Némoville/Coup d’œil sur Némoville et ses habitants

Beauregard (p. 59-61).

CHAPITRE X.


COUP D’ŒIL SUR NÉMOVILLE ET SES HABITANTS.


Deux mois se sont écoulés. Quiconque eût jeté un coup d’œil sur Némoville, eût envié le sort de ses habitants.

Cependant tous les Némovilliens n’étaient pas heureux, à commencer par le gouverneur, qui avait perdu beaucoup de son insouciance et de sa belle humeur. Il ne faisait pas beaucoup de progrès, auprès de Gaétane ; bien au contraire, elle semblait plus réservée et plus froide que jamais avec lui. Un jour qu’il avait voulu lui baiser la main elle l’avait retirée avec indignation et lui avait dit en colère :

— « Quoi, vous osez ?… » Puis elle avait quitté la chambre avant qu’il pût lui demander l’explication de sa conduite étrange. Depuis elle le fuyait ostensiblement.

D’un autre côté, ce n’était plus un secret dans Némoville que le docteur Desmarais était très assidu auprès de la belle étrangère ; on le voyait souvent se diriger vers la demeure de Marcelle, mais on savait que ce n’était plus à Mlle Richard qu’il pensait.

Un jour que le docteur Desmarais était avec Gaétane, il se jeta à ses genoux, en lui faisant une déclaration d’amour si inattendue qu’elle demeura interdite. Comme elle faisait un mouvement pour se lever et se soustraire aux protestations du médecin, la porte du salon s’ouvrit et Marcelle entra accompagné de Roger, qui resta interdit devant le groupe romanesque que présentait Gaétane et le médecin.

— « Je vais vous recevoir dans mon boudoir, avait dit Marcelle en riant, ce serait trop dommage de déranger un si doux tête-à-tête. »

Roger avait répondu froidement qu’il ne venait que pour prendre des nouvelles de ces dames, mais qu’il avait de pressantes affaires, et il était reparti sans adresser la parole à Gaétane, ce qui l’avait rendue très malheureuse. Il n’avait plus reparu chez Marcelle, depuis.

Quant à Marcelle, elle paraissait de plus en plus sous la domination du docteur Desmarais ; et celui-ci semblait plus actif et plus sournois que jamais. Paul Lamontagne avait, lui aussi, des accès de tristesse dont il était seul à connaître le secret.

L’abbé Bernard était le témoin de la tristesse de ses amis, mais il se taisait, n’osant provoquer des confidences qui ne s’offraient pas.