Nana (1880)
G. Charpentier (p. 137-179).


V


On donnait, aux Variétés, la trente-quatrième représentation de la Blonde Vénus. Le premier acte venait de finir. Dans le foyer des artistes, Simonne, en petite blanchisseuse, était debout devant la console surmontée d’une glace, entre les deux portes d’angle, s’ouvrant en pan coupé sur le couloir des loges. Toute seule, elle s’étudiait et se passait un doigt sous les yeux, pour corriger son maquillage ; tandis que des becs de gaz, aux deux côtés de la glace, la chauffaient d’un coup de lumière crue.

— Est-ce qu’il est arrivé ? demanda Prullière, qui entra, dans son costume d’Amiral suisse, avec son grand sabre, ses bottes énormes, son plumet immense.

— Qui ça ? dit Simonne sans se déranger, riant à la glace, pour voir ses lèvres.

— Le prince.

— Je ne sais pas, je descends… Ah ! il doit venir. Il vient donc tous les jours !

Prullière s’était approché de la cheminée, qui faisait face à la console, et où brûlait un feu de coke ; deux autres becs de gaz y flambaient, largement. Il leva les yeux, regarda l’horloge et le baromètre, à gauche et à droite, que des sphinx dorés, de style empire, accompagnaient. Puis, il s’allongea dans un vaste fauteuil à oreillettes, dont le velours vert, usé par quatre générations de comédiens, avait pris des tons jaunes ; et il resta là, immobile, les yeux vagues, dans l’attitude lasse et résignée des artistes habitués aux attentes de leur entrée en scène.

Le vieux Bosc venait de paraître à son tour, traînant les pieds, toussant, enveloppé d’un ancien carrick jaune, dont un pan, glissé d’une épaule, laissait voir la casaque lamée d’or du roi Dagobert. Un instant, après avoir posé sa couronne sur le piano, sans dire une parole, il piétina, maussade, l’air brave homme pourtant, avec ses mains qu’un commencement d’alcoolisme agitait ; tandis qu’une longue barbe blanche donnait un aspect vénérable à sa face enflammée d’ivrogne. Puis, dans le silence, comme une giboulée fouettait les vitres de la grande fenêtre carrée, qui s’ouvrait sur la cour, il eut un geste dégoûté.

— Quel cochon de temps ! grogna-t-il.

Simone et Prullière ne bougèrent pas. Quatre ou cinq tableaux, des paysages, un portrait de l’acteur Vernet, jaunissaient à la chaleur du gaz. Sur un fût de colonne, un buste de Potier, une des anciennes gloires des Variétés, regardait de ses yeux vides. Mais il y eut un éclat de voix. C’était Fontan, dans son costume du second acte, en garçon chic, tout habillé de jaune, ganté de jaune.

— Dites donc ! cria-t-il en gesticulant, vous ne savez pas ? c’est ma fête, aujourd’hui.

— Tiens ! demanda Simonne, qui s’approcha avec un sourire, comme attirée par son grand nez et sa bouche largement fendue de comique, tu t’appelles donc Achille ?

— Juste !… Et je vais faire dire à madame Bron de monter du champagne, après le deux.

Depuis un moment, une sonnette au loin tintait. Le son prolongé s’affaiblit, puis revint ; et, quand la sonnette eut cessé, un cri courut, monta et descendit l’escalier, se perdit dans les couloirs : « En scène pour le deux !… En scène pour le deux !… » Ce cri se rapprochait, un petit homme blafard passa devant les portes du foyer, où il jeta de toute la puissance de sa voix grêle : « En scène pour le deux ! »

— Fichtre ! du champagne ! dit Prullière, sans paraître avoir entendu ce vacarme, tu vas bien !

— Moi, à ta place, je te ferais venir du café, déclara lentement le vieux Bosc, qui s’était assis sur une banquette de velours vert, la tête appuyée au mur.

Mais Simonne disait qu’il fallait respecter les petits bénéfices de madame Bron. Elle tapait des mains, allumée, mangeant du regard Fontan, dont le masque en museau de chèvre remuait, dans un jeu continuel des yeux, du nez et de la bouche.

— Oh ! ce Fontan ! murmurait-elle, il n’y a que lui, il n’y a que lui !

Les deux portes du foyer restaient grandes ouvertes sur le corridor menant aux coulisses. Le long du mur jaune, vivement éclairé par une lanterne à gaz qu’on ne voyait pas, des silhouettes rapides filaient, des hommes costumés, des femmes à demi nues, enveloppées dans des châles, toute la figuration du second acte, les chienlits du bastringue de la Boule-Noire ; et l’on entendait, au bout du corridor, la dégringolade des pieds tapant les cinq marches de bois qui descendaient sur la scène. Comme la grande Clarisse passait en courant, Simonne l’appela ; mais elle répondit qu’elle revenait tout de suite. Et elle reparut presque aussitôt en effet, grelottante sous la mince tunique et l’écharpe d’Iris.

— Sapristi ! dit-elle, il ne fait pas chaud ; et moi qui ai laissé ma fourrure dans ma loge !

Puis, debout devant la cheminée, grillant ses jambes, dont le maillot se moirait de rose vif, elle reprit :

— Le prince est arrivé.

— Ah ! crièrent les autres curieusement.

— Oui, je courais pour ça, je voulais voir… Il est dans la première avant-scène de droite, la même que jeudi. Hein ? c’est la troisième fois qu’il vient en huit jours. A-t-elle une chance, cette Nana !… Moi, je pariais qu’il ne viendrait plus.

Simonne ouvrait la bouche. Mais ses paroles furent couvertes par un nouveau cri, qui éclata près du foyer. La voix aiguë de l’avertisseur lançait dans le couloir, à toute volée : « C’est frappé ! »

— Ça commence à être joli, trois fois, dit Simonne, lorsqu’elle put parler. Vous savez qu’il ne veut pas aller chez elle ; il l’emmène chez lui. Et il paraît que ça lui coûte bon.

— Parbleu ! quand on va en ville ! murmura méchamment Prullière, en se levant pour jeter dans la glace un coup d’œil de bel homme adoré des loges.

— C’est frappé ! c’est frappé ! répétait la voix de plus en plus perdue de l’avertisseur, courant les étages et les corridors.

Alors, Fontan, qui savait comment ça s’était passé la première fois entre le prince et Nana, raconta l’histoire aux deux femmes serrées contre lui, riant très haut, quand il se baissait, pour donner certains détails. Le vieux Bosc n’avait pas remué, plein d’indifférence. Ces machines-là ne l’intéressaient plus. Il caressait un gros chat rouge, couché en rond sur la banquette, béatement ; et il finit par le prendre entre ses bras, avec la bonhomie tendre d’un roi gâteux. Le chat faisait le gros dos ; puis, après avoir flairé longuement la grande barbe blanche, répugné sans doute par l’odeur de colle, il retourna dormir en rond sur la banquette. Bosc restait grave et absorbé.

— Ça ne fait rien, moi, à ta place, je prendrais le champagne au café, il est meilleur, dit-il tout d’un coup à Fontan, comme celui-ci finissait son histoire.

— C’est commencé ! jeta la voix longue et déchirée de l’avertisseur. C’est commencé ! c’est commencé !

Le cri roula un instant. Un bruit de pas rapides avait couru. Par la porte du couloir brusquement ouverte, il vint une bouffée de musique, une lointaine rumeur ; et la porte retomba, on entendit le coup sourd du battant rembourré.

De nouveau, une paix lourde régnait dans le foyer des artistes, comme à cent lieues de cette salle, où toute une foule applaudissait. Simonne et Clarisse en étaient toujours sur Nana. En voilà une qui ne se pressait guère ! la veille encore elle avait manqué son entrée. Mais tous se turent, une grande fille venait d’allonger la tête, puis, voyant qu’elle se trompait, avait filé au fond du couloir. C’était Satin, avec un chapeau et une voilette, prenant des airs de dame en visite. Une jolie roulure ! murmura Prullière, qui la rencontrait depuis un an au café des Variétés. Et Simonne conta comment Nana, ayant reconnu Satin, une ancienne amie de pension, s’était toquée d’elle et tannait Bordenave pour qu’il la fît débuter.

— Tiens ! bonsoir, dit Fontan en donnant des poignées de main à Mignon et à Fauchery qui entraient.

Le vieux Bosc lui-même tendit les doigts, pendant que les deux femmes embrassaient Mignon.

— Une belle salle, ce soir ? demanda Fauchery.

— Oh ! superbe ! répondit Prullière. Il faut voir comme ils gobent !

— Dites donc, mes enfants, fit remarquer Mignon, ça doit être à vous.

Oui, tout à l’heure. Ils n’étaient que de la quatrième scène. Seul, Bosc se leva avec l’instinct du vieux brûleur de planches qui sent venir sa réplique. Justement, l’avertisseur paraissait à la porte.

— Monsieur Bosc ! mademoiselle Simonne ! appela-t-il.

Vivement, Simonne jeta une pelisse fourrée sur ses épaules et sortit. Bosc, sans se hâter, alla chercher sa couronne, qu’il se posa au front, d’une tape ; puis, traînant son manteau, mal d’aplomb sur ses jambes, il s’en alla, grognant, de l’air fâché d’un homme qu’on dérange.

— Vous avez été bien aimable dans votre dernière chronique, reprit Fontan en s’adressant à Fauchery. Seulement, pourquoi dites-vous que les comédiens sont vaniteux ?

— Oui, mon petit, pourquoi dis-tu ça ? s’écria Mignon, qui abattit ses mains énormes sur les épaules grêles du journaliste, dont la taille plia.

Prullière et Clarisse retinrent un éclat de rire. Depuis quelque temps, tout le théâtre s’amusait d’une comédie qui se jouait dans les coulisses. Mignon, furieux du caprice de sa femme, vexé de voir ce Fauchery n’apporter au ménage qu’une publicité discutable, avait imaginé de se venger en le comblant de marques d’amitié ; chaque soir, quand il le rencontrait sur la scène, il le bourrait de coups, comme emporté par un excès de tendresse ; et Fauchery, chétif à côté de ce colosse, devait accepter les tapes en souriant d’un air contraint, pour ne pas se fâcher avec le mari de Rose.

— Ah ! mon gaillard, vous insultez Fontan ! reprit Mignon, poussant la farce. En garde ! Une, deux, et v’lan dans la poitrine !

Il s’était fendu, il avait porté une telle botte au jeune homme, que celui-ci resta un instant très pâle, la parole coupée. Mais, d’un clignement de paupière, Clarisse montrait aux autres Rose Mignon, debout sur le seuil du foyer. Rose avait vu la scène. Elle marcha droit vers le journaliste, comme si elle n’apercevait pas son mari ; et, se haussant, les bras nus, dans son costume de Bébé, elle présenta le front, avec une moue de câlinerie enfantine.

— Bonsoir, bébé, dit Fauchery, qui, familièrement, la baisa.

C’étaient là ses dédommagements. Mignon ne parut même pas remarquer ce baiser ; tout le monde embrassait sa femme au théâtre. Mais il eut un rire, en jetant un mince coup d’œil sur le journaliste ; sûrement celui-ci allait payer cher la bravade de Rose.

Dans le couloir, la porte rembourrée s’ouvrit et retomba, soufflant jusqu’au foyer une tempête d’applaudissements. Simonne revenait après sa scène.

— Oh ! le père Bosc a fait un effet ! cria-t-elle. Le prince se tortillait de rire, et il applaudissait avec les autres, comme si on l’avait payé… Dites donc, connaissez-vous le grand monsieur qui est à côté du prince dans l’avant-scène ? Un bel homme, l’air très digne, des favoris superbes.

— C’est le comte Muffat, répondit Fauchery. Je sais que le prince, avant-hier, chez l’impératrice, l’avait invité à dîner pour ce soir… Il l’aura débauché ensuite.

— Tiens ! le comte Muffat, nous connaissons son beau-père, n’est-ce pas, Auguste ? dit Rose en s’adressant à Mignon. Tu sais, le marquis de Chouard, chez qui je suis allée chanter ?… Justement, il est aussi dans la salle. Je l’ai aperçu au fond d’une loge. En voilà un vieux…

Prullière, qui venait de coiffer son immense plumet, se retourna pour l’appeler.

— Eh ! Rose, allons-y.

Elle le suivit en courant, sans achever sa phrase. À ce moment, la concierge du théâtre, madame Bron, passait devant la porte, avec un énorme bouquet entre les bras. Simonne demanda plaisamment si c’était pour elle ; mais la concierge, sans répondre, désigna du menton la loge de Nana, au fond du couloir. Cette Nana ! on la couvrait de fleurs. Puis, comme madame Bron revenait, elle remit une lettre à Clarisse, qui laissa échapper un juron étouffé. Encore ce raseur de la Faloise ! en voilà un homme qui ne voulait pas la lâcher ! Et lorsqu’elle apprit que le monsieur attendait, chez la concierge, elle cria :

— Dites-lui que je descends après l’acte… Je vas lui coller ma main sur la figure.

Fontan s’était précipité, répétant :

— Madame Bron, écoutez… Écoutez donc, madame Bron… Montez à l’entr’acte six bouteilles de champagne.

Mais l’avertisseur avait reparu, essoufflé, la voix chantante.

— Tout le monde en scène !… À vous, monsieur Fontan ! Dépêchez ! dépêchez !

— Oui, oui, on y va, père Barillot, répondit Fontan, ahuri.

Et, courant derrière madame Bron, il reprenait :

— Hein ? c’est entendu, six bouteilles de champagne, dans le foyer, à l’entr’acte… C’est ma fête, c’est moi qui paie…

Simonne et Clarisse s’en étaient allées, avec un grand bruit de jupes. Tout s’engouffra ; et, lorsque la porte du couloir fut retombée sourdement, on entendit, dans le silence du foyer, une nouvelle giboulée qui battait la fenêtre. Barillot, un petit vieillard blême, garçon de théâtre depuis trente ans, s’était familièrement approché de Mignon, en présentant sa tabatière ouverte. Cette prise offerte et acceptée lui donnait une minute de repos, dans ses continuelles courses à travers l’escalier et les couloirs des loges. Il y avait bien encore madame Nana, comme il la nommait ; mais celle-là n’en faisait qu’à sa tête et se fichait des amendes ; quand elle voulait manquer son entrée, elle la manquait. Il s’arrêta, étonné, murmurant :

— Tiens ! elle est prête, la voici… Elle doit savoir que le prince est arrivé.

Nana, en effet, parut dans le corridor, vêtue en Poissarde, les bras et le visage blancs, avec deux plaques roses sous les yeux. Elle n’entra pas, elle envoya simplement un signe de tête à Mignon et à Fauchery.

— Bonjour, ça va bien ?

Mignon seul serra la main qu’elle tendait. Et Nana continua son chemin, royalement, suivie par son habilleuse qui, tout en lui marchant sur les talons, se penchait pour arranger les plis de sa jupe. Puis, derrière l’habilleuse, fermant le cortège, venait Satin, tâchant d’avoir un air comme il faut et s’ennuyant déjà à crever.

— Et Steiner ? demanda brusquement Mignon.

— Monsieur Steiner est parti hier pour le Loiret, dit Barillot, qui retournait sur la scène. Je crois qu’il va acheter là-bas une campagne…

— Ah ! oui, je sais, la campagne de Nana.

Mignon était devenu grave. Ce Steiner qui avait promis un hôtel à Rose, autrefois ! Enfin, il fallait ne se fâcher avec personne, c’était une occasion à retrouver. Pris de rêverie, mais supérieur toujours, Mignon se promenait de la cheminée à la console. Il n’y avait plus que lui et Fauchery dans le foyer. Le journaliste, fatigué, venait de s’allonger au fond du grand fauteuil ; et il restait bien tranquille, les paupières demi-closes, sous les regards que l’autre jetait en passant. Quand ils étaient seuls, Mignon dédaignait de le bourrer de tapes ; à quoi bon ? puisque personne n’aurait joui de la scène. Il se désintéressait trop pour s’amuser lui-même à ses farces de mari goguenard. Fauchery, heureux de ce répit de quelques minutes, allongeait languissamment les pieds devant le feu, les yeux en l’air, voyageant du baromètre à la pendule. Dans sa marche, Mignon se planta en face du buste de Potier, le regarda sans le voir, puis retourna devant la fenêtre, où le trou sombre de la cour se creusait. La pluie avait cessé, un silence profond s’était fait, alourdi encore par la grosse chaleur du coke et le flamboiement des becs de gaz. Plus un bruit ne montait des coulisses. L’escalier et les couloirs semblaient morts. C’était une de ces paix étouffées de fin d’acte, lorsque toute la troupe enlève sur la scène le vacarme assourdissant de quelque finale, tandis que le foyer vide s’endort dans un bourdonnement d’asphyxie.

— Ah ! les chameaux ! s’écria tout à coup la voix enrouée de Bordenave.

Il arrivait seulement, et il gueulait déjà contre deux figurantes, qui avaient failli s’étaler en scène, parce qu’elles faisaient les imbéciles. Quand il aperçut Mignon et Fauchery, il les appela, pour leur montrer quelque chose : le prince venait de demander à complimenter Nana dans sa loge, pendant l’entr’acte. Mais, comme il les emmenait sur le théâtre, le régisseur passa.

— Collez donc une amende à ces rosses de Fernande et de Maria ! dit furieusement Bordenave.

Puis, se calmant, tâchant d’attraper une dignité de père noble, après s’être passé son mouchoir sur la face, il ajouta :

— Je vais recevoir Son Altesse.

La toile tombait, au milieu d’une salve prolongée d’applaudissements. Aussitôt, il y eut une débandade, dans la demi-obscurité de la scène, que la rampe n’éclairait plus ; les acteurs et les figurants se hâtaient de regagner leurs loges, tandis que les machinistes enlevaient rapidement le décor. Cependant, Simonne et Clarisse étaient restées au fond, causant à voix basse. En scène, entre deux de leurs répliques, elles venaient d’arranger une affaire. Clarisse, tout bien examiné, préférait ne pas voir la Faloise, qui ne se décidait plus à la lâcher pour se mettre avec Gaga. Simonne irait simplement lui expliquer qu’on ne se collait pas à une femme de cette façon. Enfin, elle l’exécuterait.

Alors, Simonne, en blanchisseuse d’opéra-comique, les épaules couvertes de sa fourrure, descendit l’étroit escalier tournant, aux marches grasses, aux murailles humides, qui menait à la loge de la concierge. Cette loge, placée entre l’escalier des artistes et l’escalier de l’administration, fermée à droite et à gauche par de larges cloisons vitrées, était comme une grande lanterne transparente, où brûlaient violemment deux flammes de gaz. Dans un casier, des lettres, des journaux s’empilaient. Sur la table, il y avait des bouquets de fleurs, qui attendaient à côté d’assiettes sales oubliées et d’un vieux corsage dont la concierge refaisait les boutonnières. Et, au milieu de ce désordre de soupente mal tenue, des messieurs du monde, gantés, corrects, occupaient les quatre vieilles chaises de paille, l’air patient et soumis, tournant vivement la tête, chaque fois que madame Bron redescendait du théâtre avec des réponses. Elle venait justement de remettre une lettre à un jeune homme, qui s’était hâté de l’ouvrir dans le vestibule, sous le bec de gaz, et qui avait légèrement pâli, en trouvant cette phrase classique, lue tant de fois à cette place : « Pas possible ce soir, mon chéri, je suis prise. » La Faloise était sur une des chaises, au fond, entre la table et le poêle ; il semblait décidé à passer la soirée là, inquiet pourtant, rentrant ses longues jambes, parce que toute une portée de petits chats noirs s’acharnaient autour de lui, tandis que la chatte, assise sur son derrière, le regardait fixement de ses yeux jaunes.

— Tiens, c’est vous, mademoiselle Simonne, que voulez-vous donc ? demanda la concierge.

Simonne la pria de faire sortir la Faloise. Mais madame Bron ne put la contenter tout de suite. Elle tenait sous l’escalier, dans une sorte d’armoire profonde, une buvette où les figurants descendaient boire pendant les entr’actes ; et comme elle avait là cinq ou six grands diables, encore vêtus en chienlits de la Boule-Noire, crevant de soif et pressés, elle perdait un peu la tête. Un gaz flambait dans l’armoire ; on y voyait une table recouverte d’une feuille d’étain et des planches garnies de bouteilles entamées. Quand on ouvrait la porte de ce trou à charbon, un souffle violent d’alcool en sortait, qui se mêlait à l’odeur de graillon de la loge et au parfum pénétrant des bouquets laissés sur la table.

— Alors, reprit la concierge quand elle eut servi les figurants, c’est ce petit brun là-bas, que vous voulez ?

— Mais non, pas de bêtise ! dit Simonne. C’est le maigre, à côté du poêle, celui dont votre chatte sent le pantalon.

Et elle emmena la Faloise dans le vestibule, pendant que les autres messieurs se résignaient, étouffant, pris à la gorge, et que les chienlits buvaient le long des marches de l’escalier, en s’allongeant des claques, avec des gaietés enrouées de soulards.

En haut, sur la scène, Bordenave s’emportait contre les machinistes, qui n’en finissaient pas d’enlever le décor. C’était fait exprès, le prince allait recevoir quelque ferme sur la tête.

— Appuyez ! appuyez ! criait le chef d’équipe.

Enfin, la toile de fond monta, la scène était libre. Mignon, qui guettait Fauchery, saisit l’occasion pour recommencer ses bourrades. Il l’empoigna dans ses grands bras, en criant :

— Prenez donc garde ! ce mât a failli vous écraser.

Et il l’emportait, et il le secouait, avant de le remettre par terre. Devant les rires exagérés des machinistes, Fauchery devint pâle ; ses lèvres tremblaient, il fut sur le point de se révolter, pendant que Mignon se faisait bonhomme, lui donnant sur l’épaule des tapes affectueuses à le casser en deux, répétant :

— C’est que je tiens à votre santé, moi !… Fichtre ! je serais joli, s’il vous arrivait malheur !

Mais un murmure courut : « Le prince ! Le prince ! » Et chacun tourna les yeux vers la petite porte de la salle. On n’apercevait encore que le dos rond de Bordenave, avec son cou de boucher, qui se pliait et se renflait dans une série de saluts obséquieux. Puis, le prince parut, grand, fort, la barbe blonde, la peau rose, d’une distinction de viveur solide, dont les membres carrés s’indiquaient sous la coupe irréprochable de la redingote. Derrière lui, marchaient le comte Muffat et le marquis de Chouard. Ce coin du théâtre était obscur, le groupe s’y noyait, au milieu de grandes ombres mouvantes. Pour parler à un fils de reine, au futur héritier d’un trône, Bordenave avait pris une voix de montreur d’ours, tremblante d’une fausse émotion. Il répétait :

— Si Son Altesse veut bien me suivre… Son Altesse daignerait-elle passer par ici… Que Son Altesse prenne garde…

Le prince ne se hâtait nullement, très intéressé, s’attardant au contraire à regarder la manœuvre des machinistes. On venait de descendre une herse, et cette rampe de gaz, suspendue dans ses mailles de fer, éclairait la scène d’une raie large de clarté. Muffat surtout, qui n’avait jamais visité les coulisses d’un théâtre, s’étonnait, pris d’un malaise, d’une répugnance vague mêlée de peur. Il levait les yeux vers le cintre, où d’autres herses, dont les becs étaient baissés, mettaient des constellations de petites étoiles bleuâtres, dans le chaos du gril et des fils de toutes grosseurs, des ponts volants, des toiles de fond étalées en l’air, comme d’immenses linges qui séchaient.

— Chargez ! cria tout à coup le chef des machinistes.

Et il fallut que le prince lui-même prévînt le comte. Une toile descendait. On posait le décor du troisième acte, la grotte du mont Etna. Des hommes plantaient des mâts dans les costières, d’autres allaient prendre les châssis, contre les murs de la scène, et venaient les attacher aux mâts, avec de fortes cordes. Au fond, pour produire le coup de lumière que jetait la forge ardente de Vulcain, un lampiste avait fixé un portant, dont il allumait les becs garnis de verres rouges. C’était une confusion, une apparente bousculade, où les moindres mouvements étaient réglés ; tandis que, dans cette hâte, le souffleur, pour délasser ses jambes, se promenait à petits pas.

— Son Altesse me comble, disait Bordenave en s’inclinant toujours. Le théâtre n’est pas grand, nous faisons ce que nous pouvons… Maintenant, si Son Altesse daigne me suivre…

Déjà le comte Muffat se dirigeait vers le couloir des loges. La pente assez rapide de la scène l’avait surpris, et son inquiétude venait beaucoup de ce plancher qu’il sentait mobile sous ses pieds ; par les costières ouvertes, on apercevait les gaz brûlant dans les dessous ; c’était une vie souterraine, avec des profondeurs d’obscurité, des voix d’hommes, des souffles de cave. Mais, comme il remontait, un incident l’arrêta. Deux petites femmes, en costume pour le troisième acte, causaient devant l’œil du rideau. L’une d’elles, les reins tendus, élargissant le trou avec ses doigts, pour mieux voir, cherchait dans la salle.

— Je le vois, dit-elle brusquement. Oh ! cette gueule !

Bordenave, scandalisé, se retint pour ne pas lui lancer un coup de pied dans le derrière. Mais le prince souriait, l’air heureux et excité d’avoir entendu ça, couvant du regard la petite femme qui se fichait de Son Altesse. Elle riait effrontément. Cependant, Bordenave décida le prince à le suivre. Le comte Muffat, pris de sueur, venait de retirer son chapeau ; ce qui l’incommodait surtout, c’était l’étouffement de l’air, épaissi, surchauffé, où traînait une odeur forte, cette odeur des coulisses, puant le gaz, la colle des décors, la saleté des coins sombres, les dessous douteux des figurantes. Dans le couloir, la suffocation augmentait encore ; des aigreurs d’eaux de toilette, des parfums de savons, descendus des loges, y coupaient par instants l’empoisonnement des haleines. En passant, le comte leva la tête, jeta un coup d’œil dans la cage de l’escalier, saisi du brusque flot de lumière et de chaleur qui lui tombait sur la nuque. Il y avait, en haut, des bruits de cuvette, des rires et des appels, un vacarme de portes dont les continuels battements lâchaient des senteurs de femme, le musc des fards mêlé à la rudesse fauve des chevelures. Et il ne s’arrêta pas, hâtant sa marche, fuyant presque, en emportant à fleur de peau le frisson de cette trouée ardente sur un monde qu’il ignorait.

— Hein ? c’est curieux, un théâtre, disait le marquis de Chouard, de l’air enchanté d’un homme qui se retrouve chez lui.

Mais Bordenave venait d’arriver enfin à la loge de Nana, au fond du couloir. Il tourna tranquillement le bouton de la porte ; puis, s’effaçant :

— Si Son Altesse veut bien entrer…

Un cri de femme surprise se fit entendre, et l’on vit Nana, nue jusqu’à la ceinture, qui se sauvait derrière un rideau, tandis que son habilleuse, en train de l’essuyer, demeurait avec la serviette en l’air.

— Oh ! c’est bête d’entrer comme ça ! criait Nana cachée. N’entrez pas, vous voyez bien qu’on ne peut pas entrer !

Bordenave parut mécontent de cette fuite.

— Restez donc, ma chère, ça ne fait rien, dit-il. C’est Son Altesse. Allons, ne soyez pas enfant.

Et, comme elle refusait de paraître, secouée encore, riant déjà pourtant, il ajouta d’une voix bourrue et paternelle :

— Mon Dieu ! ces messieurs savent bien comment une femme est faite. Ils ne vous mangeront pas.

— Mais ce n’est pas sûr, dit finement le prince.

Tout le monde se mit à rire, d’une façon exagérée, pour faire sa cour. Un mot exquis, tout à fait parisien, comme le remarqua Bordenave. Nana ne répondait plus, le rideau remuait, elle se décidait sans doute. Alors, le comte Muffat, le sang aux joues, examina la loge. C’était une pièce carrée, très basse de plafond, tendue entièrement d’une étoffe havane clair. Le rideau de même étoffe, porté par une tringle de cuivre, ménageait au fond une sorte de cabinet. Deux larges fenêtres ouvraient sur la cour du théâtre, à trois mètres au plus d’une muraille lépreuse, contre laquelle, dans le noir de la nuit, les vitres jetaient des carrés jaunes. Une grande psyché faisait face à une toilette de marbre blanc, garnie d’une débandade de flacons et de boîtes de cristal, pour les huiles, les essences et les poudres. Le comte s’approcha de la psyché, se vit très rouge, de fines gouttes de sueur au front ; il baissa les yeux, il vint se planter devant la toilette, où la cuvette pleine d’eau savonneuse, les petits outils d’ivoire épars, les éponges humides, parurent l’absorber un instant. Ce sentiment de vertige qu’il avait éprouvé à sa première visite chez Nana, boulevard Haussmann, l’envahissait de nouveau. Sous ses pieds, il sentait mollir le tapis épais de la loge ; les becs de gaz, qui brûlaient à la toilette et à la psyché, mettaient des sifflements de flamme autour de ses tempes. Un moment, craignant de défaillir dans cette odeur de femme qu’il retrouvait, chauffée, décuplée sous le plafond bas, il s’assit au bord du divan capitonné, entre les deux fenêtres. Mais il se releva tout de suite, retourna près de la toilette, ne regarda plus rien, les yeux vagues, songeant à un bouquet de tubéreuses, qui s’était fané dans sa chambre autrefois, et dont il avait failli mourir. Quand les tubéreuses se décomposent, elles ont une odeur humaine.

— Dépêche-toi donc ! souffla Bordenave, en passant la tête derrière le rideau.

Le prince d’ailleurs, écoutait complaisamment le marquis de Chouard, qui, prenant sur la toilette la patte de lièvre, expliquait comment on étalait le blanc gras. Dans un coin, Satin, avec son visage pur de vierge, dévisageait les messieurs ; tandis que l’habilleuse, madame Jules, préparait le maillot et la tunique de Vénus. Madame Jules n’avait plus d’âge, le visage parcheminé, avec ces traits immobiles des vieilles filles que personne n’a connues jeunes. Celle-là s’était desséchée dans l’air embrasé des loges, au milieu des cuisses et des gorges les plus célèbres de Paris. Elle portait une éternelle robe noire déteinte, et sur son corsage plat et sans sexe, une forêt d’épingles étaient piquées, à la place du cœur.

— Je vous demande pardon, messieurs, dit Nana en écartant le rideau, mais j’ai été surprise…

Tous se tournèrent. Elle ne s’était pas couverte du tout, elle venait simplement de boutonner un petit corsage de percale, qui lui cachait à demi la gorge. Lorsque ces messieurs l’avaient mise en fuite, elle se déshabillait à peine, ôtant vivement son costume de Poissarde. Par-derrière, son pantalon laissait passer encore un bout de sa chemise. Et les bras nus, les épaules nues, la pointe des seins à l’air, dans son adorable jeunesse de blonde grasse, elle tenait toujours le rideau d’une main, comme pour le tirer de nouveau, au moindre effarouchement.

— Oui, j’ai été surprise, jamais je n’oserai… balbutiait-elle, en jouant la confusion, avec des tons roses sur le cou et des sourires embarrassés.

— Allez donc, puisqu’on vous trouve très bien ! cria Bordenave.

Elle risqua encore des mines hésitantes d’ingénue, se remuant comme chatouillée, répétant :

— Son Altesse me fait trop d’honneur… Je prie Son Altesse de m’excuser, si je la reçois ainsi…

— C’est moi qui suis importun, dit le prince ; mais je n’ai pu, madame, résister au désir de vous complimenter…

Alors, tranquillement, pour aller à la toilette, elle passa en pantalon au milieu de ces messieurs, qui s’écartèrent. Elle avait les hanches très fortes, le pantalon ballonnait, pendant que, la poitrine en avant, elle saluait encore avec son fin sourire. Tout d’un coup, elle parut reconnaître le comte Muffat, et elle lui tendit la main, en amie. Puis, elle le gronda de n’être pas venu à son souper. Son Altesse daignait plaisanter Muffat, qui bégayait, frissonnant d’avoir tenu une seconde, dans sa main brûlante, cette petite main, fraîche des eaux de toilette. Le comte avait fortement dîné chez le prince, grand mangeur et beau buveur. Tous deux étaient même un peu gris. Mais ils se tenaient très bien. Muffat, pour cacher son trouble, ne trouva qu’une phrase sur la chaleur.

— Mon Dieu ! qu’il fait chaud ici, dit-il. Comment faites-vous, madame, pour vivre dans une pareille température ?

Et la conversation allait partir de là, lorsque des voix bruyantes s’élevèrent à la porte de la loge. Bordenave tira la planchette d’un judas grillé de couvent. C’était Fontan, suivi de Prullière et de Bosc, ayant tous trois des bouteilles sous les bras, et les mains chargées de verres. Il frappait, il criait que c’était sa fête, qu’il payait du champagne. Nana, d’un regard, avait consulté le prince. Comment donc ! Son Altesse ne voulait gêner personne, elle serait trop heureuse ! Mais, sans attendre la permission, Fontan entrait, zézayant, répétant :

— Moi pas pignouf, moi payer du champagne…

Brusquement, il aperçut le prince, qu’il ne savait pas là. Il s’arrêta court, il prit un air de bouffonne solennité, en disant :

— Le roi Dagobert est dans le corridor, qui demande à trinquer avec Son Altesse Royale.

Le prince ayant souri, on trouva ça charmant. Cependant, la loge était trop petite pour tout ce monde. Il fallut s’entasser, Satin et madame Jules au fond, contre le rideau, les hommes serrés autour de Nana demi-nue. Les trois acteurs avaient encore leurs costumes du second acte. Tandis que Prullière ôtait son chapeau d’Amiral suisse, dont l’immense plumet n’aurait pas tenu sous le plafond, Bosc, avec sa casaque de pourpre et sa couronne de fer-blanc, se raffermissait sur ses jambes d’ivrogne et saluait le prince, en monarque qui reçoit le fils d’un puissant voisin. Les verres étaient pleins, on trinqua.

— Je bois à Votre Altesse ! dit royalement le vieux Bosc.

— À l’armée ! ajouta Prullière.

— À Vénus ! cria Fontan.

Complaisamment, le prince balançait son verre. Il attendit, il salua trois fois, en murmurant :

— Madame… amiral… sire…

Et il but d’un trait. Le comte Muffat et le marquis de Chouard l’avaient imité. On ne plaisantait plus, on était à la cour. Ce monde du théâtre prolongeait le monde réel, dans une farce grave, sous la buée ardente du gaz. Nana, oubliant qu’elle était en pantalon, avec son bout de chemise, jouait la grande dame, la reine Vénus, ouvrant ses petits appartements aux personnages de l’État. À chaque phrase, elle lâchait les mots d’Altesse Royale, elle faisait des révérences convaincues, traitait ces chienlits de Bosc et de Prullière en souverain que son ministre accompagne. Et personne ne souriait de cet étrange mélange, de ce vrai prince, héritier d’un trône, qui buvait le champagne d’un cabotin, très à l’aise dans ce carnaval des dieux, dans cette mascarade de la royauté, au milieu d’un peuple d’habilleuses et de filles, de rouleurs de planches et de montreurs de femmes. Bordenave, enlevé par cette mise en scène, songeait aux recettes qu’il ferait, si Son Altesse avait consenti à paraître comme ça, au second acte de la Blonde Vénus.

— Dites donc, cria-t-il, devenant familier, nous allons faire descendre mes petites femmes.

Nana ne voulut pas. Elle-même pourtant se lâchait. Fontan l’attirait, avec son masque de grotesque. Se frottant contre lui, le couvant d’un regard de femme enceinte qui a envie de manger quelque chose de malpropre, elle le tutoya tout à coup.

— Voyons, verse, grande bête !

Fontan remplit de nouveau les verres, et l’on but, en répétant les mêmes toasts.

— À Son Altesse !

— À l’armée !

— À Vénus !

Mais Nana réclamait le silence du geste. Elle leva son verre très haut, elle dit :

— Non, non, à Fontan !… C’est la fête de Fontan, à Fontan ! à Fontan !

Alors, on trinqua une troisième fois, on acclama Fontan. Le prince, qui avait regardé la jeune femme manger le comique des yeux, salua celui-ci.

— Monsieur Fontan, dit-il avec sa haute politesse, je bois à vos succès.

Cependant, la redingote de Son Altesse essuyait, derrière elle, le marbre de la toilette. C’était comme un fond d’alcôve, comme une étroite chambre de bain, avec la vapeur de la cuvette et des éponges, le violent parfum des essences, mêlé à la pointe d’ivresse aigrelette du vin de champagne. Le prince et le comte Muffat, entre lesquels Nana se trouvait prise, devaient lever les mains, pour ne pas lui frôler les hanches ou la gorge, au moindre geste. Et, sans une goutte de sueur, madame Jules attendait de son air raide, tandis que Satin, étonnée dans son vice de voir un prince et des messieurs en habit se mettre avec des déguisés après une femme nue, songeait tout bas que les gens chic n’étaient déjà pas si propres.

Mais, dans le couloir, le tintement de la sonnette du père Barillot approchait. Quand il parut à la porte de la loge, il resta saisi, en apercevant les trois acteurs encore dans leurs costumes du second acte.

— Oh ! messieurs, messieurs, bégaya-t-il, dépêchez-vous… On vient de sonner au foyer du public.

— Bah ! dit tranquillement Bordenave, le public attendra.

Toutefois, après de nouveaux saluts, comme les bouteilles étaient vides, les comédiens montèrent s’habiller. Bosc, ayant trempé sa barbe de champagne, venait de l’ôter, et sous cette barbe vénérable l’ivrogne avait brusquement reparu, avec sa face ravagée et bleuie de vieil acteur tombé dans le vin. On l’entendit, au pied de l’escalier, qui disait à Fontan, de sa voix de rogomme, en parlant du prince :

— Hein ? je l’ai épaté !

Il ne restait dans la loge de Nana que Son Altesse, le comte et le marquis. Bordenave s’était éloigné avec Barillot, auquel il recommandait de ne pas frapper sans avertir madame.

— Messieurs, vous permettez, demanda Nana, qui se mit à refaire ses bras et sa figure, qu’elle soignait surtout pour le nu du troisième acte.

Le prince prit place sur le divan, avec le marquis de Chouard. Seul le comte Muffat demeurait debout. Les deux verres de champagne, dans cette chaleur suffocante, avaient augmenté leur ivresse. Satin, en voyant les messieurs s’enfermer avec son amie, avait cru discret de disparaître derrière le rideau ; et elle attendait là, sur une malle, embêtée de poser, pendant que madame Jules allait et venait tranquillement, sans un mot, sans un regard.

— Vous avez merveilleusement chanté votre ronde, dit le prince.

Alors, la conversation s’établit, mais par courtes phrases, coupées de silences. Nana ne pouvait toujours répondre. Après s’être passé du cold-cream avec la main sur les bras et sur la figure, elle étalait le blanc gras, à l’aide d’un coin de serviette. Un instant, elle cessa de se regarder dans la glace, elle sourit en glissant un regard vers le prince, sans lâcher le blanc gras.

— Son Altesse me gâte, murmura-t-elle.

C’était toute une besogne compliquée, que le marquis de Chouard suivait d’un air de jouissance béate. Il parla à son tour.

— L’orchestre, dit-il, ne pourrait-il pas vous accompagner plus en sourdine ? Il couvre votre voix, c’est un crime impardonnable.

Cette fois, Nana ne se retourna point. Elle avait pris la patte de lièvre, elle la promenait légèrement, très attentive, si cambrée au-dessus de la toilette, que la rondeur blanche de son pantalon saillait et se tendait, avec le petit bout de chemise. Mais elle voulut se montrer sensible au compliment du vieillard, elle s’agita en balançant les hanches.

Un silence régna. Madame Jules avait remarqué une déchirure à la jambe droite du pantalon. Elle prit une épingle sur son cœur, elle resta un moment par terre, à genoux, occupée autour de la cuisse de Nana, pendant que la jeune femme, sans paraître la savoir là, se couvrait de poudre de riz, en évitant soigneusement d’en mettre sur les pommettes. Mais, comme le prince disait que, si elle venait chanter à Londres, toute l’Angleterre voudrait l’applaudir, elle eut un rire aimable, elle se tourna une seconde, la joue gauche très blanche, au milieu d’un nuage de poudre. Puis, elle devint subitement sérieuse ; il s’agissait de mettre le rouge. De nouveau, le visage près de la glace, elle trempait son doigt dans un pot, elle appliquait le rouge sous les yeux, l’étalait doucement, jusqu’à la tempe. Ces messieurs se taisaient, respectueux.

Le comte Muffat n’avait pas encore ouvert les lèvres. Il songeait invinciblement à sa jeunesse. Sa chambre d’enfant était toute froide. Plus tard, à seize ans, lorsqu’il embrassait sa mère, chaque soir, il emportait jusque dans son sommeil la glace de ce baiser. Un jour, en passant, il avait aperçu, par une porte entrebâillée, une servante qui se débarbouillait ; et c’était l’unique souvenir qui l’eût troublé, de la puberté à son mariage. Puis, il avait trouvé chez sa femme une stricte obéissance aux devoirs conjugaux ; lui-même éprouvait une sorte de répugnance dévote. Il grandissait, il vieillissait, ignorant de la chair, plié à de rigides pratiques religieuses, ayant réglé sa vie sur des préceptes et des lois. Et, brusquement, on le jetait dans cette loge d’actrice, devant cette fille nue. Lui qui n’avait jamais vu la comtesse Muffat mettre ses jarretières, il assistait aux détails intimes d’une toilette de femme, dans la débandade des pots et des cuvettes, au milieu de cette odeur si forte et si douce. Tout son être se révoltait, la lente possession dont Nana l’envahissait depuis quelque temps l’effrayait, en lui rappelant ses lectures de piété, les possessions diaboliques qui avaient bercé son enfance. Il croyait au diable. Nana, confusément, était le diable, avec ses rires, avec sa gorge et sa croupe, gonflées de vices. Mais il se promettait d’être fort. Il saurait se défendre.

— Alors, c’est convenu, disait le prince, très à l’aise sur le divan, vous venez l’année prochaine à Londres, et nous vous recevons si bien, que jamais plus vous ne retournerez en France… Ah ! voilà, mon cher comte, vous ne faites pas un assez grand cas de vos jolies femmes. Nous vous les prendrons toutes.

— Ça ne le gênera guère, murmura méchamment le marquis de Chouard, qui se risquait dans l’intimité. Le comte est la vertu même.

En entendant parler de sa vertu, Nana le regarda si drôlement, que Muffat éprouva une vive contrariété. Ensuite ce mouvement le surprit et le fâcha contre lui-même. Pourquoi l’idée d’être vertueux le gênait-elle devant cette fille ? Il l’aurait battue. Mais Nana, en voulant prendre un pinceau venait de le laisser tomber ; et, comme elle se baissait, il se précipita, leurs souffles se rencontrèrent, les cheveux dénoués de Vénus lui roulèrent sur les mains. Ce fut une jouissance mêlée de remords, une de ces jouissances de catholique que la peur de l’enfer aiguillonne dans le péché.

À ce moment, la voix du père Barillot s’éleva derrière la porte.

— Madame, puis-je frapper ? On s’impatiente dans la salle.

— Tout à l’heure, répondit tranquillement Nana.

Elle avait trempé le pinceau dans un pot de noir ; puis, le nez sur la glace, fermant l’œil gauche, elle le passa délicatement entre les cils. Muffat, derrière elle, regardait. Il la voyait dans la glace, avec ses épaules rondes et sa gorge noyée d’une ombre rose. Et il ne pouvait, malgré son effort, se détourner de ce visage que l’œil fermé rendait si provocant, troué de fossettes, comme pâmé de désirs. Lorsqu’elle ferma l’œil droit et qu’elle passa le pinceau, il comprit qu’il lui appartenait.

— Madame, cria de nouveau la voix essoufflée de l’avertisseur, ils tapent des pieds, ils vont finir par casser les banquettes… Puis-je frapper ?

— Et zut ! dit Nana impatientée. Frappez, je m’en fiche !… Si je ne suis pas prête, eh bien ! ils m’attendront.

Elle se calma, elle ajouta avec un sourire, en se tournant vers ces messieurs :

— C’est vrai, on ne peut seulement causer une minute.

Maintenant, sa figure et ses bras étaient faits. Elle ajouta, avec le doigt, deux larges traits de carmin sur les lèvres. Le comte Muffat se sentait plus troublé encore, séduit par la perversion des poudres et des fards, pris du désir déréglé de cette jeunesse peinte, la bouche trop rouge dans la face trop blanche, les yeux agrandis, cerclés de noir, brûlants, et comme meurtris d’amour. Cependant, Nana passa un instant derrière le rideau pour enfiler le maillot de Vénus, après avoir ôté son pantalon. Puis, tranquille d’impudeur, elle vint déboutonner son petit corsage de percale, en tendant les bras à madame Jules, qui lui passa les courtes manches de la tunique.

— Vite, puisqu’ils se fâchent ! murmura-t-elle.

Le prince, les yeux à demi clos, suivit en connaisseur les lignes renflées de sa gorge, tandis que le marquis de Chouard eut un hochement de tête involontaire. Muffat, pour ne plus voir, regarda le tapis. D’ailleurs, Vénus était prête, elle portait simplement cette gaze aux épaules. Madame Jules tournait autour d’elle, de son air de petite vieille en bois, aux yeux vides et clairs ; et, vivement, elle prenait des épingles sur la pelote inépuisable de son cœur, elle épinglait la tunique de Vénus, frôlant toutes ces grasses nudités de ses mains séchées, sans un souvenir et comme désintéressée de son sexe.

— Voilà ! dit la jeune femme, en se donnant un dernier coup d’œil dans la glace.

Bordenave revenait, inquiet, disant que le troisième acte était commencé.

— Eh bien ! j’y vais, reprit-elle. En voilà des affaires ! C’est toujours moi qui attends les autres.

Ces messieurs sortirent de la loge. Mais ils ne prirent pas congé, le prince avait témoigné le désir d’assister au troisième acte, dans les coulisses. Restée seule, Nana s’étonna, promenant ses regards.

— Où est-elle donc ? demanda-t-elle.

Elle cherchait Satin. Lorsqu’elle l’eut retrouvée derrière le rideau, attendant sur la malle, Satin lui répondit tranquillement :

— Bien sûr que je ne voulais pas te gêner, avec tous ces hommes !

Et elle ajouta que, maintenant, elle s’en allait. Mais Nana la retint. Était-elle bête ! Puisque Bordenave consentait à la prendre ! On terminerait l’affaire après le spectacle. Satin hésitait. Il y avait trop de machines, ce n’était plus son monde. Pourtant, elle resta.

Comme le prince descendait le petit escalier de bois, un bruit étrange, des jurons étouffés, des piétinements de lutte, éclataient de l’autre côté du théâtre. C’était toute une histoire qui effarait les artistes attendant leur réplique. Depuis un instant, Mignon plaisantait de nouveau, en bourrant Fauchery de caresses. Il venait d’inventer un petit jeu, il lui appliquait des pichenettes sur le nez, pour le garantir des mouches, disait-il. Naturellement, ce jeu divertissait fort les artistes. Mais, tout à coup, Mignon, emporté par son succès, se lançant dans la fantaisie, avait allongé au journaliste un soufflet, un véritable et vigoureux soufflet. Cette fois, il allait trop loin, Fauchery ne pouvait, devant le monde, accepter en riant une pareille gifle. Et les deux hommes, cessant la comédie, livides et le visage crevant de haine, s’étaient sauté à la gorge. Ils se roulaient par terre, derrière un portant, en se traitant de maquereaux.

— Monsieur Bordenave ! monsieur Bordenave ! vint dire le régisseur effaré.

Bordenave le suivit, après avoir demandé pardon au prince. Quand il eut reconnu par terre Fauchery et Mignon, il laissa échapper un geste d’homme contrarié. Vraiment, ils prenaient bien leur temps, avec Son Altesse de l’autre côté du décor, et toute cette salle qui pouvait entendre ! Pour comble d’ennui, Rose Mignon arrivait, essoufflée, juste à la minute de son entrée en scène. Vulcain lui jetait sa réplique. Mais Rose resta stupéfaite, en voyant à ses pieds son mari et son amant qui se vautraient, s’étranglant, ruant, les cheveux arrachés, la redingote blanche de poussière. Ils lui barraient le passage ; même un machiniste avait arrêté le chapeau de Fauchery, au moment où ce diable de chapeau, dans la lutte, allait rebondir sur la scène. Cependant, Vulcain, qui inventait des phrases pour amuser le public, donnait de nouveau la réplique. Rose, immobile, regardait toujours les deux hommes.

— Mais ne regarde donc pas ! lui souffla furieusement Bordenave dans le cou. Va donc ! va donc !… Ce n’est pas ton affaire ! Tu manques ton entrée !

Et, poussée par lui, Rose, enjambant les corps, se trouva en scène, dans le flamboiement de la rampe, devant le public. Elle n’avait pas compris pourquoi ils étaient par terre, à se battre. Tremblante, la tête emplie d’un bourdonnement, elle descendit vers la rampe avec son beau sourire de Diane amoureuse, et elle attaqua la première phrase de son duo, d’une voix si chaude, que le public lui fit une ovation. Derrière le décor, elle entendait les coups sourds des deux hommes. Ils avaient roulé jusqu’au manteau d’arlequin. Heureusement, la musique couvrait le bruit des ruades qu’ils donnaient dans les châssis.

— Nom de Dieu ! cria Bordenave exaspéré, lorsqu’il eut enfin réussi à les séparer, est-ce que vous ne pourriez pas vous battre chez vous ? Vous savez pourtant bien que je n’aime pas ça… Toi, Mignon, tu vas me faire le plaisir de rester ici, côté cour ; et vous, Fauchery, je vous flanque à la porte du théâtre, si vous quittez le côté jardin… Hein ? c’est entendu, côté cour et côté jardin, ou je défends à Rose de vous amener.

Quand il revint près du prince, celui-ci s’informa.

— Oh ! rien du tout, murmura-t-il d’un air calme.

Nana, debout, enveloppée dans une fourrure, attendait son entrée en causant avec ces messieurs. Comme le comte Muffat remontait pour jeter un regard sur la scène, entre deux châssis, il comprit, à un geste du régisseur, qu’il devait marcher doucement. Une paix chaude tombait du cintre. Dans les coulisses, éclairées de violentes nappes de lumière, de rares personnes, parlant à voix basse, stationnaient, s’en allaient sur la pointe des pieds. Le gazier était à son poste, près du jeu compliqué des robinets ; un pompier, appuyé contre un portant, tâchait de voir, en allongeant la tête ; pendant que, tout en haut, sur son banc, l’homme du rideau veillait, l’air résigné, ignorant la pièce, toujours dans l’attente du coup de sonnette pour la manœuvre de ses cordages. Et, au milieu de cet air étouffé, de ces piétinements et de ces chuchotements, la voix des acteurs en scène arrivait étrange, assourdie, une voix dont la fausseté surprenait. Puis, c’était, plus loin, au delà des bruits confus de l’orchestre, comme une immense haleine, la salle qui respirait et dont le souffle se gonflait parfois, éclatant en rumeurs, en rires, en applaudissements. On sentait le public sans le voir, même dans ses silences.

— Mais il y a quelque chose d’ouvert, dit brusquement Nana, en ramenant les coins de sa fourrure. Voyez donc, Barillot. Je parie qu’on vient d’ouvrir une fenêtre… Vrai, on peut crever ici !

Barillot jura qu’il avait tout fermé lui-même. Peut-être y avait-il des carreaux cassés. Les artistes se plaignaient toujours des courants d’air. Dans la chaleur lourde du gaz, des coups de froid passaient, un vrai nid à fluxions de poitrine, comme disait Fontan.

— Je voudrais vous voir décolleté, continua Nana, qui se fâchait.

— Chut ! murmura Bordenave.

En scène, Rose détaillait si finement une phrase de son duo, que des bravos couvrirent l’orchestre. Nana se tut, la face sérieuse. Cependant, le comte se risquait dans une rue, lorsque Barillot l’arrêta, en l’avertissant qu’il y avait là une découverte. Il voyait le décor à l’envers et de biais, le derrière des châssis consolidés par une épaisse couche de vieilles affiches, puis un coin de la scène, la caverne de l’Etna creusée dans une mine d’argent, avec la forge de Vulcain, au fond. Les herses descendues incendiaient le paillon appliqué à larges coups de pinceau. Des portants à verres bleus et à verres rouges, par une opposition calculée, ménageaient un flamboiement de brasier ; tandis que, par terre, au troisième plan, des traînées de gaz couraient, pour détacher une barre de roches noires. Et là, sur un praticable incliné en pente douce, au milieu de ces gouttes de lumière pareilles à des lampions posés dans l’herbe, un soir de fête publique, la vieille madame Drouard, qui jouait Junon, était assise, aveuglée et somnolente, attendant son entrée.

Mais il y eut un mouvement. Simonne, en train d’écouter une histoire de Clarisse, laissa échapper :

— Tiens ! la Tricon !

C’était la Tricon, en effet, avec ses anglaises et sa tournure de comtesse qui court les avoués. Quand elle aperçut Nana, elle marcha droit à elle.

— Non, dit celle-ci, après un échange rapide de paroles. Pas maintenant.

La vieille dame resta grave. Prullière, en passant, lui donna une poignée de main. Deux petites figurantes la contemplaient avec émotion. Elle, un moment, parut hésitante. Puis, elle appela Simonne d’un geste. Et l’échange rapide de paroles recommença.

— Oui, dit enfin Simonne. Dans une demi-heure.

Mais, comme elle remontait à sa loge, madame Bron, qui se promenait de nouveau avec des lettres, lui en remit une. Bordenave, baissant la voix, reprochait furieusement, à la concierge d’avoir laissé passer la Tricon ; cette femme ! juste ce soir-là ! ça l’indignait, à cause de Son Altesse. Madame Bron, depuis trente ans dans le théâtre, répondit sur un ton d’aigreur. Est-ce qu’elle savait ? La Tricon faisait des affaires avec toutes ces dames ; vingt fois monsieur le directeur l’avait rencontrée sans rien dire. Et, pendant que Bordenave mâchait de gros mots, la Tricon, tranquille, examinait fixement le prince, en femme qui pèse un homme d’un regard. Un sourire éclaira son visage jaune. Puis, elle s’en alla, d’un pas lent, au milieu des petites femmes respectueuses.

— Tout de suite, n’est-ce pas ? dit-elle en se retournant vers Simonne.

Simonne semblait fort ennuyée. La lettre était d’un jeune homme auquel elle avait promis pour le soir. Elle remit à madame Bron un billet griffonné : « Pas possible ce soir, mon chéri, je suis prise. » Mais elle restait inquiète ; ce jeune homme allait peut-être l’attendre quand même. Comme elle n’était pas du troisième acte, elle voulait partir tout de suite. Alors, elle pria Clarisse d’aller voir. Celle-ci entrait seulement en scène vers la fin de l’acte. Elle descendit, pendant que Simonne remontait un instant à la loge qu’elles occupaient en commun.

En bas, dans la buvette de madame Bron, un figurant, chargé du rôle de Pluton, buvait seul, drapé d’une grande robe rouge à flammes d’or. Le petit commerce de la concierge avait dû bien marcher, car le trou de cave, sous l’escalier, était tout humide des rinçures de verre répandues. Clarisse releva sa tunique d’Iris, qui traînait sur les marches grasses. Mais elle s’arrêta prudemment, elle se contenta d’allonger la tête, au tournant de l’escalier, pour jeter un coup d’œil dans la loge. Et elle avait eu du flair. Est-ce que cet idiot de la Faloise n’était pas encore là, sur la même chaise, entre la table et le poêle ! Il avait fait mine de filer devant Simonne, puis il était revenu. D’ailleurs, la loge était toujours pleine de messieurs, gantés, corrects, l’air soumis et patient. Tous attendaient, en se regardant avec gravité. Il n’y avait plus sur la table que les assiettes sales, madame Bron venait de distribuer les derniers bouquets ; seule une rose tombée se fanait, près de la chatte noire, qui s’était couchée en rond, tandis que les petits chats exécutaient des courses folles, des galops féroces, entre les jambes des messieurs. Clarisse eut un instant l’envie de flanquer la Faloise dehors. Ce crétin-là n’aimait pas les bêtes ; ça le complétait. Il rentrait les coudes, à cause de la chatte, pour ne pas la toucher.

— Il va te pincer, méfie-toi ! dit Pluton, un farceur, qui remontait en s’essuyant les lèvres d’un revers de main.

Alors, Clarisse lâcha l’idée de faire une scène à la Faloise. Elle avait vu madame Bron remettre la lettre au jeune homme de Simonne. Celui-ci était allé la lire sous le bec de gaz du vestibule. « Pas possible ce soir, mon chéri, je suis prise. » Et, paisiblement, habitué à la phrase sans doute, il avait disparu. Au moins en voilà un qui savait se conduire ! Ce n’était pas comme les autres, ceux qui s’entêtaient là, sur les chaises dépaillées de madame Bron, dans cette grande lanterne vitrée, où l’on cuisait et qui ne sentait guère bon. Fallait-il que ça tînt les hommes ! Clarisse remonta, dégoûtée ; elle traversa la scène, elle grimpa lestement les trois étages de l’escalier des loges, pour rendre réponse à Simonne.

Sur le théâtre, le prince, s’écartant, parlait à Nana. Il ne l’avait pas quittée, il la couvait de ses yeux demi-clos. Nana, sans le regarder, souriante, disait oui, d’un signe de tête. Mais, brusquement, le comte Muffat obéit à une poussée de tout son être ; il lâcha Bordenave qui lui donnait des détails sur la manœuvre des treuils et des tambours, et s’approcha pour rompre cet entretien. Nana leva les yeux, lui sourit comme elle souriait à Son Altesse. Cependant, elle avait toujours une oreille tendue, guettant la réplique.

— Le troisième acte est le plus court, je crois, disait le prince, gêné par la présence du comte.

Elle ne répondit pas, la face changée, tout d’un coup à son affaire. D’un rapide mouvement des épaules, elle avait fait glisser sa fourrure, que madame Jules, debout derrière elle, reçut dans ses bras. Et, nue, après avoir porté les deux mains à sa chevelure, comme pour l’assujettir, elle entra en scène.

— Chut ! chut ! souffla Bordenave.

Le comte et le prince étaient restés surpris. Au milieu du grand silence, un soupir profond, une lointaine rumeur de foule, montait. Chaque soir, le même effet se produisait à l’entrée de Vénus, dans sa nudité de déesse. Alors, Muffat voulut voir ; il appliqua l’œil à un trou. Au delà de l’arc de cercle éblouissant de la rampe, la salle paraissait sombre, comme emplie d’une fumée rousse ; et, sur ce fond neutre, où les rangées de visages mettaient une pâleur brouillée, Nana se détachait en blanc, grandie, bouchant les loges, du balcon au cintre. Il l’apercevait de dos, les reins tendus, les bras ouverts ; tandis que, par terre, au ras de ses pieds, la tête du souffleur, une tête de vieil homme, était posée comme coupée, avec un air pauvre et honnête. À certaines phrases de son morceau d’entrée, des ondulations semblaient partir de son cou, descendre à sa taille, expirer au bord traînant de sa tunique. Quand elle eut poussé la dernière note au milieu d’une tempête de bravos, elle salua, les gazes volantes, sa chevelure touchant ses reins, dans le raccourci de l’échine. Et, en la voyant ainsi, pliée et les hanches élargies, venir à reculons vers le trou par lequel il la regardait, le comte se releva, très pâle. La scène avait disparu, il n’apercevait plus que l’envers du décor, le bariolage des vieilles affiches, collées dans tous les sens. Sur le praticable, parmi les traînées de gaz, l’Olympe entier avait rejoint madame Drouard, qui sommeillait. Ils attendaient la fin de l’acte, Bosc et Fontan assis à terre, le menton sur les genoux, Prullière s’étirant et bâillant avant d’entrer en scène, tous éteints, les yeux rouges, pressés d’aller se coucher.

À ce moment, Fauchery qui rôdait du côté jardin, depuis que Bordenave lui avait interdit le côté cour, s’accrocha au comte pour se donner une contenance, en offrant de lui montrer les loges. Muffat, qu’une mollesse croissante laissait sans volonté, finit par suivre le journaliste, après avoir cherché des yeux le marquis de Chouard, qui n’était plus là. Il éprouvait à la fois un soulagement et une inquiétude, en quittant ces coulisses d’où il entendait Nana chanter.

Déjà Fauchery le précédait dans l’escalier, que des tambours de bois fermaient au premier étage et au second. C’était un de ces escaliers de maison louche, comme le comte Muffat en avait vu dans ses tournées de membre du bureau de bienfaisance, nu et délabré, badigeonné de jaune, avec des marches usées par la dégringolade des pieds, et une rampe de fer que le frottement des mains avait polie. À chaque palier, au ras du sol, une fenêtre basse mettait un enfoncement carré de soupirail. Dans des lanternes scellées aux murs, des flammes de gaz brûlaient, éclairant crûment cette misère, dégageant une chaleur qui montait et s’amassait sous la spirale étroite des étages.

En arrivant au pied de l’escalier, le comte avait senti de nouveau un souffle ardent lui tomber sur la nuque, cette odeur de femme descendue des loges, dans un flot de lumière et de bruit ; et, maintenant, à chaque marche qu’il montait, le musc des poudres, les aigreurs des vinaigres de toilette le chauffaient, l’étourdissaient davantage. Au premier, deux corridors s’enfonçaient, tournaient brusquement, avec des portes d’hôtel meublé suspect, peintes en jaune, portant de gros numéros blancs ; par terre, les carreaux, descellés, faisaient des bosses, dans le tassement de la vieille maison. Le comte se hasarda, jeta un coup d’œil par une porte entr’ouverte, vit une pièce très sale, une échoppe de perruquier de faubourg, meublée de deux chaises, d’une glace et d’une planchette à tiroir, noircie par la crasse des peignes. Un gaillard en sueur, les épaules fumantes, y changeait de linge ; tandis que, dans une chambre pareille, à côté, une femme près de partir mettait ses gants, les cheveux défrisés et mouillés, comme si elle venait de prendre un bain. Mais Fauchery appelait le comte, et celui-ci arrivait au second, lorsqu’un « nom de Dieu ! » furieux sortit du corridor de droite ; Mathilde, un petit torchon d’ingénue, venait de casser sa cuvette, dont l’eau savonneuse coulait jusqu’au palier. Une loge se referma violemment. Deux femmes en corset traversèrent d’un saut ; une autre, le bord de sa chemise aux dents, parut et se sauva. Puis, il y eut des rires, une querelle, une chanson commencée et tout d’un coup interrompue. Le long du couloir, par les fentes, on apercevait des coins de nudité, des blancheurs de peau, des pâleurs de linge ; deux filles, très gaies, se montraient leurs signes ; une, toute jeune, presque une enfant, avait relevé ses jupons au-dessus des genoux, pour recoudre son pantalon ; pendant que les habilleuses, en voyant les deux hommes, tiraient légèrement des rideaux, par décence. C’était la bousculade de la fin, le grand nettoyage du blanc et du rouge, la toilette de ville reprise au milieu d’un nuage de poudre de riz, un redoublement d’odeur fauve soufflé par les portes battantes. Au troisième étage, Muffat s’abandonna à la griserie qui l’envahissait. La loge des figurantes était là ; vingt femmes entassées, une débandade de savons et de bouteilles d’eau de lavande, la salle commune d’une maison de barrière. En passant, il entendit, derrière une porte close, un lavage féroce, une tempête dans une cuvette. Et il montait au dernier étage, lorsqu’il eut la curiosité de hasarder encore un regard, par un judas resté ouvert : la pièce était vide, il n’y avait, sous le flamboiement du gaz, qu’un pot de chambre oublié, au milieu d’un désordre de jupes traînant par terre. Cette pièce fut la dernière vision qu’il emporta. En haut, au quatrième, il étouffait. Toutes les odeurs, toutes les flammes venaient frapper là ; le plafond jaune semblait cuit, une lanterne brûlait dans un brouillard roussâtre. Un instant, il se tint à la rampe de fer, qu’il trouva tiède d’une tiédeur vivante, et il ferma les yeux, et il but dans une aspiration tout le sexe de la femme, qu’il ignorait encore et qui lui battait le visage.

— Arrivez donc, cria Fauchery, disparu depuis un moment ; on vous demande.

C’était, au fond du corridor, la loge de Clarisse et de Simonne, une pièce en longueur, sous les toits, mal faite, avec des pans coupés et des fuites de mur. Le jour venait d’en haut, par deux ouvertures profondes. Mais, à cette heure de nuit, des flammes de gaz éclairaient la loge, tapissée d’un papier à sept sous le rouleau, des fleurs roses courant sur un treillage vert. Côte à côte, deux planches servaient de toilette, des planches garnies d’une toile cirée, noire d’eau répandue, et sous lesquelles traînaient des brocs de zinc bossués, des seaux pleins de rinçures, des cruches de grosse poterie jaune. Il y avait là un étalage d’articles de bazar, tordus, salis par l’usage, des cuvettes ébréchées, des peignes de corne édentés, tout ce que la hâte et le sans-gêne de deux femmes se déshabillant, se débarbouillant en commun, laissent autour d’elles de désordre, dans un lieu où elles ne font que passer et dont la saleté ne les touche plus.

— Arrivez donc, répéta Fauchery avec cette camaraderie des hommes chez les filles, c’est Clarisse qui veut vous embrasser.

Muffat finit par entrer. Mais il resta surpris, en trouvant le marquis de Chouard installé entre les deux toilettes, sur une chaise. Le marquis s’était retiré là. Il écartait les pieds, parce qu’un seau fuyait et laissait couler une mare blanchâtre. On le sentait à l’aise, connaissant les bons endroits, ragaillardi dans cet étouffement de baignoire, dans cette tranquille impudeur de la femme, que ce coin de malpropreté rendait naturelle et comme élargie.

— Est-ce que tu vas avec le vieux ? demanda Simonne à l’oreille de Clarisse.

— Plus souvent ! répondit celle-ci tout haut.

L’habilleuse, une jeune fille très laide et très familière, en train d’aider Simonne à mettre son manteau, se tordit de rire. Toutes trois se poussaient, balbutiaient des mots qui redoublaient leur gaieté.

— Voyons, Clarisse, embrasse le monsieur, répéta Fauchery. Tu sais qu’il a le sac.

Et, se tournant vers le comte :

— Vous allez voir, elle est très gentille, elle va vous embrasser.

Mais Clarisse était dégoûtée des hommes. Elle parla violemment des salauds qui attendaient en bas, chez la concierge. D’ailleurs, elle était pressée de redescendre, on allait lui faire manquer sa dernière scène. Puis, comme Fauchery barrait la porte, elle posa deux baisers sur les favoris de Muffat, en disant :

— Ce n’est pas pour vous, au moins ! c’est pour Fauchery qui m’embête.

Et elle s’échappa. Le comte demeurait gêné devant son beau-père. Un flot de sang lui était monté à la face. Il n’avait pas éprouvé, dans la loge de Nana, au milieu de ce luxe de tentures et de glaces, l’âcre excitation de la misère honteuse de ce galetas, plein de l’abandon des deux femmes. Cependant, le marquis venait de partir derrière Simonne très pressée, lui parlant dans le cou, pendant qu’elle refusait de la tête. Fauchery les suivait en riant. Alors, le comte se vit seul avec l’habilleuse, qui rinçait les cuvettes. Et il s’en alla, il descendit à son tour l’escalier, les jambes molles, levant de nouveau devant lui des femmes en jupons, faisant battre les portes sur son passage. Mais, au milieu de cette débandade de filles lâchées à travers les quatre étages, il n’aperçut distinctement qu’un chat, le gros chat rouge, qui, dans cette fournaise empoisonnée de musc, filait le long des marches en se frottant le dos contre les barreaux de la rampe, la queue en l’air.

— Ah bien ! dit une voix enrouée de femme, j’ai cru qu’ils nous garderaient, ce soir !… En voilà des raseurs, avec leurs rappels !

C’était la fin, le rideau venait de tomber. Il y avait un véritable galop dans l’escalier, dont la cage s’emplissait d’exclamations, d’une hâte brutale à se rhabiller et à partir. Comme le comte Muffat descendait la dernière marche, il aperçut Nana et le prince qui suivaient lentement le couloir. La jeune femme s’arrêta ; puis souriante, baissant la voix :

— C’est cela, à tout à l’heure.

Le prince retourna sur la scène, où Bordenave l’attendait. Alors, seul avec Nana, cédant à une poussée de colère et de désir, Muffat courut derrière elle ; et, au moment où elle rentrait dans sa loge, il lui planta un rude baiser sur la nuque, sur les petits poils blonds qui frisaient très bas entre ses épaules. C’était comme le baiser reçu en haut, qu’il rendait là. Nana, furieuse, levait déjà la main. Quand elle reconnut le comte, elle eut un sourire.

— Oh ! vous m’avez fait peur, dit-elle simplement.

Et son sourire était adorable, confus et soumis, comme si elle eût désespéré de ce baiser et qu’elle fût heureuse de l’avoir reçu. Mais elle ne pouvait pas, ni le soir, ni le lendemain. Il fallait attendre. Si même elle avait pu, elle se serait fait désirer. Son regard disait ces choses. Enfin, elle reprit :

— Vous savez, je suis propriétaire… Oui, j’achète une maison de campagne, près d’Orléans, dans un pays où vous allez quelquefois. Bébé m’a dit ça, le petit Georges Hugon, vous le connaissez ?… Venez donc me voir, là-bas.

Le comte, effrayé de sa brutalité d’homme timide, honteux de ce qu’il avait fait, la salua cérémonieusement, en lui promettant de se rendre à son invitation. Puis, il s’éloigna, marchant dans un rêve.

Il rejoignait le prince, lorsque, en passant devant le foyer, il entendit Satin crier :

— En voilà un vieux sale ! Fichez-moi la paix !

C’était le marquis de Chouard, qui se rabattait sur Satin. Celle-ci avait décidément assez de tout ce monde chic. Nana venait bien de la présenter à Bordenave. Mais ça l’avait trop assommée, de rester la bouche cousue, par crainte de laisser échapper des bêtises ; et elle voulait se rattraper, d’autant plus qu’elle était tombée, dans les coulisses, sur un ancien à elle, le figurant chargé du rôle de Pluton, un pâtissier qui lui avait déjà donné toute une semaine d’amour et de gifles. Elle l’attendait, irritée de ce que le marquis lui parlait comme à une de ces dames du théâtre. Aussi finit-elle par être très digne, jetant cette phrase :

— Mon mari va venir, vous allez voir !

Cependant, les artistes en paletot, le visage las, partaient un à un. Des groupes d’hommes et de femmes descendaient le petit escalier tournant, mettaient dans l’ombre des profils de chapeaux défoncés, de châles fripés, une laideur blême de cabotins qui ont enlevé leur rouge. Sur la scène, où l’on éteignait les portants et les herses, le prince écoutait une anecdote de Bordenave. Il voulait attendre Nana. Quand celle-ci parut enfin, la scène était noire, le pompier de service, achevant sa ronde, promenait une lanterne. Bordenave, pour éviter à Son Altesse le détour du passage des Panoramas, venait de faire ouvrir le couloir qui va de la loge de la concierge au vestibule du théâtre. Et c’était, le long de cette allée, un sauve-qui-peut de petites femmes, heureuses d’échapper aux hommes en train de poser dans le passage. Elles se bousculaient, serrant les coudes, jetant des regards en arrière, respirant seulement dehors ; tandis que Fontan, Bosc et Prullière se retiraient lentement, en blaguant la tête des hommes sérieux, qui arpentaient la galerie des Variétés, à l’heure où les petites filaient par le boulevard, avec des amants de cœur. Mais Clarisse surtout fut maligne. Elle se méfiait de la Faloise. En effet, il était encore là, dans la loge, en compagnie des messieurs qui s’entêtaient sur les chaises de madame Bron. Tous tendaient le nez. Alors, elle passa raide, derrière une amie. Ces messieurs clignaient les paupières, ahuris par cette dégringolade de jupes tourbillonnant au pied de l’étroit escalier, désespérés d’attendre depuis si longtemps, pour les voir ainsi s’envoler toutes, sans en reconnaître une seule. La portée des chats noirs dormait sur la toile cirée, contre le ventre de la mère, béate et les pattes élargies ; pendant que le gros chat rouge, assis à l’autre bout de la table, la queue allongée, regardait de ses yeux jaunes les femmes se sauver.

— Si Son Altesse veut bien passer par ici, dit Bordenave, au bas de l’escalier, en indiquant le couloir.

Quelques figurantes s’y poussaient encore. Le prince suivait Nana. Muffat et le marquis venaient derrière. C’était un long boyau, pris entre le théâtre et la maison voisine, une sorte de ruelle étranglée qu’on avait couverte d’une toiture en pente, où s’ouvraient des châssis vitrés. Une humidité suintait des murailles. Les pas sonnaient sur le sol dallé, comme dans un souterrain. Il y avait là un encombrement de grenier, un établi sur lequel le concierge donnait un coup de rabot aux décors, un empilement de barrières de bois, qu’on posait le soir à la porte, pour maintenir la queue. Nana dut relever sa robe en passant devant une borne-fontaine, dont le robinet mal fermé inondait les dalles. Dans le vestibule, on se salua. Et, quand Bordenave fut seul, il résuma son jugement sur le prince par un haussement d’épaules, plein d’une dédaigneuse philosophie.

— Il est un peu mufe tout de même, dit-il sans s’expliquer davantage à Fauchery, que Rose Mignon emmenait avec son mari, pour les réconcilier chez elle.

Muffat se trouva seul sur le trottoir. Son Altesse venait tranquillement de faire monter Nana dans sa voiture. Le marquis avait filé derrière Satin et son figurant, excité, se contentant à suivre ces deux vices, avec le vague espoir de quelque complaisance. Alors, Muffat, la tête en feu, voulut rentrer à pied. Tout combat avait cessé en lui. Un flot de vie nouvelle noyait ses idées et ses croyances de quarante années. Pendant qu’il longeait les boulevards, le roulement des dernières voitures l’assourdissait du nom de Nana, les becs de gaz faisaient danser devant ses yeux des nudités, les bras souples, les épaules blanches de Nana ; et il sentait qu’elle le possédait, il aurait tout renié, tout vendu, pour l’avoir une heure, le soir même. C’était sa jeunesse qui s’éveillait enfin, une puberté goulue d’adolescent, brûlant tout à coup dans sa froideur de catholique et dans sa dignité d’homme mûr.