Nord contre sud/Deuxième partie/1

J. Hetzel (p. 209-221).

NORD CONTRE SUD


Texar était venu surveiller cet endroit.

SECONDE PARTIE

I

après l’enlèvement.

« Texar !… » tel était bien le nom détesté que Zermah avait jeté dans l’ombre, au moment où Mme Burbank et miss Alice arrivaient sur la berge de la crique Marino. La jeune fille avait reconnu le misérable Espagnol. On ne pouvait donc mettre en doute qu’il fût l’auteur de l’enlèvement auquel il avait présidé en personne.

C’était Texar, en effet, accompagné d’une demi-douzaine de gens à lui, ses complices.

De longue main, l’Espagnol avait préparé cette expédition qui devait entraîner la dévastation de Camdless-Bay, le pillage de Castle-House, la ruine de la famille Burbank, la capture ou la mort de son chef. C’est dans ce but qu’il venait de lancer ses hordes de pillards sur la plantation. Mais il ne s’était pas mis à leur tête, laissant aux plus forcenés de ses partisans le soin de les diriger. Ainsi s’expliquera-t-on que John Bruce, mêlé à la bande des assaillants, eût pu affirmer à James Burbank que Texar ne se trouvait pas avec eux.

Pour le rencontrer, il eût fallu venir à la crique Marino, que le tunnel mettait en communication avec Castle-House. Dans le cas où l’habitation eût été forcée, c’est par là que ses derniers défenseurs auraient essayé de battre en retraite. Texar connaissait l’existence de ce tunnel. Aussi, montant une embarcation de Jacksonville, qu’une autre embarcation suivait avec Squambô et deux de ses esclaves, était-il venu surveiller cet endroit, tout indiqué pour la fuite de James Burbank. Il ne s’était pas trompé. Il le comprit bien, lorsqu’il vit un des canots de Camdless-Bay stationner derrière les roseaux de la crique. Les noirs qui le gardaient furent surpris, attaqués, égorgés. Il n’y eut plus qu’à attendre. Bientôt Zermah se présenta, accompagnée de la petite fille. Aux cris que la métisse fit entendre, l’Espagnol, craignant qu’on ne vînt à son secours, la fit aussitôt jeter dans les bras de Squambô. Et, lorsque Mme Burbank et miss Alice parurent sur la berge, ce ne fut qu’au moment où la métisse était emportée au milieu du fleuve dans l’embarcation de l’Indien.

On sait le reste.

Toutefois, le rapt accompli, Texar n’avait pas jugé à propos de rejoindre Squambô.

Cet homme, qui lui était entièrement dévoué, savait en quel impénétrable repaire Zermah et la petite Dy devaient être conduites. Aussi l’Espagnol, à l’instant où les trois coups de canon rappelaient les assaillants prêts à forcer Castle-House, avait-il disparu en coupant obliquement le cours du Saint-John.

Où alla-t-il ? on ne sait. En tout cas, il ne rentra pas à Jacksonville pendant cette nuit du 3 au 4 mars. On ne l’y revit que vingt-quatre heures après. Que devint-il pendant cette absence inexplicable — qu’il ne se donna même pas la peine d’expliquer ? Nul n’eût pu le dire. C’était de nature, cependant, à le compromettre, quand il serait accusé d’avoir pris part à l’enlèvement de Dy et de Zermah. La coïncidence entre cet enlèvement et sa disparition ne pouvait que tourner contre lui. Quoi qu’il en soit, il ne revint à Jacksonville que dans la matinée du 5, afin de prendre les mesures nécessaires à la défense des sudistes, — assez à temps, on l’a vu, pour tendre un piège à Gilbert Burbank et présider le Comité qui allait condamner à mort le jeune officier.

Ce qui est certain, c’est que Texar n’était point à bord de cette embarcation, conduite par Squambô, entraînée dans l’ombre par la marée montante, en amont de Camdless-Bay.

Zermah, comprenant que ses cris ne pouvaient plus être entendus des rives désertes du Saint-John, s’était tue. Assise à l’arrière, elle serrait Dy dans ses bras.

La petite fille, épouvantée, ne laissait pas échapper une seule plainte. Elle se pressait contre la poitrine de la métisse, elle se cachait dans les plis de sa mante. Une ou deux fois, seulement, quelques mots entrouvrirent ses lèvres :

« Maman !… maman !… Bonne Zermah !… J’ai peur !… J’ai peur !… Je veux revoir maman !…

— Oui… ma chérie !… répondit Zermah. Nous allons la revoir !… Ne crains rien !… Je suis près de toi ! »

Au même moment, Mme Burbank, affolée, remontait la berge droite du fleuve, cherchant en vain à suivre l’embarcation qui emportait sa fille vers l’autre rive.

L’obscurité était profonde alors. Les incendies, allumés sur le domaine, commençaient à s’éteindre avec le fracas des détonations. De ces fumées accumulées vers le nord, il ne sortait plus que de rares poussées de flammes que la surface du fleuve réverbérait comme un rapide éclair. Puis, tout devint silencieux et sombre. L’embarcation suivait le chenal du fleuve, dont on ne pouvait même plus voir les bords. Elle n’eût pas été plus isolée, plus seule, en pleine mer.

Vers quelle crique se dirigeait l’embarcation dont Squambô tenait la barre ? C’est ce qu’il importait de savoir avant tout. Interroger l’Indien eût été inutile. Aussi Zermah cherchait-elle à s’orienter — chose difficile dans ces profondes ténèbres, tant que Squambô n’abandonnerait pas le milieu du Saint-John.

Le flot montait, et, sous la pagaie des deux noirs, on gagnait rapidement vers le sud.

Pourtant, combien il eût été nécessaire que Zermah laissât une trace de son passage, afin de faciliter les recherches de son maître ! Or, sur ce fleuve, c’était impossible. À terre, un lambeau de sa mante, abandonné à quelque buisson, aurait pu devenir le premier jalon d’une piste, qui, une fois reconnue, serait suivie jusqu’au bout. Mais à quoi eût servi de livrer au courant un objet appartenant à la petite fille ou à elle ? Pouvait-on espérer que le hasard le ferait arriver entre les mains de James Burbank ? Il fallait y renoncer, et se borner à reconnaître en quel point du Saint-John l’embarcation viendrait atterrir.

Une heure s’écoula dans ces conditions. Squambô n’avait pas prononcé une parole.

Les deux noirs pagayaient silencieusement. Aucune lumière n’apparaissait sur les berges, ni dans les maisons ni sous les arbres, dont la masse se dessinait confusément dans l’ombre.

En même temps que Zermah regardait à droite, à gauche, prête à saisir le moindre indice, elle songeait seulement aux dangers que courait la petite fille. De ceux qui pouvaient la menacer personnellement, elle ne se préoccupait même pas. Toutes ses craintes se concentraient sur cette enfant. C’était bien Texar qui l’avait fait enlever. À ce sujet, pas de doute possible. Elle avait reconnu l’Espagnol, qui s’était posté à la crique Marino, soit qu’il eût l’intention de pénétrer dans Castle-House en franchissant le tunnel, soit qu’il attendît ses défenseurs au moment où ils tenteraient de s’échapper par cette issue. Si Texar se fut moins pressé d’agir, Mme Burbank et Alice Stannard, comme Dy et Zermah, eussent été maintenant en son pouvoir. S’il n’avait pas dirigé en personne les hommes de la milice et la bande des pillards, c’est qu’il se croyait plus certain d’atteindre la famille Burbank à la crique Marino.

En tout cas, Texar ne pourrait pas nier qu’il eût directement pris part au rapt. Zermah avait jeté, crié son nom. Mme Burbank et miss Alice devaient l’avoir entendu.

Plus tard, lorsque l’heure de la justice serait venue, quand l’Espagnol aurait à répondre de ses crimes, il n’aurait pas la ressource, cette fois, d’invoquer un de ces inexplicables alibis qui ne lui avaient que trop réussi jusqu’alors.

À présent, quel sort réservait-il à ses deux victimes ? Allait-il les reléguer dans les marécageuses Everglades, au delà des sources du Saint-John ? Se déferait-il de Zermah comme d’un témoin dangereux, dont la déposition pourrait l’accabler un jour ? C’est ce que se demandait la métisse. Elle eût volontiers fait le sacrifice de sa vie pour sauver l’enfant enlevée avec elle. Mais, elle morte, que deviendrait Dy entre les mains de Texar et de ses compagnons ? Cette pensée la torturait, et alors elle pressait plus fortement la petite fille sur sa poitrine, comme si Squambô eût manifesté l’intention de la lui arracher.

En ce moment, Zermah put constater que l’embarcation se rapprochait de la rive gauche du fleuve. Cela pouvait-il lui servir d’indice ? Non, car elle ignorait que l’Espagnol demeurât au fond de la Crique-Noire, dans un des îlots de cette lagune, comme l’ignoraient même les partisans de Texar, puisque personne n’avait jamais été reçu au blockhaus qu’il occupait avec Squambô et ses noirs.

C’était là, en effet, que l’Indien allait déposer Dy et Zermah. Dans les profondeurs de cette région mystérieuse, elles seraient à l’abri de toutes recherches.

La crique était, pour ainsi dire, impénétrable à qui ne connaissait pas l’orientation de ses passes, la disposition de ses îlots. Elle offrait mille retraites où des prisonniers pouvaient être si bien cachés qu’il serait impossible d’en reconnaître les traces. Au cas où James Burbank essaierait d’explorer cet inextricable fouillis, il serait temps de transporter la métisse et l’enfant jusqu’au sud de la péninsule. Alors s’évanouirait toute chance de les retrouver au milieu de ces vastes espaces que les pionniers floridiens fréquentaient à peine, et dont quelques bandes d’Indiens parcourent seules les plaines insalubres.

Les quarante-cinq milles, qui séparent Camdless-Bay de la Crique-Noire, furent rapidement franchis. Vers onze heures, l’embarcation dépassait le coude que fait le Saint-John à deux cents yards en aval. Il ne s’agissait plus que de reconnaître l’entrée de la lagune. Manœuvre embarrassante à travers cette obscurité profonde dont s’enveloppait la rive gauche du fleuve. Aussi, quelque habitude que Squambô eût de ces parages, ne laissa-t-il pas d’hésiter, lorsqu’il fallut donner un coup de barre pour obliquer à travers le courant.

Sans doute, l’opération eût été plus aisée, si l’embarcation avait pu longer cette rive qui se creuse en une infinité de petites anses, hérissées de roseaux ou d’herbes aquatiques. Mais, l’Indien craignait de s’échouer. Or, comme le jusant ne devait pas tarder à ramener les eaux du Saint-John vers son embouchure, il se serait trouvé gêné en cas d’échouage. Forcé d’attendre la marée suivante, c’est-à-dire près de onze heures, comment aurait-il pu éviter d’être aperçu, lorsqu’il ferait grand jour ? Le plus ordinairement, de nombreuses embarcations parcouraient le fleuve. Les événements actuels provoquaient même un incessant échange de correspondances entre Jacksonville et Saint-Augustine. Indubitablement, s’ils n’avaient pas péri dans l’attaque de Castle-House, les membres de la famille Burbank entreprendraient dès le lendemain les plus actives recherches. Squambô, engravé au pied d’une des berges, ne pourrait échapper aux poursuites dont il serait l’objet. La situation deviendrait très périlleuse. Pour toutes ces raisons, il voulut rester dans le chenal du Saint-John. Et même, s’il le fallait, il mouillerait au milieu du courant. Puis, au petit jour, il se hâterait de reconnaître les passes de la Crique-Noire, à travers lesquelles il serait impossible de le suivre.

Cependant, l’embarcation continuait à remonter avec le flux. Par le temps écoulé, Squambô estimait qu’il ne devait pas encore être à la hauteur de la lagune.

Il cherchait donc à s’élever davantage, quand un bruit peu éloigné se fit entendre. C’était un sourd battement de roues qui se propageait à la surface du fleuve. Presque aussitôt, au coude de la rive gauche, apparut une masse en mouvement.

Un steam-boat s’avançait sous petite vapeur, lançant dans l’ombre le feu blanc de son fanal. En moins d’une minute, il devait être arrivé sur l’embarcation.

D’un geste, Squambô arrêta la pagaie des deux noirs, et, d’un coup de barre, il piqua vers la rive droite, autant pour ne pas se trouver sur le passage du steam-boat que pour éviter d’être aperçu.

Mais l’embarcation avait été signalée par les vigies du bord. Elle fut hélée avec ordre d’accoster.

Squambô laissa échapper un formidable juron. Toutefois, ne pouvant se soustraire par la fuite à l’invitation qui lui avait été faite en termes formels, il dut obéir.

Un instant après, il rangeait le flanc droit du steam-boat, qui avait stoppé pour l’attendre.

Zermah se releva aussitôt.

Dans ces conditions, elle venait d’entrevoir une chance de salut. Ne pouvait-elle appeler, se faire connaître, demander du secours, échapper à Squambô ?

L’Indien se dressa près d’elle. Il tenait un large bowie-knife d’une main. De l’autre, il avait saisi la petite fille que Zermah essayait en vain de lui arracher.

« Un cri, dit-il, et je la tue ! »


L’embarcation fut hélée avec ordre d’accoster.

S’il n’y avait eu que sa vie à sacrifier, Zermah n’eût pas hésité. Comme c’était l’enfant que menaçait le couteau de l’Indien, elle garda le silence. Du pont du steam-boat, d’ailleurs, on ne pouvait rien voir de ce qui se passait dans l’embarcation.

Le steam-boat venait de Picolata, où il avait embarqué un détachement de la milice à destination de Jacksonville, afin de renforcer les troupes sudistes qui devaient empêcher l’occupation du fleuve.


Une branche résineuse fut allumée.

Un officier, se penchant alors en dehors de la passerelle, interpella l’Indien. Voici les paroles qui furent échangées entre eux :

« Où allez-vous ?

À Picolata. »

Zermah retint ce nom, tout en se disant que Squambô avait intérêt à ne point faire connaître sa destination véritable.

« D’où venez-vous ?

— De Jacksonville.

— Y a-t-il du nouveau ?

— Non.

— Rien de la flottille de Dupont ?

— Rien.

— On n’en a pas eu de nouvelles depuis l’attaque de Fernandina et du fort Clinch ?

— Non.

— Pas une canonnière n’a donné dans les passes du Saint-John ?

— Pas une.

— D’où viennent ces lueurs que nous avons entrevues, ces détonations qui se sont fait entendre dans le Nord, pendant que nous étions mouillés, en attendant le flot ?

— C’est une attaque qui a été faite, cette nuit, contre la plantation de Camdless-Bay.

— Par les nordistes ?…

— Non !… Par la milice de Jacksonville. Le propriétaire avait voulu résister aux ordres du Comité…

— Bien !… Bien !… Il s’agit de ce James Burbank… un enragé abolitionniste !…

— Précisément.

— Et qu’en est-il résulté ?

— Je ne sais… Je n’ai vu cela qu’en passant… Il m’a semblé que tout était en flammes ! »

En cet instant, un faible cri s’échappa des lèvres de l’enfant… Zermah lui mit la main sur la bouche, au moment où les doigts de l’Indien s’approchaient de son cou. L’officier, juché sur la passerelle du steam-boat, n’avait rien entendu.

« Est-ce que Camdless-Bay a été attaquée à coups de canon ? demanda-t-il.

— Je ne le pense pas.

— Pourquoi donc ces trois détonations que nous avons entendues et qui semblaient venir du côté de Jacksonville ?

— Je ne puis le dire.

— Ainsi, le Saint-John est libre encore depuis Picolata jusqu’à son embouchure ?

— Entièrement libre, et vous pouvez le descendre sans avoir rien à craindre des canonnières.

— C’est bon. — Au large ! »

Un ordre fut envoyé à la machine, et le steam-boat allait se remettre en marche.

« Un renseignement ? demanda Squambô à l’officier.

— Lequel ?

— La nuit est très noire… Je ne m’y reconnais guère… Pouvez-vous me dire où je suis ?

À la hauteur de la Crique-Noire.

— Merci. »

Les aubes battirent la surface du fleuve, après que l’embarcation se fut écartée de quelques brasses. Le steam-boat s’effaça peu à peu dans la nuit, laissant derrière lui une eau profondément troublée par le choc de ses roues puissantes.

Squambô, maintenant seul au milieu du fleuve, se rassit à l’arrière du canot et donna l’ordre de pagayer. Il connaissait sa position, et, revenant sur tribord, il se lança vers l’échancrure au fond de laquelle s’ouvrait la Crique-Noire.

Que ce fût en ce lieu d’un si difficile accès que l’Indien allait se réfugier, Zermah n’en pouvait plus douter, et peu importait qu’elle en fût instruite.

Comment eût-elle pu le faire savoir à son maître, et comment organiser des recherches au milieu de cet impénétrable labyrinthe ? Au delà de la crique, d’ailleurs, les forêts du comté de Duval n’offraient-elles pas toutes facilités de déjouer les poursuites, dans le cas où James Burbank et les siens fussent parvenus à se jeter à travers la lagune ? Il en était encore de cette partie occidentale de la Floride comme d’un pays perdu, sur lequel il eût été presque impossible de relever une piste. En outre, il n’était pas prudent de s’y aventurer.

Les Séminoles, errant sur ces territoires forestiers ou marécageux, ne laissaient pas d’être redoutables. Ils pillaient volontiers les voyageurs qui tombaient entre leurs mains et les massacraient, lorsque ceux-ci essayaient de se défendre.

Une affaire singulière, dont on avait beaucoup parlé, s’était même passée dernièrement dans la partie supérieure du comté, un peu au nord-ouest de Jacksonville.

Une douzaine de Floridiens, qui se rendaient au littoral sur le golfe du Mexique, avaient été surpris par une tribu de Séminoles. S’ils ne furent pas mis à mort jusqu’au dernier, c’est qu’ils ne firent aucune résistance, et d’ailleurs à dix contre un, c’eût été inutile.

Ces braves gens furent donc consciencieusement fouillés et volés de tout ce qu’ils possédaient, même de leurs habits. De plus, sous menace de mort, défense leur fut faite de jamais reparaître sur ces territoires dont les Indiens revendiquent encore l’entière propriété. Et, pour les reconnaître, dans le cas où ils enfreindraient cet ordre, le chef de la bande employa un procédé très simple. Il les fit tatouer au bras d’un signe bizarre, d’une marque faite avec le suc d’une plante tinctoriale au moyen d’une pointe d’aiguille, et qui ne pouvait plus s’effacer. Puis, les Floridiens furent renvoyés, sans autre mauvais traitement. Ils ne rentrèrent dans les plantations du nord qu’en assez piteux état, — poinçonnés, pour ainsi dire, aux armes de la tribu indienne et peu désireux, on le comprend, de retomber entre les mains de ces Séminoles, qui, cette fois, les massacreraient sans pitié pour faire honneur à leur signature.

En tout autre temps, les milices du comté de Duval n’eussent pas laissé impuni un tel attentat. Elles se seraient jetées à la poursuite des Indiens. Mais, à cette époque, il y avait autre chose à faire que de recommencer une expédition contre ces nomades. La crainte de voir le pays envahi par les troupes fédérales dominait tout. Ce qui importait, c’était d’empêcher qu’elles devinssent maîtresses du Saint-John, et, avec lui, des régions qu’il arrose.

Or, on ne pouvait rien distraire des forces sudistes, disposées depuis Jacksonville jusqu’à la frontière géorgienne. Il serait temps, plus tard, de se mettre en campagne contre les Séminoles, enhardis par la guerre civile au point qu’ils se hasardaient sur ces territoires du nord, dont on croyait les avoir pour jamais chassés. On ne se contenterait plus alors de les refouler dans les marais des Everglades, on tenterait de les détruire jusqu’au dernier.

En attendant, il était dangereux de s’aventurer sur les territoires situés dans l’ouest de la Floride, et, si jamais James Burbank devait porter de ce côté ses recherches, ce serait un nouveau danger ajouté à tous ceux que comportait une expédition de ce genre.

Cependant l’embarcation avait rallié la rive gauche du fleuve. Squambô, se sachant à la hauteur de la Crique-Noire qui donne accès aux eaux du Saint-John, ne craignait plus de s’échouer sur quelque haut-fond.

Aussi, cinq minutes après, l’embarcation s’était-elle engagée sous le sombre dôme des arbres, au milieu d’une obscurité plus profonde qu’elle ne l’était à la surface du fleuve. Quelque habitude qu’eût Squambô de se diriger à travers les lacets de cette lagune, il n’aurait pu y réussir dans ces conditions. Mais, ne pouvant plus être aperçu, pourquoi se serait-il interdit d’éclairer sa route ? Une branche résineuse fut coupée à un arbre des berges, puis allumée à l’avant de l’embarcation. Sa lueur fuligineuse devait suffire à l’œil exercé de l’Indien pour reconnaître les passes. Pendant une demi-heure environ, il s’enfonça à travers les méandres de la crique, et il arriva enfin à l’îlot du blockhaus.

Zermah dut débarquer alors. Accablée de fatigue, la petite fille dormait entre ses bras. Elle ne se réveilla pas, même quand la métisse franchit la poterne du fortin et qu’elle eut été enfermée dans une des chambres attenant au réduit central.

Dy, enveloppée d’une couverture qui traînait dans un coin, fut couchée sur une sorte de grabat. Zermah veilla près d’elle.