Œuvres poétiques de Chénier (Moland, 1889)/Non, laisse-moi, retiens

Œuvres poétiques, Texte établi par Louis MolandGarnierVolume 1 (p. 278-279).

LXIV[1]


El. commenc. Les premiers vers sont d’une jolie chanson de Shakspeare

Measure for measure, acte IV, scène i.


Non, laisse-moi, retiens ces discours caressants,
Ces sourires trompeurs autant que séduisants.
Et ces yeux si divins quand ils font des blessures.
Ces lèvres tant de fois si doucement parjures,
Et ce baiser si doux, mais souvent inhumain.
Sceau d’un amour constant, scellé souvent en vain.
Ce transport aujourd’hui, parle, est-il bien sincère ?
Je doute, je balance et crains quelque mystère.
Que veux-tu ? Quel projet ton cœur a-t-il formé ?
Le mien à ses détours est trop accoutumé,

Je ne sais : rarement en un excès si tendre
Tes caresses le jour ont osé se répandre,
Qu’elles ne m’aient caché sous leurs baisers menteurs
Quelque piège imprévu qui me coûtait des pleurs.
Ô ne me trahis point ! Grâce, ô belle perfide !


Faut-il accabler celui qui ne se défend point ? celui sur qui l’on peut tout… et finir tout cela par lui dire, après un long bavardage amoureux, de venir vous caresser encore, et contredire ainsi le commencement, mais sans affectation.

  1. Édition de G. de Chénier.