Dussault & Proulx, imprimeurs (p. 29-34).
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IV.


1649 ! Millésime célèbre par la mort du plus grand des martyrs de la Nouvelle-France, Jean de Brébeuf !

Le lecteur s’étonnerait, à bon droit, de voir surgir ainsi sans aucun à propos de sujet, le nom de l’illustre jésuite au cours d’une semblable étude, si je ne lui disais pas qu’on attribue au glorieux missionnaire la paternité d’un noël huron — Ies8s AHATONNIA — Jésus est né ! —[1]. Les paroles en sont consignées dans un précieux manuscrit du Père jésuite Étienne-Thomas Girault de Villeneuve, (1747-1794) missionnaire chez les Hurons de la Jeune Lorette. C’est une simple mélodie, à deux temps, d’une forme trop régulière pour n’être pas absolument française.[2] Elle appartient au mode mineur, ou, plus exactement, au premier mode plagal de la tonalité grégorienne. La voici :

[3] IES8S AHATONNIA

\score {
\relative c' 
    {
    \tempo \markup { \fontsize #-2 \italic "Allegretto."}
    \time 2/4
    \autoBeamOff
    \override Score.BarNumber #'break-visibility = #'#(#f #f #f)
    \partial 8 e8 | a8 \stemUp b \stemNeutral c d | c8([ b]) a g \break
    a8 a \stemUp b g | a4 r8 e | a8 b \stemNeutral c d \break
    c8([ b]) a g | a8 a \stemUp b g |  a4 r8 a \break
    \stemNeutral e' e b c | d8.([ c16]) b8 b | c b a a \break
    b4 a8^\markup{ \italic "rall."}([ g]) | e^\markup{ \italic "a tempo."} a a4 | g8 f e4 | a4 g8 e \break
    a a a \stemUp b | \stemNeutral c d e e, | a4 r  \bar "|."
    }
\layout{
  indent = 0\cm
  line-width = #120
  \set fontSize = #-2
  \override Score.BarNumber #'break-visibility = #'#(#f #f #f)
} %layout
\midi { }
} %score
\header { tagline = ##f}


Cette mélodie, je le répète, est, à n’en pas douter, un calque plus ou moins modifié de l’air d’un vieux noël du seizième siècle — Une jeune pucelle — air sur lequel Pellegrin écrivit plus tard son cantique : Entends ma voix fidèle, et que voici :


\score {
  \relative c''
    {
    \time 2/2
    \clef G
    \key f \major
    \autoBeamOff
    \override TupletBracket #'bracket-visibility = ##f
    \override Score.BarNumber #'break-visibility = #'#(#f #f #f)
    \partial 4 a4 | d e f g | f2( \tupletUp \times 2/3 { e4) d cis } | d2 e | \break 
    a,2. a4 | d e f g | f2( \times 2/3 { e4) d cis } | \break
    d2 e | a,1 \bar "||" a'2 a4. g8 | f2. c4 | \break
    f4. g8 a4 a | g2 e4 e | f4. e8 d4 d | \break
    e2 cis4. cis8 | d4 d e4. f8 | d1 \bar "|."
    }
\addlyrics {
\override LyricText #'self-alignment-X = #1 \markup { \italic { L’Ange : } En } -- tends ma voix fi -- dè -- le, Pas -- teur suis-
moi, Viens té -- moi -- gner ton zè -- le Au
di -- vin Roi. Ce Dieu si grand est
né dans une é -- ta -- ble, Ce Dieu si re -- dou-
ta -- ble Est hom -- me com -- me toi.
} %lyrics
\layout{
  indent = 0\cm
  line-width = #120
  \set fontSize = #-2
  \override Score.BarNumber #'break-visibility = #'#(#f #f #f)
} %layout
\midi { }
} %score
\header { tagline = ##f}
[4]

J’aurais aimé écrire le texte huron en regard de la musique, mais, comme il renferme des mots de dix-neuf et de vingt lettres qu’il m’est impossible de syllaber, j’ai quitté la partie en désespoir de cause et à la grande joie du typographe.

Voici maintenant le texte huron du noël sauvage, suivi de sa traduction française.


IES8S AHATONNIA


Estennialon de tson8e Ies8s ahatonnia
Onna8ate8a d’oki n’on8andask8aentak
Ennonchien sk8atrihotat n’on8andilonrachatha
Ies8s ahatonnia. (ter)

Aloki onkinnhache eronhialeronnon
Iontonk ontatiande ndio sen tsatonnharonnion
8arie[5] onna8ak8eton ndio sen tsatonnharonnion
Ies8s ahatonnia. (ter)

Achink ontahonrask8a d’hatirih8annens
Tichion halonniondetha onli8a achia ahatren
Ondaie te hahahak8a tichion halonniondetha
Ies8s ahatonnia. (ter)

Tho ichien stahation tethotondi Ies8s
Ahoatatende tichion stanchitea8ennion
Ahalonatorenten iatonk atsion sken
Ies8e ahatonnia. (ter)

Onne ontahation chiahonalen Ies8s
Ahatichiennonniannon kahachiahandialon
Te honannonrank8annion ihontonk oërisen
Ies8s ahatonnia. (ter)

Te ek8atatennonten ahek8achiendaen
Ti hek8annonronk8annion de son8entenrade
8toleti sk8annonh8e ichierhe akennonhonstha
Ies8s ahatonnia. (ter)


JÉSUS EST NÉ


Hommes, prenez courage, Jésus est né !
Maintenant que le règne du diable est détruit
N’écoutez plus ce qu’il dit à vos esprits.
Jésus est né !

Écoutez les anges du ciel.
Ne rejetez pas maintenant ce qu’ils vous ont dit.
Marie a enfanté le Grand Esprit, comme ils vous l’ont dit.
Jésus est né !

Trois chefs se donnèrent parole
En voyant l’étoile au firmament ;
Et ils convinrent de suivre l’étoile.
Jésus est né !

Alors Jésus leur suggéra l’idée de venir Le voir
Et la pensée que l’étoile les conduirait vers Lui ;
Et ils se dirent donc qu’ils iraient vers l’étoile.
Jésus est né !

Ces chefs firent des offrandes ; en voyant Jésus
Ils furent heureux, et lui racontèrent de grandes choses ;
Ils Le saluèrent et lui parlèrent sincèrement.
Jésus est né !

À présent venez tous Le prier,
Adorez-Le. Il a exaucé nos vœux,
Écoutez-Le. Il veut que vous soyez saints.
Jésus est né !


L’honneur et le mérite de cette traduction en reviennent à “ mon frère ” Paul Tsa8enhohi, de la tribu des Hurons de Lorette. Monsieur Paul Tsa8enhohi — (l’homme qui voit clair, littéralement : l’œil de vautour, à cause de son regard très vif et très perçant) — répond, en français, au nom de Paul Picard. Il est notaire, et professe comme tel dans son village natal qui se trouve être, par comble de bonne fortune, la capitale de son pays. Il est le fils du célèbre chef huron, Paul Picard Tahourhenché, (le point du jour), surnom bien caractéristique, fine et gracieuse allusion aux habitudes matinales du sagamo nonagénaire, toujours levé à l’aube, au point du jour. Ironie des mots ! Le dernier des Hurons s’appelait le point du jour. Pour l’histoire de sa nation ne devrait-il pas se nommer le soleil couchant ?

En remerciant publiquement ici M. le notaire Paul Picard, je serai l’expression de la gratitude de tous les dévots au culte de notre littérature nationale. Mais, s’il convient d’être reconnaissant envers les archéologues et les archivistes, savants découvreurs ou gardiens jaloux de nos trésors historiques, quels sentiments d’admiration patriotique, quels applaudissements enthousiastes n’éveillera-t-il point celui-là qui ressuscite une langue morte — l’idiome sacré de ses ancêtres — et lui fait chanter, aux échos mêmes du sépulcre dont il renverse la pierre, un noël radieux comme une aurore de Pâques ?


_______
  1. D’autres connaisseurs prétendent que le Père Ragueneau en est l’auteur. — Brébeuf et Ragueneau étaient d’égale force en linguistique.
  2. Les sauvages du Canada n’avaient pour seuls instruments de musique que le tambour et la chichigouanne, « espèce de tambour, de la grandeur d’un tambour de basque, et composé d’un cercle large de trois ou quatre doigts et de deux peaux rapidement étendues de part et d’autre, dans quoi sont des grains de blé d’Inde ou des petits cailloux pour faire plus de bruit. Le diamètre des plus grands tambours est de deux palmes ou environ ; ils les nomment, en montagnais, chichigouanne. Ils ne les battent pas comme on fait en deçà (c’est-à-dire : en Europe) mais ils les tournent et remuent pour faire bruire les cailloux qui sont dedans et en frappent la terre tantôt du bord, tantôt quasi du plat pendant que tout le monde danse. » — Sagard : Histoire du Canada, page 474 — Paris, 1636.

    Les Sauvages du Canada n’avaient aucun soupçon de la mélodie. Ils possédaient cependant pour la musique une oreille et une mémoire merveilleuses. Les missionnaires, utilisant ces dons naturels, en profitèrent pour leur enseigner leurs prières qu’ils apprenaient en chantant.
  3. Le chiffre 8, employé comme signe alphabétique, représente le son ou en français.
  4. Furieux d’être éveillé au meilleur de son somme, le Pasteur envoie l’Ange au diable :
    Qu’un DQuel crieur de gazettes
    Qu’un DAi-je entendu ?
    Qu’un DPorte ailleurs tes sornettes,
    Qu’un DC’est temps perdu,
    Qu’un Dieu soit né, l’aventure est jolie,
    Qu’un DLa plaisante saillie
    Qu’un DD’un esprit morfondu !

    Suivent dix autres couplets de cette force et sur ce ton.

    Cf : Pellegrin : Noëls nouveaux, 1708, premier recueil, pages 12, 13, 14 et 15.

    J’ignore pourquoi le célèbre Migne, dans son Dictionnaire des Noëls, classe ce cantique au nombre des noëls lorrains, car son origine est absolument parisienne. Il se peut que le savant abbé ait voulu faire entendre seulement que ce noël se chantait encore en Lorraine au temps (1867) où il publiait son Encyclopédie Théologique.

  5. 8arie pour Marie. Les Hurons n’ont pas la lettre M. Ils disent Ouarie ou 8arie et non Marie. Cf : Relation des Jésuites, tome II, année 1654, page 27, 1ère colonne, 13ième ligne.