Némoville/Le retour de Paul Lamontagne

Beauregard (p. 96-98).

CHAPITRE XVIII.


LE RETOUR DE PAUL LAMONTAGNE.


Paul Lamontagne avait accompli sa mission à terre et revenait le cœur joyeux à la ville sous-marine. Le temps lui avait paru long, loin de sa Jeanne bien-aimée. Il lui tardait de la revoir, il se proposait de rire avec elle du pressentiment qu’elle avait eu, lors de son départ. Elle avait pleuré en le quittant, et cela lui avait fait regretter de ne l’avoir pas emmenée avec lui ; mais il savait que le docteur de Chantal comptait beaucoup sur sa fille pour le soin des malades, et les jeunes époux avaient fait le sacrifice de cette première séparation, qui ne devait, d’ailleurs, durer que quelques heures.

Paul, heureux, se mit à chanter à tue-tête :

Vogue, frêle nacelle,
Vogue sur les flots bleus,
Ramène-moi vers celle
Qui sait me rendre heureux.
Vogue, vogue, frêle nacelle,
Vogue, vogue sur les flots bleus.

 Vogue, frêle nacelle,
Vogue sur les flots bleus.
La mer est calme et belle,
Le soleil, radieux.
Vogue, vogue, frêle nacelle.
Vogue, vogue sur les flots bleus.

Vogue, frêle nacelle,
Vogue sur les flots bleus.
Près du foyer, fidèle.
M’attend Jeanne aux doux yeux.
Vogue, vogue, frêle nacelle,
Vogue, vogue sur les flots bleus.


— « Irai-je directement chez moi ? » se demanda-t-il, « Ou bien chez Roger ? » Il prit ce dernier parti, et alla accoster au « Nautilus. »

Némoville offrait vraiment un aspect singulier, flottant ainsi entre deux eaux, et Paul ne put s’empêcher de le remarquer, quoiqu’il fût habitué à ce spectacle. « Mais on est heureux chez nous, murmura-t-il comme conclusion à sa pensée, et notre petit royaume sous-marin vaut bien tous les domaines de la terre. »

Paul aborda le « Nautilus » et entra sans se faire annoncer chez son ami. Il ne vit d’abord que Roger, qu’il salua joyeusement, puis ses yeux firent le tour du salon, et il aperçut le curé et le docteur de Chantal, puis M. Demers, qui le regardaient avec un air de tristesse qui le frappa.

— « Que se passe t-il donc ici, ? » demanda-t-il, « pourquoi ces airs consternés ? On dirait qu’il est arrivé un malheur. »

— « Il est arrivé un grand malheur, en effet, répondit le curé ; soyez courageux, Paul ! D’ailleurs, tout espoir n’est pas perdu, nous les retrouverons. »

— « Mais expliquez-vous, au nom du ciel, qu’est-il arrivé ? »

Roger raconta l’accident qui avait séparé les deux sous-marins qui étaient à l’usage du docteur de Chantal.

— « Jeanne ! » fit seulement Paul, comme si toute sa douleur fut contenue dans ce nom aimé.

— « Partons immédiatement, séparons-nous et fouillons l’Océan en tous sens. Il faut les retrouver à tout prix. »

On mit immédiatement tous les canots submersibles en chasse, après les avoir munis de provisions pour plusieurs jours. Le curé ne voulant pas abandonner ceux qui devaient rester dans l’attente, bénit les voyageurs et leur dit : « Dieu vous guide vers elles. »