Napoléon et la conquête du monde/I/22

H.-L. Delloye (p. 103-105).

CHAPITRE XXII.

SARDAIGNE.



L’empereur, dans son voyage à Rome, et malgré les invitations pressantes du roi des Deux-Siciles, Murat, n’avait point voulu se rendre à Naples. Il voyait déjà dans la conduite de ce souverain de sa façon une allure tortueuse et une intention de se conduire soi-même avec quelque indépendance.

Cela était fait pour déplaire à Napoléon ; aussi lui répondit-il que les soins exclusifs de son empire l’obligeaient à renoncer au voyage de Naples.

En même temps que le roi Murat sollicitait de son suzerain cette faveur de le recevoir dans sa capitale, par un acte hardi de son pouvoir et de sa liberté, il donnait cours à son ambition, et essayait ainsi de connaître jusqu’à quel point il pouvait, sans offenser grièvement l’empereur, agir dans le cercle de sa propre puissance.

La grandeur de Napoléon importunait l’âme jalouse de Murat.

Il voulut être conquérant à son tour.

La Sardaigne, gouvernée alors incognito, pour ainsi dire, par la maison de Savoie, devint le but de sa pensée. Il résolut de l’envahir. Une frégate napolitaine eut ordre de capturer un bâtiment sarde : de là une réclamation de la part du roi Victor-Emmanuel ; de là un refus superbe de satisfaire ce prince de la part de Murat ; de là une guerre.

Un combat naval eut lieu sur les côtes d’Afrique, près l’île de Zimbe : parodie ridicule de ces combats géants de l’empire. Un vaisseau de ligne napolitain, une frégate et quelques bricks, flotte entière du royaume des Deux-Siciles, détruisirent facilement la flottille encore plus faible de la Sardaigne. Murat, à la tête d’une armée de treize mille hommes, fit aussi son invasion, eut aussi sa petite bataille décisive, et entra vainqueur dans Cagliari ; et là, datant aussi un décret d’une capitale conquise, cet imitateur présomptueux déclara que la maison de Savoie avait cessé de régner en Sardaigne, et que ce royaume était réuni à celui des Deux-Siciles.

Le roi Victor-Emmanuel, ainsi dépossédé de ses états, était parvenu, après sa défaite, à se sauver en Corse sur un bateau pêcheur.

Murat avait, sans en donner aucun avis à Napoléon, entrepris et achevé sa conquête ; et il crut devoir persister dans cette hardiesse, et ne pas la lui faire connaître lorsqu’elle fut terminée.

L’empereur, profondément irrité de cette action, la garda dans son cœur et attendit.

Toutefois, par l’entremise du préfet de Bastia, où se trouvait réfugié le roi Victor-Emmanuel, il fit offrir à ce prince de venir en France. De Toulon, où il aborda, jusqu’à Paris, il fut accueilli avec les honneurs dus à un souverain. L’empereur le reçut lui-même avec des égards recherchés, lui assigna un palais, et après quelques jours, il le confondit dans la foule des autres rois de sa cour.