. de 1607, Épistre au roi, troisième page non numérotée.