Nobiliaire et armorial de Bretagne/Maximes sur lesquelles les arrêts ont été rendus

J. PLIHON ET L. HERVE (3p. 530-534).


Nº 4.

Maximes sur lesquelles la Chambre, établie pour la Réformation de la Noblesse en la province de Bretagne, a rendu ses arrêts.


La Chambre a recu deux moyens pour la verification de la noblesse, et ils ont servi de motifs a ses arrets.

Le premier, tire des anciennes Reformations qui se sont faites dans la province ; le second, du gouvernement noble et avantageux suivant Particle 541 de la Coutume de Bretagnc 1 .

Quant aux Reformations, il y en a eu plusieurs ; les unes se sont faites dans le siecle de 1400, et les autres dans celui de 1500.

Celles qui se sont faites dans le siecle de 1400 ont ete estimees tres sftres et tres veritables ; et quand les parties les ont produites pour justifier que leurs auteurss’y trouvoien t employes au rang des nobles de leur paroisse, elles n’ont eu aucune diflbulte pour etre maintenues dans la qualite de noble, de quelque derogeance que les degres inferieurs auroient pu £tre infectes, attendu que la Chambre n’ayant pu revoquer en doute la verile du temoignage de noblesse de leur souche, dans un temps si eloigne et non suspect, n’a pas dii leur refuser le benefice de Tarticle 561 de la Coutume 2 en faveur des trafiquants et usants de bourse commune, dont la qualite est censee dormir pendant le trafic, pour Ctre reveilleelorsde la cessation du commerce. DormitjdM’krgenire^sednonextinguitur. La Chambre en a use de la mérae fa?on a Tegard des particuliers qui ont prouve leur attache a la Reformation de 1513 ; mais il a fallu que ceux auxquels ils ont voulu se lier, • Les maisons, fiefs, rentes de convenants et domaines congeabies nobles, et autres terres nobles, soit d’ancien patrimoine ou d’acquest, et les meubles, seront partagez noblement entre les nobles, qui ont eux et leurs predecesseurs, des et paravant les cent ans derniers, vescu et se sont comportez noblement, et aura l’aine par preciput, en succession de pere et de mfcre eten chacune d’icelles. le chateau ou principal manoir, avec le pourpris, qui sera le jardin, coulombier et bois de decoration, et outre les deux tiers : et l’autre tiers sera bailie aux puisnez par heritage, tant fils que filles, pour estre partage par Taisné entre eux et par 6gale portion : et le tenir chacun desdits puisnez comme juveigneurs d’aisne, en parage et ramage dudit aisne. (Article 541 .) Les harnois de guerre ne ch£ent en partage, et doivent demeurer a Thoir principal des nobles, et Tesiite des chevaux avec leur harnois. (Article 568.) a Les nobles qui font trafic de marchandises et usent de bourse commune, contribueront pendant le temps du trafic et usage de bourse commune, aux tallies, aides et subventions roturi&res. Et seront les acquests faicts pendant ce temps, oujqui seront provenus du diet trafic ou bourse commune, partagez £galement pour la premiere fois : encore que soient d’heritages et fiefs nobles. Et leur sera libre de reprendre leur dicte quality de noblesse, et privilege d’icelle, toutes fois et quantes que bon leur sembiera,; laissant lesdicts trafic et usage de bourse commune, en faisant de ce, declaration devant le prochain juge royal de leur domicile. Laquelle declaration ils seront tenus Jfaire insinuer au registredu greffe, et intimer au marguillier de la paroisse du domicile, pourveu qu’aprfcs ladicte declaration, ils segouvernentet vivent comme il appartient a gens nobles. lEt en celuy cas les acquets nobles depuis par eux faicts, seront artagez noblement. (Art. 561.) — 523 —

y soient reconmis nobles et qualifiez tels, soit dans lc chap it re des gentilshommes de leurs paroisses, quand les paroissiens les oat norames aux coramissaires de la Reformation, avant que de coramencer le denombrement des terres nobles et de ceux qui les possedoient, ou dans celui des terre3 nobles et des possesseurs d’icelles, lorsqu’il n’y a pas eu de chapitre separe des nobles, avec cette circonslance que la qualite des personnes a da fttre nettement et positivement declareo.

Si la qualito des personnes ne s’ost pas trouvee ainsi exprimee et bien reconnue dans ladite Reformation de 1513, la Chambre n’y a eu aucun egard, et ne Pa point adraise pour faire un principe ou une souche certaine de noblesse ; d’autaot que la fin principale de cette Reformation ayant eté de faire connoltre laqijalite des terres et non celle des personnes, il y eut une infinite de roturiers qui possedoient lors des fiefs et des terres nobles qui y sont denomraez.

La dern&re Reformation qui a ete faite en Bretagne, est celle de 1535 a 1543 ; la fin que Ton s’y proposa, fut de connoitre la qualite des personnes et des terres tout ensemble, pour imposer taxes sur les roturiers possedants fiefs et terres nobles ; mais comme Ton a remarque qu’elle fut faite avec peu de fidelite et de religion, par les commissaires qui y travaill&rent, la Chambre n’en a fait aucune consideration, qu’en tant qu’elle prouve d’^illturs un bon gouvernement etabli par partages nobles sur les degrez oil il y a eu occasion de partager, sans qu’aucun d’eux soit convaincu de derogeance ou d’avoir souflfert la moindre imposition roturtere, auxquels cas, ceux qui y ont pris leur attache, ont ete <leclarez usurpateurs.

Les comparutions aux Montres faites dans ladite province, n’ont pas ete non plus considerees comme une preuve assuree d’une tige de noblesse, parce que les gens possedant fiefs nobles, quoique roturiers, y etoientconvoquez et denoramez deméme que les gentilshommes 1 . Les taxes qui furent faites sur les nobles et gens tenant fiefs nobles, pour parvenir au payement de la rancon de Frangois I tr , et dont les heritiers de plusieurs commis a la recette d’icelles, ont fait rappport a la Chambre des Comptes, n’ontpareillement point ete admises comme preuve de ncblesse, parce que les roturiers tenant fiefs nobles y furent imposez comme les gentilshommes, en sorte mSme que beaucoup plus de ceux-la s’y trouverent employez que deceux-ci.

A regard de ceux qui n’ont pu faire Tattache de leurs maisonsaux anciennes Reformations et qui ont ete obliges de prouver leur noblesse par le moyen dela possession du gouvernement noble requis par l’artlcle 541 de la coutume, pour donner a connaltre en quoi il consiste, ilest necessairc d’eclaicir ce qui est entendu par le gouvernement noble.

Cette decision excita ail dernier point Tindignation de la noblesse militaire, qui accusa 

les commissaires de rejeter les Montres comme preuves, parce que leurs anedtres n’y fig.raient point. Il est sans doute quelquefois arrive" qu’un riche bourgeois acquérait un fief pour lequei il devait le service militaire ; mais s’il ne se pr^sentait pas en personne, il recevait injonclion de servir par noble homme, ainsi qu’on peut le verifier dans les proc^sverbaux des Montres qui ajoutent constamment au nom d’un comparant non noble : partable tenant fief noble.

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Quand la Coulume dit que les maisoas, fiefs et terres nobles seroat partagez noblemen t entre les nobles quiont eux et leurs preiecesseurs, des aupiravant les cent ans, vecuet se sont coraporteznoblement, e !le n’a point entendu parler de ceux qui auroient vecu seulement dans les emplois qui ne derogent point a la noblesse, comme il se pourroit faire que dans les fanilles non nobles, Ton pass&t le cours d’ua sieole et plus dans des exercices permis aux gentilshommes ; mais elle a entendu parler de ceux qui ont vecu et parlage noblement tout ensemble, des auparavant les cent ans. Gette verite se tire bien nettement des termesderancienne Coutume, qui dit : « Ceux qui se sontgouvernez noblement en leurs partages eux et leurs pr4d4cesseurs, &s temps passes. » Or le comportement oule gouvernement noble nese pouvant expliquerqu’au regard du partage noble, la dile Chambre conformement aux termes de cet article, a demande deux choses pour maiatenir dans la qualite d’ecuyer, ceux qui ont etabli leur noblesse par le raoyen du gouvernement noble.

La premiere, un partage noble auparavant les cent aus pour se-vir comme de tige a la noblesse, et qu’il ait ete suivi d’autres partages, lorsque Ton voit que probablement il y a eu occasion de partager* ; car un seul partage precedaut les cent ans, ne suffiroit pas pour la preuve du gouvernement. Suivant les maximes de la dite Chambre, et l’avis de ceux qui ont ecrit sur cette mati&re, les marques d’un parlage noble sont : que Tatne ait la saisine de succession, suivant les termes de la Goutume, article 543 que la qualite d’heritier principal et noble lui soil accordee par des juveigueurs et ensuite que le partage se fasse des deux tiers au tiers.

Les acles oil la qualite de noble ou d’ecuyer, méme celle d’heritier principal et noble sont employez dés auparavant les cent ans, n’ont point ete reguz seuls pour preuve du gouvernement noble, il a ete necessairede justifier encore que les actions ont eteexercees par partage, ainsi qu’il a ete dit.

Outre la representation des partages nobles que la Chambre a demandee dans la forme ci-devant expliquee pour la preuve du gouvernement noble, il a fallu aussi que les autheurs des particuliers, soutenant la qualite d’ecuyers, ayent vecu noblement ; car s’ils avoient eu la moindre marque de derogeance, par prise de fermes ou de rotures, par des impositions auxquelles les contributifs sont sujets, en ce cas, ellesles auroitdeboutes, sans avoir aucun egard aux partages nobles precedant les cent ans, si ce nest que dans la suite ils ne fissent leur attache aux susdites reformations de 1423 a 1513, ou qu’a faute de les rapporter, comme elle n’ont point ete generates, ils ne justifiassent d’une possession et gouvernement noble et avanlageux, etabli, comme il vient d’etre dit, au-dela du degre oil Ton auroit prouve la derogeance ou tolerance depositions roturteres ; auquel cas seulement, la • Une famille qui n’eftt eu pendant plusieurs generations qu’un seul rejeton, 6tait priv^e de cette preuve.

» L’aisné du noble doit avoir ia saisine de toute la descente et succession de quelque chose quecesoit, tant noble que roturifere :etdoivent les heritages en suivre la personne, quant a la saisine, et ne doit l’hoir respondre dessaisi. (Art. 543.)


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Ghambre a soufferl qu’ils ayent joui du benefice dudit article 561 de la Goulume, en faveur des nobles derogeant ou usant de bourse commune.

Apres avoir etabli les maximes sur lesquelles la Ghambre a rendu ses arrets, Ton ajuge a propos d’expliquer les motifs qui Foot portee a maintenir les uns dans la qualite de chevalier, en les declarant issus d’ancienne extraction noble et les autres dans la qualite d’ecuyer, en les declarant issus d’ancienne extraction, ou detraction noble seulement. II paraltra sans doute etrange que la qualite de chevalier, qui est un litre attache a la personne qui le regoit de la main du prince pour recompense de ses services, ait 6té conferee parune Ghambre qui n’a ete etablie qu’avec le droit de prononcer sur la noblesse seulement ; aussi se trouva-t-elle divisee sur le point de savoir si elle le pouvoit faire ou non. Ceux qui furent d’avis de n’apporter aucune difference dans la distribution des qualitez, ajoutoient a la raison precedente, celle de la conservation de la paix dans les families de la province, laquelle ils disoient pouvoir etre facilement troublee par la jalousie ; mais principalement par les reproches que les gentilshorames pouvoient se faire les uns aux autres de n’avoir pas eteainsi qu’eux, declares chevaliers et nobles d’ancienne extraction, mais detraction noble seulement, et qu’ainsi il etoit dela prudence demettre la noblesse sous une rfcgle egale, etlaissera chacun la liberie de prendre les qualitez qu’il croiroit etre dues a Tavantage de sa naissance et au rang qu’il tiendroit dans le monde. Mais enfmces raisons cedferent a Topinion de ceux qui embrassoientTautre avis ; ils dirent que le corps de la noblesse de Bretagne, quoique compose de tr£s bonnes maisons, avoit n£anraoins des parties infcrieures, et d’autres plusillustres, qui meritoient par consequent des titresd’honneur plus avantageux ; que celuide chevalier, nedevoit point e ivconsidere dans cette province comrae un caract&re imprime par le prince sur une personne, mais comme une quality hereditaire dans les maisons relevees et issues d’ancienne chevalerie ; et qu’en effet, a prendre cette verity jusque dans sa source, on ne pouvoit pas juger autrement.

L’ordonnance que Ton nomme rassisedacomteGeoffroi, faite en 1185 sur le rfcglement des partages nobles, n’a d’abord eu lieu que pour les barons et chevaliers de la province dont les maisons se trouvant affaiblies par le deraembrement de leurs fiefs qu’ils partageoient auparavant egalement et suivant le droit commun , avec lours cadets, il fut juge a propos, pour reraedier a cet inconvenient, dont la plus noble partie de l’Etat commengoit a se ressentir, d’ordonner qu’a Tavenir les alnes des dits barons donneroient partage a leurs cadets k bienfait et viage seulement, dans les successions de leurs p&re et mfcre*.

On peut voir dans D. Morice, t. I, preuves col. 705, le texte de Tassise du comte Geffroi 

pour le reglement des successions aux fiefs de haubert et de chevalerie, c par laquelle assise, dit d’Argentre, fut ordonnS que toute la succession seroit recueillie par Taisne (combien qu’auparavant les partages se Assent egalement) ; et que les aisnes, avec Tadvis de leurs parents, pourvoiroient a leurs puisnez et leur feroient estat, tel qu’ils adviseroient, selon la qualite de leurs maisons et facultez ; et ce sans leur attribuer aucune portion determinee et remettant le tout en Tarbitrage de Taisne. Chose qui avec le temps sembla si rude, que depuis, cette portion indeterminee fut bornee a la tierce partie pour tous les puisnez et Quelle raison y auroit-il done eu, que ceux dont les autheurs demeuresdans ud gouverncnement ausssi illustre, qui en feroient voir les preuves par les anciens partages de leurs families, les reconnaissant issus d’aucienne chevalerie, qui de tout temps se seroient qualifies chevaliers, fussent a present prives des qualites prises par leurs ancGtres, etenfin confondus avec la noblesse ordinaire, trés-souvent usurpee et dont la loy les auroit distingues depuis tant de stecles? II falloit done, non seulement decorer ces maisons du titre de chevalier, qui leur etoit propre, mais encore distinguer quantite d’autres families trfcs-anciennes de gentilshommes, a qui les Reformations faites en 1400 rendoientdes tSmoignages authentiques de noblesse, en les regardant et les declarant issus d’ancienne extraction noble, d’avec les autres qui se tenant dans les bornes des declarations du roi et de Tarticle 541 de la Goutume, prendroient seulement droit par la possession centenaire <lu gouvernement noble et avantageux ; lesquelles il etoit juste de declarer issues d’extraction noble seulement.