Napoléon et la conquête du monde/I/21

H.-L. Delloye (p. 100-102).

CHAPITRE XXI.

MOREAU.



Il semblait que Napoléon, élevé si haut au-dessus de tout, voulut au défaut d’empires conquérir des hommes.

Moreau, depuis le jugement qui l’avait exilé, vivait en Amérique, contemplant avec l’insouciance qui lui était propre les grands événements de l’Europe, et pensant à peine que lui-même s’était vu bien près de ce trône où brillait son ennemi.

De Rome, Napoléon envoya aux États-Unis, près du vainqueur de Hohenlinden, le général Andreossy, porteur d’une lettre amicale et de propositions importantes.

Quand le général Andreossy arriva près de Moreau, il vit ce grand homme habitué à la vie la plus simple, travaillant à son jardin, et paraissant étranger aux secousses du monde.

Il reçut les offres de Napoléon avec froideur, et dit qu’il ne pouvait rien accepter de lui.

Mais le général Andreossy, qui savait que ce grand caractère manquait d’énergie et de persistance dans ce qui lui était personnel, revint le lendemain à la charge. Moreau devait être créé maréchal de France, duc de Carniole et grand-aigle de la Légion-d’Honneur.

Moreau hésita alors ; il soupirait après sa patrie ; sa femme, sa fille ne parlaient que du bonheur de revoir la France : il flottait encore incertain, et puis il accepta. Le général Andreossy profita avec insistance de cette résolution, et le décida à partir sur-le-champ, et à s’embarquer sur une frégate française qui devait prendre le nom du général Moreau, si elle le ramenait en France.

Cet acte de générosité dans l’empereur n’était pas sans calcul ; à cette époque, l’armée était renouvelée, une nouvelle génération de soldats était survenue, ayant entendu comme dans le lointain le bruit de la gloire du général exilé ; mais ce n’étaient plus les troupes de l’armée du Rhin qui eussent versé leur sang pour un général adoré. La gloire de Moreau était ancienne, presque de l’histoire, et son nom ne pouvait plus agir sur les masses.

Aussi l’empereur savait-il qu’il n’était plus à craindre, et qu’il avait tout à gagner en attirant à ses côtés cet illustre général au moment d’une grande guerre dont il soupçonnait l’approche.

Moreau arriva en France, et fut aussitôt présenté à l’empereur. Napoléon se leva, courut à lui et l’embrassa. « Monsieur le maréchal, lui dit-il, mon ambassadeur avait oublié de vous parer du plus glorieux de vos titres. » Puis il dit à haute voix et avec majesté :

— « Je vous salue, prince de Hohenlinden. »

À ce nom de la victoire qui l’avait tant illustré, Moreau s’inclina en saisissant la main de Napoléon ; il allait la baiser avec reconnaissance, quand celui-ci le relevant, ils s’embrassèrent une seconde fois. Dès ce moment, Moreau fut gagné d’amitié et de dévoûment à l’empereur.

Une immense fortune lui fut assurée ; un palais lui fut construit aux frais de l’état, dans la rue Caumartin, qui prit le nom de rue de Hohenlinden.

C’est qu’on pouvait alors impunément nommer une victoire vieille de seize ans.

Napoléon n’eut rien fait de tout cela quelques années plus tôt.