Neuf Upanishads, la théosophie des Védas/Avant-propos
(p. vii-xvii).
AVANT-PROPOS
Les Upanishads sont d’antiques traités, écrits en sanscrit, et contenant la Théosophie des Védas. On leur donne souvent le nom de « rahasya », « mystère », ou « secret », parce qu’elles ne furent enseignées, à l’origine, qu’à ceux qui avaient suivi un entrainement préliminaire spécial, et fourni la preuve de leur mérite ; on les appelle encore shruti-shirah, ou la « tête de la révélation », parce qu’elles constituaient la plus précieuse des révélations transmises aux Aryens de l’Inde.
Les Védas, dans leur constitution actuelle, sont formés de quatre grandes collections : le Rig-Veda, le Yajur-Veda, le Sâma-Veda, et l’Atharva-Veda ; le mot veda signifie « connaissance » ou « science ». Chacune de ces collections se subdivise en trois parties : le mantra, contenant les hymnes ; le brahmana, ou code des cérémonies ; et l’âranyaka renfermant les instructions à l’usage de ceux qui, ayant accompli tous leurs devoirs, se retiraient autrefois dans la forêt (aranya) pour se livrer à la vie religieuse. Les Upanishads appartiennent en général à cette dernière classe.
La Tradition rapporte que le Veda original ne comprenait que les mantrâh, ou chhandâmsi, que les anciens voyants pouvaient « voir ». Le mot mantra vient de la racine man, penser, et chhanda, ou chhandas signifie « la volonté partout active ». L’univers, est-il dit, est produit par la pensée méditative (tapah.) ou volonté de l’Être suprême ; ses lois furent vues par les anciens voyants, et traduites par eux en sons appropriés, expressions de l’unique Verbe créateur. Il est extrêmement douteux que nous possédions les hymnes originaux ; il est cependant certain que leur principale efficacité ne réside pas dans leur signification apparente, mais dans leur modulation correcte. Les quatre collections du Véda furent constituées dans le but de faciliter leurs devoirs, dans les cérémonies sacrificielles, aux trois classes de prêtres, et à celui qui présidait la cérémonie. Ces prêtres étaient appelés hotri, adhvaryu, et udgâtri. Les premiers se servaient des mantras versifiés du Rig-Veda ; les seconds des mantras en prose du Yajur-Veda ; et les derniers du Sâma-Veda, composé de mantras chantés sur un mode spécial, différent du chant ordinaire employé pour la récitation des mantras du Rig et du Yajur. Le Brâhmane qui présidait le sacrifice se servait de l’Atharva-Veda, formé de certaines portions des trois premiers Vedas, et aussi d’autres mantras.
Nous avons entrepris cette traduction pour mettre les sublimes enseignements des Upanishads à la portée de tous ceux qui peuvent lire l’anglais.
Son prix est purement nominal. Nous avons de plus mis tous nos efforts, non seulement à produire une version fidèle et idiomatique, mais aussi à conserver, autant qu’il était possible, l’esprit et le mouvement de l’original. Nous pouvons donc espérer qu’elle saura plaire aux mystiques et aux âmes religieuses, sans rebuter l’érudit ni l’étudiant.
Dans quelques rares passages, nous avons rendu un passif par un actif, ou un pluriel par un singulier, ou vice-versa, mais toutes les autres licences sont fidèlement indiquées dans les notes ; dans trois endroits, les noms propres ont été écourtés par euphonie. Enfin, dans la Mândûkyopanishad, des jeux de mots, déjà fortement étranges dans l’original, ont déjoué tous les efforts des traducteurs.
Il nous semble qu’on doive laisser aux Upanishads le soin de plaider elles-mêmes leur cause, sans les livrer à la merci de commentaires artificiels. Elles sont de vastes épanchements d’enthousiasme religieux ; elles élèvent l’intelligence au-dessus du chaos des cérémonies, au-dessus des jongleries de mots familières à la métaphysique et à la philologie des écoles.
Dans les passages où il est fait allusion au détail des cérémonies, nous nous sommes tenus à l’esprit des Upanishads, et avons passé outre sans autre commentaire, les considérant comme de peu d’intérét. À notre époque, en dehors des membres d’une seule caste et d’une seule nation, ces détails n’ont d’importance que pour quelques étudiants versés dans l’archéologie du cérémonial. Ils ne font pas partie des Upanishads considérées comme l’une des « Écritures du Monde », c’est-à-dire comme un des écrits adressés à tous ceux, sans distinction, qui aiment la religion et la vérité, dans toutes les races et dans tous les temps.
D’autre part, nous ne nous sommes pas crus liés par les opinions d’aucun commentateur, pour l’interprétation mystique ou métaphysique du texte ; étant d’avis qu’en général, plus le commentaire est recherché, plus il s’écarte de l’esprit des Upanishads, qui est, par-dessus toute chose, simplicité de parole et de pensée.
Pour l’exactitude du texte, nous nous sommes reportés aux éditions suivantes : Venkateshvaru Press (Bombay, 1811 Shak.) ; Nimayasâgara Press (Bombay, 1815 Shak.) ; Anandâshrama Sanskrit Series (Poona, 1888-1890) ; Bibliotheca Indica Series (Calcutta, 1850) ; Édition de Sîtânâtha Datta (Calcutta, 1893-1895). Nous avons également consulté les commentaires de Shankarâchârya, Anandagiri, Shankarânanda, Nârâyana, ainsi que les autres Bhâshyas et Dîpikâs contenus dans les Anandâshrama Series. Nous avons fait usage aussi des notes occasionnelles d’Achârya Satyavrata Sâmashramin dans l’édition Datta, et des explications écrites du vénérable Maharshi Devendra Nâtha Thâkura.
Nous ajoutons ci-après le tableau suivant des divers états et pouvoirs correspondants dans l’univers et dans l’homme (srishtikrama).
Il est évidemment impossible de combiner un tableau répondant à tous les besoins, celui-ci n’est que pour aider la mémoire dans les grandes lignes.
La colonne de gauche représente le côté subjectif et la colonne de droite le côté objectif de l’univers, les aspects vignâna et kriyâshakti d’Ishvara, ou de Brahman considéré Comme Logos.
Chit, la conscience pure, dans son premier état d’existence, est en contact avec Prakriti, la racine de l’objectivité (l’énergie « créatrice » primordiale, aussi appelée Mâyâ, ou encore Avidyâ, Ignorance), et porte le nom d’Ishvara, le Seigneur, ou Être Puissant ; Chit reçoit encore le nom de Prâgna (conscience en soi) lorsqu’on le considère au point de vue individuel ; il est dit cependant qu’il n’est point de distinction entre la conscience cosmique (C) et la conscience individuelle (I) dans cet état.
Les cinq Tanmâtrâh, éléments primordiaux ou « grands êtres » (Mahâbhûtâni), sont les prototypes de l’Ether, du Feu, de l’Air, de l’Eau et de la Terre. Ils se combinent pour former le corps subtil, et ces combinaisons, de nouveau combinées entre elles, servent à constituer le corps grossier.
Chit, dans son second état, en contact avec le Sûkshmadeha, est appelée Hiranya-garbha, le « germe radieux », ou Sûtrâtman, « l’âme-fil » au point de vue cosmique, et Taijasa, le « brillant », au point de vue individuel.
L’Antah-Karana, ou « organe intérieur », appelé aussi Antar-indriyâni, ou les « forces intérieures », comprend quatre facultés : Buddhi, la « raison » ou « intelligence », l’énergie de la décision ; Manas, le mental impulsif, l’élément du doute et de l’hésitation ; Chitta, la faculté de saisir les perceptions et les idées, fournissant ainsi la matière de la pensée, et parfois appelée l’imagination ; Ahamkâra, la faculté « qui crée le moi », qui rapporte tout à l’individu, et qu’on nomme encore le Kartri ou « agent ».
Les cinq Gnânendriyâni sont les facultés d’entendre, de toucher, de voir, de goûter et de sentir.
Les cinq Karmendriyâni sont les facultés de la parole, de la manipulation des objets, de la locomotion, de l’excrétion et de la procréation.
Les cinq Prânâh sont les éthers ou courants vitaux : le supérieur, l’inférieur, celui qui établit l’équilibre, celui qui assure la répartition, et celui qui extériorise.
Chit, dans son troisième état, en contact avec le Sthûladeha, prend les noms de Vaishvânara, « en qui vivent tous les hommes », du point de vue cosmique, et Jîva, « celui qui vit », du point de vue individuel.
Les explications qui précèdent pourront être de quelque utilité, surtout dans l’étude de la Mândûkyopanishad, et pour la compréhension de quelques expressions comme : « l’homme aux dix-neuf mois » ; ces derniers sont les quinze Prânâh, Karmendriyâni et Gnânendriyâni, et les quatre aspects de l’Antah-Karana.
Nous avons fait précéder chaque Upanishad d’un résumé succinct des sujets qu’elle traite (bhûmikâ) et aussi du chant de Paix (Shânti-pâtha ou Shânti-vâchana) spécial au Véda dont elle fait partie.
Pour ceux qui abordent dans un esprit de dévotion l’étude des Upanishads, nous ajoutons ici trois mantras :
À celui dont vient le monde entier, à qui il retourne, par qui il est aussi soutenu, à Lui, le Soi[1], qui sait, soit honneur !
Ananda rûpam amritam yad vibhâti.
Shântam shivam advaitam.
Vérité, Sagesse, éternel, Brahm,
Source de toute béatitude, immortel,
Paisible, compatissant, sans second !
Om. ! Paix, Paix, Paix !
- ↑ Le Soi, c’est-à-dire Atman, l’Âme divine.