Noa Noa/Chapitre VIII

Éd. de la Plume (p. 169-199).

VIII

Le conteur parle

Le soir, au lit, nous avons de longs entretiens, longs et, souvent, très sérieux.

Maintenant que je peux comprendre Téhura, en qui dorment et parfois rêvent ses aïeux, je m’efforce de voir et de penser par cette âme d’enfant et de retrouver en elle les traces du lointain passé, bien mort, socialement, mais qui persiste en de vagues souvenirs.

J’interroge, et toutes mes questions ne restent pas sans réponses.

Peut-être les hommes, plus directement asservis à notre conquête ou séduits à notre civilisation, ont-ils oublié. Les Dieux d’autrefois se sont gardé un asile dans la mémoire des femmes. Et c’est un émouvant spectacle que Téhura me donne, quand, à ma suggestion, peu à peu se réveillent dans sa pensée les divinités nationales en secouant les artificiels voiles où les missionnaires protestants ont cru les ensevelir. En somme, l’œuvre des catéchistes est très superficielle. Leur action, particulièrement sur les femmes, a mal répondu à l’espoir qu’ils en avaient conçu. Leur enseignement est comme une faible couche de vernis qui s’écaille et cède vite à la moindre atteinte adroite.

Téhura va au temple, régulièrement, et pratique des lèvres et des doigts la religion officielle. Mais elle sait par cœur, et ce n’est pas un petit bagage, les noms de tous les dieux de l’olympe maorie. Elle connait leur histoire, elle m’enseigne comment ils ont créé le monde, comment ils le gouvernent, comment ils aiment à être honorés. Quant aux rigueurs de la morale chrétienne, elle les ignore ou ne s’en soucie, et, par exemple, ne songe guère à se repentir d’être la concubine comme ils disent — d’un tané.

Je ne sais trop comment elle associe dans ses croyances Taaroa et Jésus. Je pense qu’elle les vénère tous les deux.

Au hasard des circonstances, elle m’a fait un cours complet de théologie tahitienne. En retour, je tâche de lui expliquer selon les connaissances européennes quelques phénomènes de la nature.

Les étoiles l’intéressent beaucoup. Elle me demande comment on nomme en français l’étoile du matin, celle du soir, et les autres. Elle a peine à comprendre que la terre tourne autour du soleil…

Elle me nomme les étoiles dans sa langue, et pendant qu’elle parle je distingue, à la propre clarté des Astres, qui sont les Divinités elles-mêmes, les formes sacrées des Maîtres maories de l’air et du feu, des Îles et des eaux.

Les habitants de Tahiti, aussi haut qu’on puisse remonter dans leur histoire, ont toujours possédé des connaissances assez étendues en astronomie. Les fêtes périodiques des Aréoïs — membres d’une société secrète, à la fois religieuse et militaire, qui régna sur les Îles et dont je vais avoir l’occasion de parler — étaient fondées sur les évolutions des astres. Les Maories semblent même n’avoir pas ignoré la nature de la lumière lunaire. Ils supposaient que la lune est un globe sensiblement pareil à la terre, habité comme elle, riche en productions analogues aux nôtres.

Ils évaluaient à leur manière la distance de la terre à la lune : — La semence de l’arbre Ora fut apportée de la lune Sur la terre par un pigeon blanc. Il lui avait fallu deux lunes pour atteindre le satellite, et quand, après deux autres lunes, il retomba sur la terre, il était sans plumes. — Cet oiseau est, de tous ceux que connaissent les Maories, celui qui passe pour avoir le vol le plus rapide.

Mais voici la nomenclature tahitienne des étoiles. Je complète la leçon de Téhura à l’aide d’un fragment de ancienne écriture, trouvé dans la Polynésie[1].

Est-il trop audacieux d’y voir l’ébauche d’un système raisonné d’astronomie plutôt qu’un simple jeu d’imagination ?

Roüa — grande est son origine — dormait avec sa femme, la Terre Ténébreuse.

Elle donna naissance à son roi, le Sol, puis au Crépuscule, puis à la Nuit.

Alors, Roüa répudia cette femme.

Roüa — grande est son origine — dormait avec la femme dite Grande-Réunion.

Elle donna naissance aux reines des cieux, les Étoiles, puis a l’étoile Tahiti, étoile du soir.

Le roi des cieux dorés, le seul roi dormait avec sa femme Fanoüi.

D’elle est né l’astre Taüroüa (Vénus), l’étoile du matin, le roi Taüroüa, qui donne des lois à la nuit et au jour ; aux autres étoiles, à la lune, au soleil, et sert de guide aux marins.

Taüroüa fit voile à gauche, vers le nord, et là, dormant avec sa femme, il donna naissance à Étoile-Rouge, cette étoile qui brille, le soir, sous deux faces.

Étoile-Rouge, volant dans l’ouest, prépara sa pirogue, pirogue du grand jour, qui cingla vers les cieux. Il fit voile au lever du soleil.

Réhoüa s’avance dans l’étendue. Il dort avec sa femme, Oüra Tanéïpa.

D’eux sont nés les rois Gémeaux, en face des Pléiades.

Ces Gémeaux sont assurément les mêmes que nos Castor et Pollux.

Cette première version de la Genèse polynésienne se complique de variantes qui ne sont peut-être que des développements.

Taaroa dormait avec la femme qui se nomme Déesse du Dehors (ou de la mer).

D’eux sont nés les nuages blancs, les nuages noirs, la pluie.

Taaroa dormait avec la femme qui se nomme Déesse du Dedans (ou de la terre).

D’eux est né le Premier Germe.

Est né ensuite tout ce qui croit à la surface de la terre.

Est né ensuite le brouillard des montagnes.

Est né ensuite celui qui se nomme le Fort.

Est née ensuite, celle qui se nomme la Belle ou l’ornée-pour-plaire.

Mahoüi[2] va lancer sa pirogue.

Il s’assied dans le fond. À son côté droit pend l’hameçon, attaché à, la ligne par des tresses de cheveux.

Et cette ligne qu’il tient dans sa main, et cet hameçon, il les laisse descendre dans les profondeurs de l’univers pour pêcher le grand poisson (la terre).

L’hameçon a mordu.

Déjà se montrent les âmes, déjà le Dieu sent le poids énorme du monde.

Téfatou (le Dieu de la terre et la terre elle-même), pris à l’hameçon émerge de la nuit, encore suspendu dans immensité.

Mahoüi a péché le grand poisson qui nage dans l’espace et qu’il peut à présent diriger selon sa volonté.

Il le tient dans sa main.

Mahoüi règle, en outre, le cours dut soleil, de telle sorte que le jour et la nuit soient d’égale durée.

Je demandai à Téhura de me nommer les Dieux :

— Dormait Taaroa avec la femme Ohina, Déesse de l’air.

Sont nés deux l’Arc-en-ciel, le Clair-de-la-lune, puis les nuages rouges, la pluie rouge.

Dormait Taaroa avec la femme Ohina, Déesse du sein de la terre.

Est né d’eux Téfatou, le génie qui anime la terre et qui se manifeste par les bruits souterrains.

Dormait Taaroa avec la femme dite Au-delà-de toute-terre.

D’eux sont nés les Dieux Téirü et Roüanoüa.

Puis Roo, qui sortit du ventre de sa mère par le côte.

Et de la même femme naquirent encore la Colère et la Tempête, les Vents Furieux, et aussi la Paix, qui les suit.

Et la source de ces esprits est dans le lieu d’où sont envoyés les Messagers.

Mais Téhura convient que ces filiations sont contestées.

Voici la classification la plus orthodoxe.

Les Dieux se divisent en Atuas et Oromatuas.

Les Atuas supérieurs sont tous fils et petits-fils de Taaroa.

Ils résident dans les cieux. — Il y a Sept Cieux.

Taaroa et sa femme Féii Féii Maïtéraï eurent pour fils : Oro (le premier des Dieux après son père et qui eut lui-même deux fils, Tétaï Mati et Oüroü Tétéfa), Raa (père de Tétoüa Oüroü Oüroü, Féoïto, Téhémé, Roa Roa, Téhu Raï Tia Hotoü, Témoüria), Tané (père de Peüroüraï, Piata Hoüa, Piatia Roroa, Parara Iti Mataï, Patia Taüra, Tané Haérirai), Roo, Tiéri, Téfatou, Roüa Noüa, Toma Hora, Roüa Otia, Moë, Toüpa, Panoüa, Téfatou Tiré, Téfatou Toütaü, Péuraï, Mahoüi, Harana, Paümoüri, Hiro, Roüi, Fanoüra, Fatoühoüi, Rii.

Chacun de ces dieux à ses attributions particulières.

Nous connaissons déjà les œuvres de Mahoüi, de Téfatou…

Tané a pour bouche le septième ciel — et cela signifie que la bouche de ce Dieu, qui a donné son nom à l’homme, est l’extrémité du ciel par où la lumière commence à éclairer la terre.

Rii sépara les cieux et la terre.

Roüi gonfla les eaux de l’océan, rompit la masse solide du continent terrestre et le divisa en ces innombrables parties qui sont les Îles actuelles ;

Fanoüra, de qui la tête touchait aux nues et les pieds au fond de la mer, et Fatoühoüi, autre géant, descendirent ensemble à Eïva — terre inconnue — pour combattre et détruire le cochon monstrueux qui dévorait les hommes.

Hiro, Dieu des voleurs, faisait avec ses doigts des trous dans les rochers. Il délivra une vierge que des géants retenaient dans-un lieu enchanté : d’une seule main il arracha les arbres qui cachaient au jour la prison de la vierge, et le charme fut rompu…

Les Atuas inférieurs s’intéressent particulièrement à la vie et au travail des hommes, sans partager leurs habitations.

Ce sont : les Atuas Maho (Dieux-Requins), patrons des navigateurs ; les Pého, Dieux et Déesses des vallons, patrons des agriculteurs ; les No Té Oüpas, patrons des chanteurs, des comédiens et des danseurs ; les Raaoü Pava Maïs, patrons des médecins ; les No Apas, Dieux auxquels on faisait des offrandes afin d’être protégé par eux contre les maléfices et les enchantements ; les O Tanoü, patrons des laboureurs ; les Tané Ité Haas, patrons des charpentiers et des constructeurs ; les Minias et les Papéas, patrons des couvreurs ; les Matatinis, patrons des faiseurs de filets.

Les Oromatuas sont les Dieux domestiques, les Lares.

Il y a les Oromatuas proprement dits et les génies.

Les Oromatuas punissent les fauteur de querelles, maintiennent la paix dans les familles. Ce sont : les Varna Taatas, âmes des hommes et des femmes morts dans chaque famille ; les Eriorios, âmes des enfants morts en bas âge et de mort naturelle ; les Poüaras, âmes des enfants qu’on tuait à leur naissance et qui revenaient dans le corps des sauterelles.

Les génies sont des divinités supposées, ou plutôt sciemment imaginées par l’homme. À tel animal, à tel objet, sans motif apparent, sinon réel, de choix, il attribue le sens divin, et, dès lors, il le consultera dans toutes les circonstances importantes : un arbre, par exemple. — Il y a peut-être là une trace de la métempsycose indienne, que les Maories ont très probablement connue. Leurs chants historiques et leurs légendes abondent en fables où l’on voit les grands Dieux revêtir la forme des animaux et des plantes.

Après les Atuas et les Oromatuas viennent, au dernier rang de la hiérarchie céleste, les Tiis.

Ces fils de Taaroa et d’Hina sont très nombreux.

Esprits inférieurs aux Dieux, étrangers aux hommes, ils sont, dans la cosmogonie maorie, intermédiaires entre les êtres organiques et les êtres inorganiques, défendant contre les usurpations de ceux-là les droits et prérogatives de ceux-ci. Voici leur origine.

Dormait Taaroa avec Hina, et d’eux naquit Tii.

Dormait Tii avec la femme Ani (désir), et d’eux sont nés : Désir-de-la-nuit, messager des ténèbres et de la mort ; Désir-du-jour, messager de la lumière et de la vie ; Désir-des-Dieux, messager des intérêts célestes ; Désir-des-hommes, messager des intérêts humains.

Sont nés ensuite : Tii-de-l’intérieur, qui veille sur les animaux et sur les plantes ; Tii-du-dehors, qui garde les êtres et les choses de la mer ; Tii-des-sables, et Tii-des-rivages, et Tii-des-terres-mouvantes ; Tii-des-rochers et Tii-des-terres solides.

Sont nés plus tard encore : Événement-de-la-nuit, Événement-du-jour, Aller et Revenir, le Flux, le Reflux, le Donner et le Recevoir-le-plaisir.

Les images des Tiis étaient placées aux extrémités des maraës (temples) et limitaient l’enceinte des terres sacrées. Un en voyait sur les rochers, sur les rivages, et ces idoles avaient la mission de marquer la limite entre la terre et la mer, de maintenir l’harmonie entre les deux éléments, de conjurer leurs empiètements réciproques. Des voyageurs modernes ont encore pu voir, dans l’Ile de Pâques, quelques statues de Tiis. Ébauches colossales, participant des formes humaines et des formes animales, elles attelaient une conception particulière de la beauté et une réelle adresse dans l’art de tailler la pierre, d’en superposer les blocs architecturalement, avec des combinaisons originales, ingénieuses, de couleurs ;

L’invasion européenne et le monothéisme ont détruit ces vestiges d’une civilisation qui eut sa grandeur. Aujourd’hui, quand les Tahitiens se mêlent d’édifier un monument décoratif, ils réalisent des miracles de mauvais goût — dans le genre du tombeau de Pomaré. Ils ont perdu leur sens natif, et dont pourtant il furent si richement doués, de l’accord nécessaire des créations humaines avec la vie animale et végétale qui constitue leur cadre et leur décor. À notre contact, à notre école, ils sont vraiment devenus des « Sauvages », dans l’acception que l’occident latin prête à ce vocable. Restés beaux eux-mêmes comme des chefs-d’œuvre de l’art, ils se sont (nous les avons) stérilisés au moral ; au physique aussi.

Il existe quelques traces de maraës. C’étaient des parallélogrammes interrompus par des ouvertures : trois côtés consistaient en murs de pierre de quatre à six pieds ; une pyramide moins haute que large formait le quatrième. En tout, cent mètres de largeur, environ, et quarante de longueur. — Les images des Tiis décoraient cette architecture sommaire.

La lune tient une place importante dans les spéculations métaphysiques des Maories. On a déjà dit que de grandes fêtes se célébraient, jadis, en son honneur. Hina est souvent invoquée dans les récits traditionnels des Aréoïs.

Mais son concours à l’harmonie du monde, son rôle est plutôt négatif que positif.

Cela apparait clairement dans inquiétant dialogue — plus haut cité — d’Hina et de Têfatou.

De pareils textes offriraient une belle matière aux exégètes, s’il s’en trouvait pour commenter la Bible océanienne. Ils y verraient d’abord les principes d’une religion fondée sur l’adoration des forces de la nature, — trait commun à toutes les religions primitives. La plupart des dieux maories sont, en effet, les personnifications des divers éléments. Mais des regards attentifs — et que ne distrairait pas, que ne dépraverait pas le désir de démontrer la supériorité de notre philosophie sur celle de ces « peuplades », ne tarderaient pas à découvrir en de telles légendes des traits intéressants et singuliers.

J’en veux signaler deux — et je me contenterai de les indiquer. Aux savants appartient le soin de vérifier ces hypothèses.

C’est, avant tout, la netteté avec laquelle se désignent et se distinguent les deux seuls et universels principes de la vie, pour ensuite se résoudre en une suprême unité. L’un, âme et intelligence, Taaroa, est le mâle ; l’autre, en quelque sorte la matière et le corps du même Dieu, est la femelle ; c’est Hina. À elle va tout l’amour des hommes, à lui leur respect. — Hina n’est pas le nom de la lune seulement : il y a aussi Hina-de-l’air, Hina-de-la-mer, Hina-de-l’intérieur ; mais ces deux syllabes ne caractérisent que les parties inférieures de la matière. Le soleil et le ciel, la lumière et son empire, toutes les parties nobles, à ainsi parler, de la matière — où plutôt encore tous les éléments spirituels de la matière sont Taaroa. Cela est catégoriquement formulé en plus d’un texte, où l’on reconnaît la définition de l’esprit et de la matière. — Or, que signifierait, si mous en restions à cette définition, la proposition fondamentale de la Genèse maorie :

l’univers grand et sacré n’est que la coquille de Taamoa — ?

Ne faut-il dans cette proposition constater la croyance initiale en l’unité de substance, comme, dans la définition et le départ de l’esprit et de la matière, l’analyse des manifestations doubles de cette substance unique ? Pour rare que soit un tel pressentiment philosophique chez des Primitifs, il ne s’en suit pas qu’on en doive récuser l’évidence. On voit bien que, dans l’action du Dieu qui créa le monde et qui le conserve, la théologie océanienne observe deux termes : la cause génératrice et la matière fécondée, la force motrice et l’objet mû, l’esprit et la matière ; on voit bien aussi que, dans le parallélisme constamment sous-entendu de l’esprit lumineux avec la matière sensible qu’il vivifie, il faut reconnaître, à travers les unions successives de Taaroa aux diverses représentations d’Hina, l’influence perpétuelle et variée du soleil sur les choses, et, dans les fruits de ces unions, les modifications que la lumière et la chaleur ne cessent de faire subir à ces mêmes éléments. Mais, une fois le phénomène accompli en, vue duquel les deux courants universels s’étaient rejoints, — dans le fruit la cause génératrice et la matière fécondée, dans le mouvement la force motrice et l’objet mu, dans la vie l’esprit et la matière s’unissent et se confondent : et l’univers, aussitôt créé, n’est que la coquille de Taaroa !

En second lieu, selon les conclusions du dialogue de Téfatoui avec Hina, l’homme et la terre périssent, tandis que la lune et l’espèce qui l’habite se perpétuent. Si nous nous rappelons qu’Hina représente la matière, — en qui, selon le proverbe scientifique, « tout se transforme et rien ne périt, » — nous penserons que le vieux sage maorie, l’auteur de cette légende, en savait là-dessus autant que nous. La matière ne périt pas, c’est à dire qu’elle ne cesse pas d’avoir ses qualités sensibles. L’esprit, au contraire, et cette « matière spirituelle », la lumière, subissent des intermittences : il y a la nuit, il y a la mort, où se ferment les yeux, de qui semblaient irradier les clartés qu’ils réfléchissaient. — L’esprit, ou la plus haute manifestation actuelle de l’esprit, c’est l’homme : « L’homme mourra… Il mourra pour ne pas revivre… Et l’homme dut mourir. » — Mais quand l’homme et la terre, ces fruits de l’union de Taaroa avec Hina, auront péri, Taaroa, lui, est éternel, et nous sommes avertis que la matière, Hina, continuera d’être : c’est donc, avec nécessité, qu’éternellement en présence l’Esprit et la Matière, la lumière et l’objet qu’elle s’est déjà réjouie d’éclairer, seront sollicités par le désir mutuel d’une nouvelle union, d’où naitra un nouvel « état » de l’évolution infinie de la vie.

L’évolution !… L’unité de substance !… Qui se fût attendu à rencontrer, dans la pensée de ci-devant cannibales, les témoignages d’une si haute culture ? J’ai pourtant conscience de ne rien ajoutera la vérité.

Il est vrai que Téhura ne se doutait guère de ces abstractions ; elle s’obstinait à voir dans les étoiles filantes des tupapaüs errants, des génies en détresse. Dans le même esprit que ses ancêtres, et comme ceux-ci pensaient que le ciel est Taaroa en personne, que les Atuas nés de Taaroa sont à la fois des-Dieux Dieux et des corps célestes, elle attribuait aux étoiles la sensibilité humaine. Je ne sais en quoi ces imaginations poétiques gêneraient la progrès de la science la plus positive. Je ne sais jusqu’à quel point la science la plus élevée les réprouverait…

À d’autres points de vue, et pour en finir avec le dialogue de Téfatou et d’Hina, il serait susceptible d’autres interprétations. — Le conseil de la lune, qui est femme, serait le conseil dangereux de la pitié aveugle, de la faiblesse sentimentale : la lune et les femmes, expressions (dans la conception maorie) de la matière, ignoreraient que la mort seule garde les secrets de la vie. — La réponse de Téfatou serait l’arrêt rigoureux, mais prévoyant et désintéressé, de la sagesse suprême qui sait que les manifestations individuelles de la vie actuelle devront s’évanouir devant un plus grand être, pour qu’il vienne, et se sac rifler à lui, pour qu’il triomphe.

Bien plus bas, mais avec une portée poignante encore, cette réponse aurait le sens d’une prophétie nationale : un grand esprit des anciens jours aurait étudié, mesuré la vitalité de sa race, pressenti dans son sang des germes de mort, sans plausible salut, sans possible renaissance, et il disait : Tahiti mourra, elle mourra pour ne pas renaître.

Téhura parlait avec une sorte de religieux effroi de cette secte, ou société secrète, qui avait gouverné les Iles à l’époque féodale : la société des Aréoïs.

À travers les discours confus de l’enfant ; je démêlai les souvenirs laissés par une institution redoutable, singulière, je devinai une tragique histoire, pleine de crimes augustes, mais difficile à pénétrer, et défendue des curieux par la vertu d’un secret bien gardé.

Quand Téhura m’eut dit à ce sujet ce qu’elle savait, je n’informai de toutes parts.

Voici l’origine légendaire de l’illustre Société.

Oro, fils de Taaroa, et, après son père, le plus grand des Dieux, résolut un jour de se choisir une compagne parmi les mortelles.

Il la voulait vierge et belle, ayant le dessein de fonder avec elle, dans la foule des hommes, une race supérieure à toutes et privilégiée.

Il traversa donc les Sept Cieux et descendit sur le Païa, haute montagne de l’Île de Bora-Bora, où habitaient ses sœurs, les Déesses Téouri et Oaaoa.

Oro, en jeune guerrier, ses sœurs, en jeunes filles, tous trois ainsi déguisés partirent pour un voyage d’exploration dans les Îles, afin de tâcher d’y découvrir la créature digne du baiser divin.

Oro saisit l’arc-en-ciel, en posa sur le sommet du Païa une extrémité et l’autre sur la terre : ainsi le Dieu et les Déesses traversaient les vallées et les flots.

Fastueux et charmants, dans les différentes Îles, ou on s’empressa de les accueillir, les voyageurs donnaient des fêtes merveilleuses auxquelles accouraient toutes les femmes.

Et Oro les considérait.

Mais son cœur s’emplissait de tristesse, car le Dieu se faisait aimer et il n’aimait pas. Il n’arrêtait longtemps son regard sur aucune des filles de l’homme, ne voyant en pas les vertus et les grâces qu’il avait rêvées.

Et, après bien des jours consumés en vaines recherches, il se disposait à retourner aux cieux, quand il vit, à Vaïtapé, dans l’ile de Bora-Bora, une jeune fille étrangement belle qui se baignait au petit lac d’Avaï Aïa.

Elle était de haute stature et tous les feux du soleil brûlaient et brillaient dans la splendeur de sa chair, tandis que tous les enchantements de l’amour sommeillaient dans la nuit de ses cheveux.

Oro, charmé, pria ses sœurs d’aller parler pour lui à la jeune fille.

Et il se retira, en attendant le résultat de leur ambassade, sur le sommet du Païa.

Les Déesses, en abordant la jeune fille, la saluèrent, louèrent sa beauté, et lui dirent qu’elles venaient d’Avanaü, district de Bora-Bora.

— Notre frère te fait demander si tu consens à être sa femme.

Vaïraümati — ainsi se nommait la jeune fille — examina les étrangères attentivement et leur dit :

— Vous n’êtes point d’Avanaü. Mais n’importe. Si votre frère est un chef, s’il est jeune, s’il est beau, qu’il vienne : Vaïraümati sera sa femme.

Téouri et Oaaoa remontèrent sans tarder au Païa pour apprendre à leur frère qu’il était attendu.

Aussitôt Oro, replaçant l’arc-en ciel comme la première fois, redescendit à Vaïtapé.

Vaïraümati avait préparé pour le recevoir une table chargée des plus beaux fruits et un lit fait des étoffes les plus rares et des nattes les plus fines.

Et sous les tamaris et les pandanus, dans les bois et au bord de la mer, gracieux et forts tous les deux, tous les deux divins, ils s’aimaient. Chaque matin, le Dieu remontait au sommet du Païa ; chaque soir, il en redescendait pour aller dormir avec Vaïraümati.

Nulle autre fille des hommes ne devait, désormais, le voir sous les apparences mortelles.

Et toujours, entre le Païa et Vaïtapé, l’arc-en-ciel abaissé lui servait de passage.

Or, bien des lunes avaient lui et s’étaient éteintes depuis que, dans les Sept Cieux désolés, on ignorait la retraite d’Oro. Deux autres fils de Taaroa, Orotéfa et Oürétéfa, prenant à leur tour la forme humaine, partirent à la recherche de leur frère. Longtemps ils errèrent sans le trouver à travers les Îles. Enfin, abordant à Bora-Bora, ils aperçurent le jeune Dieu, assis avec Vaïraümati, à l’ombre du manguier sacré.

Ils furent émerveillés de la beauté de la jeune femme et voulurent lui témoigner leur admiration en lui offrant quelques Présents. Orotéfa se métamorphose donc en truie et, Oürétéfa, en plumes rouges ; puis, reprenant aussitôt la forme humaine, bien que la truie et les plumes persistassent, ils s’approchèrent des deux amants, ces présents dans la main.

Oro et Vaïraümati accueillirent avec joie les deux augustes voyageurs.

La nuit-même, la truie mit bas sept petits, desquels on réserva le premier pour une destination ultérieure ; le second fut sacrifié aux Dieux ; le troisième, consacré à l’hospitalité et offert aux étrangers ; le quatrième fut nommé : Cochon de l’hécatombe en l’honneur de l’amour ; le cinquième et le sixième durent être gardés, pour multiplier l’espèce, jusqu’à la première portée. Enfin, on rôtit le septième tout entier, sur des cailloux chauds — à la mode maorie ainsi divinement inaugurée — et on le mangea.

Les frères d’oro retournèrent dans les cieux.

Quelques semaines ensuite, Vaïraümati dit à Oro qu’elle allait être mère.

Alors, Oro prit le premier des sept cochons, celui qu’on avait mis à part et se rendit à Raïatéa, au grand maraë, temple du Dieu Vapoa.

Là il rencontra un homme nommé Mahi, à qui il remit le cochon en disant :

Maii maitaï oé téinéi boüaa (prenez et gardez bien ce cochon).

Et le Dieu ajouta avec solennité :

— C’est le cochon sacré. Dans son sang sera teinte la ceinture des hommes qui viendront de moi. Car, en ce monde, je suis père. Ces hommes seront les Aréoïs. À vous, j’accorde leurs prérogatives et leur nom. Pour moi, je ne puis rester davantage ici.

Mahi alla trouver le chef de Raïatéa et lui conta l’aventure. Mais, ne pouvant garder le dépôt sacré sans être l’ami du chef, il ajouta :

— Mon nom sera le votre et votre nom sera le mien.

Le chef consentit et ils prirent en commun le nom de Taramanini.

Cependant, Oro, étant revenu auprès de Vaïraümati, lui annonça qu’elle aurait un fils et lui ordonna de le nommer Hoa Tabou té Raï (l’ami sacré des cieux)

Puis il dit :

— Les temps sont accomplis et je dois te quitter.

Se changeant alors en une immense colonne de feu, il s’éleva dans l’air, majestueusement, jusqu’au dessus du Périréré, qui est la plus haute montagne de Bora-Bora. Là, son épouse éplorée et le peuple saisi d’étonnement cessèrent de le voir.

Hoa Tabou té Raï fut un grand chef et fit beaucoup de bien aux hommes. À sa mort, il fut ravi au ciel, où Vaïraümati elle-même prit rang parmi les Déesses.

Oro pourrait bien être quelque Brahmine errant ; qui apporta dans les Iles de la Réunion — quand ?… — la doctrine de Brahma (dont j’ai déjà signalé des traces dans la religion océanienne).

À la clarté de cette doctrine, le génie maorie s’éveilla. Les esprits capables de comprendre se reconnurent entre eux et s’associèrent, pour pratiquer — à l’écart, naturellement, du vulgaire — les rites ordonnée. Plus éclairés que les autres hommes de leur race, ils prirent bientôt en main le gouvernement religieux et politique des Iles, s’arrosèrent d’importantes prérogatives et fondèrent une féodalité très forte qui fut, dans l’histoire de l’Archipel, la période la plus glorieuse.

Bien qu’ils ne semblent pas avoir connu l’écriture, les Aréoïs étaient vraiment savants. Ils passaient des nuits entières à réciter, citer, mot à mot, scrupuleusement, d’antiques « Paroles des Dieux » dont le texte, maintenant fixé, ne pourrait être traduit qu’au prix d’un travail assidu de plusieurs années. Ces paroles des Dieux, dont ils étaient les dépositaires uniques, auxquelles il ne leur était permis d’ajouter que des commentaires, donnaient aux Aréoïs la sécurité {d’un centre intellectuel, l’habitude de la méditation, l’autorité d’une mission surhumaine, un prestige enfin qui courbait autour d’eux toutes les tetes.

Il y a, dans notre moyen âge féodal et chrétien, des institutions, et le lecteur les nomme, analogues à celle-là ; je n’en sais point de plus simplement formidable que cette compagnie religieuse et guerrière, ce concile permanent et en armes, rendant des arrêts au nom des Dieux, détenant la toute-puissance, disposant de la vie et de la mort.

Les Aréoïs enseignaient que les sacrifices humains sont agréables aux Dieux et sacrifiaient eux-mêmes, dans les maraës, tous leurs enfants sauf le premier-né : ce rite sanglant était symbolisé par les sept cochons de la légende, qui sont tous mis à mort, sauf le premier, le « cochon sacré ».

Ne nous hâtons pas de crier à la sauvagerie. Cette obligation barbare, à laquelle tant d’autres peuplades primitives se sont soumises, avait des causes profondes, d’ordre social, d’intérêt général. Chez des races très prolifiques, comme fut autrefois la race maorie, le développement illimité de la population menaçait son existence-même, nationale et privée. Sans doute, la vie, dans les Îles, était facile, et il ne fallait pas à chacun beaucoup d’industrie pour y trouver le nécessaire. Mais le territoire, très restreint, et qu’environnait la mer immense, la mer infranchissable aux frêles pirogues, se fût bientôt dérobé sous les pieds d’un peuple sans cesse multiplié. La mer n’eût plus donné assez de poisson, la forêt assez de fruit. La famine n’eût pas tardé, qui a toujours eu, et dans tous les pays du monde, pour conséquence l’anthropophagie. — Pour s’épargner le meurtre de l’homme, les Maories se résignèrent au sacrifice de l’enfant. Remarquons-le, du reste, anthropophagie avait déjà pénétré dans les mœurs quand les Aréoïs intervinrent : c’est pour la combattre en en détruisant les causes et c’est à un peuple d’anthropophages qu’ils imposèrent l’infanticide. On peut donc dire, bien que le côté sinistrement comique de l’observation soit de nature à réjouir quelque vaudevilliste, que l’infanticide constituait un notable adoucissement des mœurs. Il fallut, sans doute, aux Aréoïs, une extraordinaire énergie pour réaliser ce progrès ; ils n’y parvinrent qu’en se grandissant, aux yeux du peuple, de toute l’autorité des Dieux.

L’infanticide fut, en outre, pour la race, un moyen puissant de sélection. Ce terrible droit d’ainesse, qui était le droit-même à la vie, maintint dans le peuple l’intégrité de la force, en le préservant des produits maladifs d’un sang épuisé. Elle nourrit aussi, dans tous ces enfants de la jeunesse, le sens d’une fierté inaltérable. C’est cette force première et c’est la dernière fleur de cette fierté que nous admirons encore dans les produits suprêmes d’une grande race expirante.

Enfin, le spectacle constant, la fréquentation assidue de la mort était un austère et vivifiant enseignement. Les guerriers y apprenaient le mépris de la douleur et la nation tout entière y trouvait le bénéfice d’une intense émotion qui la défendait contre l’engourdissement tropical, qui la suscitait des langueurs de la sieste perpétuelle. Le fait historique est que, du jour où fut abrogée la loi du sacrifice, les Maories commencèrent à décliner et finalement perdirent toute vitalité morale et toute fécondité physique. — Si cela n’est pas la cause de ceci, du moins la coïncidence reste inquiétante.

Et peut-être, plus haut encore, les Aréoïs avaient-ils compris la vertu profonde, la nécessité symbolique du Sacrifice..

Dans la société des Aréoïs, la prostitution était une obligation sacrée. Nous avons changé cela. Non point qu’à Tahiti, depuis que nous l’avons comblée des bienfaits de notre civilisation, la prostitution ait cessé : elle prospère. Mais elle n’est plus ni obligatoire ni sacrée. Elle est, simplement, sans excuse et sans grandeur.

La dignité ecclésiastique se transmettait de père en fils, et l’initiation commençait dès l’enfance.

La Société était divisée, à l’origine, en douze loges, qui avaient pour grands maîtres les douze premiers Aréoîs. Puis venaient des dignitaires de second ordre et enfin des apprentis. Les divers grades se distinguaient par des tatouages particuliers, aux bras, aux côtés du corps, aux épaules, aux jambes et aux chevilles.

Du loin d’autrefois, du Matamua des Aréoïs, cette scène maorie : l’intronisation d’un roi.

Le nouveau chef sort de son palais, revêtu d’ornements somptueux, entouré des principaux de l’Île, précédé des Maîtres Aréoïs, qui portent dans leurs cheveux les plumes les plus rares.

Il se rend avec son cortège au maraë.

En l’apercevant, les prêtres, qui l’attendaient sur le seuil, proclament à grand bruit de trompettes et de tambours que la cérémonie commence.

Puis, entrant avant le roi dans le temple, ils placent une victime humaine, morte, devant l’image du Dieu.

Le roi et les prêtres récitent et chantent ensemble des prières ; après quoi, le prêtre arrache à la victime les deux yeux. Il offre l’œil droit au Dieu et l’œil gauche au roi : celui-ci ouvre la bouche comme pour avaler l’œil sanglant, mais le prêtre le retire aussitôt et le joint au reste du corps  [3].

On place ensuite la statue du Dieu sur un brancard sculpté que portent les prêtres. Le roi, assis sur les épaules de deux chefs, suit l’idole jusqu’au rivage, accompagné des Aréoïs comme au départ. Tout le long du chemin, les prêtres ne cessent de sonner de la trompette et de battre du tambour en dansant.

La multitude marche derrière, silencieuse et respectueuse.

À l’anse du rivage se balance la pirogue sacrée, décorée, pour cette solennité, de branches vertes et de fleurs. On y introduit d’abord l’idole. Puis, on ôte au roi ses vêtements, et les prêtres le conduisent dans la mer, où les Atuas Mao (les Dieux-Requins) vont le caresser et le laver dans les flots.

Ainsi consacré me seconde fois par le baiser de la mer, sous les regards du Dieu, comme il l’a été une première fois par le Dieu lui-même dans son temple, le roi monte dans Ja pirogue sacrée, où le grand prêtre lui ceint autour des reins le maro oüroü et autour de la tête le taoü mata, les bandeaux de la souveraineté.

Debout à l’avant de la pirogue sacrée, le roi se montre au peuple.

Et le peuple, à cette vue, rompant enfin son long silence, fait retentir de toutes parts le cri solennel :

Maëva Arii ! (Vive le Roi !)

Quand le tumulte de ce premier mouvement d’allégresse a cessé, on place le roi sur le lit sacre où, tout à l’heure, était l’idole, et on reprend le chemin du maraë, à peu près dans le même ordre processionnel qu’on a observé pour en venir.

Les prêtres portent l’idole. Les chefs portent le roi. Les prêtres ouvrent la marche avec leur musique et leur danse.

Le peuple vient derrière. Mais maintenant, s’abandonnant à sa joie, il ne cesse de crier :

— Maëva Arii !

L’idole est solennellement rétablie sur l’autel.

Ici se termine la tête religieuse. La fête populaire va commencer.

Comme il a communié avec les Dieux dans leur temple, comme il a communié avec la nature dans la mer, le roi va communier avec son peuple[4]. — Le roi, couché sur des nettes, va recevoir le dernier hommage du peuple.

Hommage frénétique ; d’un peuple sauvage.

C’est toute une foule exprimant son amour pour un homme, et cet homme est le roi. C’est le dialogue, grandiose jusqu’à l’horreur et jusqu’à l’épouvante, d’un homme et de la foule. Demain, il sera le maître, il disposera à son gré des destinées assujetties à la sienne et tout l’avenir est à lui. La foule n’a qu’une heure !

Des hommes et des femmes, entièrement nus, entourent le roi en dansant des danses lascives, et s’efforcent de toucher certaines parties de son corps de certaines parties du leur. Il ne parvient pas toujours à éviter les contacts, à se préserver des souillures. Et l’épilepsie populaire grandit, devient furieuse. Toute l’Île douce vibre d’affreux cris : dans le soir qui tombe, l’apparition fantastique d’une multitude folle, aux geste forcenés.

Mais tout à coup les sons de la trompette et du tambour sacerdotaux retentissent.

Fin de l’Hommage, fin de la fête ; signal de la retraite. Les plus délirants obéissent, tout s’apaise ; un brusque silence, absolu, s’est fait.

Le roi se lève et rentre dans son palais, accompagné de sa suite, solennellement, majestueusement.

  1. Voir les écrits de Morenhout. Cette sorte de précis de théologie polynésienne est publiée en français par nous, sauf erreur, les premier.
  2. Ce Mahoüi semble se confondre avec Taaroa, ainsi que ce Roüa qui créa les étoiles. Ce sont peut-être les noms divers du même dieu.
  3. On ne peut méconnaître le sens symbolique de ce rite, claire interdiction de l’anthropophagie.
  4. Il est a craindre que les missionnaires (qui nous ont conservé ces traditions) aient légèrement, dans un but qu’on devine, calomnié sur ce point comme sur tant d’autres les ancêtres de leurs ouailles. Mais, à travers ce qu’il a de brutal, de grotesque et même de répugnant, on conviendra peut-être que ce rite suprême ne manque pu d’une singulière beauté.